One day all this will be yours – Adrian Tchaikovsky

Rate sa cible / devient une référence

One day all this will be yours (« Un jour tout ceci sera tien ») est une novella de SF (126 pages au compteur) sortie en mars 2021, signée Adrian Tchaikovsky. Ceux parmi vous qui suivent le Culte de longue date savent que pendant un bon moment, j’ai tenté de suivre le rythme effréné de publication de l’auteur, jusqu’à ce que différents facteurs me conduisent à arrêter, le principal étant que si le britannique est capable d’écrire de très grands romans, courts ou longs, le nombre de bouquins passables, voire assez mauvais, devient lui aussi de plus en plus conséquent (ou récurrent). Et vu que ni mon budget (surtout) ni mon temps de lecture ne sont infinis… Sur ce court roman précis, j’ai d’autant moins été enclin à tenter cette lecture que le camarade Feydrautha avait émis un avis plus que tiède sur la chose. J’ai toutefois gardé dans un coin de ma tête que malgré tout, il évoquait aussi des concepts fascinants et un livre qui aurait pu devenir une référence en matière de guerre temporelle, un sujet qui, vous le savez peut-être, me fascine totalement.

Il y a quelques jours, je me suis aperçu, par hasard, que le prix de One day… avait drastiquement diminué en version électronique (au moment où je tape ces lignes, il est à 1.19 euros), et je me suis dit « Pourquoi pas, après tout, c’est court, et à ce prix là, pas de regrets à avoir ». J’ai donc commencé ce livre, sans grande conviction, à onze heures passé du soir, me disant que j’allais en lire quelques dizaines de pages avant de m’endormir… ce que j’ai fini par faire, après l’avoir lu d’une traite (ce qui ne m’arrive jamais, même pas avec les UHL), à deux heures du matin  😀  Donc, vous dites-vous peut-être, les critiques du camarade Harkonnen étaient infondées, hein ? Eh bien en fait, c’est plus compliqué que ça, comme nous allons le voir !

Univers / base de l’intrigue *

* It’s the end of the world as we know it (and i feel fine), R.E.M, 1987.

Futur relativement proche. Une guerre éclate entre différentes puissances. Des armes de destruction massive sont utilisées, les morts se comptent bientôt en centaines de millions. Les divers belligérants disposent de machines à voyager dans le temps, mais des traités très contraignants sont supposés les dissuader de les utiliser. Le danger est trop grand. Mais évidemment… Le conflit s’étend au champ de bataille temporel. Chaque camp tente de le désamorcer, ou de neutraliser, voire de faire disparaître, son adversaire de l’Histoire. Mais quand les soldats temporels rentrent à la base, leurs interlocuteurs ont changé, on leur demande de faire l’inverse de ce qu’ils viennent de faire sans que nul ne semble y voir une contradiction (ces deux points m’ayant évoqué The Light brigade de Kameron Hurley), et à la fin, la culture / religion / idéologie / le régime qui a donné naissance à ces chrononautes s’efface, ou bien se mue en quelque chose de si différent de ses fondamentaux que c’est tout comme. Au bout d’un moment, avec les réécritures de l’histoire en une sorte de palimpseste (coucou Charles Stross), les soldats ont oublié une partie de leurs propres origines, et finissent par ne plus savoir pour qui et même pour quoi ils se battent… mais savent qu’il faut poursuivre le combat jusqu’au bout tout de même. Et inutile d’essayer de retourner en arrière pour remettre en place ce qui a été défait, l’univers de ce roman (contrairement à d’autres) ne fonctionne pas comme ça : au mieux, vous n’obtiendrez que quelque chose qui s’approche de votre / de la « bonne » ligne temporelle, mais les différences vont finir par s’accumuler, jusqu’à devenir radicales. Au fur et à mesure, l’intensité de la guerre augmente : aux armes nucléaires ont succédé les machines temporelles, à celles-ci succèdent les Bombes de Causalité. Sous leurs assauts, ainsi que sous ceux de trop de réécritures du matériau Historique et spatio-temporel, la Causalité elle-même s’écroule, le Temps se fracture en éclats de plus en plus petits.

Le narrateur (jamais nommé) était un de ces combattants. Il décide de mettre un terme à cette folie en chassant les autres soldats temporels, y compris ceux de son propre camp. Il leur tend des pièges, met « fortuitement » les uns en présence des autres pour qu’ils s’entretuent. Et au bout d’un moment, il n’y a plus que lui. La guerre est finie… pour l’instant. Mais la « technologie » (vous allez bientôt comprendre…) temporelle peut-être inventée littéralement à n’importe quel point de l’Histoire humaine, voire pré-humaine (si, si), ce qui fait que la vigilance reste de mise. Il se poste donc au premier point où le Temps n’est plus fracturé, dans une Terre où il est le seul homme, et utilise la technologie de sa machine temporelle militaire avancée pour en faire un goulet d’étranglement, dans lequel n’importe quel chrononaute voyageant vers son futur tombera immanquablement. Et il le tue / le donne à manger à son « animal de compagnie » (regardez la couverture…  😀 ). Puis, avec les renseignements glanés alors qu’il endormait sa méfiance, va à son époque, et neutralise, par divers procédés (dont l’assassinat, évidemment) l’infrastructure (technologique, humaine, politique, civilisationnelle, l’organisation, etc.) qui lui a permis de voyager dans le temps. Son système est si rodé, la technologie de détection et militaire qu’il a glanée en divers points du Temps si redoutable que nul de ces voyageurs ne lui échappe. Le futur incertain, le temps au cours normal qui s’étend après son île déserte temporelle est sauf.

Et puis un jour, c’est un couple qui débarque. Dans une machine remarquablement similaire à la sienne… mais plus avancée. Et eux viennent d’une époque très particulière. Et là ce système bien huilé déraille… mais ce n’est pas forcément pour le pire  😉 C’est à partir de ce point de mon article que je suis supposé vous donner à la fois mon analyse et mon ressenti sur ce bouquin. Sauf que quelques points avant l’arrivée du couple de voyageurs temporels et bien d’autres situés après ont fracturé, tel une bombe causale, mon analyse en deux éclats dissemblables. Et donc, je vais vous donner mes deux avis : celui, critique, d’Apophis (c’est moi, pour les deux du fond qui roupillent et l’ahuri qui vient de débarquer et qui se demande où il est tombé), et celui, plus indulgent, de Michaël (c’est moi aussi). Et non, je ne suis pas doté de personnalités multiples.

Éclat temporel d’Apophis : avis critique *

* A Thousand shards of Heaven, Lunatic Soul, 2017.

J’ai commencé à hausser un sourcil dubitatif quand l’auteur a commencé à mentionner, en plus de voyageurs temporels correspondant aux tropes de ce registre science-fictif (le survivant d’une guerre nucléaire, le gentleman à la H.G. Wells, les Men in Black, etc.), des choses plus… surprenantes, dirons-nous. Dans le genre des athéniens antiques qui voyageaient dans le temps par le seul pouvoir de la philosophie et des mathématiques. On va dire que ça a étiré ma suspension d’incrédulité, mais pas au point de la déchirer : après tout, le voyage temporel plus ou moins purement mental a des antécédents en SF. Mais là où l’auteur m’en a vraiment demandé trop, c’est quand il a fait débarquer un homme préhistorique qui s’est déplacé juste en claquant deux silex un peu fort. Là je regrette, mais c’est n’importe quoi. Si on ajoute à ça l’allosaure comme chien-chien puis le délire qui a lieu par la suite, entre la « bataille » (vous comprendrez si vous lisez / avez lu ce livre) et le duel entre le narrateur et un autre protagoniste sur lequel je vais rester très discret, duel qui se situe quelque part entre Benny Hill et Predator (oui, oui…), ça a suffi à me faire juger ce livre comme un gros délire certes bien sympathique, que l’auteur s’est visiblement beaucoup amusé à écrire, mais d’un intérêt discutable pour le lecteur et, plus encore, pour un éditeur français qui s’interrogerait sur l’opportunité de le traduire… ou pas. Et si cette dimension humoristique, pour ne pas dire loufoque, parfois, était la seule de One day all this will be yours, j’aurais été indulgent.

Sauf que Tchaikovsky y a mêlé un des traitements les plus intéressants et les plus pointus que j’ai pu lire sur le sujet de la guerre temporelle, et qu’il y a là-dedans des scènes ou des concepts (même si certains, comme les éclats temporels, ne sont pas inédits, Stephen Baxter et Arthur Clarke étant passés par là avant) aussi intéressants qu’époustouflants, notamment ce concept de Bombes Causales (même si quelque part, Midstrathe exploding d’Andy Dudak est aussi réussi dans ce registre), qui génère du sense of wonder par paquets de douze. On peut donc trouver que le britannique a sacrément saboté ce qui aurait pu être une novella de SF majeure en partant dans des… délires est sans doute un poil excessif, mais bon vous voyez l’idée. On pourrait. Sauf que ce serait partir du principe que son intention était de faire quelque chose de sérieux ou solide, et qu’il n’a pas maîtrisé son récit, qu’il lui a échappé (et ça arrive aux écrivains plus souvent qu’on ne le croit). Mais… et si on partait de l’hypothèse inverse ? Et si le but premier était de s’amuser, et que Tchaikovsky avait tout de même fait les choses de façon solide sur certains plans ? Et la chose est-elle vraiment si comique que ça ? La fin change tout de même « un peu » d’atmosphère, non ? Ce qui me conduit à…

Éclat temporel de Michaël : avis indulgent *

* A Profusion of thought, Antimatter, 2022.

Car le cœur du problème est là : si on juge ce livre en l’envisageant comme une œuvre sérieuse sur la guerre temporelle qui aurait « dérapé », été « sabotée » par son auteur, qui aurait ainsi « raté » une belle opportunité littéraire, on en analyse et ressent une des facettes, mais un cristal en a plusieurs. Si, maintenant, on le prend pour ce qu’il est (et ce comme quoi il a visiblement été conçu), à savoir un bouquin en bonne partie humoristique, ce qui n’empêche ni des éléments de worldbuilding / intrigue solides, ni du sense of wonder à la tonne, on peut s’amuser de bon cœur, d’autant plus que, conjugué au style fluide et plaisant de l’anglais, on ne voit pas défiler les pages et on passe un fort bon moment (même à une heure et demi du matin).

Certes, l’équilibre trouvé ici entre humour et noirceur / sérieux (bien que, dans le registre du voyage dans le temps / les univers parallèles, il existe BIEN plus noir : cf par exemple l’excellent La Voie terrestre de Robert Reed) n’est en aucun cas aussi adéquat ou bon que celui trouvé par le même Tchaikovsky dans Sur la route d’Aldébaran, mais on ne passe pas, pour autant, un mauvais moment à la lecture (et puis après tout, certaines fois, même Egan ou Reynolds ne sont pas au niveau d’Egan et Reynolds, n’est-ce pas), et au prix où je l’ai acheté, je n’ai aucun regret et je n’estime pas avoir perdu mon temps non plus. Maintenant, si je l’avais payé plein pot, une dizaine d’euros, disons, c’est sûr que mon appréciation aurait sans doute été moins indulgente. Sans compter que mes attentes n’étaient pas élevées, vu que j’avais été averti qu’il ne fallait pas non plus en attendre des merveilles. Si j’avais été le premier à dégainer une critique sur ce bouquin, pas sûr non plus que j’aurais été aussi magnanime, pour être honnête. Le seul point qui m’a peut-être vraiment gêné est la fin, relativement abrupte, et le fait qu’elle appelle visiblement une suite dont je ne suis pas certain qu’elle verra le jour. Parce que la baisse de prix drastique du bouquin n’est pas un très bon signe allant dans ce sens…

Donc : est-ce que c’est digne de lecture ? Tout dépendra de votre tolérance à un humour parfois à la limite de l’absurde et de votre capacité à suspendre votre incrédulité ; la mienne n’est pas franchement élevée, et pourtant j’ai passé un bon moment. Et puis je le répète, mais les passages sérieux sont excellents, franchement. Rien que sur ce plan, c’est clairement digne de lecture et d’achat, surtout à prix cassé. On est même à deux doigts d’en faire une nouvelle référence dans le registre SF de la guerre temporelle.

Question connexe : est-ce digne de traduction ? Interrogation plus épineuse ! Sans doute pas. Sauf si Sur la route d’Aldébaran a été un succès massif. Mais après tout, quelqu’un comme Douglas Adams a prouvé qu’absurde, SF et ventes florissantes pouvaient faire bon ménage, non ?

Niveau d’anglais : aucune difficulté.

Probabilité de traduction : voir ci-dessus.

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4 réflexions sur “One day all this will be yours – Adrian Tchaikovsky

  1. Ping : One Day All This Will Be Yours – Adrian Tchaikovsky – L'épaule d'Orion

  2. Ah! cher ami! me voici disposant de quelques largesse dans mon emploi du temps, et je devrais avoir un rythme meilleur, si cette année rien ne vient trop perturber mon agenda,… je prend donc le temps de déguster tes billets qui sont en retard de lecture (pour ma part). Celui-ci est donc le premier, et j’avoue une petite confusion pour le coup!
    En effet, tu présentes deux avis presque divergents, sachant qu’il s’agit en sus d’un auteur que j’apprécie, me voici les pieds écartelés entre deux chèvres…. dois-je céder par empathie ou dois-je résister avec la raison, car, effectivement, l’argument du porte-feuille ne tient pas ici ?

    Bon, je vais craquer, après tout, c’est assez court, et si je n’aime pas, je ne prendrai pas le temps de rédiger un billet car, ej suis déjà bien en retard environ encore 20 titres dans les cartons – heureusement que je prends des notes!!)
    Bises, Amichaelpophis!

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