Cycle de la Culture – Iain M. Banks – Analyse

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Un article, onze critiques, la dimension d’un livre

En avril 2020, je vous ai proposé un premier Guide de lecture du cycle de la Culture de Iain M. Banks, qui se voulait le plus pratique possible, y compris via une longueur contenue, à dessein limitée, afin de ne pas effaroucher le lecteur potentiel. Le corollaire étant que je n’entrais pas dans une analyse approfondie, me bornant à dessiner les contours des ouvrages concernés, histoire de donner aux gens l’envie de les lire… ou d’en savoir plus. Cet article a, si j’en juge par les retours positifs que j’en ai eu, rempli son office, mais il m’a toujours laissé un goût d’inachevé. Ayant, au cours des trois derniers mois, relu de fond en comble le cycle, avec 50 pages de notes manuscrites à la clé, je vous propose aujourd’hui une analyse nettement plus minutieuse de cette saga, tout spécialement axée sur ses deux points forts / saillants, son aspect politique et son worldbuilding. C’est ma manière de rendre hommage à un de mes auteurs de SF préférés, et de marquer le dixième anniversaire de sa disparition.

La quatrième de couverture de l’édition poche (initialement parue en 1997) d’Une Forme de guerre, premier roman écrit par Iain M. Banks s’inscrivant dans le cycle de la Culture mais troisième publié en France, statue :  » Voici le troisième volume de la série de la Culture, la plus grande épopée galactique depuis Fondation, Dune et Hypérion. » À l’époque, cette assertion n’était absolument pas exagérée : il y a un quart de siècle, l’aura de la saga de Banks était telle (alors qu’elle était loin d’être achevée, puisque l’ultime tome ne sortira en VO que 15 ans plus tard) qu’on pouvait effectivement la comparer à ces références. En cette fin 2023, les choses ont pourtant bien changé : si, auprès des nouvelles générations de lecteurs, le rayonnement de Fondation et Dune est intact (peut-être d’ailleurs du fait de la sortie de séries ou films qui leur ont été consacrés et, incontestablement, d’une remise en avant continuelle des romans concernés), l’aura de Dan Simmons est moindre qu’à l’époque (et il est sans doute plus connu pour Terreur que pour autre chose, désormais, du fait de la série qui en a été dérivée) alors qu’il reste, pourtant, l’auteur de ce qui est peut-être le meilleur cycle de SF jamais écrit (les Cantos d’Hypérion) et, aussi sidérant, injuste et cruel, mais néanmoins malheureusement vrai, que cela paraisse, Banks est devenu un quasi-inconnu. Il était donc temps de proposer au lectorat d’aujourd’hui une analyse aussi complète que possible sur ce qui fait l’importance de ce cycle, sans le moindre doute un des plus essentiels sortis, en New Space Opera et SF Transhumaniste du moins, ces quarante dernières années. Un cycle qui réussit le paradoxal et impossible alliage de la noirceur la plus absolue et de l’humour le plus débridé, d’une SF hautement politique qui pourrait être l’héritière de la Nouvelle Vague mais qui, pourtant, déborde de Sense of wonder comme le plus exubérant des Space Opera de l’âge d’or, d’une littérature qui a l’énergie de la Science-Fiction américaine et la finesse de celle d’origine britannique.

Sommaire

Avant de débuter l’examen approfondi de chaque livre, je vais vous résumer ce qu’est la Culture qui a donné son nom au cycle, ce que fait d’ailleurs l’auteur de façon plus ou moins détaillée (et à chaque fois très légèrement différente) dans chaque roman ou dans le recueil de nouvelles L’Essence de l’art, y compris (même si c’est fait d’une manière très détournée) dans Inversions. En effet, chacun d’eux peut, théoriquement, se lire de façon indépendante ou dans le désordre (je vous invite à parcourir mon précédent article sur le cycle pour comprendre à quel point ce postulat doit être nuancé), et il est donc nécessaire à chaque fois de rappeler certains fondamentaux de cet univers (je rassure ceux qui souhaitent lire l’ensemble du cycle, la chose est faite avec suffisamment d’habileté pour ne pas être d’une redondance insupportable quand on enchaine les tomes). Mon résumé s’appuie sur l’ensemble des ouvrages (il est donc plus complet que le tableau de la Culture qui est brossé dans chaque bouquin individuel), sur des déclarations de Banks en interview et sur un article d’une vingtaine de pages écrit par l’écossais, Quelques notes sur la Culture, que vous retrouverez dans le paratexte de Trames. Si vous connaissez déjà les fondamentaux de cet univers, vous pouvez vous rendre directement au Sommaire des critiques.

Avant d’aller plus loin, deux précisions de nature chronologique importantes sont à apporter : premièrement, par rapport à notre propre présent, en tant que lecteurs, au XXIe siècle, certains romans de la Culture se situent dans le passé (Une Forme de guerre se déroule au XIVe siècle, Excession et une partie – les flashbacks – de L’Usage des armes au XIXe), une des nouvelles du recueil L’Essence de l’art se déroule quasiment dans le présent (1977), la plupart des tomes se passent dans un futur plus ou moins lointain (XXIXe siècle pour Les Enfers virtuels, le plus avancé dans la chronologie interne de cet univers), et l’histoire de l’un a lieu à une époque non spécifiée (Inversions). La correspondance avec le calendrier terrien est explicitement donnée par l’auteur dans le paratexte d’Une Forme de guerre, qui décrit la guerre Idirane, et le reste peut le plus souvent être déduit de mentions furtives au fait que le tome X se déroule Y années après cette dernière, voire Z ans après un tome précédent (par exemple, on sait que Trames se déroule vingt ans après « la débâcle de Chel », au centre du Sens du vent). De fil en aiguille, on peut donc voir où chaque tome se situe, et constater que Banks fait des allers-retours dans le temps, la plupart du temps, tout comme il change dans l’écrasante majorité des cas de protagoniste, à quelques exceptions près (les textes étant le plus souvent complètement déconnectés entre eux ou l’apparition ultérieure dudit protagoniste étant plus anecdotique qu’une réelle continuation de ses aventures précédentes). Lire la suite

Afterland – Lauren Beukes

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Pas dépourvu d’intérêt, même si celui-ci se révèle relativement mince

2020. Un nouveau virus apparaît, bénin pour les femmes mais provoquant un cancer de la prostate chez les hommes de tout âge, enfants et adolescents y compris. Bilan : 3,2 milliards de morts, moins de 50 millions de survivants. Qui, du coup, acquièrent un statut très spécial : les fanatiques religieuses veulent terminer le travail entamé par leur Dieu en les tuant, les mères / sœurs / compagnes cherchent leur compagnie pour compenser la perte de l’être aimé, le gouvernement veut les protéger à tout prix afin de décoder le mécanisme de leur immunité, et certains individus sans scrupules veulent vendre leur semence, d’autant plus monnayable au marché noir que la « Reprohibition » interdit toute conception en l’absence d’un vaccin.

2023. Miles, fils ado de Cole, une sud-africaine, est ainsi sur le point d’être kidnappé et vendu par sa propre tante à une riche investisseuse, quand Cole découvre le plan de sa sœur, l’assomme, la laisse pour morte, s’enfuit de la base militaire où la famille était hébergée et cherche à traverser les USA d’une côte à l’autre pour prendre le bateau pour son pays d’origine. Mais Billie a survécu, et épaulée par deux tueuses au service de sa patronne, tente de rattraper l’enfant.

Afterland est divisé en trois parties : la première moitié décrit la phase initiale de la fuite, nous montre, via des analepses, comment les personnages et le monde en sont arrivés là, et alterne les points de vue de Billie, Cole et Miles, déguisé en fille pour sa propre sécurité et rebaptisé Mila. Un court intermède s’ensuit, essentiellement un déballage d’infos sur le virus. Dans la seconde moitié, Cole, qui, pour atteindre Miami, est entrée dans une secte axée sur la repentance, devra faire face à la crise d’adolescence de son fils et au fait que lui adhère sincèrement au credo du culte.

Afterland n’est pas un mauvais roman : l’autrice a du métier, et son style caustique fait mouche, du moins dans la première partie. La seconde, qui s’éloigne des questions sociétales intéressantes soulevées auparavant (notamment sur le fait qu’une société presque dépourvue d’hommes n’en est pas pour autant idyllique) pour tomber dans un récit rebattu de mal-être adolescent et de vulnérabilité aux promesses de salvation d’une secte, est de plus plombée par un rythme atone et une fin d’une banalité et d’une prévisibilité affligeante. Même la première partie, si elle est rythmée, voire parfois haletante (mais paradoxalement, on s’inquiète plus pour le sort de Billie que pour celui de Cole / Miles !) ne justifie pourtant pas que, comme Stephen King, nous qualifions ce livre de « thriller splendide ». Sans compter le fait que les thématiques de fond sont abordées de façon trop superficielle, et surtout que le road trip à travers les USA impliquant un adulte et un enfant dans un contexte post-apo, ou bien la société sans hommes, sont du déjà vu, en mieux (on pensera notamment à Cormac McCarthy et Joanna Russ). Bref, si ce n’est certainement pas sans intérêt, celui-ci se révèle relativement mince…

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des chroniques suivantes : celle de Célinedanaë, celle de Just a word, de Yogo le Maki, du Nocher des livres, de Tachan, de Feydrautha, de Boudicca, de Yuyine, de Dup, de La Geekosophe, de Gromovar,

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Les Menhirs de glace – Kim Stanley Robinson

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Un roman fort pertinent et intéressant, malgré ses presque quarante ans d’âge

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 106 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

Deuxième livre publié par Kim Stanley Robinson (KSR), Les Menhirs de glace est en fait un fix-up composé de deux novella antérieures, To leave a mark (qui correspond à la première de ses trois parties) publiée en 1982 dans The magazine of Fantasy & Science Fiction, et On the North Pole of Pluto (qui forme la troisième partie), sortie en 1980 dans l’anthologie Orbit 18, seule la section centrale étant inédite. On peut remarquer que cette œuvre précoce de KSR préfigure nettement certains des joyaux de sa bibliographie : la partie centrale ressemble beaucoup à ce qui sera bien plus développé dans la « Trilogie martienne » dix ans plus tard, tandis que la première s’interroge sur les équilibres chimiques et écologiques que devra atteindre un vaisseau interstellaire pour réussir son voyage, thématique qui sera abordée avec d’amples détails dans Aurora, trente ans après Les Menhirs de glace.

KSR part du principe que l’Homme a développé un traitement lui permettant de vivre mille ans (une thématique que l’on retrouve dans la « Trilogie Martienne »), mais que le cerveau ne suit pas : ne sont accessibles que les souvenirs correspondant à l’espérance de vie naturelle, ceux du dernier siècle, en gros. Les autres sont soit effacés, soit enfouis, et ne ressurgissent qu’occasionnellement et involontairement. Les gens rédigent donc des autobiographies, s’adressant à leur « Moi » futur qui a en fait tout d’une autre personne. L’ouvrage nous présente trois de ces récits : le premier concerne Emma Weil, spécialiste en systèmes de support de vie, à qui deux anciens amis demandent son aide pour les aider à rendre leur astronef interstellaire (le premier de son genre) secret viable. Réticente, elle finit par les aider puis rentre sur Mars, où une Révolution éclate contre les Corporations et l’état policier inféodé à la Terre qui les chapeaute. Avant son départ de la nef interstellaire, elle aperçoit les plans d’une structure circulaire. Étrangement, bien qu’écrite après la troisième partie, cette ouverture a un style bien moins abouti.

Le deuxième récit, trois siècles plus tard, met en scène Hjalmar Nederland, archéologue martien qui vient enfin d’obtenir l’autorisation gouvernementale de fouiller les sites des villes rasées pendant la Sédition. Sauf que ses découvertes contredisent le narratif officiel selon lequel ces cités auraient été détruites par les rebelles. Lors de ses fouilles, il exhume le journal d’Emma, et quand un cercle de « menhirs » de glace, surnommé Icehenge, est découvert au pôle nord de Pluton, il fait le lien avec la structure circulaire mentionnée dans l’autobiographie. Cette partie présente de nombreux points communs avec la « Trilogie Martienne », à tel point qu’on peut presque la considérer comme un brouillon du cycle.

Le troisième récit est celui d’Edmond Doya, arrière-petit-fils de Hjalmar, qui remet en cause non seulement certaines des découvertes et théories de son ancêtre, mais qui jette aussi le doute sur le caractère fiable des narrateurs ou des événements relatés dans les deux parties précédentes, pensant qu’il s’agit en fait d’une mystification. Tout comme le récit de Hjalmar, celui d’Edmond s’interroge sur la manipulation et la réécriture de l’Histoire, que ce soit par des gouvernements ou de riches individus, et sur notre tendance à ne voir que les « faits » que nous désirons voir.

En cette époque d’infox et de narratif plaqué artificiellement sur la réalité objective, Les Menhirs de glace reste un roman fort pertinent et intéressant, malgré ses presque quarante ans d’âge.

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Barbares – Rich Larson

11

La Faune de l’espace

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard, Erwann Perchoc, Laëtitia Rondeau et Pierre-Paul Durastanti !

Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises, sur ce blog, de Rich Larson, notamment de son magistral recueil La Fabrique des lendemains. Le Bélial’ a également publié ce jeune auteur dans les colonnes de son magazine Bifrost (même si les nouvelles en question m’ont, elles, fait moins bonne impression), mais il n’avait, jusqu’ici, pas fait son apparition dans la fameuse collection Une Heure-lumière (UHL) de l’éditeur. C’est désormais chose faite, puisqu’un de ses textes, Barbares (et non, cela n’a rien à voir avec les héros du plus grand film d’Heroic Fantasy de tous les temps), y paraîtra le 19 octobre 2023. Un UHL de fort bonne facture, très agréable à lire (j’y reviendrai), même si pas tout à fait au niveau (il est vrai stratosphérique) des dernières sorties du Bélial’, Le Dernier des aînés d’Adrian Tchaikovsky (que j’ai lu en VO il y a deux ans et beaucoup apprécié) et, évidemment, le fabuleux Rossignol d’Audrey Pleynet, tout simplement le meilleur titre de la collection (d’ailleurs couronné il y a quelques jours par le prix Utopiales 2023, excusez du peu !).

Signe de la relation étroite et de confiance liant l’auteur et son éditeur français, celui-ci est le premier à publier, en exclusivité mondiale, donc, ce texte. Bravo ! Lire la suite

Le Ministère du futur – Kim Stanley Robinson

35

Un chef-d’œuvre, oui, mais certainement pas destiné à tous les publics !

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 106 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag. Cette chronique concernait la VO (The Ministry for the future), mais l’analyse qui en est faite s’applique tout aussi bien à la VF, qui paraîtra dans deux semaines au moment où je rédige ces lignes.

Alors que Kim Stanley Robinson (KSR) était déjà considéré comme le roi de la Climate Fiction (Cli-Fi), il manquait à sa couronne un joyau, l’équivalent de ce qu’est la « Trilogie Martienne » en Planet Opera. Puis vint The ministry for the future (en VF : Le Ministère du futur) qui est au changement climatique et aux façons d’y faire face ce que sont ses livres sur Mars en matière de colonisation de cette planète et d’émergence d’une culture indigène : l’œuvre ultime, indépassable. Parfaite ? Pas si sûr !

Le roman s’ouvre au début des années 2020, alors qu’une vague de chaleur hors-normes fait 20 millions de morts en Inde, soit autant que la Première Guerre mondiale, mais en à peine une semaine. Frank, un humanitaire US, n’y survit que de justesse, et en ressort traumatisé et radicalisé, plus du tout décidé à accepter l’inaction des instances internationales. Et justement, alors que l’Accord de Paris a produit beaucoup d’incantation mais peu d’action, on décide d’en créer une branche « exécutive », surnommée le Ministère du Futur, dirigé par Mary, qui doit tout mettre en œuvre pour inverser le changement climatique et une extinction de masse comme on n’en a plus vu depuis le Permien. Sur le plan légal et diplomatique, mais pas seulement. Il y a un ministère à l’intérieur du ministère, et il n’hésite pas à recourir aux attentats sous faux pavillon, aux assassinats ciblés et à l’écoterrorisme s’il le faut.

Alors que la majorité de la Cli-Fi est post-apocalyptique, KSR part du futur très proche et montre les efforts faits pour stabiliser puis inverser le changement climatique. Son approche est réaliste sur le plan scientifique, plus contestable sur le plan sociétal : si Robinson se prénomme Kim et pas Greta, et qu’il comprend donc bien que l’industrie ou les banques centrales ne peuvent être écartées d’un revers de la main, même avec le recours massif à l’écoterrorisme et une juteuse carotte (une monnaie carbone garantie cent ans, donc dans laquelle il est pertinent d’investir), il faut avouer que sa lecture des trente années à venir frôle parfois l’utopie, tant certains changements s’opèrent avec une rapidité et une absence de résistance (notamment dans une société aussi rigide que celle de l’Inde) nécessitant une certaine suspension d’incrédulité, les convictions idéologiques de l’auteur, voire les deux à la fois.

Et le fond n’est pas le seul à poser un problème potentiel : si le récit est en partie un roman classique suivant Mary et Frank, il est aussi éclaté en une multitude de points de vue ponctuels (anonymes, à la première personne, et pour la plupart non-récurrents) donnant une vision internationale et à hauteur d’homme des problèmes et de leurs solutions. Et certains points de vue, d’un photon ou d’un atome de carbone, sont vraiment très… particuliers. Ajoutez à cela une variété disons sauvage de styles (du poème au compte-rendu de réunion en style télégraphique), un déballage d’infos massif sur l’Histoire et la théorie de l’Économie, un rythme / intérêt très fluctuant, et une alternance de passages très arides avec ce qui est sans doute à ce jour le roman de l’auteur générant le plus d’empathie pour ses personnages, et vous en déduirez qu’alors que l’érudition de l’ensemble est, comme toujours chez KSR, admirable, on peut très clairement dire que oui, Le Ministère du futur est le roman Cli-Fi ultime, que oui, c’est un chef-d’œuvre, mais que ce ne sera certainement pas un livre apte à plaire à tous les publics.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Vive la SFFF !, celle du Blog Constellations,

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Polity Agent – Neal Asher

27

Le début de la fin mais aussi la fin du début

Polity Agent est le quatrième des cinq tomes du cycle Agent Cormac (après GridlinkedThe Line of Polity et Brass Man), qui fait lui-même partie de l’énorme saga Polity qui, au moment où je tape ces lignes, compte quatre sous-cycles (dont la pentalogie Agent Cormac et trois trilogies) plus six romans isolés mais s’inscrivant dans le même univers, pour un total de 21 livres. Et ce n’est pas fini : un autre standalone, War Bodies, sortira le 6 juillet, et l’auteur a annoncé travailler actuellement sur le premier tome d’une nouvelle trilogie, mettant à nouveau en scène Cormac. Et je ne compte même pas là-dedans certaines nouvelles ou recueils se déroulant également dans ce contexte ! Bref, Neal Asher a peu à peu bâti un univers aussi détaillé qu’impressionnant et ambitieux, et je prends, à chaque bouquin, un plaisir devenu chez moi rarissime, à la hauteur de certaines de mes meilleures lectures en quarante ans de SFFF. Histoire de vous situer la chose, j’ai lu les 578 pages de Polity Agent en… deux jours, un rythme exceptionnellement rapide chez moi, surtout pour de la VO. Et alors que je rédige cet article, je suis déjà en train de lire la suite. Les SP et les lectures pour Bifrost attendront, il faut parfois savoir prendre une pause salutaire !

Ce livre constitue à la fois le début de la fin de la pentalogie à laquelle il appartient, dans le sens où il met en place les antagonistes, protagonistes et évènements finaux, mais aussi, dans le cadre plus large du meta-cycle Polity pris dans son ensemble, il donne le sentiment d’être la fin du début, le point où le style d’Asher est sur le point de prendre l’efficacité redoutable qui est la sienne aujourd’hui, et où la plupart des personnages intervenant dans les cycles ultérieurs (surtout Rise of the Jain) sont désormais introduits (je suis entré dans cette saga en 2018, avec la sortie de The Soldier : j’ai ensuite repris les choses depuis le début, en suivant la chronologie interne de l’univers et pas l’ordre de publication -sauf pour les nouvelles sorties post-2018).

Comme très souvent avec cet auteur, je sors extrêmement satisfait de ma lecture : tout ce que je veux voir en SF est présent (sense of wonder, côté Hard SF, etc.), Asher n’oublie ni le mot science (je vais en reparler), ni le mot fiction (il ne s’agit pas que d’une allégorie du monde réel et présent cachée sous de vagues oripeaux SF) dans sa prose, et ça, mine de rien, c’est de plus en plus rare en SFF. Lire la suite

Rossignol – Audrey Pleynet

31

Le meilleur ET le plus beau et bouleversant des UHL !

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard, Erwann Perchoc, Laëtitia Rondeau et Audrey Pleynet !

Le 18 mai 2023, paraîtront deux nouveaux courts romans dans la prestigieuse collection Une heure-lumière du Bélial’, Houston, Houston me recevez-vous ? de James Tiptree Jr. (un livre choc dont je vous dirai le plus grand bien dans le numéro 111 de Bifrost) et Rossignol d’Audrey Pleynet, qui est l’objet du reste de cet article. J’ai découvert l’autrice il y a près de cinq ans maintenant, en lisant sa nouvelle Citoyen+. J’ai été impressionné par le niveau stratosphérique de certains des textes de son recueil Ellipses. J’ai, comme tout le monde, été bluffé par Encore cinq ans, parue dans Bifrost 107, qui a gagné le prix de la meilleure nouvelle francophone 2022 du magazine et qui, de mon point de vue, éclipsait un texte de Ken Liu paru dans le même numéro. Je répète : le texte d’Audrey Pleynet se payait le luxe d’être meilleur qu’un autre émanant de KEN LIU. Si, si. J’ai donc fait, lors de ces quasiment cinq ans, du prosélytisme, tentant de convertir le plus de monde possible dans la blogosphère à ma nouvelle religion syncrétique, l’apophismo-pleynetisme. J’ai dit d’elle que c’était le plus grand espoir de la SF française. Des mois avant de la lire, j’ai conseillé à tout amateur de SF qui avait confiance en mon jugement de se procurer sa novella à paraître en UHL. L’éditeur me cite d’ailleurs (et je l’en remercie) sur la quatrième de couverture. C’est dire si j’avais foi en ce texte et en sa génitrice (et vous allez bientôt comprendre que je ne choisis pas ce terme au hasard).

Vous me connaissez suffisamment, pour la plupart, pour savoir que si je l’avais trouvé bancal, perfectible, peu subtil, voire mauvais, je l’aurais dit. Sans hésiter, sans édulcorer. Malgré l’admiration et la sympathie que j’ai pour Audrey Pleynet. La chose n’aurait pas été agréable, elle m’aurait laissé un goût de cendres dans la bouche, mais je l’aurais fait. Sauf que (ouf !) cela ne sera pas nécessaire. Je pensais que Rossignol allait être un très bon UHL, du fait de la combinaison du talent de l’autrice et de la rigueur impitoyable, de l’exigence d’excellence, de son éditeur, le grand Olivier Girard (nom de Crom !), et de la directrice d’ouvrage, Laëtitia Rondeau. Homme de peu de foi que j’étais… La vérité, aussi dithyrambique qu’elle puisse paraître, est que Pleynet a récidivé, et qu’une fois encore, elle a fait mieux que Ken Liu qui, jusque là, avait produit le meilleur et le plus intelligent et subtil des UHL, le magistral L’Homme qui mit fin à l’Histoire. Il aura fallu sept ans et une quarantaine d’UHL, mais c’est une femme, la première francophone publiée dans la collection qui, à mon sens et du haut de l’expérience acquise en presque quatre décennies de lectures SF, lui a ravi sa couronne. Je le dis donc haut et fort : non seulement Rossignol est, à ce stade, le meilleur texte d’Audrey Pleynet, non seulement c’est la meilleure et la plus intelligente des novellas publiées dans la collection Une heure-lumière, mais c’est aussi le texte le plus émouvant qui y soit paru, le plus beau également. Je crois d’ailleurs que la distinction de (roman) culte d’Apophis ne suffira sans doute pas à donner la mesure de sa valeur : il faudrait presque inventer les cultissimes d’Apophis ! Lire la suite

One day all this will be yours – Adrian Tchaikovsky

4

Rate sa cible / devient une référence

One day all this will be yours (« Un jour tout ceci sera tien ») est une novella de SF (126 pages au compteur) sortie en mars 2021, signée Adrian Tchaikovsky. Ceux parmi vous qui suivent le Culte de longue date savent que pendant un bon moment, j’ai tenté de suivre le rythme effréné de publication de l’auteur, jusqu’à ce que différents facteurs me conduisent à arrêter, le principal étant que si le britannique est capable d’écrire de très grands romans, courts ou longs, le nombre de bouquins passables, voire assez mauvais, devient lui aussi de plus en plus conséquent (ou récurrent). Et vu que ni mon budget (surtout) ni mon temps de lecture ne sont infinis… Sur ce court roman précis, j’ai d’autant moins été enclin à tenter cette lecture que le camarade Feydrautha avait émis un avis plus que tiède sur la chose. J’ai toutefois gardé dans un coin de ma tête que malgré tout, il évoquait aussi des concepts fascinants et un livre qui aurait pu devenir une référence en matière de guerre temporelle, un sujet qui, vous le savez peut-être, me fascine totalement.

Il y a quelques jours, je me suis aperçu, par hasard, que le prix de One day… avait drastiquement diminué en version électronique (au moment où je tape ces lignes, il est à 1.19 euros), et je me suis dit « Pourquoi pas, après tout, c’est court, et à ce prix là, pas de regrets à avoir ». J’ai donc commencé ce livre, sans grande conviction, à onze heures passé du soir, me disant que j’allais en lire quelques dizaines de pages avant de m’endormir… ce que j’ai fini par faire, après l’avoir lu d’une traite (ce qui ne m’arrive jamais, même pas avec les UHL), à deux heures du matin  😀  Donc, vous dites-vous peut-être, les critiques du camarade Harkonnen étaient infondées, hein ? Eh bien en fait, c’est plus compliqué que ça, comme nous allons le voir ! Lire la suite

Les Profondeurs de Vénus – Derek Künsken

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Un joyau du Planet Opera, un bijou en matière de Diversité, un très grand roman, tout simplement

Le 31 mai 2023 paraîtra chez Albin Michel Imaginaire Les Profondeurs de Vénus de Derek Künsken, premier volet d’un diptyque qui se conclura, en VO, avec la sortie de The House of saints le 29 août. C’est d’ailleurs en anglais que j’ai, pour ma part, lu ce nouvel AMI, à sa sortie il y a près de trois ans (ce qui me permet de vous dire que la spectaculaire couverture, signée Manchu, a parfaitement su capturer l’atmosphère et certaines scènes spectaculaires de ce livre). J’en étais sorti extrêmement enthousiaste, et j’espère bien réussir à vous faire partager mon engouement !

Précisons que si l’intrigue prend place dans le même univers que le cycle du Magicien Quantique (paru dans la langue de Molière chez le même éditeur) et de ses suites, Les Profondeurs de Vénus peut se lire de façon tout à fait indépendante, puisqu’elle se déroule deux siècles et demi avant. Notez, enfin, que les deux romans sont suffisamment différents pour qu’un avis mitigé ou un désintérêt pour Le Magicien Quantique ne soit en rien rédhibitoire si vous envisagez la lecture de ce nouvel opus : moins exigeant sur le plan de la Hard SF, plus axé sur des thématiques sociétales modernes, prenant plus le temps d’installer son univers et ses personnages, et ayant sans doute franchi un cran supplémentaire sur le plan de l’écriture, il sera sans nul doute à même de séduire un public plus large. Mais notez aussi que lire les deux cycles sera utile, car le diptyque éclaire beaucoup l’Histoire et peut-être surtout la géopolitique plutôt floue, jusqu’ici, de l’univers du Magicien Quantique.

Comme vous le prouvera ma critique très détaillée de la VO, je lui ai trouvé deux immenses qualités : d’abord, le fait qu’il s’agisse d’un Planet Opera vénusien tout à fait exceptionnel (et je pèse mes mots), sans aucun conteste la nouvelle référence dans ce registre littéraire bien précis, à moins que Kim Stanley Robinson ne se décide à s’attaquer au problème (ce qu’il a très partiellement fait dans -le dispensable- 2312) ; ensuite, le fait qu’il fasse la part belle à la diversité (un des personnages est atteint du syndrome de Down, un autre est gay, un troisième a un problème d’identité de genre) ET que l’auteur traite le sujet, là encore, avec une crédibilité, une douceur, une justesse et un respect… eh bien qui forcent le respect, justement. Mais plus que tout, et là je rejoins (pour une fois…) complètement le camarade Dumay sur ce point, c’est un grand roman d’aventure, offrant des visions époustouflantes et des péripéties stupéfiantes. Non, mieux que ça, un grand roman, tout simplement. Et puis il est estampillé « Culte d’Apophis », ce n’est pas rien, tout de même !

Bref, chacun jugera de l’intérêt de ce bouquin en fonction de ses propres critères (ma critique de la VO vous fournit tous les éléments nécessaires pour faire votre choix), mais si vous avez foi en mon jugement, vraiment, ne passez pas à côté de cette sortie  😉 On espère aussi que les ventes florissantes (c’est tout le mal qu’on lui souhaite) de cet ouvrage inciteront l’éditeur à sortir le tome 3 du cycle quantique, évitant ainsi de rejoindre le club détestable des maisons abandonnant des séries en cours de route !

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Corsaire de l’espace – Poul Anderson

11

Levez l’ancre, moussaillons !

Si les gros bataillons des amateurs de SF connaissent la collection Une heure-lumière du Bélial’, ils sont en revanche nettement moins nombreux à connaître Pulps, dirigée par Pierre-Paul Durastanti et consacrée, comme son nom l’indique, à des récits d’aventure faisant la part belle au sense of wonder « à l’ancienne », tels qu’on pouvait en lire dans les Pulps (magazines de SFF imprimés sur du papier bon marché -d’où le nom) ou en tout cas à la même époque approximative. Pour l’instant, ladite collection comprenait, outre les différents tomes de Capitaine Futur d’Edmond Hamilton (beaucoup plus connu sous nos latitudes sous le nom de Capitaine Flam ; si l’envie vous en prend, ma critique du roman inaugural est à votre disposition), un roman signé Jack Vance (Les Vandales du Vide) et un autre signé Eric Brown (Les Ferrailleurs du cosmos), et elle vient de recevoir un renfort de poids avec la publication, il y a quelques jours, de Corsaire de l’espace, ouvrage de Poul Anderson à l’histoire éditoriale compliquée (je vais y revenir). Poul Anderson, géant de la SFF (et pas que de la Science-Fiction : il a notamment écrit l’épique L’épée brisée) mis à l’index dans les années soixante dans l’Hexagone pour son refus de condamner la guerre du Vietnam et pour ses positions perçues comme réactionnaires… notamment du fait de ce livre bien précis. Pour être tout à fait clair, chacun(e) d’entre vous met à l’index qui il / elle veut pour la raison qu’il / elle veut, mais personnellement, je ne juge pas un auteur sur ce qu’il est ou pense, mais sur la qualité / l’intérêt de ce qu’il écrit. Et visiblement, chez le Bélial’, ils sont sur la même longueur d’onde. Soyez toutefois averti que cette sortie n’est donc pas destinée à tous les profils de lecteurs.

La postface, signée Jean-Daniel Brèque, ainsi que ce sujet sur le forum du Bélial’, reviennent sur la genèse compliquée de l’ouvrage : d’abord publié sous forme de trois novellas, puis sous celle d’un fix-up agrémenté d’un chapitre et de phrases supplémentaires de-ci de-là, il avait été traduit dans les années soixante par la revue Fiction, failli être réédité il y a une dizaine d’années chez un autre éditeur, avant d’atterrir, très logiquement chez le Bélial’, puisque celui-ci est maintenant devenu le spécialiste et défenseur (à juste titre, à mon avis) de l’auteur. La traduction a été révisée par l’excellent Pierre-Paul Durastanti, ainsi que par Olivier Girard, le capitaine (corsaire ?) à la barre du navire Bélial’. On décernera par ailleurs des louanges hautement méritées à l’illustrateur (Pascal Blanché) et au graphiste (Philippe Gady) pour leur couverture de toute beauté (rappelant les œuvres de Chris Foss, en plus vif au niveau couleurs), et à l’éditeur pour avoir le courage d’assumer de publier de la SF quand tant de pleutres, dans le milieu, abusent de leur chimérique « couverture neutre » (ou de machins symboliques pondus par des graphistes sans envergure) ou usent d’un luxe de circonvolutions et autres circonlocutions (« jeu érudit avec les codes de l’Histoire » à la place d’Uchronie, par exemple) pour ne pas appeler, sur les quatrièmes de couverture, un chat, un chat. Lire la suite