Polity Agent – Neal Asher

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Le début de la fin mais aussi la fin du début

Polity Agent est le quatrième des cinq tomes du cycle Agent Cormac (après GridlinkedThe Line of Polity et Brass Man), qui fait lui-même partie de l’énorme saga Polity qui, au moment où je tape ces lignes, compte quatre sous-cycles (dont la pentalogie Agent Cormac et trois trilogies) plus six romans isolés mais s’inscrivant dans le même univers, pour un total de 21 livres. Et ce n’est pas fini : un autre standalone, War Bodies, sortira le 6 juillet, et l’auteur a annoncé travailler actuellement sur le premier tome d’une nouvelle trilogie, mettant à nouveau en scène Cormac. Et je ne compte même pas là-dedans certaines nouvelles ou recueils se déroulant également dans ce contexte ! Bref, Neal Asher a peu à peu bâti un univers aussi détaillé qu’impressionnant et ambitieux, et je prends, à chaque bouquin, un plaisir devenu chez moi rarissime, à la hauteur de certaines de mes meilleures lectures en quarante ans de SFFF. Histoire de vous situer la chose, j’ai lu les 578 pages de Polity Agent en… deux jours, un rythme exceptionnellement rapide chez moi, surtout pour de la VO. Et alors que je rédige cet article, je suis déjà en train de lire la suite. Les SP et les lectures pour Bifrost attendront, il faut parfois savoir prendre une pause salutaire !

Ce livre constitue à la fois le début de la fin de la pentalogie à laquelle il appartient, dans le sens où il met en place les antagonistes, protagonistes et évènements finaux, mais aussi, dans le cadre plus large du meta-cycle Polity pris dans son ensemble, il donne le sentiment d’être la fin du début, le point où le style d’Asher est sur le point de prendre l’efficacité redoutable qui est la sienne aujourd’hui, et où la plupart des personnages intervenant dans les cycles ultérieurs (surtout Rise of the Jain) sont désormais introduits (je suis entré dans cette saga en 2018, avec la sortie de The Soldier : j’ai ensuite repris les choses depuis le début, en suivant la chronologie interne de l’univers et pas l’ordre de publication -sauf pour les nouvelles sorties post-2018).

Comme très souvent avec cet auteur, je sors extrêmement satisfait de ma lecture : tout ce que je veux voir en SF est présent (sense of wonder, côté Hard SF, etc.), Asher n’oublie ni le mot science (je vais en reparler), ni le mot fiction (il ne s’agit pas que d’une allégorie du monde réel et présent cachée sous de vagues oripeaux SF) dans sa prose, et ça, mine de rien, c’est de plus en plus rare en SFF. Lire la suite

The Malevolent Seven – Sebastien de Castell

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Constantine + Le Manuel des Plans + un anti-Les Sept Samouraïs = The Malevolent Seven !

Sébastien de Castell est un auteur canadien essentiellement connu dans nos contrées pour le lobbying intense fait à son sujet par L’Ours Inculte (d’ailleurs remercié en postface) et, accessoirement (je plaisante…), pour ses cycles L’Anti-Magicien et Furia Perfax (chez Gallimard Jeunesse), ainsi que pour la traduction du premier tome (éponyme) du cycle Les Manteaux de gloire par Bragelonne, les trois autres et un recueil de nouvelles ne l’ayant pas été par cette maison (malgré, donc, le lobbying intense du camarade Inculte). Son nouveau roman, The Malevolent Seven (à ne pas confondre avec le récent The Maleficent Seven de Cameron Johnston, aux fondamentaux similaires -nous en reparlerons), ne s’inscrit pas dans le même monde que celui commun à tous les autres cycles de l’auteur (y compris Court of shadows, à venir en 2024), et semble être un stand-alone, bien que la fin hurle, à mon sens, la possibilité d’une suite (mais puisse aussi se suffire à elle-même, un peu dans le même esprit que Le Magicien Quantique de Derek Künsken -dont nous reparlerons aussi). Dans une interview (en anglais), le canadien a déclaré avoir écrit ce roman en février 2020 juste pour lui, pour avoir le plaisir de faire de la bonne Sword & Sorcery à l’ancienne, avec des jurons à toutes les pages (ce qu’il n’est pas en mesure de faire dans les livres Young Adult qui constituent désormais la majeure partie de sa bibliographie -et la quasi-totalité de celle traduite dans la langue de Molière). Il n’avait pas l’intention de le publier, mais son agent a demandé à le lire, l’a adoré, ce qui a conduit son éditeur à finalement le sortir.

C’est la première fois que je lis un roman signé par cet auteur, non pas que Les Manteaux de gloire ne m’intéressent pas (bien au contraire, même), mais parce que je me concentre plus, que ce soit pour le blog ou (surtout) pour Bifrost sur les nouveautés, et que ce cycle n’en est plus une depuis longtemps. La sortie de ce roman lisible de façon isolée m’est apparue comme une bonne opportunité de découvrir sa prose sans pour autant me lancer dans un cycle de plus, et je dois dire que sans crier au génie, j’ai bien apprécié cette lecture, même si je placerais le roman, similaire, de Cameron Johnston au-dessus. De plus, sur la fin, j’ai parfois eu du mal à suspendre mon incrédulité, certains points (notamment sur le magicbuilding et le worldbuilding) m’ont paru extrêmement stéréotypés (façon polie de dire que c’était carrément pompé de façon éhontée dans les sources d’inspiration), et je ne suis pas sûr d’avoir entièrement saisi tout ce qui tourne autour d’un des personnages. Je regrette aussi que la couverture soit, à mon sens, très mal conçue, car elle dévoile un point d’intrigue et ça, on aurait pu éviter. Enfin, l’ensemble laisse une impression rushée ou brouillon, et le développement très inégal des personnages pose aussi question. Clairement, donc, si je trouve que c’est un roman de Fantasy sympathique, voire recommandable pour certains profils de lecteurs ET si on n’en attend pas trop, je n’en ferai pourtant pas un des (romans) Culte d’Apophis qui ont donné leur nom à ce blog. Lire la suite

One day all this will be yours – Adrian Tchaikovsky

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Rate sa cible / devient une référence

One day all this will be yours (« Un jour tout ceci sera tien ») est une novella de SF (126 pages au compteur) sortie en mars 2021, signée Adrian Tchaikovsky. Ceux parmi vous qui suivent le Culte de longue date savent que pendant un bon moment, j’ai tenté de suivre le rythme effréné de publication de l’auteur, jusqu’à ce que différents facteurs me conduisent à arrêter, le principal étant que si le britannique est capable d’écrire de très grands romans, courts ou longs, le nombre de bouquins passables, voire assez mauvais, devient lui aussi de plus en plus conséquent (ou récurrent). Et vu que ni mon budget (surtout) ni mon temps de lecture ne sont infinis… Sur ce court roman précis, j’ai d’autant moins été enclin à tenter cette lecture que le camarade Feydrautha avait émis un avis plus que tiède sur la chose. J’ai toutefois gardé dans un coin de ma tête que malgré tout, il évoquait aussi des concepts fascinants et un livre qui aurait pu devenir une référence en matière de guerre temporelle, un sujet qui, vous le savez peut-être, me fascine totalement.

Il y a quelques jours, je me suis aperçu, par hasard, que le prix de One day… avait drastiquement diminué en version électronique (au moment où je tape ces lignes, il est à 1.19 euros), et je me suis dit « Pourquoi pas, après tout, c’est court, et à ce prix là, pas de regrets à avoir ». J’ai donc commencé ce livre, sans grande conviction, à onze heures passé du soir, me disant que j’allais en lire quelques dizaines de pages avant de m’endormir… ce que j’ai fini par faire, après l’avoir lu d’une traite (ce qui ne m’arrive jamais, même pas avec les UHL), à deux heures du matin  😀  Donc, vous dites-vous peut-être, les critiques du camarade Harkonnen étaient infondées, hein ? Eh bien en fait, c’est plus compliqué que ça, comme nous allons le voir ! Lire la suite

Weaponized – Neal Asher

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Un chef-d’œuvre de SF posthumaniste et biologique, à la structure d’une diabolique subtilité

Si vous suivez ce blog depuis quelques années, vous le savez, qui dit printemps dit critique du nouveau Neal Asher tout juste sorti, à savoir, en 2022, Weaponized. Comme Jack Four en 2021, ce roman s’inscrit certes dans l’énorme cycle Polity, mais pas dans un de ses sous-cycles et est donc lisible de façon indépendante. Et la remarque n’a jamais été aussi vraie, puisque l’auteur britannique a l’habitude de faire des allers-retours dans la chronologie interne de son univers (qui couvre neuf siècles, si je ne m’abuse), et qu’un sous-cycle (Spatterjay) se déroulant au début du quatrième millénaire peut parfaitement être suivi par un autre (Transformation) se passant 500 ans plus tôt ; ici, Asher fait un retour en arrière encore plus radical, puisque les événements de Weaponized se déroulent en partie avant et en partie en même temps que ceux de Prador Moon, premier livre à lire si l’on suit ladite chronologie interne. Ce qui veut dire que même quelqu’un qui ne connaitrait strictement rien à Polity peut parfaitement se lancer là-dedans (même si, personnellement, je conseillerais tout de même de commencer par Prador Moon, pour des raisons que je vais exposer dans la suite de ce propos).

Neal Asher m’a procuré certaines de mes plus fantastiques lectures en 37 ans de SFFF, par la démesure de son propos (énorme Sense of wonder) et sa combinaison de Hard SF, de SF posthumaniste et militaire. Sa sortie annuelle est donc celle qu’en général, j’attends avec la plus sincère impatience, et j’en sors rarement déçu. J’ai cru, quasiment jusqu’à la toute fin de ma lecture, que mon impression sur Weaponized serait, toutefois, complexe, nuancée, dichotomique : d’un côté, c’est un roman de Planet Opera et surtout de SF biologique / Posthumaniste totalement hallucinant, mais d’un autre côté, sur un pur plan littéraire, j’ai cru dur comme fer que sa structure qui me paraissait inutilement complexe tempèrerait nettement mon sentiment global et final. Et puis j’ai lu la fin. Et puis j’ai relu le début. Et j’ai compris le véritable double coup de génie de l’auteur. Le premier se comprend à un stade relativement précoce de la lecture. Le second dans les dernières pages. Si on ajoute à tout cela le fait qu’Asher s’inspire de l’univers Alien mais en tire un résultat incomparablement plus ambitieux, on est clairement là sur un des romans-culte qui ont donné son nom à ce blog ! Lire la suite

Age of ash – Daniel Abraham

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Démêler les fils

Spontanément, le nom de Daniel Abraham peut ne pas vous dire grand-chose, à moins que vous ne fassiez partie des fins connaisseurs de la SFF, qui savent qu’il est un des deux auteurs (avec Ty Franck) se cachant sous le pseudonyme commun de James S.A. Corey, le papa du cycle de romans The Expanse, qui a lui-même engendré une série télévisée qui est une des plus réussies dans le registre science-fictif ces dernières années. Mais Daniel Abraham, sous le pseudonyme d’Hanover, est aussi responsable de la pentalogie La dague et la fortune (dont les trois premiers tomes ont été traduits en France), qui était, cette fois, une Fantasy de fort bonne facture.

C’est justement de ce dernier genre littéraire dont relève le nouveau projet de l’auteur, le cycle Khitamar. On pourrait croire à une trilogie de plus (ce dont la Fantasy est très loin de manquer !) si l’argumentaire de l’éditeur n’attirait pas notre attention sur la singularité (pour ne pas dire l’exotisme) de la chose : « Les trois romans de la trilogie Khitamar se déroulent lors de la même année, mais sont narrés selon le point de vue d’un personnage différent. Leurs histoires vont s’imbriquer et s’entrelacer, et la vérité pleine et entière, si tant est qu’une telle chose existe, sera comprise en suivant chaque fil narratif ». Nous examinerons d’ailleurs l’intérêt (ou pas) de la chose et la différence par rapport à une trilogie plus classique dans la suite de ce propos. Lire la suite

Engines of empire – R.S. Ford

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Paradoxalement à la fois plutôt novateur ET très (trop ?) classique !

Engines of empire est le premier tome d’un cycle (à priori une trilogie, vu que l’auteur en a déjà sorti plusieurs) appelé The age of uprising, dont on sait déjà que le second se nommera Engines of chaos (et ce pour une bonne raison : son chapitre introductif est présent à la suite du roman -en plus d’un extrait de The justice of kings de Richard Swan). Et d’ailleurs, en parlant de l’auteur, je n’ai pas tout de suite fait le lien entre « R.S. Ford » et le Richard Ford du cycle Havrefer, mais il s’agit pourtant bel et bien de la même personne. On remarquera, au passage, que Engines of empire part d’un postulat de départ très exactement inverse de celui d’Havrefer, puisque cette fois, les événements sont vus par les yeux de personnages issus de la plus haute société de cet univers.

Ce roman s’est révélé très paradoxal : d’un côté, par son aspect technomagique, ses différents systèmes de magie, le fait qu’il s’agit d’une sorte de version condensée ou hybride des deux premiers tomes des trilogies classiques de Fantasy, il est plutôt du côté novateur des œuvres relevant de ce genre ; mais d’un autre côté, on y retrouve des références très Sword & Sorcery qui évoquent beaucoup plus la Fantasy (très) ancienne que les dernières évolutions du genre, sans compter un empilement de clichés côté personnages, voire de certains points de l’univers (on sent que le britannique s’est fait plaisir en recyclant des éléments de ses écrivains ou contextes favoris, y compris cinématographiques, comme nous le verrons). Le truc assez fou, c’est que malgré ces paradoxes, voire ces défauts, ça fonctionne franchement bien : certains personnages font grincer des dents, mais le bouquin a un net de goût de reviens-y, et on (moi, en tout cas) sort de sa lecture en étant satisfait. Même si, clairement, ce ne sera pas la sortie Fantasy de l’année (il faut dire qu’il y a du très, très lourd à venir), juste un fort honnête roman. Et c’est déjà pas mal ! Lire la suite

The century blade – Rob J. Hayes

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Une bonne façon de découvrir le cycle Mortal Techniques

Étant, en ce moment, dans une sorte de cycle de lecture informel faisant la part belle aux lectures de Fantasy aux contextes exotiques, le moment me parait bien choisi pour vous reparler de Rob J. Hayes. Auteur britannique auto-édité et très expérimenté (une quinzaine de romans au compteur, tout de même), Hayes m’avait bluffé avec son roman Never Die, titulaire du SPFBO 2017, prix littéraire chapeauté par Mark Lawrence couronnant chaque année le meilleur des auto-édités anglo-saxons. Fantasy à monde secondaire d’inspiration asiatique et très héroïque, Never Die était un bouquin sympathique mais sans plus jusqu’à sa fin, tout bonnement extraordinaire, qui remettait tout le reste en perspective. Il se trouve que depuis ma chronique, l’auteur (très prolifique) a étendu cet univers à deux autres romans (Pawn’s Gambit et Spirits of vengeance) et une nouvelle, The century blade (à la couverture magnifique –la preuve en grand format), dont je vais vous parler aujourd’hui. Le tout forme un cycle informel, The mortal techniques, car si chacun de ces textes s’inscrit dans le même univers, chacun peut se lire de façon totalement indépendante de tous les autres.

Outre la (courte) nouvelle The century blade proprement dite, le « livre » électronique qui vous est vendu contient aussi le premier chapitre du roman Spirits of vengeance. Pour… 0.99 euros, vous avez donc l’occasion d’avoir un aperçu de l’univers (fascinant) et du style (fluide, agréable et puissamment évocateur) de l’auteur, ce qui vous permettra de voir si vous voulez investir dans les trois romans de The mortal techniques (c’est toujours plus rapide à lire et moins cher de prendre la température de l’eau avec une nouvelle à moins d’un euro qu’avec un roman de plusieurs centaines de pages, forcément plus onéreux). Et en plus, la nouvelle est très plaisante, même si elle a, comme nous le verrons, un défaut non négligeable. Lire la suite

A fool’s hope – Mike Shackle

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Un très bon tome intermédiaire

A fool’s hope est le deuxième tome de la trilogie The last war, par Mike Shackle, et la suite de l’excellent We are the dead. Un an après sa sortie, et alors que le troisième et dernier roman (Until the last) se profile déjà à l’horizon (il sortira en avril), il était plus que temps de le lire. Non pas que je n’avais pas envie de le faire, mais vu la noirceur de We are the dead, j’avoue ne pas avoir été spécialement pressé de le faire compte tenu du contexte actuel. Et évidemment, hein, cela s’est avéré être une très bonne lecture, que je regrette de ne pas avoir fait plus tôt.

La particularité de We are the dead est qu’on avait l’impression que quelqu’un avait expliqué à Mike Shackle le principe du Hopepunk (l’anti-Grimdark, pour résumer), qu’il était parti d’un immense éclat de rire maléfique, avant de décider d’aller complètement à rebours de la tendance actuelle en écrivant, au contraire, la Fantasy la plus sombre et désespérée possible. Si l’espoir est un peu plus présent dans A fool’s hope (mais bon, ce titre, hein, si c’est pas du troll, je ne sais pas ce que c’est  😀 ), l’ambiance est toujours ultra-sombre et désespérée, et le roman finit franchement mal pour un grand nombre de personnages (enfin pour les survivants, je veux dire, parce que la mortalité est impressionnante, même pour de la Dark Fantasy).

Un certain nombre d’entre vous doivent se dire, à la lecture de ces lignes, « Oh, ce n’est pas pour moi, donc ! ». Pas si vite, chers aponautes. N’oubliez pas que c’est au cœur des ténèbres les plus absolues que la plus infime flamme brillera d’autant plus. Et franchement, si vous ne vous attachez pas à certains des personnages justement à cause des tourments qu’ils subissent, vous n’avez pas de cœur. Sans compter que le troisième tiers, en gros, est prodigieux d’originalité (pour de la Fantasy), de rythme, de côté épique et de « Oh Apophis, ils ne vont jamais s’en sortir ! ». Alors certes, si ce tome 2 a amélioré certains des menus défauts de son prédécesseur, il y a sans doute un peu perdu en profondeur au passage, donnant plus dans l’épique que dans les thématiques de fond. Mais le plaisir de lecture reste égal, dans les deux cas. Et j’aurais même tendance à dire que ce tome 2 sera significativement plus attractif pour les gros bataillons du lectorat Fantasy que We are the dead. Ne serait-ce que par sa très grande dimension maternelle  😉 Lire la suite

Elder race – Adrian Tchaikovsky

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Witchcraft to the ignorant… simple science to the learned *

* The sorcerer of Rhiannon, Leigh Brackett, 1942.

Si je vous précise que Elder Race, (assez) court roman (200 pages) signé Adrian Tchaikovsky, est le douzième des textes publiés par ce dernier chroniqué sur ce blog, vous pouvez, je pense, me croire sur parole quand je vous assure que dans la pléthorique production de l’auteur, l’excellent alterne avec le passable, voire le carrément mauvais. Chaque sortie est donc une prise de risque. Le résumé d’Elder Race disponible sur les sites marchands ne m’ayant pas donné envie de le lire, j’avais décidé de faire l’impasse dessus. Quelques jours avant sa sortie, j’ai cependant, et fort heureusement, lu une critique anglo-saxonne présentant en avant-première le roman, et en disant beaucoup plus à son sujet. Suffisamment pour qu’un parallèle avec Inversions de Iain M. Banks me frappe immédiatement et m’incite, évidemment, à changer d’avis. À la lecture, le parallèle est pleinement justifié, mais le livre de Tchaikovsky ne se réduit pas à cela, loin de là.

Celui-ci fini, on peut sans problème le classer parmi les meilleurs de sa production, que ce soit en général (l’auteur est connu pour balayer un nombre ahurissant de genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire) ou dans le registre science-fictif en particulier. Notez toutefois qu’alors que dans ce dernier, Tchaikovsky a tendance à tendre vers la Hard SF, nous sommes ici plus clairement sur une Ethno-SF / une SF linguistique, donc une Soft-SF. Lire la suite

Far from the light of Heaven – Tade Thompson

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Un roman qui porte bien son nom !

Far from the light of Heaven (à paraître le 2 mars 2022 chez J’ai Lu, dans la collection Nouveaux Millénaires, sous le titre Loin de la lumière des cieux) est le nouveau roman de Tade Thompson, connu pour sa trilogie Rosewater (toujours chez J’ai Lu) et pour le cycle Molly Southbourne (édité, lui, par le Bélial’). La postface nous apprend que l’auteur s’est inspiré de Double assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Allan Poe, mais en poussant le concept de l’énigme en chambre close au maximum, c’est-à-dire en le transposant dans l’environnement clos ultime, à savoir l’espace (il faut croire qu’il n’a jamais lu Fritz Leiber, qui, lui, l’applique carrément à un univers de poche temporairement coupé de sa connexion à notre cosmos). Heureusement que Tade Thompson a eu ce, hum, coup de génie, ce n’est pas comme si la SF employait ce trope depuis quoi, des décennies ? Mais bon, la même postface explique que les tropes science-fictifs n’étant pas réalistes, il a voulu s’en affranchir, qu’il a fait beaucoup de recherches sur les vrais astronautes, mais qu’en même temps, son bouquin n’est pas un magazine de vulgarisation scientifique. Donc en gros, c’est de la Hard SF, mais Soft SF. Ah, et puis oui, c’est lui qui le précise, le consensus entre lui, son éditeur et son chat (et je ne plaisante absolument pas), c’est que ce n’est pas un Space Opera. Bref, pour reprendre les mots désormais éternels autant que légendaires de Romain Lucazeau, « Quand c’est trope, c’est tropico ».

Alors la visible inculture SF de l’auteur mise à part, est-ce un bon roman ? Absolument pas ! Premièrement, il souffre terriblement de la comparaison avec le cycle Molly Southbourne, où Thompson faisait preuve d’une puissance narrative et d’une virtuosité dans le maniement des thématiques tout à fait bluffante. Ici, la narration est balourde et les thématiques délivrées avec un tel manque de subtilité qu’on se pose la question de savoir si on a réellement affaire au même auteur (là aussi, la postface est sidérante : Thompson y déclare notamment « I try to lean away from aliens being Other because that’s tied up with colonialist thinking », et nous sort une diatribe contre la récupération des recherches nazies pour l’appliquer à l’astronautique, connaissances qui ont alimenté les programmes spatiaux US et soviétiques ; on peine à comprendre ce que ce genre de discours fait là, d’autant plus que s’il connaissait son Histoire, il saurait que les recherches japonaises ont autant contribué au dit programme que celles des nazis : lisez Ken Liu, lui le démontre très bien dans l’excellent L’homme qui mit fin à l’Histoire). Si on ajoute à cette postface les thèmes développés dans le roman proprement dit, à savoir les méfaits du capitalisme et un message écologiste lourdement appuyé (et anti-industrie minière), on se retrouve avec un bouquin plus calibré pour cocher, avec de gros sabots, toutes les cases agréant aux jurys des prix littéraires anglo-saxons que pour faire preuve du centième de l’intelligence éblouissante manifestée dans le cycle Southbourne. Pire encore, le principal moteur narratif est le trope des tropes en littérature de l’imaginaire, voire dans les romans tout court (la vengeance), le livre donne une désagréable impression d’être un sous-Peter Hamilton (et pas le meilleur de cet auteur, plutôt ses dernières et très passables productions), et à part sur la fin, on s’ennuie mais alors carrément.

Tout ça pour vous dire que quand ça sortira en français, si vous voulez lire un (bon) Whodunit dans l’espace, achetez-vous plutôt La troisième griffe de Dieu d’Adam-Troy Castro, vous vous rendrez service, et que si vous voulez lire du (bon) Thompson, faites l’acquisition des Molly Southbourne, c’est carrément d’un autre niveau et ça ne s’embarrasse pas d’un message idéologique balourd qui n’a rien à faire là. Lire la suite