Drone – Neal Asher

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La naissance d’un héros

drone_asherDrone fait partie de l’énorme meta-cycle Polity (seize romans au moment où je rédige ces lignes, bientôt dix-sept), par Neal Asher. C’est un des deux seuls livres de cette saga qui a été traduit en français par Fleuve noir, en 2010. Pour des raisons de disponibilité sous forme électronique, de prix et afin de tout lire dans la même langue (je sais, d’expérience, à quel point il peut être pénible de lire certains livres en VO et d’autres en VF au sein d’un même cycle, vu qu’il faut sans arrêt établir des correspondances entre les deux langues pour les termes propres à l’univers concerné), je l’ai lu dans sa version anglaise, appelée Shadow of the scorpion.

S’il est paru sept ans après le roman inaugurant Polity, Shadow of the scorpion doit en revanche se lire en second, après Prador Moon, si on suit la chronologie interne de la saga. Il constitue un prélude à Gridlinked, premier livre du sous-cycle principal de Polity, celui consacré à l’Agent Cormac. Et il a précisément pour but de nous montrer les « origines » du personnage, comme on dit en matière de comics et de super-héros (même si nous ne sommes pas sur ce registre ici), dont la façon dont il est devenu Agent et dont il a acquis son arme emblématique.

C’est le troisième bouquin du cycle que je lis, et des trois, c’est celui qui m’a le moins impressionné. Non pas qu’il soit mauvais (c’est un bon livre, sans conteste), mais je l’ai trouvé moins nerveux ou spectaculaire que les deux autres. Je suppose cependant que je lui trouverai un tout autre intérêt dans l’éclairage qu’il apporte sur le passé de Ian Cormac une fois que j’aurai lu les autres livres qui lui sont consacrés. Ce qui ne tardera pas, Gridlinked étant programmé en décembre (2018, hein 😀 ). On remarquera néanmoins que, un peu moins axé sur l’action ou le sense of wonder, il propose plus de réflexion ou de profondeur que mes deux précédentes lectures relevant de Polity. Lire la suite

Lords of the starship – Mark S. Geston

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Dommage…

lords_of_the_starshipMark S. Geston est un auteur américain, dont Lords of the starship est le premier roman (court ; 154 pages, parfois très aérées), écrit alors qu’il était encore étudiant. Il a été publié pour la première fois en 1967. Trois autres romans, à l’aura moindre, s’inscrivent également dans le même univers. Il a été traduit en français en 1980 par Opta sous le nom Les seigneurs du navire-étoile, mais je l’ai acheté en VO, la disponibilité, la couverture et surtout le prix étant plus attractifs.

Il s’agit d’un livre sur la décadence à la fois culturelle et humaine, extrêmement noir, qui s’inscrit à la fois dans le registre post-apocalyptique et dans celui des arches stellaires. Présenté par certains comme un chef-d’oeuvre, et de fait publié dans la prestigieuse collection Gateway essentials, il se révèle effectivement solide pour un premier roman (surtout écrit par quelqu’un d’aussi jeune), mais n’en rate pas moins le coche : au bout d’un moment, et particulièrement à la fin, il s’égare dans de la Science-Fantasy, alors qu’en restant dans le pur registre SF, il aurait clairement eu plus d’impact. De plus, le ton adopté, à la limite du conte philosophique parfois, n’aide pas. Bref, sans parler de mauvais livre, j’en sors déçu, bien que sur le pur aspect des arches spatiales, il soit assez original. Lire la suite

Thin air – Richard Morgan

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Richard Morgan 2.0 (ou quasiment)

thin_air_morganAprès quelques années sans publier de roman, Richard Morgan revient nous coller quelques bastos dans le buffet avec son nouvel opus, Thin air. L’auteur, que nombre d’entre vous a découvert cette année via la série Altered Carbon, est en revanche bien connu des aficionados de SF couillue mâtinée de roman noir, et ce depuis une quinzaine d’années. Thin air se situe dans le même univers que Black Man (rebaptisé Thirteen aux USA), mais en est indépendant et peut se lire sans problème comme un stand-alone, l’intrigue ayant un début, un milieu et une fin.

De prime abord, on se dit que Morgan n’a rien changé à sa recette, la transposant juste sur Mars alors que Black Man se déroulait sur Terre, remplaçant une variante 13 par un Hibernoïde (je vais y revenir), ajoutant aux codes du Biopunk et du roman noir une partie de l’ambiance d’un western de l’espace, et gardant le personnage central de l’ex-super-soldat qui disperse, qui ventile, enfin vous connaissez la chanson. Sauf que en matière de worldbuilding, de personnages secondaires et surtout d’intrigue, Morgan a carrément passé la vitesse supérieure. Voire même deux. Alors certes, les scènes de sexe décrites avec un grand luxe de détails alternent avec celles nous faisant vivre de sauvages combats, mais le livre de Morgan n’a, en terme de profondeur et de complexité, pas à rougir devant qui que ce soit désormais. Bref, tout en gardant ses fondamentaux, l’auteur a créé un roman enthousiasmant, propre à intéresser des gens qui n’auraient pas forcément été attirés par le cocktail, vu comme un peu bourrin ou basique, qu’il proposait jusque là. Lire la suite

Chaperon – Laurent Genefort

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Bluffant ! 

chaperon_manchuChaperon est une courte nouvelle disponible dans l’anthologie 2014 des Utopiales ou dans le numéro 482 (de juillet 2010) du magazine Ciel & Espace. C’est d’ailleurs en parcourant ma collection de ce dernier que je suis retombé dessus. Signalons que s’il ne publie évidemment pas de nouvelles de SF avec régularité (c’est un magazine d’astronomie, à la base, pas dédié aux littératures de l’imaginaire, bien que ses colonnes leur témoignent souvent une profonde sympathie), on en trouve pourtant de temps en temps une dedans, dans l’écrasante majorité des cas d’excellente qualité. On remarquera au passage que dans ce même numéro 482, se trouve une interview de David Brin relative à ses positions (similaires à celles de Stephen Hawking) opposées à l’émission de signaux radio vers l’espace (rétrospectivement, dans une perspective très Cixin Liu-ienne, si on me pardonne ce néologisme barbare).

Mais revenons au texte, signé Laurent Genefort, et qui s’étend sur à peine cinq pages du magazine (illustrées avec son brio habituel par Manchu, collaborateur régulier de C&E). Eh bien croyez-le ou non, mais sur un volume aussi réduit, l’auteur se débrouille pour caser une histoire passionnante et un sense of wonder qui rivalise avec celui des plus grands, de Liu à Rajaniemi, d’Egan à Watts ! (profitez-en bien, hein, vous ne me verrez pas souvent encenser de la SF française…). Avec un concept central rappelant Robert J. Sawyer (et je n’en dirai pas plus).  Lire la suite

Le gambit du renard – Yoon Ha Lee

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Un roman unique en son genre

gambit_renardYoon Ha Lee est un auteur texan d’origine coréenne et vivant en Louisiane. Le gambit du renard est à la fois son premier roman (et il a été distingué dans cette catégorie par le prix Locus 2017) et le tome inaugural d’une trilogie (il n’est d’ailleurs signalé nulle part dans la VF que c’est le cas, même s’il est évident à la lecture qu’il ne s’agit pas d’un stand-alone). Le cycle est achevé dans l’édition anglo-saxonne, et les droits du tome 2 ont d’ores et déjà été acquis par Denoël (source ; vous remarquerez que le même lien vous donne un autre aperçu de ce qui est à venir dans la collection).

Après deux titres (Autonome et Rétrograde) qui n’ont pas vraiment déchaîné l’enthousiasme des spécialistes de la SF, et un nouveau Christopher Priest plutôt controversé, Pascal Godbillon joue gros en publiant cette SF… militaire. Oui, vous avez bien lu, de la SF militaire en Lunes d’encre, chose inconcevable pendant l’ère Dumay (et vu que la traduction de Dogs of war a été annoncée, il ne s’agira pas d’un cas isolé). Rien que pour ça, et pour l’originalité de l’univers et l’ambition de ce titre, j’aurais donc tendance à le soutenir, mais il faut cependant immédiatement préciser que clairement, ce roman ne se destinera pas à tous les publics, du fait de sa complexité et de son contexte / atmosphère très particuliers. Lire la suite

Complainte pour ceux qui sont tombés – Gavin Chait

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Bof…

lament_for_the_fallenComplainte pour ceux qui sont tombés est le premier roman de Gavin Chait. Sa particularité est qu’il a été écrit sur une période de trente ans : commencé lorsque l’auteur avait douze ans, il n’a été publié qu’en 2016. De plus, il s’est nourri d’ambiances, de personnages, d’histoires, d’anecdotes et de tranches de vie constatées personnellement par Chait lors de sa vie en Afrique.

Si la couverture, signée Manchu, laisse penser à un Space Opera plutôt martial, la réalité du gros du roman est tout autre : l’action se déroule en effet majoritairement dans un Nigéria du futur, met très fortement en avant des valeurs humanistes, et la scène dépeinte par la première ne se situe qu’à la toute fin de l’intrigue. La quatrième, elle, évoque évidemment Kirinyaga de Mike Resnick (auteur incontournable dès qu’on parle d’Afrique et SF), mais il faut bien préciser que Complainte pour ceux qui sont tombés en constitue l’antithèse : si, dans le livre de Resnick, le but était d’utiliser une technologie futuriste pour bâtir une utopie africaine, à savoir préserver un mode de vie traditionnel dans l’espace, et que l’expérience virait, en un sens, à la dystopie, ici le cadre est à l’origine dystopique et certains modes de vie traditionnels ne sont utilisés que comme base de travail, faute de mieux, pour créer une utopie (qui fonctionne, cette fois), ainsi que des modes de gouvernement / civilisation nouveaux.

Si le message humaniste porté par ce livre est respectable, si la lecture en est souvent (mais pas toujours, comme nous le verrons) agréable, il n’en reste pas moins que, pour moi, il est affligé de pas mal de défauts et que, somme toute, il se révèle être un roman assez mineur, y compris dans la thématique « Afrique et SF », malgré une ambiance magistralement rendue (mais dans les thématiques abordées et la façon de le faire, Mike Resnick reste supérieur à Gavin Chait). L’aspect purement science-fictif s’étant révélé assez étrange, d’ailleurs, car fortement dans un mode »Clarkien » (« toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie »).  Lire la suite

Les portes de la maison des morts – Steven Erikson (version Leha)

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In-con-tour-na-ble !

portes_maison_des_morts_eriksonLe 16 novembre, (re)paraîtra en français Les portes de la maison des morts, second tome du Livre des martyrs (anciennement Livre Malazéen des glorieux défunts), monumental cycle de Fantasy signé Steven Erikson. Je l’ai, pour ma part, lu il y a près de trois ans dans une précédente édition française, qui l’avait scindé en deux livres. Histoire de vous éviter de parcourir x articles, faisant de plus mention de particularités ne concernant pas cette édition signée Leha, j’ai synthétisé mon analyse et mon ressenti dans la suite de la présente chronique (par contre, n’ayant pas racheté ce tome 2, je ne peux évidemment pas juger la qualité de la nouvelle traduction, et il se peut que certains noms de personnages et autres termes propres à cet univers mentionnés dans ma critique ne soient pas ceux adoptés par Leha) . En résumé : achetez ce livre ! Que vous ayez apprécié mais sans plus le tome 1, ou au contraire que vous l’ayez adoré, ce tome 2 est facilement deux divisions au-dessus, et constitue à mon sens une des lectures les plus marquantes et les plus incontournables de toute l’histoire de la Fantasy. Rien de moins !  Lire la suite

The monster Baru Cormorant – Seth Dickinson

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The fall of Baru Cormorant ?

monster_baru_cormorantThe monster Baru Cormorant est le second tome du cycle également nommé d’après ce personnage, et fait suite à The traitor Baru Cormorant, sans aucun doute une de mes lectures les plus marquantes en 2017. Mais comme le dit si bien l’expression, plus on s’élève, et plus dure sera la chute. En effet, ce deuxième livre concentre et amplifie tous les défauts de son prédécesseur, sans pour autant proposer les quinze premiers et derniers % extraordinaires qui faisaient tout son intérêt (et pourtant, de bonnes fées se sont penchées sur son berceau : Kameron Hurley, Max Gladstone, Yoon Ha Lee et même la multi-primée Ann Leckie). La déception est donc cruelle, même si certaines révélations de la fin font que je n’exclue pas totalement de lire le tome suivant. Il faut en effet savoir que Seth Dickinson a soumis à son éditeur un manuscrit si colossal (1104 pages !) que celui-ci a décidé de le couper… en trois. De diptyque, le cycle s’est donc (à ma connaissance) transformé en tétralogie.

J’attire votre attention sur le fait que la moindre ligne de ce qui suit est un énorme spoiler sur la fin du tome 1 : si vous n’avez pas lu celui-ci, je vous conseille donc de passer directement à la conclusion (oui, j’aime passer trois heures à rédiger des critiques que 99% des gens ne pourront donc pas lire…).  Lire la suite