L’Empire s’effondre – Sébastien Coville

11

Peut mieux faire

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 104 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

J’attire votre attention sur le fait que les défauts, de communication ou d’écriture, que je pointe dans cette chronique ont été en grande partie corrigés dans le tome 2 (que j’ai également lu pour Bifrost), et que si ils restent valables pour la version grand format du tome 1, ils doivent être relativisés à l’échelle du cycle.

Ce qui frappe avant tout avec L’Empire s’effondre, premier tome d’une trilogie éponyme, est la communication de son éditeur, notamment sur la quatrième de couverture et sur les sites marchands : on y voit passer des comparaisons avec Frank Herbert, Isaac Asimov, Jean-Philippe Jaworski, Eugène Sue et Alexandre Dumas. Excusez du peu ! Outre le fait que pour un premier roman, ce genre de parallèles a bien peu de chances de se révéler fondé (et évacuons tout suspense, ils ne le sont pas), ils ont aussi le grand tort d’établir des attentes qui, si elles ne sont pas remplies, vont forcément générer de la frustration. Sans parler du fait que la comparaison avec Herbert est fort limitée (la religion en tant qu’outil de contrôle) et paraît plus opportuniste (mais c’est de bonne guerre), alors que la sortie du film Dune est proche, qu’autre chose.

Dans un empire imaginaire où la technologie (essentiellement centrée sur la vapeur) cohabite avec un système, reposant sur l’asservissement, de castes professionnelles très rigide car établi par des dieux tutélaires donnant un pouvoir absolu aux Princes qui les dirigent, un attentat menace de faire s’effondrer tout l’édifice quand il catalyse de violentes émeutes, qui servent elles-mêmes à justifier une révolution de palais dans laquelle trois princes prennent le pouvoir au détriment des autres, tandis qu’un quatrième entre en guerre pour rétablir le régime théocratique.

On sent clairement, à tous les niveaux, le potentiel de l’auteur, mais à chaque fois, quelque chose cloche : son écriture est souvent fluide et agréable, mais ne fait pas l’impasse sur des effets de  manche stylistiques dont il aurait pu se passer (tout comme des quatre scènes de viol en 100 pages !), sans parler de passages d’une emphase excessive et très clairement, de longueurs (l’ouvrage ne se serait pas plus mal porté dégraissé d’un bon quart) ; les personnages sont intéressants, mais le nombre de points de vue (une dizaine !) est effroyablement trop élevé, d’autant plus que certaines sous-intrigues sont achevées hors-champ et réglées d’un trait de plume (le conseil basique d’écriture « Montrer plutôt que raconter » est pourtant censé être connu de tous), quand ce n’est pas le personnage lui-même dont on se débarrasse sommairement sans qu’on comprenne l’intérêt de lui avoir consacré tant de pages ; le worldbuilding est travaillé et évocateur, mais montre aussi des détails peu crédibles, comme ces armes à feu à vapeur ou ces quartiers à étages s’accrochant au flanc des collines où se trouvent les palais des puissants ; enfin, l’aspect roman social fait lever les yeux au ciel tant il est du cent fois vu en Fantasy (si tant est que ce livre en relève, certains indices incitant au doute) politique française récente, avec sa stratification sociale se doublant d’une stratification spatiale, sa charge anticapitaliste, anti-élites, anti-religion, anti-journalistes, sa révolte prolétarienne, etc.

L’Empire s’effondre n’est en aucun cas un mauvais roman (surtout pour une première œuvre), mais il n’est certainement pas non plus à la hauteur des comparaisons auxquelles se livre son éditeur. Coville a clairement du potentiel, et avec peu d’ajustements (et une communication plus sobre), le tome suivant pourrait être une spectaculaire réussite (PS : il n’est en effet pas loin de l’être  😉 ).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca, celle du Nocher des livres, celle d’Elbakin, de Sometimes a book,

***

Retour à la page d’accueil

Age of ash – Daniel Abraham

11

Démêler les fils

Spontanément, le nom de Daniel Abraham peut ne pas vous dire grand-chose, à moins que vous ne fassiez partie des fins connaisseurs de la SFF, qui savent qu’il est un des deux auteurs (avec Ty Franck) se cachant sous le pseudonyme commun de James S.A. Corey, le papa du cycle de romans The Expanse, qui a lui-même engendré une série télévisée qui est une des plus réussies dans le registre science-fictif ces dernières années. Mais Daniel Abraham, sous le pseudonyme d’Hanover, est aussi responsable de la pentalogie La dague et la fortune (dont les trois premiers tomes ont été traduits en France), qui était, cette fois, une Fantasy de fort bonne facture.

C’est justement de ce dernier genre littéraire dont relève le nouveau projet de l’auteur, le cycle Khitamar. On pourrait croire à une trilogie de plus (ce dont la Fantasy est très loin de manquer !) si l’argumentaire de l’éditeur n’attirait pas notre attention sur la singularité (pour ne pas dire l’exotisme) de la chose : « Les trois romans de la trilogie Khitamar se déroulent lors de la même année, mais sont narrés selon le point de vue d’un personnage différent. Leurs histoires vont s’imbriquer et s’entrelacer, et la vérité pleine et entière, si tant est qu’une telle chose existe, sera comprise en suivant chaque fil narratif ». Nous examinerons d’ailleurs l’intérêt (ou pas) de la chose et la différence par rapport à une trilogie plus classique dans la suite de ce propos. Lire la suite

Engines of empire – R.S. Ford

8

Paradoxalement à la fois plutôt novateur ET très (trop ?) classique !

Engines of empire est le premier tome d’un cycle (à priori une trilogie, vu que l’auteur en a déjà sorti plusieurs) appelé The age of uprising, dont on sait déjà que le second se nommera Engines of chaos (et ce pour une bonne raison : son chapitre introductif est présent à la suite du roman -en plus d’un extrait de The justice of kings de Richard Swan). Et d’ailleurs, en parlant de l’auteur, je n’ai pas tout de suite fait le lien entre « R.S. Ford » et le Richard Ford du cycle Havrefer, mais il s’agit pourtant bel et bien de la même personne. On remarquera, au passage, que Engines of empire part d’un postulat de départ très exactement inverse de celui d’Havrefer, puisque cette fois, les événements sont vus par les yeux de personnages issus de la plus haute société de cet univers.

Ce roman s’est révélé très paradoxal : d’un côté, par son aspect technomagique, ses différents systèmes de magie, le fait qu’il s’agit d’une sorte de version condensée ou hybride des deux premiers tomes des trilogies classiques de Fantasy, il est plutôt du côté novateur des œuvres relevant de ce genre ; mais d’un autre côté, on y retrouve des références très Sword & Sorcery qui évoquent beaucoup plus la Fantasy (très) ancienne que les dernières évolutions du genre, sans compter un empilement de clichés côté personnages, voire de certains points de l’univers (on sent que le britannique s’est fait plaisir en recyclant des éléments de ses écrivains ou contextes favoris, y compris cinématographiques, comme nous le verrons). Le truc assez fou, c’est que malgré ces paradoxes, voire ces défauts, ça fonctionne franchement bien : certains personnages font grincer des dents, mais le bouquin a un net de goût de reviens-y, et on (moi, en tout cas) sort de sa lecture en étant satisfait. Même si, clairement, ce ne sera pas la sortie Fantasy de l’année (il faut dire qu’il y a du très, très lourd à venir), juste un fort honnête roman. Et c’est déjà pas mal ! Lire la suite

La fille aux éclats d’os – Andrea Stewart

6

Un roman prévisible mais prenant, à l’univers original, et une précommande exceptionnelle

fille_éclats_os_stewartOn le sait, certains éditeurs sont capables de sortir la VF d’un roman en anglais avec un faible écart (quelques mois) par rapport à sa publication anglo-saxonne. C’est le cas de Bragelonne qui, le 5 mai 2021, nous proposera La fille aux éclats d’os, premier tome du cycle L’empire d’écume, et surtout traduction de The bone shard daughter d’Andrea Stewart, paru dans la langue de Shakespeare en… septembre 2020. On peut dire que ça n’a donc pas traîné, même si on a déjà vu des écarts plus faibles encore, que ce soit chez Bragelonne ou d’autres éditeurs, comme AMI par exemple.

Lorsque je vous fais ce genre de rappel de sortie en VF d’un roman que j’ai, pour ma part, lu en anglais, c’est soit pour vous signaler qu’il s’agit d’un livre à ne pas rater, soit, dans quelques cas, pour vous avertir que le soi-disant chef-d’œuvre vanté par l’éditeur est très loin d’en être un (de mon point de vue, du moins). Le livre de Stewart, sans être un monument de la Fantasy, est toutefois très recommandable, la question n’est donc pas là. Je voulais plutôt attirer votre attention sur le fait que La fille aux éclats d’os sort chez Bragelonne Big Bang, c’est-à-dire dans la collection Young Adult de l’éditeur. Et vu que les aponautes ne sont, en majorité, pas forcément des lectrices et lecteurs massifs de YA, d’après ce que je constate, je ne voudrais pas que vous passiez à côté d’un livre qui a bien des atouts pour vous séduire (sans compter que je ne vois pas trop pourquoi il a atterri dans une collection YA, mais bon…).

Celles et ceux d’entre vous qui veulent en savoir plus sur ce roman peuvent se référer à ma critique complète de la VO. Je signale aussi que l’éditeur propose de nombreux avantages liés à la précommande de l’ouvrage (vous trouverez tous les détails sur cette page de son site), ce qui explique que je fasse ce rappel de sortie en VF de façon un peu plus précoce que je n’en ai l’habitude (en général, c’est environ quinze jours avant), afin que celles et ceux d’entre vous qui voudront en profiter ne ratent pas l’occasion.

***

Retour à la page d’accueil

The bone shard daughter – Andrea Stewart

22

Prévisible mais prenant

bone_shard_daughterThe bone shard daughter est le nouveau roman d’Andrea Stewart, autrice sino-américaine vivant en Californie. C’est aussi le tome inaugural d’un cycle appelé The drowning empire. Il s’inscrit dans toutes les tendances de la Fantasy récente, à savoir proposer un cadre se démarquant de la pseudo-Europe médiévale qui a longtemps été cardinale dans le genre, un système de magie original et élaboré mais aussi un recyclage de tropes et d’influences… SF, tout en relevant pourtant incontestablement de la Fantasy (et de la Fantasy seule, hein, pas de Science-Fantasy ou je ne sais quoi).

Ce roman s’est révélé, au moins pour certains de ses fils narratifs (j’y reviendrai) vraiment très prenant, à la fois parce que l’autrice a su forger des personnages intéressants et / ou attachants, parce qu’elle a un style souvent (mais pas toujours) immersif et surtout parce qu’elle met en place toute une série de mystères ou d’interrogations, et que le lecteur lit avidement pour voir si les hypothèses qu’il a élaborées se révéleront fondées (ou pas). Pour tout dire, j’avais quasiment tout deviné, mais pourtant j’ai eu plaisir à voir mes supputations confirmées (et l’une d’elles infirmées !). Il n’en reste pas moins que le roman a quelques défauts, surtout concentrés sur certains personnages, et qu’une certaine prévisibilité (pour le vieux routard de la SFFF, du moins), pour ne pas dire une prévisibilité certaine, fait qu’il n’atteint pas tout à fait le niveau d’un (roman) Culte d’Apophis. Toutefois, je lirai avec grand plaisir les suites, car Andrea Stewart a eu l’intelligence de ne pas expliquer tous ses mystères à la fin de ce tome 1, et car l’opposition de deux personnages promet de très belles choses dans le tome 2. Lire la suite

Gît dans les cendres – Marie Brennan

3

Impressionnant sur le plan de la reconstitution Historique… presque trop pour son propre bien !

git_dans_les_cendres_brennanCette critique est parue dans le numéro 95 de Bifrost. Vous pouvez retrouver tous mes articles publiés dans le magazine sous ce tag.

Gît dans les cendres – La cour d’Onyx vol. 2 – Marie Brennan – L’Atalante coll. “La dentelle du cygne” – mars 2019 (roman inédit traduit de l’anglais [US] par Marie Surgers – 464 pp. GdF. 23,90 €).

Second tome de La cour d’Onyx, Gît dans les cendres continue sur la lancée de Minuit jamais ne vienne, mêlant l’Histoire réelle de l’Angleterre et les ressorts occultes (dans tous les sens du terme), liés à une cour féerique installée sous Londres, qui la sous-tendent. Le tome 1 se déroulait à la fin du XVIe siècle, et celui-ci fait un bond en avant, plaçant l’action entre 1639 et 1666 (plus un épilogue en 1675), date du fameux incendie de la ville. De fait, les scènes situées lors de l’évènement forment un fil rouge constitué de chapitres d’une vingtaine de pages, entrecoupés de chapitres plus grands qui sont autant d’analepses expliquant comment on en est arrivé là. Marie Brennan crée d’étonnants parallèles entre la Révolution anglaise, qui fait traverser à la monarchie humaine bien des épreuves, et celles endurées par sa contrepartie féerique, dont les protections traditionnelles sont de plus affaiblies par le zèle puritain. Dans les deux cas, la même géopolitique est à l’œuvre, l’Irlande et L’Écosse constituant une épine dans le pied des monarques siégeant à Londres, humains ou Fae. La férocité de l’incendie de Londres trouve une explication surnaturelle, liée à une Sorcière du vent hivernal et à un dragon, version XXL des élémentaires de feu communs. Mais les grands événements Historiques humains (mettant en scène quelques célébrités, dont Cromwell) ou la lutte entre Lune, désormais reine, et une monarque Fae écossaise qui lui voue une haine tenace, ne constituent pas la seule dimension du texte, puisque celui-ci se double d’une strate plus personnelle, liée aux princes consorts succédant à Michael Deven.

Plus encore que dans le tome précédent, l’aspect Historique est d’une impressionnante solidité, peut-être même trop pour le bien du roman. En effet, si Minuit jamais ne vienne était lisible sans connaissance pointue de l’ère élisabéthaine, Gît dans les cendres amplifie la tendance constatée dans la novella intermédiaire Deeds of men (qui se déroule en 1625), à savoir projeter le lecteur, sans volonté didactique aucune, dans un tourbillon de factions, partis politiques, groupes religieux ou autres, dont, à moins qu’il ne soit anglais, il n’a probablement pas une vision claire. Si cet aspect Historique montre donc un louable souci d’exactitude, il crée un écueil sur lequel pourrait venir se fracasser le lecteur peu féru d’Histoire anglaise et pas enclin à aller faire des recherches sur internet. Toutefois, je reste persuadé qu’au contraire, cet aspect est une grande force de ce roman, qui plus est habilement construit, écrit et traduit. Plus encore que dans le tome 1, ce cycle se révèle très supérieur à celui qui a fait connaître l’autrice en France, Mémoires, par lady Trent.

Envie de soutenir le blog ? 

Ce livre vous intéresse, vous êtes client d’Amazon et souhaitez soutenir le blog ? Passez par un des liens suivants pour votre achat, cela ne vous coûte strictement rien de plus !

Acheter en version papierversion Kindle

Si vous lisez sur Kindle, vous pouvez également soutenir le blog en vous inscrivant pour un essai gratuit de l’abonnement Kindle, via ce lien, et si vous audiolisez, vous pouvez aider le Culte en essayant gratuitement Audible via ce lien.

***

Retour à la page d’accueil

Chasing Graves – Ben Galley

6

Apophis Fantasy !

chasing_gravesBen Galley est un auteur britannique de Fantasy et de Weird West résidant au Canada et plutôt prolifique, avec une douzaine d’ouvrages au compteur en à peine une décennie. Bien qu’il travaille aussi avec le circuit traditionnel de l’édition, c’est surtout un expert en matière d’auto-publication, un domaine dans lequel il conseille d’ailleurs d’autres auteurs. Alors que son roman le plus connu, The written, était inspiré par les mythes nordiques, sa trilogie Chasing Graves (qui présente la particularité d’avoir été entièrement écrite avant même que le premier livre ne sorte) est, elle, bâtie sur des fondations égyptiennes, ce qui, quand on a comme pseudonyme Apophis, ne peut qu’attirer l’œil. J’avais donc acheté le tome inaugural et éponyme et avait prévu de le lire tranquillement début 2021, quand, il y a quelques jours, l’auteur a décidé très généreusement d’offrir l’intégralité de la trilogie en version électronique. J’ai donc décidé d’avancer ma lecture du tome 1 puisque du coup, disposant des deux autres, s’il me plaisait je pouvais envisager de boucler le cycle assez rapidement. Je vous signale d’ailleurs que si ce dernier n’est plus gratuit au moment où je rédige ces lignes, c’est tout comme : on la trouve en version dématérialisée à… 0.99 euros. Pour les trois livres, soit 1052 pages !

Ce tome 1 s’étant révélé très prometteur, je vous proposerai la critique au minimum du tome 2 à l’avenir. Et je suis d’autant plus curieux de connaître la suite que Chasing graves se termine sur une énorme révélation concernant un des trois protagonistes et un gros cliffhanger concernant un autre. Lire la suite

Queen of the conquered – Kacen Callender

7

Un contexte très original, une grande richesse thématique, une fin très réussie… mais un roman poussif

queen_of_the_conqueredKacen Callender est un auteur de fiction et de Fantasy qui écrit aussi bien de la littérature jeunesse que Young Adult et, à compter du roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Queen of the conquered, adulte. Vous le savez, je suis extrêmement méfiant envers ces auteurs avant tout YA qui décident de passer à la Fantasy ou la SF adulte, car au moins au début, les scénarios, les univers, les personnages ou le ton manquent, selon mes critères, de solidité. Rien de tel ici, ce qui n’est pas si étonnant puisque apparemment, même dans les registres jeunesse / YA, Callender proposait déjà, par exemple, des personnages franchement nuancés et des situations non dépourvues de dramaturgie.

L’auteur est originaire de l’île de Saint-Thomas, une des trois qui constituent les îles Vierges des États-Unis, dans les Antilles. La précision n’a rien d’anecdotique, car cette caractéristique a eu un impact capital sur l’écriture de son roman : dans notre Histoire réelle, cet archipel a été colonisé par les Danois et n’a été vendu aux USA qu’en 1917 ; dans le monde imaginaire créé par Callender, un archipel de claire inspiration caribéenne a été colonisé par les Fjern, transparente allégorie des danois. La seule différence est que, voulant dénoncer l’esclavage en plus du colonialisme, l’auteur a remplacé les populations caribéennes natives par des noirs.

Un mot sur la couverture, puisqu’on m’en a parlé même avant la publication de cette critique : elle est certes esthétique (dans le même registre, je signale aussi que la carte de l’archipel est très réussie), mais elle a surtout été conçue de façon très astucieuse ; en effet, on y voit quatre éléments qui ont une importance capitale dans l’intrigue, à savoir une femme noire, vêtue de blanc, avec des fleurs et un serpent. Si je vous précise que le blanc est réservé aux dirigeants Fjern, qui sont normalement tous caucasiens, vous commencez à vous douter que du coup, l’héroïne de couleur de Callender est bien peu banale. Et vous aurez raison !

Si, donc, sur le plan de l’originalité de l’univers et de la profondeur des thématiques, ce roman est admirable, sur un pur plan littéraire, en revanche, le résultat est nettement moins convaincant, hélas, au moins sur certains plans. Cela ne m’empêchera pas de lire la suite (ce n’est que la première partie d’un diptyque, Islands of blood and storm, dont la seconde sort début décembre 2020), mais cela devrait vous interpeller si vous hésitez à le lire : si c’est pour le fond et l’exotisme de l’univers par rapport aux standards de la Fantasy, vous pouvez y aller, sinon je vous recommande de lire attentivement ma critique ou celles des anglo-saxons avant de vous lancer. Lire la suite

Race the sands – Sarah Beth Durst

12

Cœur de lionne

race_the_sandsJe vous parle souvent, sur ce blog, de premiers romans d’écrivains anglo-saxons de Fantasy, qui appartiennent le plus souvent à des trilogies / cycles. Eh bien aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas, car Sarah Beth Durst, autrice de Race the sands, signe un livre qui est à la fois un stand-alone et son vingtième ouvrage, si j’ai bien compté (parmi eux, on trouve à part égale des bouquins pour adultes, adolescents et enfants). Vu cette toute dernière information, vous devez donc vous demander si Race the sands relève du YA ou pas : la réponse n’est pas évidente, car si il y a effectivement un parfum de ce registre littéraire qui flotte sur ce livre, notamment dans l’évolution de l’intrigue (extrêmement prévisible) et des personnages (la plupart, du moins), cela ne doit pas occulter un worldbuilding très soigné et inhabituel et peut-être surtout une inoubliable protagoniste principale, Tamra. Ce roman m’en rappelle un autre, à savoir Les dragons de sa majesté de Naomi Novik, dans le fait qu’on puisse éventuellement le classer en YA mais que ça n’enlève pas son intérêt (et sa lisibilité) pour un lecteur adulte / habitué à la Fantasy adulte.

Notez aussi qu’outre un worldbuilding aussi peu inspiré que possible par l’Europe médiévale, ce roman a un autre intérêt : il me paraît être un très bon exemple d’Hopepunk, ce courant ayant émergé en 2017 et qui se veut être un anti-Grimdark, à savoir une SFFF positive. Au final, si on passe outre une intrigue honteusement prévisible (ce qui ne généra de toute façon qu’un lecteur adulte et / ou expérimenté) et un ton parfois à l’extrême limite du mièvre, on se retrouve avec un bouquin tout à fait recommandable, même pour quelqu’un d’aussi exigeant que votre serviteur, et en tout cas plus qu’un livre qui opère dans un registre similaire, Empire of sand. Lire la suite

Le dernier vœu – Andrzej Sapkowski

40

Sympathique à défaut d’être inoubliable

witcher_1_V2Aussi étonnant que cela puisse paraître, étant donné l’aura des livres du cycle Sorceleur (The Witcher dans la version anglaise) et des jeux vidéos qui en ont été tirés (j’en profite pour préciser que contrairement à une croyance répandue, les bouquins ne sont pas des novélisations des jeux mais les précèdent), je n’avais jamais, jusqu’ici, lu une seule ligne de cette saga. C’est encore plus singulier quand on sait que je suis très curieux vis-à-vis de toute SFFF qui ne provient ni de la Francophonie, ni du monde anglo-saxon (et il y a du bon dans le lot : Liu Cixin, Javier Negrete, etc), et que je suis de la même origine (polonaise, par mon père) qu’Andrzej Sapkowki, le créateur de cet univers, ce qui fait que j’aurais dû y jeter au moins un coup d’œil. Mais alors que la série télévisée arrive (le 20 décembre) et qu’on sait déjà qu’elle est renouvelée pour une deuxième saison, il était plus que temps de réparer cette lacune.

Notez que je me suis fié à la numérotation adoptée par Bragelonne, basée sur la chronologie interne de l’univers et pas sur l’ordre de parution polonais. J’ai donc commencé ma découverte du cycle par Le dernier vœu, un fix-up de six nouvelles reliées par des intermèdes servant de fil rouge, et pas par le premier roman publié, Le sang des elfes.

Je ressors de cette lecture assez étonné par la réputation de ce cycle, qui, sur la base de la lecture de ce premier tome, doit plus tenir à la qualité des jeux que des livres. Le dernier vœu n’est pas mauvais, hein, mais entre un bouquin passable et un chef-d’oeuvre, il y a un gouffre. Et pourtant, on peut, je pense, difficilement me qualifier d’élitiste en matière de Fantasy, étant plutôt bon public. Par contre, c’est sans doute moins stéréotypé qu’on a pu le dire, et ça reste un moment de lecture agréable, à défaut d’être inoubliable. Même s’il faut se garder des jugements hâtifs : si j’étais, par exemple, resté sur mon impression de Premier sang de Joe Abercrombie, j’aurais sans aucun doute eu une appréciation du cycle dont il fait partie très différente de celle obtenue en lisant les deux autres tomes. Lire la suite