Hors-série Une heure-lumière 2022

Les femmes à l’honneur

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un SP fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard et Erwann Perchoc !

Pour la cinquième année consécutive, le Bélial’ vous propose, à partir du 26 mai, pour l’achat de deux titres de la collection Une heure-lumière en version papier (le but étant de soutenir les libraires -l’opération est aussi évidemment valable sur le site de l’éditeur lui-même-), un Hors-série gratuit qui ne sera disponible que par ce biais et seulement dans la limite des stocks disponibles. L’objet ayant une dimension collector, s’il vous intéresse, il ne faut pas traîner. Et justement, c’est aussi le 26 mai 2022 que sortiront les deux nouveaux titres d’UHL, à savoir Un an dans la Ville-Rue de Paul Di Filippo et Opexx de Laurent Genefort. J’ai lu le premier pour le compte de Bifrost (vous pourrez retrouver ma critique dans le numéro 107 du magazine, à paraître début juillet), et ne vous en dirai donc pas grand-chose, sinon que c’est un excellent livre, à la traduction (signée Pierre-Paul Durastanti) d’une impressionnante qualité, mais peut-être pas tout à fait destiné à tous les profils de lecteurs. Vous trouverez ma critique du second ici.

L’ouvrage (112 pages au compteur tout de même) est illustré, comme d’habitude avec brio, par Aurélien Police pour la couverture (très esthétique, mais n’ayant finalement aucun rapport avec le contenu, comme nous allons le voir) et Anouck Faure pour l’unique illustration intérieure (vous retrouverez une autre de ses œuvres dans le numéro 107 de Bifrost, en ouverture d’une nouvelle de Sarah Pinsker). Il débute avec un court édito d’Olivier Girard, le capitaine à la barre du navire Bélial’, qui revient sur le chemin parcouru par la collection en six ans (avec un coup de canif, à mon avis complètement mérité mais encore trop gentil, envers ces autres maisons qui, soudain, trouvent d’immenses mérites au format court, pour lequel elles n’avaient, jusqu’ici, que mépris) et souligne le fait que le format très singulier d’UHL favorise la prise de risque, aussi bien pour l’éditeur (moins de papier, moins de coûts -éventuels- de traduction) que pour le lecteur (moins cher payé, plus vite lu, donc un moyen facile de tester une autrice ou un auteur).

On enchaîne ensuite avec une longue (46 pages) nouvelle, Des bêtes fabuleuses, signée Priya Sharma, l’autrice d’Ormeshadow également publié en UHL (et qui fait partie des trois titres de la collection que j’ai en stock et pas encore lu, ni critiqué -il y en a un quatrième que j’ai lu mais que je ne chroniquerai pas, estimant n’avoir pas grand-chose de pertinent à en dire-). C’est, en effet, une tradition de ces hors-série de mettre en avant les auteur(e)s considérés comme cardinaux dans la collection.

Des bêtes fabuleuses – Priya Sharma

Je vais soigneusement éviter d’en dire trop sur cette nouvelle, histoire de ne pas divulgâcher son intrigue et ses révélations, mais j’en dirai un peu plus, ci-dessous, sur la pertinence du fait de la lire… ou pas, et en tout cas en étant conscient de ce dans quoi on s’engage. Ce texte, qui s’inscrit dans l’Angleterre contemporaine, dans une perspective au début très Shameless (version anglaise, la seule qui compte, pas américaine, hein !) mais qui vire très rapidement au beaucoup plus glauque, fait des allers-retours à différentes époques de la vie de la protagoniste, d’abord désargentée, puis, à l’âge adulte, dans le milieu de l’herpétologie, et enfin dans l’entourage d’une grande photographe de mode. Je dis « et enfin » comme si le récit se déroulait sur un mode chronologique, mais ce n’est pourtant pas le cas, car il mélange allègrement les époques (on comprendra pourquoi lorsque se produira la révélation finale : ce n’est pas un gadget, c’est au contraire une manière habile mais qui semble très déstructurée de parvenir à ladite révélation finale). Il se trouve que la protagoniste, qui se fait appeler Eliza à l’âge adulte mais était connue sous le nom de Lola dans son enfance, a un singulier pouvoir, qui a une origine… sinistre, dirons-nous. Au passage, si, comme le précise l’édito, la majorité de la bibliographie de l’autrice est tournée vers le Fantastique et le New Weird, on est ici, à mon sens, plus sur du Réalisme Magique (avec un net aspect horrifique sur la fin), vu les réactions de l’intéressée à la découverte de son pouvoir.

Comme le souligne Olivier Girard, Des bêtes fabuleuses est un récit au sujet terrible mais traité avec une immense pudeur, et tout à fait bouleversant. Je l’ai d’ailleurs dévoré d’une traite. C’est le genre de nouvelle rentre-dedans tout en ne donnant pas (trop) dans l’exposition malsaine et explicite que j’apprécie beaucoup. Les parallèles tirés par Olivier avec Thomas Day sont d’ailleurs assez justes, même si, sur ce texte précis, moi j’aurais plutôt parlé de Vandana Singh (et d’une nouvelle en particulier, même si je vais soigneusement éviter de la citer), avec peut-être un minuscule soupçon d’Anders Fager.

S’il s’agit d’un excellent texte, il me faut toutefois vous avertir : ce ne sont pas un mais en fait deux sujets terribles qui sont abordés dans Des bêtes fabuleuses, et vu que les autres nouvelles intégrées aux anciens hors-série ne donnaient pas vraiment dans ce registre là, et qu’il n’y a pas de trigger warnings, certain(e)s d’entre vous vont peut-être se lancer dans cette lecture et tomber, au détour d’une page, sur quelque chose qui va leur rappeler une expérience traumatisante. J’ai des sentiments très partagés au sujet du concept des TW (je me dis d’un côté que s’ils peuvent être utiles, autant les mettre, mais d’un autre côté, comme, potentiellement, quasiment n’importe quoi -le feu, les araignées, etc.- peut être traumatisant pour quasiment n’importe qui, c’est sans fin), mais dans ce cas précis, vu la nature des deux sujets générateurs de TW, je pense qu’il aurait fallu se fendre d’une phrase disant que le contenu de cette nouvelle pouvait réveiller les échos d’anciens traumatismes chez certains lecteurs (c’est d’ailleurs ce qui a été fait -mais attention au spoiler- pour la VO). Vous êtes donc prévenu(e)s.

Ce sujet délicat mis à part, je recommande franchement la lecture de Des bêtes fabuleuses pour sa grande qualité littéraire (et celle de sa traduction, signée Anne-Sylvie Homassel) et vais clairement sortir Ormeshadow de ma PAL dès qu’humainement possible.

La collection Une heure-lumière par le menu – Camille Vinau

Votre serviteur peut en attester, les lecteurs sont tout spécialement friands des articles / guides leur expliquant par quel bout prendre la bibliographie d’un auteur, un grand meta-cycle composé de sous-cycles, un sous-genre de la SFFF ou une collection. Ce type de contenu est d’ailleurs le plus lu sur le Culte (mon Guide de la Hard SF cumule, par exemple, plus de 11 000 vues). Un beau jour, Camille, mon estimée collègue de la rédaction de Bifrost, a décidé d’écrire, sur son excellent blog (dont nous reparlerons un jour ou l’autre dans une Apophis Box), un article devant permettre aux lecteurs désireux de se lancer dans UHL de savoir par quel bout prendre la collection. Avec une idée simple mais géniale : structurer la chose comme des menus de restaurant, en fonction d’une envie directrice.

Ce papier a été remarqué par le Bélial’ Suprême, qui a décidé, dans sa grande bonté, d’inviter la camarade Vinau (plus connue, sur les réseaux sociaux, sous le pseudonyme de Vanille of Cocomilk -ne me demandez pas à quoi correspond ce concept lié au Lait de Coco, c’est aussi indicible que non-Euclidien pour un esprit comme le mien-) à retravailler la chose, et l’a intégrée au hors-série 2022. Je me suis amusé à comparer les deux versions, et elles ne font pas double emploi : la version UHL se concentre sur des menus à cinq romans (alors que la version blog en présente d’autres), et en propose plusieurs en plus ou renommés / retravaillés par rapport à la version d’origine. Moralité : même si vous connaissez déjà l’article de Vanille, vous ne perdrez pas votre temps à parcourir la nouvelle version. D’autant plus qu’elle est rédigée de façon agréable et virtuose, et est aussi utile que bien faite. Félicitations !

L’ouvrage se clôt sur le catalogue, et sur la liste des titres à paraître. Vu que le tirage est limité, et que, donc, tout le monde n’aura pas accès à ce hors-série (et qu’on va forcément me poser la question dans les commentaires, comme chaque année), on trouve essentiellement la confirmation de titres qui avaient été évoqués sur le forum du Bélial’ ou sur ses réseaux sociaux, parfois de longue date : Nexus de Michael Flynn (qui va changer de titre, il me semble), L’album de mariage de David Marusek, les deux suites du Serpent de Claire North (on remarquera que le Bélial’ est très focalisé sur les reptiles ces derniers temps : c’est à croire qu’un gourou les a fait entrer dans son Culte ophidien et… Oh, merde), La millième nuit d’Alastair Reynolds (RUEZ-VOUS sur celui-là quand il sortira !!!), L’héritage de Molly Southbourne de Tade Thompson, Houston, Houston, me recevez-vous ? de James Tiptree Jr. (fameux texte également), mais aussi l’annonce de la traduction de Les Armées de ceux que j’aime de Ken Liu (que je ne me rappelle pas avoir vu passer) et celle, sans grande surprise, du savoureux Elder Race d’Adrian Tchaikovsky.

(Eh, pssst, m’sieur Bélial’, et Pollen from a future harvest, non, il ne te plait pas ?).

Une heure-lumière sur Le Culte d’Apophis

En complément de l’article de Camille, vous pouvez aussi retrouver sur ce blog les critiques de nombreux UHL :

Cookie monster – Vernor Vinge

Un pont sur la brume – Kij Johnson

L’homme qui mit fin à l’histoire – Ken Liu

Cérès et Vesta – Greg Egan

Poumon vert – Ian MacLeod

Le regard – Ken Liu

24 vues du Mont Fuji, par Hokusai – Roger Zelazny

Le sultan des nuages – Geoffrey A. Landis

La ballade de Black Tom – Victor Lavalle

Retour sur Titan – Stephen Baxter

Les attracteurs de Rose Street – Lucius Shepard

Helstrid – Christian Léourier

Les meurtres de Molly Southbourne – Tade Thompson

Waldo – Robert Heinlein

Abimagique – Lucius Shepard

Dragon – Thomas Day

Le fini des mers – Gardner Dozois

Acadie – Dave Hutchinson

L’enfance attribuée – David Marusek

Le temps fut – Ian McDonald

La survie de Molly Southbourne – Tade Thompson

Les agents de Dreamland – Caitlin R. Kiernan

Vigilance – Robert Jackson Bennett

La chose – John W. Campbell

À dos de crocodile – Greg Egan

Sur la route d’Aldébaran – Adrian Tchaikovsky

Opexx – Laurent Genefort

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce hors-série, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Baroona, celle de Xapur, du Nocher des livres, de FeydRautha, de Yuyine, de Célinedanaë, d’Ombre Bones, du Maki,

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23 réflexions sur “Hors-série Une heure-lumière 2022

  1. C’est drôle cette remarque sur le format court parce que je l’ai encore faite ce week end aux Imaginales… Mais tant mieux que ça se démocratise, je suis vraiment de plus en plus à fond sur ce format.
    Hâte d’avoir ce HS entre les mains, merci pour ton article qui ne fait qu’amplifier mon impatience !

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    • Oui, c’est ce que dit l’édito aussi, finalement peu importe, si ça permet de démocratiser le format court. C’est juste que l’attitude de certaines maisons, qui font comme si elles avaient eu une illumination aussi soudaine que géniale et / ou qui s’intéressent au format court alors qu’elles ne voulaient pas en entendre parler jusque là, prête au mieux à sourire, au pire à grincer des dents. Le Bélial’ promeut le format court depuis un quart de siècle, et si, aujourd’hui, le succès, tant critique que commercial, d’UHL est énorme, au départ c’était un sacré coup de dés et il fallait avoir des gonades pour le lancer. Ce serait d’ailleurs bien qu’à un moment ou un autre, un prix quelconque vienne couronner la chose.

      J’ai hâte de connaître ton avis sur le texte de Priya Sharma. Pour moi, c’est un exercice d’écriture absolument remarquable, dans sa faculté à aborder un sujet très grave sans détours MAIS avec une admirable pudeur, un refus du graveleux qui ferait vendre.

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      • Je suis bien d’accord même si je n’accorde que peu de crédit aux prix. Une chance qu’il y ait des visionnaires dans ce milieu de temps en temps pour ramener un peu d’air frais. Le format court ça m’a vraiment sauvé d’une sale panne de lecture longue durée…

        Je ne manquerais pas de te le donner une fois reçu, j’attends le 26 du coup pour ne pas me louper !

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  2. D’un côté, je m’étais dit d’arrêter d’acheter des livres tant que je n’en faisais pas sortir de ma pile à lire. De l’autre, tu donnes vraiment très très envie de lire cet hors-série, et ce serait le premier que j’aurais d’Une heure-lumière d’ailleurs. Et avoir le plaisir de relire la carte des UHL par Camille Vinau, ce serait génial ! Plus de pour que de contre, donc.
    Par ailleurs, je partage ton avis sur les trigger warning, je comprends l’intérêt, mais il est vrai qu’on pourrait en mettre pour tout, n’importe quoi, et par moments j’en viens aussi à me demander si cela ne frôle pas l’infantilisation/la manière de prendre trop par la main. Je connais la sensation douloureuse que ça fait de retomber sur quelque chose qui fait un écho très pénible, mais ça fait partie des choses possibles quand on lit, regarde un film, une série…on ne peut pas tout éviter.

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    • Je t’avoue que j’ai hésité à aborder le sujet des TW, parce qu’il est sensible, et que j’ai plus tendance à fuir les polémiques qu’à sauter à pieds joints dedans. Je suis aussi content d’avoir le sentiment de quelqu’un d’autre dessus, et j’espère que tu ne seras pas la seule à t’exprimer sur le sujet en commentaire.

      De mon point de vue, le texte de Priya Sharma, l’exercice d’écriture consistant à aborder, sans l’occulter mais sans y aller à gros sabots non plus, un thème de société si délicat, est suffisamment admirable pour justifier le fait de se procurer ce HS. Surtout que les dernières sorties en UHL sont toutes plus recommandables les unes que les autres : je conseille particulièrement Le Serpent et Un an dans la Ville-Rue (pour ce dernier, le Worldbuilding est plutôt original, la traduction fantastique et c’est un véritable calque du parcours d’un auteur qui cherche à se faire publier et du monde de l’édition, mais transposé dans un monde très, très fantastique).

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      • C’est effectivement un sujet compliqué et c’est difficile d’avoir des réponses établies et définitives. D’un côté c’est sensé et utile, de l’autre…ça peut être pour beaucoup de choses voire trop, et puis c’est aussi l’expérience de lecture de se confronter à des choses parfois dures. D’être sensibilisé à des sujets lourds. On ne peut pas éviter. Plusieurs avis seraient intéressants !!

        Je pense que je vais céder pour cette commande ! Ça me donnera l’occasion de découvrir Un an dans la ville rue qui a l’air vraiment bien (on m’a offert Le serpent qui attend son tour de lecture). Franchement, avec ces arguments, tu ne peux que me convaincre !!

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  3. Merci pour l’article.
    J’aime bien cette collection UHL.
    Surtout une nouvelle comme Sur la route d’Aldébaran.
    Question: Je cherche des nouvelles de qualité dans ce style comme celui cité précédemment ou Diamond dogs de Alastair Reynolds (mon auteur préféré). Le style SF très lointain aux artefacts bizarres où il ne fait pas bon d’être claustrophobe quand on les visite, de l’horreur bien gore genre démembrage, du transhumanisme (comme dans Diamond Dogs, ça serait parfait). Une suggestion?
    Merci beaucoup et longue vie au Culte d’Apophis que j’ai tendance à lurker depuis des années et bon courage dans vos débuts de projets d’écriture.

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    • Merci. Ta demande est très spécifique, donc ce n’est pas évident (surtout en se restreignant au format court), mais spontanément, me viennent la nouvelle Beyond the Aquila Rift d’Alastair Reynolds (en VO), The ghost ship Anastasia de Rich Larson (en VO pour le moment, mais elle devrait bien être traduite un jour ou l’autre par le Bélial’), Le village enchanté d’A.E. van Vogt (dispo dans Bifrost 98) ou L’écart des missiles de Charles Stross.

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  4. Obole au Culte.
    Ta section contact étant très restrictive je te contacte par ce biais en espérant un effacement à la modération. Je souhaite humblement participer au financement du site sans passer par le net (Amazon, PayPal, etc.) En espérant que ce soit possible
    Dans l’attente de ta réponse, tu connais mon mail.

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    • Bonjour Cush, je te remercie pour ta généreuse proposition, mais je ne cherche pas de sources de financement extérieures autres que mon partenariat déjà existant pour le moment. Je laisse ton message en clair afin que d’autres, qui m’ont déjà fait plus ou moins le même genre de proposition (mais via le net, cette fois : Paypal, etc.), prennent également connaissance de ma réponse et de ma position. Merci encore !

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