Queen of the conquered – Kacen Callender

Un contexte très original, une grande richesse thématique, une fin très réussie… mais un roman poussif

queen_of_the_conqueredKacen Callender est un auteur de fiction et de Fantasy qui écrit aussi bien de la littérature jeunesse que Young Adult et, à compter du roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Queen of the conquered, adulte. Vous le savez, je suis extrêmement méfiant envers ces auteurs avant tout YA qui décident de passer à la Fantasy ou la SF adulte, car au moins au début, les scénarios, les univers, les personnages ou le ton manquent, selon mes critères, de solidité. Rien de tel ici, ce qui n’est pas si étonnant puisque apparemment, même dans les registres jeunesse / YA, Callender proposait déjà, par exemple, des personnages franchement nuancés et des situations non dépourvues de dramaturgie.

L’auteur est originaire de l’île de Saint-Thomas, une des trois qui constituent les îles Vierges des États-Unis, dans les Antilles. La précision n’a rien d’anecdotique, car cette caractéristique a eu un impact capital sur l’écriture de son roman : dans notre Histoire réelle, cet archipel a été colonisé par les Danois et n’a été vendu aux USA qu’en 1917 ; dans le monde imaginaire créé par Callender, un archipel de claire inspiration caribéenne a été colonisé par les Fjern, transparente allégorie des danois. La seule différence est que, voulant dénoncer l’esclavage en plus du colonialisme, l’auteur a remplacé les populations caribéennes natives par des noirs.

Un mot sur la couverture, puisqu’on m’en a parlé même avant la publication de cette critique : elle est certes esthétique (dans le même registre, je signale aussi que la carte de l’archipel est très réussie), mais elle a surtout été conçue de façon très astucieuse ; en effet, on y voit quatre éléments qui ont une importance capitale dans l’intrigue, à savoir une femme noire, vêtue de blanc, avec des fleurs et un serpent. Si je vous précise que le blanc est réservé aux dirigeants Fjern, qui sont normalement tous caucasiens, vous commencez à vous douter que du coup, l’héroïne de couleur de Callender est bien peu banale. Et vous aurez raison !

Si, donc, sur le plan de l’originalité de l’univers et de la profondeur des thématiques, ce roman est admirable, sur un pur plan littéraire, en revanche, le résultat est nettement moins convaincant, hélas, au moins sur certains plans. Cela ne m’empêchera pas de lire la suite (ce n’est que la première partie d’un diptyque, Islands of blood and storm, dont la seconde sort début décembre 2020), mais cela devrait vous interpeller si vous hésitez à le lire : si c’est pour le fond et l’exotisme de l’univers par rapport aux standards de la Fantasy, vous pouvez y aller, sinon je vous recommande de lire attentivement ma critique ou celles des anglo-saxons avant de vous lancer.

Univers *

* Kai Tangata, Alien Weaponry, 2018.

Dans un monde secondaire, il existe un archipel tropical dont le nom indigène a été oublié depuis qu’un beau jour, il y a des siècles, des hommes blancs venus du nord lointain, les Fjern, ont débarqué pour coloniser l’endroit. Depuis, cette douzaine d’îles (séparées les unes des autres par seulement quelques heures de voyage, le plus souvent) est connue sous le nom d’Hans Lollik. Les Fjern sont originaires d’une nation nordique, le Koninkrijk. Bien qu’ils aient d’autres possessions coloniales ailleurs, ils ne représentent cependant que le plus petit des empires (tout comme dans notre propre Histoire, la colonisation danoise était loin d’égaler celle des anglais, des espagnols, des portugais, des français, des néerlandais, etc), et probablement un des plus oppressifs.

Les insulaires, noirs (voir ma remarque dans l’introduction de cet article), sont l’objet d’un profond racisme de la part des colons blancs (dont l’auteur donne d’innombrables exemples au cours du récit) : ils sont qualifiés de sous-humains, on les décrit comme moins intelligents que les blancs, incapables de penser et de ressentir comme les vrais humains, comme des bêtes, des créatures, des monstres. Pour la loi Fjern, la couleur de leur peau ne fait pas d’eux des humains (dans la religion Fjern, c’est une marque montrant à quel point ils sont mauvais, ce qui fait qu’on doit leur montrer la voie vers la rédemption via l’obéissance absolue envers le colonisateur), des personnes, mais uniquement des biens, des esclaves. L’Histoire, la culture, la langue, la religion, jusqu’aux noms d’origine des douze îles ont été annihilés et remplacés par ceux des envahisseurs. Bien pratique quand on sait que leur mandat pour s’emparer de l’archipel et mettre en esclavage ses populations serait de droit divin ! Les insulaires sont traités avec une cruauté absolue par les Fjern (de fait, depuis l’invasion, il y a plusieurs siècles, la moitié de la population initiale de l’archipel a été annihilée) : ils sont fouettés, battus (les enfants y compris…) ou pendus au moindre prétexte, les enfants sont séparés de leurs parents et vendus comme esclaves dès que possible, hommes comme femmes… et enfants peuvent être « réquisitionnés » pour assouvir les désirs sexuels malsains des maîtres (et maîtresses), un esclave pris à lire (ce qui est interdit) a un œil crevé en punition, en cas de révolte même des esclaves n’ayant pas participé sont massacrés (tactique de terreur), et j’en passe. L’auteur ne nous épargne strictement rien (ce qui, à la base, est pertinent, même s’il en fait à mon avis beaucoup trop : voir plus loin). Et cela commence très, très tôt dans le roman : dès la première page, une famille entière est massacrée ! À l’heure où le Hopepunk monte de plus en plus en puissance, Callender nous propose un livre qui, dans son genre, est aussi Grimdark que We are the dead.

La colonie est dirigée depuis l’île centrale de Hans Lollik Helle par un Konge (Régent / Vice-Roi), et chacune des autres par une dynastie Fjern. L’ensemble des Fjern les plus puissants forme le Kongelig, le conseil « royal ». Il faut dire que l’exploitation des cultures, notamment de canne à sucre et de tabac, est extrêmement rémunératrice, même si elle ne se fait qu’au prix de la sueur et du sang des esclaves insulaires. D’ailleurs, on ne trouve que des plantations sur ces îles, ni villages et encore moins des villes. On a plus affaire à un camp de travail sous les palmiers qu’à autre chose.

Bon point pour Callender : l’originalité du contexte caribéen, sachant qu’il s’agit d’une fantasy à monde secondaire (imaginaire). Des bouquins se déroulant sur des allégories d’îles tropicales polynésiennes, il y a un certain nombre, pour ne pas dire un nombre certain, dans le genre, mais quelque chose inspiré par la colonisation danoise des îles Vierges américaines, c’est (à ma connaissance, du moins) une première. Mauvais point, par contre : en toute logique, le niveau de technologie aurait dû être post-médiéval, avec des galions munis de canons et des arquebuses. Or, on se bat exclusivement à l’épée / la machette, et les navires ont plus l’air d’être des drakkars (ou en tout cas des bateaux bien plus primitifs qu’un galion type Christophe Colomb) qu’autre chose. Il y avait là l’occasion de faire le triple combo Fantasy post-médiévale / extra-européenne / engagée, il est raté et c’est franchement regrettable. De plus, cela place ce cycle dans une position assez singulière en matière de Colonial Fantasy. Et c’est d’autant plus dommage qu’à un moment, il y a un passage assez fascinant sur un personnage Fjern qui fait des expériences scientifiques pour voir si le Kraft, qu’il pense situé dans le sang, peut être transféré avec celui-ci d’une personne à l’autre (ou plutôt, dans son cas, d’une souris à l’autre), et mentionne des recherches universitaires sur l’effet potentiel de certaines plantes sur le Kraft.

Magie

Certains individus sont dotés du Kraft (tout simplement le mot danois « pouvoir »), un don magique (divin ?) qui peut prendre différentes formes (télépathie, causer la peur, la douleur, ressentir tout ce qu’une autre personne ressent et perçoit, générer des illusions, etc). Il apparaît aux alentours de la puberté, et son intensité décroit au fur et à mesure qu’on approche de l’âge adulte. Ses règles d’apparition sont mystérieuses, puisque même si ses deux parents ont ce don, un enfant n’est absolument pas certain d’en hériter (le généticien en moi vous dira que la transmission n’est apparemment pas génétique, justement, même pas par des gènes récessifs).

Sur Hans Lollik, c’est supposé être un don des esprits ancestraux. Les indigènes qui possèdent le Kraft sont mis à mort par les Fjern dès que leur pouvoir est découvert, car c’est supposé être un don… des dieux du Nord, dont on voit mal, dès lors, pourquoi ils en feraient don aux esclaves, pas vrai ? De plus, en réservant la possession du Kraft aux Fjern, on fusionne pouvoir magique et temporel / sociétal / matériel.

Dans l’intrigue, donc, les seuls personnages qui ont le droit de posséder ce genre de pouvoir sont les Kongelig.

Scénario et personnages : intrigues de cour et whodunit *

* A corpse without soul, Mercyful Fate, 1982 (dédicace à Léon  😉 ).

Dans certains romans, il faut bien distinguer les termes héroïne et protagoniste. Queen of the conquered en fait partie. Pourquoi ? Parce que Callender a réalisé, à sa grande stupéfaction, que certaines personnes de couleur ont, dans l’Histoire réelle, possédé des esclaves, et ont donc infligé des souffrances à leur propre peuple. Il a donc voulu à la fois explorer la thématique de la personne noire privilégiée qui possède des esclaves et le fait de rendre son personnage principal antipathique. Cependant, il faut aussi que la lectrice ou le lecteur puisse s’intéresser suffisamment à lui pour avoir envie de continuer à suivre ses aventures (si j’en juge par ce que j’ai vu sur Goodreads, cela n’a clairement pas été le cas pour tout le monde…). Il a donc bâti méticuleusement le background et la psychologie de Sigourney, sa protagoniste, afin de remplir ces objectifs en apparence contradictoires.

Sigourney, donc, est la benjamine de la famille Rose (d’où les fleurs sur l’illustration de couverture), qui règne sur l’île Rose Helle (toutes les îles de l’archipel sont nommées d’après la dynastie régnante). La particularité de cette lignée est qu’à un moment donné, un noble Fjern a eu un enfant avec une insulaire, ce qui fait que Sigourney, ses deux sœurs, son frère, son père et sa mère sont noirs… et nobles (d’où le fait que la femme représentée sur la couverture est de couleur et vêtue de blanc, la couleur des seigneurs dans l’archipel). Vu qu’il est insupportable pour les autres nobles Fjern (donc blancs) que des personnes de couleur, jugées comme inférieures, soient à la fois riches, influentes et libres (et pire encore, qu’elles les dirigent), ils organisent le massacre des Rose (ce n’est pas un spoiler, cela se déroule littéralement dans la toute première page du texte). Sauf que grâce à deux esclaves, Sigourney, six ans à l’époque, parvient à s’enfuir. Grâce au silence d’un cousin de la famille Lund (au passage, à un autre moment, on nous dit que c’est un oncle, ou alors je me suis mélangé les pinceaux, mais passons…), et à ses fonds, elle prend le pseudonyme de Sigourney Lund et voyage pendant des années avec son esclave Marieke dans les empires nordiques, où elle peut constater que dans d’autres régions du monde, les personnes de couleur sont aussi libres que les Fjern. Callender va nous décrire, via des flashbacks insérés dans le gros du texte, quelques-uns des événements de cette époque.

Quelques années plus tard, elle va revenir dans l’archipel, et concevoir le plan de s’emparer de la Régence afin d’avoir assez de pouvoir pour libérer son peuple, ce qui était plus ou moins déjà le projet de sa défunte mère, qui était très respectée et aimée par les insulaires. Ce qui n’est pas du tout le cas de Sigourney : les autres membres de « son » peuple ne la voient justement pas comme une insulaire… mais comme une Fjern, comme un maître, un oppresseur. Sans compter qu’elle est trop noire pour les uns et trop métisse pour les autres. On la perçoit comme une privilégiée, qui prétend vouloir donner la liberté mais n’a affranchi qu’un seul esclave, Marieke. Une maîtresse qui, certes, évite les exécutions pour le moindre prétexte pratiquées par les autres nobles, mais qui n’hésite pas à faire donner le fouet, à écraser les rébellions, et à forcer certains de ses gardes à partager sa couche. Et qui surtout, a des motivations (même pour le lecteur) fort ambivalentes : par exemple, quand elle se projette dans un futur hypothétique où elle aurait pris le pouvoir, elle se dit que sans esclaves, l’économie florissante de l’archipel va péricliter, et que sans conscrits, il sera vite vulnérable à une invasion… Le lecteur s’apercevra aussi qu’elle dit et répète sa haine des Fjern, mais que fondamentalement, elle veut leur ressembler, s’approprier leur pouvoir, obtenir leur approbation, être vraiment un de leurs pairs. Bref, nous avons affaire à quelqu’un de très ambivalent, un personnage qui est encore au-delà de l’antihéroïne (qui ferait le bien mais par de mauvaises méthodes). Elle se persuade qu’elle a de nobles motivations, mais fondamentalement, elle veut massacrer les meurtriers de sa famille et régner en maîtresse absolue à la place des Fjern (d’ailleurs, c’est vrai qu’il n’y a pas assez de romans basés sur la vengeance en SFFF, ça manquait, merci Kacen d’avoir pallié ce, hum, « manque »…).

Je suis d’ailleurs allé un peu vite en besogne, puisque la dynastie Rose ayant été détruite, vous devez vous demander comment elle a un statut, un domaine, un peuple, etc. Il se trouve qu’à son retour du Septentrion, il lui fallait, pour accomplir ses desseins machiavéliques, un titre d’Elskerinde (mot danois pour « Maîtresse », ici à prendre également dans le sens de Dame / Lady / Seigneur / propriétaire terrien – de plantation féminin), et que ne pouvant pas utiliser celui des Rose (sous peine de voir les assassins de sa famille revenir à la charge), elle s’est emparée de celui des Lund en tuant grâce à un poison… le parent qui l’avait aidée, gamine. Quand je vous dis qu’on a affaire à une saloperie… Et encore ce n’est pas fini, puisque pour pouvoir accéder à l’entourage de Konge (vice-roi / régent) Valdemar, elle doit se faire épouser par l’héritier de la famille Jannik. Et pour ce faire, elle va, pendant des années, utiliser son Kraft (télépathie / contrôle mental dans le cas de Sigourney, pour résumer) pour effacer les souvenirs de sa mère, une vieille femme mourant à petit feu, et instiller en elle une seule pensée : que Sigourney Helle ferait une bonne épouse. Vous comprenez sans doute mieux, dès lors, la présence du serpent sur la couverture…

Au point où l’intrigue (narrée à la première personne du singulier) démarre vraiment, Sigourney, vingt ans, a réussi son coup, et elle est invitée à passer la saison des tempêtes sur Hans Lollik Helle, l’île royale. Et il était temps, vu que le régent Valdemar, âgé, doit désigner son successeur à la fin de cette période. Déjà en temps normal, cette période de quasi-réclusion est le prétexte à régler ses vendettas et à avancer ses pions sur l’échiquier politique en faisant tout simplement assassiner ses ennemis et rivaux. À tel point qu’une ou deux morts lors de chaque saison des tempêtes relève de la « tradition », que régler ses comptes sans se faire prendre est assimilé à un « jeu ». Sauf que cette fois-ci, les choses dérapent mais alors carrément : les morts se multiplient, et d’une histoire de (dé)colonisation mâtinée d’intrigues de Cour, le récit bascule dans un quasi-Whodunit. Sans compter le fait que le pouvoir télépathique de Sigourney lui révèle très rapidement qu’il y a quelque chose de très bizarre avec le régent, un deuxième mystère à résoudre en plus de celui de l’identité de l’assassin…

Analyse et ressenti

Premier point : je ne vous ai pas tout dit (Je ne vous ai pas parlé de tout parce qu’un autre personnage apparaît à un certain stade de l’intrigue, et que c’est lui qui est le véritable protagoniste). Évidemment pas sur la fin, qui est fort surprenante (j’avais échafaudé deux hypothèses différentes qui se sont révélées toutes deux complètement fausses. Et pourtant, la vérité est d’une parfaite logique) et extrêmement réussie. Tout comme la mise en place de l’intrigue, d’ailleurs. Le problème étant qu’entre les deux, le milieu est beaucoup trop long, bien trop peu rythmé, plein de redites (Callender multiplie les exemples de cruauté des Fjern à un point tel que cela en devient contre-productif en délayant l’impact du message dans un texte trop long et mou, et répète encore et encore et encore ET encore et encore à quel point le pouvoir mental de Sigourney lui permet de ressentir la haine et le mépris des autres, Fjern comme insulaires, à son égard, et quels sentiments cela provoque en elle, et comment en fait, au bout du compte elle va faire le bien de son peuple, et bla bla bla), de passages parfois assez confus (la dimension onirique est importante, et certaines fois, ni Sigourney ni le lecteur -ce qui est beaucoup plus ennuyeux- ne savent si un événement a été fantasmé ou s’il est réel : dans la plupart des cas, la vérité apparaît rapidement, mais à une reprise, j’ai été complètement perdu pendant plusieurs pages), voire difficiles à avaler (la survie d’un personnage, à un moment donné, n’a aucune espèce de logique).

Et c’est là qu’est mon autre problème majeur avec ce roman (à part, donc, ce souci de rythme) : pour pouvoir développer ses thématiques liées au racisme et au colonialisme tout en exploitant son personnage de noir privilégié possédant des esclaves (je reprends les propres mots employés par Callender dans la postface), l’auteur nous en demande beaucoup en terme de suspension d’incrédulité, parce que d’après les règles édictées par les Fjern et leur application tout à fait inconditionnelle et impitoyable de ces dernières (ils sont connus dans le monde entier pour cela, comme le précise pourtant clairement l’auteur), certains points-clefs de l’intrigue ne tiennent pas debout. Cela ne fait pas de Queen of the conquered un roman mauvais ou inintéressant, mais si le fond est clairement intéressant, l’intrigue (à part une fin magistrale) et le style (trop chargé en répétitions de concepts / sentiments déjà évoqués et trop peu rythmé) justifient à mon avis sans peine la note très mitigée de ce bouquin sur Goodreads.

Et ce d’autant plus qu’il doit y en avoir au moins un ou deux parmi vous (oui, je suis optimiste, je sais…) qui s’est fait la réflexion que : insulaire qui cherche à s’insérer dans le système des colonisateurs pour libérer son peuple + début et fin très réussis mais gros ventre mou au milieu + énormissime, ouffissime, EPICO-MINDBLOWING coup de théâtre final = The traitor Baru Cormorant. Sauf que tout compte fait, pour moi le livre de Seth Dickinson atomise celui de Kacen Callender, que ce soit au niveau de la profondeur, de la cohérence de l’intrigue ou de l’ambivalence du personnage principal qui reste malgré tout attachant. Parce que bon, là, j’avais limite hâte que Sigourney se prenne une machette dans la nuque.

Autre défaut majeur, selon moi, est le fait que le pouvoir télépathique de Sigourney lui permette d’absolument tout savoir, depuis les souvenirs jusqu’aux pensées actuelles et aux plans futurs, de son interlocuteur. Du coup, l’auteur nous déballe littéralement le CV de ce dernier, les souffrances infligées / reçues (selon le fait que le personnage soit un Fjern ou un insulaire), ses plans machiavéliques, et j’en passe, et ce déballage incessant d’informations dont on prend connaissance mais sans vraiment les vivre est extrêmement lassant, à force.

Dernier défaut, mais là aussi non des moindres : le fait que TOUS les personnages sans la moindre exception ou quasiment (Beata, peut-être…) se haïssent, se méprisent, se méfient les uns des autres, veulent la mort les uns des autres. C’est une ambiance très pesante, à la longue, même pour un lecteur particulièrement féru de Dark Fantasy comme moi. C’est là qu’on s’aperçoit que des auteurs comme Abercrombie ou Brust peuvent faire passer les pires horreurs et les plus fieffés salopards tout simplement parce qu’à un moment donné, dans leurs livres, il y a de l’humour, une oasis où le lecteur peut respirer. Et ça, Kacen ne sait pas faire. Du tout. Ce qui explique qu’entre l’atmosphère pesante, le rythme lent et les trucs que l’auteur répète en boucle vingt fois, j’ai mis presque une semaine à lire un roman qui, sur le papier, aurait dû ne m’occuper que quatre jours. Malgré toutes ses indéniables qualités (Fantasy engagée, anticolonialiste, anti-raciste, etc), difficile, donc, pour moi d’être complètement enthousiaste à son sujet, du moins pas sur tous les plans.

J’étais aussi parti pour déplorer le manque de nuance (même chez les pires peuples de salopards dans l’Histoire, il y a toujours eu des « Justes »), mais à bien y réfléchir, la protagoniste, à la fois descendante et maîtresse d’esclaves, me paraît compenser cela à elle toute seule.

Point très appréciable par contre : on ne trouve aucune « scorie » Young Adult là-dedans. Non seulement c’est un livre extrêmement noir et dur (à un moment, un des seuls personnages réellement sympathiques subit un sort aussi brutal que cruel), non seulement bien des personnages sont très complexes et ambigus sur le plan psychologique, mais en plus Callender se fout carrément de la naïveté et des contes de fée auquel croit la jolie Beata, le seul être pur au milieu de salopards, qu’ils soient Fjern ou insulaires, plus cyniques et pourris les uns que les autres. Sigourney, elle, ne croit pas en l’amour, n’est pas excitée par le mariage, et se contente très bien de sexe sans affection, merci.

Comme je le disais, la fin est extrêmement réussie, et augure d’une seconde partie de diptyque motivante (à condition que le rythme soit mieux géré…). Je signale aussi un paratexte conséquent, formé par une interview de Kacen Callender (très intéressante pour découvrir les intentions de l’auteur), le début du tome 2 (que je n’ai pas lu pour ne pas me spoiler) et un long extrait d’un roman qui est très proche par certains côtés de celui-ci (et pas du tout sur d’autres), The court of broken knives.

Niveau d’anglais : aucune difficulté.

Probabilité de traduction : je n’y crois pas trop. C’est trop sombre en terme d’ambiance, trop mou et avec une protagoniste trop antipathique pour attirer un large lectorat, même si le côté anticolonial et antiraciste peut faire pencher la balance.

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7 réflexions sur “Queen of the conquered – Kacen Callender

  1. J’avoue que je n’étais même pas allé voir de quoi parlait ce livre parce que pour moi la couverture était trop typique des livres de fantasy YA pour ne pas en être.
    Du coup j’ai été très surprise de le voir apparaître ici.

    Les avis sont assez mitigés de ce que j’ai pu voir, donc pas sur que j’ai envie de le tenter un jour, mais je le note quand même dans un coin.

    J’aime

    • J’ai eu la même réaction initiale, mais j’ai lu plus tard un article soulignant l’originalité du contexte inspiré par la colonisation danoise dans les Antilles. Du coup, je me suis un peu plus renseigné, et j’ai vu qu’il y avait un large consensus sur le fait qu’il ne s’agissait pas de YA. Et pour ce qui est de la couverture, comme je l’explique dans l’article, elle fait sens quand on a lu le bouquin. Comme quoi, et même si ça m’arrive à moi aussi, il ne faut jamais juger un livre à sa couverture.

      Aimé par 1 personne

  2. Le contexte a l’air cool effectivement. Je sais pas si je le lirai…

    Mais maintenant j’ai envie de lire une fantasy dans un univers d’inspiration polynésienne, ce qui rejoint aussi la musique que tu m’avais envoyée (alien weaponry) XD

    Aimé par 1 personne

  3. Ping : Apophis Box – Novembre 2021 | Le culte d'Apophis

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