Les enfermés – John Scalzi

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Le roman de la maturité littéraire

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John Scalzi a jusqu’ici publié deux types assez distincts de romans : d’une part une série de SF militaire (Le vieil homme et la guerre), et d’autre part des romans de SF isolés, ayant pour la plupart une particularité les distinguant de la SF standard : relever de la science-fantasy (Deus in machina) ou de l’humour, voire la parodie (Redshirts, Imprésario du troisième type). Rien de tel ici, et on comprend, dès la quatrième de couverture, que le désopilant ne va pas vraiment être de la partie. Cela ne veut pas dire que l’humour est absent, mais que le ton général est autre. Après tout, on parle d’une effroyable pandémie et on suit une enquête pour meurtre…

Signalons qu’un second texte est proposé à la suite du roman, dans lequel de nombreux narrateurs détaillent les événements à l’origine du nouveau monde décrit dans le livre. Ce texte, très vivant et d’une richesse exceptionnelle en terme de worldbuilding, est un gros plus par rapport au roman, qu’il complète efficacement (j’en reparle en fin de critique). Lire la suite

Le guide Howard – Patrice Louinet

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Un bon livre sur Howard, mais un guide assez insuffisant pour qui cherche à découvrir son oeuvre

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Après l’excellent Guide de l’Uchronie, je m’attaque à un autre de ces guides thématiques SFFF créés par ActuSF, celui consacré à Robert E. Howard, le créateur (entre autres) de Conan. Ce livre bénéficie d’une grosse réputation, notamment celle de tordre le cou sans ménagement à nombre d’idées reçues sur l’auteur Texan et son oeuvre (Patrice Louinet est un spécialiste de cette dernière et le traducteur français des éditions récentes consacrées à l’écrivain). De fait, l’auteur de ce livre prévient dès l’introduction : il va se détacher de la neutralité des autres guides, et le sien sera militant. Il ne supporte pas, notamment, les réécritures de textes (vous avez cru lire du Howard ? Il n’en est rien, ou si peu…) et les contre-vérités propagées sur Howard, et il va sans ménagement en désigner les responsables.

Alors, ce livre mérite-t’il sa réputation ? C’est ce que nous allons voir.  Lire la suite

Kane – Intégrale 2 – Karl Edward Wagner

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La sword & sorcery qu’aurait pu écrire… Lovecraft !

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Je ne vais pas revenir sur les particularités du personnage, du cycle (et de sa place dans la Sword & Sorcery et plus généralement dans la Fantasy old-school) ou de l’univers, si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, je vous invite à consulter ma critique du tome 1 de l’intégrale.

Après un excellent tome 1 (comprenant deux romans magistraux), ce second volet de l’intégrale des aventures de Kane allait-il être à la hauteur de son prédécesseur ? Il comprend le troisième et dernier roman complet du cycle, Le château d’outrenuit, ainsi que six nouvelles (dont deux frôlent les 70 pages). Nous allons les examiner tour à tour, avec à chaque fois un résumé ainsi que mon sentiment les concernant. Ce qu’on peut toutefois d’ores et déjà dire, c’est que Karl Edward Wagner est largement aussi à l’aise dans le format court des nouvelles que dans celui, long, des romans.  Lire la suite

Les portes de la maison des morts – Steven Erikson

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Tel est pris qui croyait prendre

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(Cet article concerne l’édition Calmann-Lévy de ce roman ; pour l’édition Leha, voir ici).

Malgré un titre qui est la traduction de Deadhouse Gates, second tome du cycle du Livre Malazéen des glorieux défunts, et une couverture française qui signale que ce livre est précisément cela, il ne s’agit en fait que d’une partie du tome 2 de la VO (c’est bon, vous suivez ?). Pour lire la totalité de ce dernier, il vous faudra Les portes de la maison des morts plus La chaîne des chiens, ce dernier étant fort improprement dénommé tome III du cycle par l’éditeur français alors qu’il ne s’agit en fait que du 2.5. Les maisons d’édition françaises commencent à me fatiguer sérieusement à couper tout ce qui dépasse 650 pages dans la VO en deux tomes, ça devient pénible à force et ça génère tout un tas de confusions. Je suis bien conscient que ça présente aussi certains avantages pour le lecteur français (des traductions qui arrivent plus vite, moins d’argent dépensé si finalement le tome 1 ne plaît pas, etc), mais par le Saint Gritche, que c’est lourd ensuite à décanter pour essayer de déterminer quel élément de la VF correspond à la VO…

Je ne vais pas revenir sur les (nombreuses) particularités du cycle, si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, je vous invite à vous reporter à la critique du tome 1. Mais entrons plutôt dans le vif du sujet (je précise qu’à partir de maintenant, si je parle de tome 2 ou 3, il s’agira de ceux de la VO, je ne compte pas adopter la numérotation de l’éditeur français : pour désigner le tome III de la VF, j’emploierai désormais l’expression tome 2.5).  Lire la suite

L’ombre de Saganami – David Weber

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Une sorte de best-of des premiers tomes de la saga principale, une série dérivée quasi-indispensable à la compréhension des tomes 11 et plus de cette dernière

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Il s’agit du premier livre d’une seconde série dérivée du cycle Honor Harrington, après La couronne des esclaves qui inaugure le cycle dérivé du même nom (c’est bon, vous suivez ?). Cette seconde série dérivée, donc, connue en anglais sous le nom de Saganami, comprend pour le moment trois tomes, dont les deux premiers ont été coupés en deux livres chacun dans l’édition française. Ces 3 tomes sont donc : L’ombre de Saganami, qui nous occupe aujourd’hui, suivi de L’ennemi dans l’ombre, lui-même suivi par L’ombre de la liberté.

Comme avec toute série dérivée, et particulièrement celles d’Honor Harrington, vous vous posez probablement un certain nombre de questions, auxquelles je vais tenter de répondre le mieux possible afin de vous aider à déterminer si cet achat sera pour vous pertinent… ou pas : Lire la suite

Un feu sur l’abîme – Vernor Vinge

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Un roman de référence sur le thème de la Singularité… et pour cause

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Vernor Vinge est un professeur de mathématiques (désormais en retraite), un expert de haut niveau en matière d’informatique, et un des grands noms du mouvement transhumaniste. Son nom reste attaché à un essai paru en 1993 dans lequel il prédit, en se basant sur la Loi de Moore, l’émergence d’une super-intelligence artificielle aux alentours de 2035, un phénomène connu sous le nom de Singularité. En clair, l’émergence de cette intelligence supérieure non-humaine rend la destinée (ou la survie…) de l’humanité complètement floue, imprévisible, à partir de ce point. La Singularité a été envisagée dès les années 50, mais c’est Vinge qui l’a le mieux définie et fait connaître.

Mais Vernor Vinge est aussi un écrivain de SF, bien qu’extraordinairement peu prolifique :  4 romans seulement sont parus entre 1992 et 2011, sauf que… trois d’entre eux ont obtenu le prix Hugo, le plus prestigieux du genre. Le premier, chronologiquement parlant, de ces prix Hugo est le roman qui nous occupe aujourd’hui, Un Feu sur l’abîme. C’est une oeuvre extrêmement originale et visionnaire à de multiples niveaux, comme je vais tenter de vous le démontrer.

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Cookie Monster – Vernor Vinge

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Dixie Mae a le sentiment qu’elle n’est plus au Kansas

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Etant donné que je vais vous reparler très prochainement en détails de cet auteur, je ne vais pas vous faire sa bio dans cette critique, vous pourrez en apprendre plus sur lui, si vous ne le connaissez pas, dans celle d’Un feu sur l’abîme.

Cette histoire est ce que les américains appellent une novella (en France, nous employons plus volontiers le terme de « roman court »), c’est-à-dire un texte dont le nombre de mots est situé entre ceux d’une nouvelle et d’un roman. C’est le troisième sorti dans une nouvelle collection, Une heure-lumière, créée par Le Belial’ et tout spécialement dédiée à ce format intermédiaire, ainsi qu’à la publication de textes primés (Hugo, Nebula) mais jusqu’ici inédits.

Personnellement, je salue cette initiative : des textes de qualité, inédits, une édition soignée, de grands auteurs, un prix attractif, que demande le peuple ? De plus, j’ai la nostalgie de cette époque, lorsque j’étais adolescent, où on trouvait de courts romans (chez Pocket SF, principalement), de moins de 280 pages, en gros (et souvent de 150-220) pas chers, de qualité et lus en une après-midi pluvieuse ou une longue soirée lecture. Il y avait notamment des tonnes de Moorcock, qu’on ne trouve plus aujourd’hui à l’unité, seulement en Intégrales. Lire la suite

Marée Stellaire – David Brin

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Un incontournable de la science-fiction centrée sur les extraterrestres, un modèle de construction d’univers

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C’est avec une grande déception et une certaine tristesse que j’ai récemment fait une critique impitoyable (mais correspondant honnêtement à mon ressenti) d’un roman de David Brin, auteur que j’apprécie particulièrement par ailleurs. Pour ceux qui ne connaîtraient pas son oeuvre, il me semblait donc très important de « rééquilibrer la balance » en leur présentant son livre le plus emblématique et le plus réussi, Marée Stellaire. Sorti en VO en 1983, ce roman est titulaire à la fois du prix Hugo et Nebula, ce qui en fait, sur ce plan, l’égal de références prestigieuses comme Dune, Neuromancien ou, pour rester dans le Planet Opera, l’Anneau-Monde de Larry Niven. Il s’agit du second livre d’un cycle, dit de l’Élévation, mais c’est pour moi le véritable début de ce dernier.

Mais, allez-vous me demander, qu’est-ce qui rend ce roman si intéressant, pour ne pas dire incontournable, qu’est-ce qui en fait un des romans « cultes » d’Apophis  ? La réponse est simple : son univers. Lire la suite

Terre – David Brin

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Une anticipation en partie brillante, mais en majorité bancale (et surtout datée), des ressorts de l’intrigue complètement irréalistes, une narration trop éclatée, un livre bien trop long et ressemblant beaucoup trop à un essai et pas à un roman, un rythme très mal maîtrisé

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Avant de vous expliquer en détails pourquoi, malgré certaines qualités, je ne conseille pas ce roman, je tiens à préciser une chose importante : j’aime beaucoup David Brin et ce que j’ai lu du reste de son oeuvre. Son cycle Marée Stellaire / Élévation / Jusqu’au cœur du soleil est un modèle en matière d’univers où les races extraterrestres foisonnent et bien évidemment pour tout ce qui concerne le processus consistant à amener des animaux terrestres à une intelligence / conscience de niveau humain. J’ai juste un problème avec ce roman précis, le reste de la production de Brin est parfaitement recommandable.

Deuxième précision importante : il ne s’agit que d’une réédition en un tome unique d’un roman sorti chez nous en 1992 en deux tomes, et rédigé en réalité en 1989. Vous allez vite comprendre à quel point cette précision est importante pour juger la qualité du roman.

Ce roman est un véritable Planet Opera dont le sujet est… la Terre ! Eh oui, pas besoin d’aller sur Arrakis ou Ténébreuse pour donner dans ce genre là, la bonne vieille planète bleue peut parfaitement faire l’affaire, surtout si on change 2-3 facteurs écologiques, sociaux et technologiques clefs. Attention par contre, malgré ce que vous pourriez imaginer, ce livre ne relève pas de la Hard-SF. Oui, il y a tout un tas d’éléments qui pourraient vous faire croire le contraire, mais comme l’explique l’auteur en personne dans son interminable postface, ils sont soit complètement imaginaires (ses noeuds cosmiques et autres types exotiques de singularités), soit tellement spéculatifs (des couches supraconductrices à très haute température près du noyau terrestre) qu’en pratique, ça revient au même. Donc c’est comme le Canada Dry, ça a parfois la couleur de la Hard SF, mais ce n’en est pas.

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Inexistence – David Zindell

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Un roman qui réussit l’exploit d’être à la fois le livre qui ressemble le plus et le moins à Dune, un incontournable de la SF Transhumaniste et de la Hard-SF

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Cette critique est dédiée à mon ami Renaud, grand admirateur de Dune et de Hard-SF s’il en est. 

Vous avez aimé Dune de Frank Herbert, voire même vous lui vouez un véritable culte et vous êtes à la recherche d’un autre livre qui lui ressemble sur de multiples aspects ? Ne cherchez plus (ou plutôt si, vous allez chercher longtemps, mais pour d’autres raisons ; voir plus loin).

Inexistence est le chef-d’oeuvre de David Zindell et le tome inaugural d’un cycle de quatre romans (dont deux ont été traduits en français, le second étant coupé en deux tomes). Gene Wolfe en personne a déclaré, au sujet de Zindell, qu’il était « un des plus grands talents qui étaient apparus depuis Kim Stanley Robinson et William Gibson, peut-être même le plus grand ». L’auteur américain n’écrit pas que de la SF, puisqu’il a aussi publié un cycle de Fantasy (intégralement traduit). Après un long silence de dix ans, il a sorti, en juillet 2017, un standalone, The idiot gods, consacré aux orques (les animaux, pas la race fantastique) et à leurs ennuis avec ces idiots d’humains.

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