Olangar – Le Combat des ombres – Clément Bouhélier

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Un point final remarquable, nuancé et d’une grande intensité dramatique, à la trilogie Olangar

À la fin d’Olangar – Une Cité en flammes, la cité éponyme tombait aux mains de ses soi-disant alliés, les Duchés, aidés par le Groendal, un parti politique xénophobe local. Le Combat des ombres, ultime volet de la trilogie Olangar, montre les horreurs de l’occupation et à quel point l’inévitable libération laissera un goût amer à des héros vieillissants et parfois au bout du rouleau, contraints à des compromis, voire des compromissions, qui auraient été inacceptables pour leurs versions plus jeunes et idéalistes. L’auteur n’a pas choisi la voie de la facilité pour son dispositif narratif , celui-ci étant le récit, fait des décennies après, des événements les plus marquants de cette année fatidique, rédigé par une personne dont l’identité ne se dévoilera que sur la fin. Ce récit fait des allers-retours dans le temps, utilisant à la fois quelques prolepses et de nombreuses analepses. Si l’ensemble se suit sans peine, il donne aussi le sentiment d’être parfois inutilement convoluté. Il est toutefois plutôt rythmé et traversé par une intensité dramatique souvent considérable. On signalera d’ailleurs que ce troisième tome est nettement plus noir que les précédents, et que sa fin est tout spécialement amère. Ce qui participe d’ailleurs à sa puissance.

Si Bans et barricades n’était pas dépourvu de manichéisme ou de naïveté politico-idéologique (peut-être un reflet, d’ailleurs, de l’idéalisme de certains de ses protagonistes), Bouhélier a proposé, dans les volumes suivants, un tableau de plus en plus nuancé, et si la description de l’occupation de la ville, très convenue (ghetto, camp de travail, rationnement, arrestations et exécutions sommaires, journalistes muselés, etc.) et sujet central de ce troisième volet (comme la lutte sociale était celui du premier et l’écologie / les méfaits du capitalisme débridé ceux du deuxième), ne fait pas l’impasse sur des stéréotypes quand sont décrites les exactions des nervis d’extrême droite du Groendal, elle s’accompagne surtout de nuances dans le camp d’en face. Qu’il s’agisse de la résistance intérieure, menée par les Nains et divisée sur la marche à suivre, ou d’éléments extérieurs comme Evyna et ses compagnons d’armes, le tableau brossé n’a, cette fois, pas grand-chose d’idéalisé et encore moins de manichéen. Car pour gagner, des exactions (notamment un massacre dans un manoir), des trahisons devront aussi être commises par le camp des justes, et ceux-ci devront nouer des alliances politiques et commerciales et parfois les cacher au peuple pour que celui-ci survive aux pénuries. Lucide, l’auteur conclut que le vrai et éternel vainqueur reste le capitalisme et les élites bourgeoises et nobiliaires.

Par sa puissance dramatique et sa clairvoyance dans la description de la façon dont un mouvement de Résistance devra parfois renier ses propres valeurs pour assurer une certaine forme de victoire, Le Combat des ombres est un remarquable point final à la trilogie Olangar, sans conteste une référence, désormais, en Fantasy industrielle et politique.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des chroniques suivantes : celle de Célinedanaë, celle du Nocher des livres, du Chien critique, de Boudicca, de Dionysos, de Dup,

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L’Empire des abysses – Adrien Tomas

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Une fin de toute beauté pour le diptyque Vaisseau d’Arcane

L’Empire des abysses est la seconde partie du diptyque Vaisseau d’Arcane, après Les Hurleuses. Il est difficile de résumer les fondamentaux de ce deuxième roman sans gâcher au lecteur les retournements de situation de son prédécesseur, mais essayons tout de même (chose assez rare pour être signalée, l’auteur rappelle les événements précédents en introduction du livre, et ce sous la forme habile d’extraits de journaux) : aidée par la traîtrise d’un des personnages, une puissance étrangère a conquis le Grimmark. Seule une Rébellion, qui a enregistré quelques beaux succès mais aussi de sanglants revers, s’oppose à l’Occupant, ainsi qu’un port qui, en accueillant une escadre de la Flotte avant la capitulation, a pu préserver son indépendance. Simple bourgade de province, Skemma est ainsi devenue une épine dans le pied de la nouvelle administration, mobilisant la moitié de l’armée, ravitaillée en armes, nourriture et volontaires par la moitié du monde connu (une situation rappelant celle de l’Ukraine). Un an après les péripéties narrées dans Les Hurleuses, les protagonistes vont tenter de libérer leur pays, tout en empêchant le conquérant de s’emparer de ce qu’il est réellement venu chercher, ce qui aurait des conséquences désastreuses.

Adrien Tomas, comme de nombreux auteurs français, est ulcéré par la corruption gouvernementale, le contrôle policier, le capitalisme débridé, et il ressent le besoin de l’exprimer dans un livre. Ce qui le démarque de la plupart de ses camarades est qu’il est capable de nuance et de subtilité (l’antagoniste principal a certes fait beaucoup de mal, mais ses motivations étaient, à la base, tout ce qu’il a de nobles : diminuer les inégalités dans son pays, avoir un gouvernement moins corrompu, une énergie propre et abondante, etc.), de ne pas mettre toute une corporation dans le même sac, et peut-être surtout le fait qu’il n’oublie jamais qu’il écrit un roman et pas un manifeste politique. Il ne néglige, bien au contraire, ni l’intrigue, ni les personnages et encore moins le monde. Ce second volet confirme toutes les qualités du premier et les accentue encore, notamment en décrivant d’une façon remarquable l’origine de la magie. Le récit fait par l’Arcane qui donne son nom au cycle est magistral, générateur d’un véritable sense of wonder comme on n’en voit, d’habitude, que dans la meilleure… SF, celle des plus grands maîtres. On soulignera aussi la fascinante évolution, psychologique ou autre, de certains personnages, Sof en premier lieu. Le seul point qui pourra potentiellement gêner certains lecteurs sera le nombre très élevé de points de vue (une douzaine), surtout pour un roman d’à peine 300 pages.

L’Empire des abysses achève en beauté le splendide diptyque Vaisseau d’Arcane, prouvant une fois de plus qu’en matière de Fantasy Industrielle / Arcanepunk, les français n’ont de leçon à recevoir de personne.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des chroniques suivantes : celle de Célinedanaë, celle des Fantasy d’Amanda

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L’Empire s’effondre – Sébastien Coville

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Peut mieux faire

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 104 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

J’attire votre attention sur le fait que les défauts, de communication ou d’écriture, que je pointe dans cette chronique ont été en grande partie corrigés dans le tome 2 (que j’ai également lu pour Bifrost), et que si ils restent valables pour la version grand format du tome 1, ils doivent être relativisés à l’échelle du cycle.

Ce qui frappe avant tout avec L’Empire s’effondre, premier tome d’une trilogie éponyme, est la communication de son éditeur, notamment sur la quatrième de couverture et sur les sites marchands : on y voit passer des comparaisons avec Frank Herbert, Isaac Asimov, Jean-Philippe Jaworski, Eugène Sue et Alexandre Dumas. Excusez du peu ! Outre le fait que pour un premier roman, ce genre de parallèles a bien peu de chances de se révéler fondé (et évacuons tout suspense, ils ne le sont pas), ils ont aussi le grand tort d’établir des attentes qui, si elles ne sont pas remplies, vont forcément générer de la frustration. Sans parler du fait que la comparaison avec Herbert est fort limitée (la religion en tant qu’outil de contrôle) et paraît plus opportuniste (mais c’est de bonne guerre), alors que la sortie du film Dune est proche, qu’autre chose.

Dans un empire imaginaire où la technologie (essentiellement centrée sur la vapeur) cohabite avec un système, reposant sur l’asservissement, de castes professionnelles très rigide car établi par des dieux tutélaires donnant un pouvoir absolu aux Princes qui les dirigent, un attentat menace de faire s’effondrer tout l’édifice quand il catalyse de violentes émeutes, qui servent elles-mêmes à justifier une révolution de palais dans laquelle trois princes prennent le pouvoir au détriment des autres, tandis qu’un quatrième entre en guerre pour rétablir le régime théocratique.

On sent clairement, à tous les niveaux, le potentiel de l’auteur, mais à chaque fois, quelque chose cloche : son écriture est souvent fluide et agréable, mais ne fait pas l’impasse sur des effets de  manche stylistiques dont il aurait pu se passer (tout comme des quatre scènes de viol en 100 pages !), sans parler de passages d’une emphase excessive et très clairement, de longueurs (l’ouvrage ne se serait pas plus mal porté dégraissé d’un bon quart) ; les personnages sont intéressants, mais le nombre de points de vue (une dizaine !) est effroyablement trop élevé, d’autant plus que certaines sous-intrigues sont achevées hors-champ et réglées d’un trait de plume (le conseil basique d’écriture « Montrer plutôt que raconter » est pourtant censé être connu de tous), quand ce n’est pas le personnage lui-même dont on se débarrasse sommairement sans qu’on comprenne l’intérêt de lui avoir consacré tant de pages ; le worldbuilding est travaillé et évocateur, mais montre aussi des détails peu crédibles, comme ces armes à feu à vapeur ou ces quartiers à étages s’accrochant au flanc des collines où se trouvent les palais des puissants ; enfin, l’aspect roman social fait lever les yeux au ciel tant il est du cent fois vu en Fantasy (si tant est que ce livre en relève, certains indices incitant au doute) politique française récente, avec sa stratification sociale se doublant d’une stratification spatiale, sa charge anticapitaliste, anti-élites, anti-religion, anti-journalistes, sa révolte prolétarienne, etc.

L’Empire s’effondre n’est en aucun cas un mauvais roman (surtout pour une première œuvre), mais il n’est certainement pas non plus à la hauteur des comparaisons auxquelles se livre son éditeur. Coville a clairement du potentiel, et avec peu d’ajustements (et une communication plus sobre), le tome suivant pourrait être une spectaculaire réussite (PS : il n’est en effet pas loin de l’être  😉 ).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca, celle du Nocher des livres, celle d’Elbakin, de Sometimes a book,

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La Lune tueuse – N.K. Jemisin

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La Lune est peut-être tueuse, mais le roman n’est pourtant pas une tuerie, lui

Il y a une semaine, est sorti chez Pygmalion La Lune tueuse de N.K. Jemisin, premier roman d’un diptyque, Dreamblood. J’ai, pour ma part, lu cet ouvrage en anglais en 2017, sous le titre The Killing moon, et il ne m’a pas convaincu, à tel point que je n’ai jamais ressenti le besoin d’enchainer sur la suite, The Shadowed sun. La conclusion de ma critique était que cette fantasy d’inspiration égyptienne propose un univers fade (mais original par rapport à celle européenne / médiévale-fantastique, du moins à l’époque où elle est parue en VO -2012-), une écriture assez froide, ainsi que des personnages et un scénario particulièrement stéréotypés. Seul le protagoniste principal et son combat contre le côté obscur de la magie (magie d’ailleurs très réussie, le vrai point fort du roman) donnent à La Lune tueuse un certain intérêt, qui ne prend cependant véritablement son essor que dans les dix derniers % du livre. On est, de fait, très loin de la patate de golgoth que constitue, en revanche, La Cinquième saison de la même autrice. On félicitera toutefois l’éditeur pour sa couverture esthétique (à mon goût, du moins), en tout cas plus que celle de la VO.

Ma première impulsion serait donc de vous conseiller d’investir vos sesterces et autres dinars durement acquis dans de la SFFF de plus grande envergure (y compris le reste de l’œuvre de Jemisin), à un minuscule détail près : ce roman étant traduit par le sangui… le sympathique Pierre-Paul Durastanti, si vous voulez éviter que votre famille en pleurs ne vous retrouve, « suicidé » de trois balles dans le dos, ou qu’un missile Hellfire ne tombe par un malheureux « accident » sur votre voiture alors que vous la conduisez, réfléchissez-y tout de même à deux fois. Peut-être, d’ailleurs, que la lecture de ma critique complète de la VO vous convaincra que, finalement, ce roman a des attraits pour vous séduire, vos critères n’étant pas forcément les miens.

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Malice – John Gwynne (VF)

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Le digne héritier de David Gemmell

Le 26 août 2022, sortira (sous le même titre) la traduction de Malice, premier des quatre tomes du cycle Le Livre des Terres Bannies. Si vous suivez nos blogs et nos réseaux sociaux, ça fait un moment que le camarade Inculte et moi (le camarade Culte ^^) vous parlons de l’auteur, John Gwynne, qui est pour nous clairement l’héritier (le vrai, hein) de l’immense David Gemmell. Jusqu’ici, la prose du britannique n’étant disponible que dans la langue de Shakespeare, la plupart d’entre vous devait, malheureusement, se contenter de notre parole en la matière, ainsi que lorsque nous vous expliquions à quel point c’était exceptionnellement immersif et doté de personnages particulièrement vivants et attachants. Heureusement, pour ce cycle comme pour bien d’autres, les éditions Leha sont venues à la rescousse, et entament donc sa traduction dans la langue de Molière.

J’ai, pour ma part, lu l’ouvrage il y a quatre ans et demi, pour le compte d’une maison d’édition (pas Leha) qui n’a pas donné suite (pas pour des raisons de qualité, mais de rapport coût de la traduction / recettes projetées). Je concluais ma critique (que vous pouvez lire en intégralité sur cette page) ainsi : tome introductif d’une tétralogie de beaux pavés, Malice réalise une sorte d’impossible mélange entre éléments de structure ou de style propres à J.R.R. Tolkien, G.R.R. Martin ou (surtout) David Gemmell (dont John Gwynne est à mon avis un sérieux prétendant au titre d’héritier), entre épique et intime. High Fantasy à fort aspect politique, écrite dans un style, un univers, une narration et une atmosphère évoquant fortement Gemmell, cette histoire brille particulièrement sur deux plans, à savoir une immersion extraordinaire et des personnages inoubliables. On appréciera la place laissée à une civilisation de géants (ce qui ne court pas les rues en Fantasy) dans ce monde, ainsi qu’un certain twist aux codes de la High Fantasy lorsque deux des personnages croient servir le bien alors que le lecteur, lui, a des doutes. Quoi qu’il en soit, Malice est un premier roman absolument impressionnant, ouvrant un cycle dont chaque tome est réputé meilleur que le précédent (si, si). C’est donc avec un grand plaisir que je lirai la suite. Car ce roman, c’est pour moi un Retour vers le futur : ce sont les sensations et l’immersion d’un Elric, des Princes d’Ambre ou du Seigneur des anneaux, mais à 47 ans, pas à 10-15 ! Inutile de dire que cela ne m’arrive pas tous les quatre matins, blasé, inévitablement, que je suis après 37 ans de lectures SFFF…

Sachez, pour terminer, que depuis la parution de cette tétralogie, Gwynne a amplement confirmé son statut 1/ de très grand auteur de Fantasy « à l’ancienne » et 2/ d’héritier (désormais incontestable) de David Gemmell, notamment avec le premier tome de sa dernière trilogie en date, The Shadow of the gods. Bref, très clairement, si vous êtes amateur de Fantasy, je vous conseille vivement la lecture de Malice, vous ne le regretterez pas !

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Age of ash – Daniel Abraham

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Démêler les fils

Spontanément, le nom de Daniel Abraham peut ne pas vous dire grand-chose, à moins que vous ne fassiez partie des fins connaisseurs de la SFF, qui savent qu’il est un des deux auteurs (avec Ty Franck) se cachant sous le pseudonyme commun de James S.A. Corey, le papa du cycle de romans The Expanse, qui a lui-même engendré une série télévisée qui est une des plus réussies dans le registre science-fictif ces dernières années. Mais Daniel Abraham, sous le pseudonyme d’Hanover, est aussi responsable de la pentalogie La dague et la fortune (dont les trois premiers tomes ont été traduits en France), qui était, cette fois, une Fantasy de fort bonne facture.

C’est justement de ce dernier genre littéraire dont relève le nouveau projet de l’auteur, le cycle Khitamar. On pourrait croire à une trilogie de plus (ce dont la Fantasy est très loin de manquer !) si l’argumentaire de l’éditeur n’attirait pas notre attention sur la singularité (pour ne pas dire l’exotisme) de la chose : « Les trois romans de la trilogie Khitamar se déroulent lors de la même année, mais sont narrés selon le point de vue d’un personnage différent. Leurs histoires vont s’imbriquer et s’entrelacer, et la vérité pleine et entière, si tant est qu’une telle chose existe, sera comprise en suivant chaque fil narratif ». Nous examinerons d’ailleurs l’intérêt (ou pas) de la chose et la différence par rapport à une trilogie plus classique dans la suite de ce propos. Lire la suite

Le seigneur des empereurs – Guy Gavriel Kay

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Un extraordinaire second volet

Une version modifiée de cette critique est parue dans le numéro 101 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

Second volet du diptyque La mosaïque Sarantine, Le seigneur des empereurs fait suite à Voile vers Sarance. Il introduit un nouveau personnage, Rustem, un médecin Bassanien envoyé espionner Sarance, et qui, comme Crispin, est un autre étranger portant un regard extérieur sur les Sarantins. Un homme ordinaire placé, bien contre son gré, au cœur des intrigues tissées par trois femmes exceptionnelles pour s’emparer du pouvoir ou le conserver. Kay a toujours particulièrement soigné ses personnages, tout spécialement les féminins, mais il a probablement atteint ici le sommet de son art en la matière. S’il nous place au point où le paradigme bascule, où l’Histoire prend un nouveau cours, dans les pas des souverains et autres hauts personnages, il n’en oublie pas pour autant le sort des gens modestes. D’ailleurs, les scènes de plus grande envergure ne sont pas placées à la fin du roman, mais bien avant, et la conclusion met à nouveau en lumière l’art du mosaïste et celui qui lui donne vie. Lire la suite

Engines of empire – R.S. Ford

8

Paradoxalement à la fois plutôt novateur ET très (trop ?) classique !

Engines of empire est le premier tome d’un cycle (à priori une trilogie, vu que l’auteur en a déjà sorti plusieurs) appelé The age of uprising, dont on sait déjà que le second se nommera Engines of chaos (et ce pour une bonne raison : son chapitre introductif est présent à la suite du roman -en plus d’un extrait de The justice of kings de Richard Swan). Et d’ailleurs, en parlant de l’auteur, je n’ai pas tout de suite fait le lien entre « R.S. Ford » et le Richard Ford du cycle Havrefer, mais il s’agit pourtant bel et bien de la même personne. On remarquera, au passage, que Engines of empire part d’un postulat de départ très exactement inverse de celui d’Havrefer, puisque cette fois, les événements sont vus par les yeux de personnages issus de la plus haute société de cet univers.

Ce roman s’est révélé très paradoxal : d’un côté, par son aspect technomagique, ses différents systèmes de magie, le fait qu’il s’agit d’une sorte de version condensée ou hybride des deux premiers tomes des trilogies classiques de Fantasy, il est plutôt du côté novateur des œuvres relevant de ce genre ; mais d’un autre côté, on y retrouve des références très Sword & Sorcery qui évoquent beaucoup plus la Fantasy (très) ancienne que les dernières évolutions du genre, sans compter un empilement de clichés côté personnages, voire de certains points de l’univers (on sent que le britannique s’est fait plaisir en recyclant des éléments de ses écrivains ou contextes favoris, y compris cinématographiques, comme nous le verrons). Le truc assez fou, c’est que malgré ces paradoxes, voire ces défauts, ça fonctionne franchement bien : certains personnages font grincer des dents, mais le bouquin a un net de goût de reviens-y, et on (moi, en tout cas) sort de sa lecture en étant satisfait. Même si, clairement, ce ne sera pas la sortie Fantasy de l’année (il faut dire qu’il y a du très, très lourd à venir), juste un fort honnête roman. Et c’est déjà pas mal ! Lire la suite

Les Hurleuses – Adrien Tomas

8

Une nouvelle pépite de la Fantasy Industrielle à la française

Une version modifiée de cette critique est parue dans le numéro 101 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

Les Hurleuses est la première partie du diptyque Vaisseau d’Arcane, qui se déroule dans le même univers qu’Engrenages et sortilèges, Young Adult paru chez Rageot, mais se destine cette fois aux adultes et se place dans un autre coin du monde. Il s’agit d’Arcanepunk / Fantasy industrielle mélangeant technologie et magie, la première étant alimentée par la seconde (l’arcanicité remplace l’électricité). En effet, la magie peut se présenter sous forme solide ou liquide, pouvant notamment frapper quelqu’un pris sous un « orage de mana » et le transformer en « Touché », dont la personnalité et l’intelligence sont quasiment annihilées mais qui, contrairement à un mage classique, a accès à des réserves d’énergie surnaturelle illimitées, utilisées pour alimenter trains, canons à rayons et autres ascenseurs à lévitation. La magie a de plus des effets mutagènes, transformant des essaims d’insectes en intelligences de groupe ou les poissons des abysses en une civilisation hautement évoluée, qui explore la surface via des aéroscaphes mécaniques. On comprendra donc que les villes humaines soient sous dômes ! Lire la suite

Une cité en flammes – Clément Bouhélier

6

Une très bonne suite à l’excellent Olangar

Une version modifiée de cette critique est parue dans le numéro 100 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

Les remerciements d’Une cité en flammes nous apprennent qu’Olangar – Bans et barricades, lisible comme un roman isolé, avait été envisagé comme tel avant que son succès critique considérable ne rende l’écriture d’une suite incontournable. Mieux encore, la fin de ce tome 2 montre sans conteste qu’un troisième tome est prévu (PS : de fait, il est sorti avant-hier, 10 novembre 2021, et c’est votre serviteur qui se chargera de sa critique dans Bifrost 106).

Ce roman garde toutes les qualités de son prédécesseur (intrigue intéressante, personnages bien construits et attachants, monde original -et qui continue à s’étoffer-, style agréable, fluide et immersif) tout en atténuant les points de crispation pour certains types de lecteurs, comme la longueur (contrairement au tome 1, il ne compte qu’un seul volume, et les scènes dispensables ont été évacuées pour ne laisser que les plus significatives, à quelques exceptions près, comme cette histoire d’amour qui ne s’imposait sans doute pas) et surtout le côté militant : si Une cité en flammes reste un livre engagé, il sera plus digeste pour les lecteurs ne partageant pas les convictions de l’auteur. Le combat syndical incarné par les nains d’Olangar reste présent, et est même épaulé par les avancées (écoles, dispensaires, protection sociale, etc) qu’Evyna met en place dans sa province, mais il est significativement moins mis en avant que dans Bans et barricades.

L’aspect enquête est toujours là, surtout dans la première moitié du livre, où plusieurs personnages du tome 1 cherchent à déterminer l’origine d’événements étranges : le recrutement massif de mercenaires orcs par un humain (ces races étant ennemies), des attentats incendiaires, la pollution génératrice de maladie et de mort frappant le fleuve traversant les territoires elfes. Et tous voient leurs pistes converger vers le même endroit : la zone économique franche de Lorkhil, une de ces enclaves de non-droit (du travail) où le gouvernement a laissé carte blanche aux corporations et aux banques (exemptées de taxes) dans le but de faire baisser à tout prix un chômage endémique. Dans la seconde moitié, un aspect militaire qu’on n’attendait pas forcément dans un cycle aussi engagé à gauche occupe le devant de la scène, conjugué à une thématique géostratégique et coloniale très intéressante. Les scènes d’action sont très convaincantes, le rythme fort bien géré, le scénario ménage son lot de surprises, et la longue fin est très réussie, dans un genre « Et si le cauchemar politique de certains se réalisait pour de bon ? » que ne renierait pas Houellebecq.

Si Bans et barricades était un solide roman d’une forme novatrice de Fantasy, post-médiévale et engagée sur les thématiques sociales et écologiques, sa suite se révèle encore plus réussie, car plus dense, plus nerveuse et avec un meilleur équilibre entre les aspects militants et les autres. Plus aucune raison, donc, de s’en dispenser !

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Célinedanaë, celle du Chien critique, de Boudicca, de Dionysos, de Dup, du Nocher des livres, d’Ombrebones,

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