The Malevolent Seven – Sebastien de Castell

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Constantine + Le Manuel des Plans + un anti-Les Sept Samouraïs = The Malevolent Seven !

Sébastien de Castell est un auteur canadien essentiellement connu dans nos contrées pour le lobbying intense fait à son sujet par L’Ours Inculte (d’ailleurs remercié en postface) et, accessoirement (je plaisante…), pour ses cycles L’Anti-Magicien et Furia Perfax (chez Gallimard Jeunesse), ainsi que pour la traduction du premier tome (éponyme) du cycle Les Manteaux de gloire par Bragelonne, les trois autres et un recueil de nouvelles ne l’ayant pas été par cette maison (malgré, donc, le lobbying intense du camarade Inculte). Son nouveau roman, The Malevolent Seven (à ne pas confondre avec le récent The Maleficent Seven de Cameron Johnston, aux fondamentaux similaires -nous en reparlerons), ne s’inscrit pas dans le même monde que celui commun à tous les autres cycles de l’auteur (y compris Court of shadows, à venir en 2024), et semble être un stand-alone, bien que la fin hurle, à mon sens, la possibilité d’une suite (mais puisse aussi se suffire à elle-même, un peu dans le même esprit que Le Magicien Quantique de Derek Künsken -dont nous reparlerons aussi). Dans une interview (en anglais), le canadien a déclaré avoir écrit ce roman en février 2020 juste pour lui, pour avoir le plaisir de faire de la bonne Sword & Sorcery à l’ancienne, avec des jurons à toutes les pages (ce qu’il n’est pas en mesure de faire dans les livres Young Adult qui constituent désormais la majeure partie de sa bibliographie -et la quasi-totalité de celle traduite dans la langue de Molière). Il n’avait pas l’intention de le publier, mais son agent a demandé à le lire, l’a adoré, ce qui a conduit son éditeur à finalement le sortir.

C’est la première fois que je lis un roman signé par cet auteur, non pas que Les Manteaux de gloire ne m’intéressent pas (bien au contraire, même), mais parce que je me concentre plus, que ce soit pour le blog ou (surtout) pour Bifrost sur les nouveautés, et que ce cycle n’en est plus une depuis longtemps. La sortie de ce roman lisible de façon isolée m’est apparue comme une bonne opportunité de découvrir sa prose sans pour autant me lancer dans un cycle de plus, et je dois dire que sans crier au génie, j’ai bien apprécié cette lecture, même si je placerais le roman, similaire, de Cameron Johnston au-dessus. De plus, sur la fin, j’ai parfois eu du mal à suspendre mon incrédulité, certains points (notamment sur le magicbuilding et le worldbuilding) m’ont paru extrêmement stéréotypés (façon polie de dire que c’était carrément pompé de façon éhontée dans les sources d’inspiration), et je ne suis pas sûr d’avoir entièrement saisi tout ce qui tourne autour d’un des personnages. Je regrette aussi que la couverture soit, à mon sens, très mal conçue, car elle dévoile un point d’intrigue et ça, on aurait pu éviter. Enfin, l’ensemble laisse une impression rushée ou brouillon, et le développement très inégal des personnages pose aussi question. Clairement, donc, si je trouve que c’est un roman de Fantasy sympathique, voire recommandable pour certains profils de lecteurs ET si on n’en attend pas trop, je n’en ferai pourtant pas un des (romans) Culte d’Apophis qui ont donné leur nom à ce blog. Lire la suite

Himilce – Emmanuel Chastellière

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Un grand roman (de Fantasy) Historique

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par les éditions Argyll. Un grand merci à Xavier Dollo et Emmanuel Chastellière !

Le 9 juin 2023, paraîtra chez Argyll Himilce, le nouveau roman d’Emmanuel Chastellière. L’auteur ayant fait des études d’Histoire, ses romans de Fantasy (L’Empire du léopard , La Piste des cendres) et ses recueils de nouvelles de New Weird à esthétique Steampunk (Célestopol, Célestopol 1922) ayant une forte composante composante historique (y compris pour les deux livres de Fantasy à poudre se déroulant dans un monde secondaire), et son intérêt, pour ne pas dire son amour, pour l’œuvre de Guy Gavriel Kay, le « pape » de la Fantasy Historique, étant bien connu, il paraissait clair que tôt ou tard, il allait écrire un roman relevant de ce sous-genre.

Ce qui frappe d’emblée est la période historique choisie : comme je l’expliquais dans une récente Apophis Box, la civilisation carthaginoise est très nettement moins exploitée en SFFF que d’autres de la même époque, Rome en tête. Ce qui interpelle ensuite est que la focale n’est pas centrée sur Hannibal, comme on aurait pu s’y attendre… mais sur son épouse, prénommée Himilce, un choix aussi singulier qu’audacieux, ne plaçant dès lors pas (ou disons plutôt pas majoritairement) cette œuvre dans une perspective militaire mais plutôt féminine, pour ne pas dire féministe. Car comme la quatrième de couverture l’explique très bien, un des intérêts (et comme nous le verrons, ce n’est pas le seul) d’Himilce est de tenter de démontrer pourquoi l’Histoire préfère retenir les hommes guerriers plutôt que les femmes promouvant la paix.

Au fil des lectures et des années, j’ai dit d’Emmanuel Chastellière que c’était un auteur prometteur, puis qu’il avait atteint une certaine maturité littéraire, puis qu’il se plaçait désormais parmi les écrivains d’imaginaire français qui comptent (on aimerait un peu plus de SF, par contre, merci  😀 ). Avec Himilce, dont la gestation a été longue, apparemment, il a clairement franchi un palier supplémentaire : si la Fantasy Historique est un sous-genre chéri par nombre d’auteurs français, et un registre où, contrairement à d’autres au sein des littératures de l’imaginaire, ils ont su, et souvent avec brio, se montrer fort convaincants, il manquait au domaine son équivalent de ce qu’est Guy Gavriel Kay chez les anglo-saxons ; non seulement Himilce est le roman le plus abouti d’Emmanuel Chastellière, mais il a su, ce qui n’est pas un mince exploit, se hisser à la hauteur du Kay moyen. Peut-être pas encore à celle des chefs-d’œuvre du canadien (Les Lions d’Al-Rassan ou La Mosaïque de Sarance), mais il n’a clairement rien à envier à la plupart des autres livres de Kay. Et croyez-moi, ce n’est pas le genre de compliment ou de « distinction » que je distribue avec prodigalité ou aisément, ma réputation de critique difficile n’étant plus à faire. Comme nous le verrons, s’il m’a manqué un petit quelque chose pour lui décerner le titre suprême de (roman) Culte d’Apophis, Himilce reste une sortie fort recommandable et, à mon sens, un jalon important dans la carrière de son auteur. Lire la suite

L’Empire s’effondre – Sébastien Coville

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Peut mieux faire

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 104 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

J’attire votre attention sur le fait que les défauts, de communication ou d’écriture, que je pointe dans cette chronique ont été en grande partie corrigés dans le tome 2 (que j’ai également lu pour Bifrost), et que si ils restent valables pour la version grand format du tome 1, ils doivent être relativisés à l’échelle du cycle.

Ce qui frappe avant tout avec L’Empire s’effondre, premier tome d’une trilogie éponyme, est la communication de son éditeur, notamment sur la quatrième de couverture et sur les sites marchands : on y voit passer des comparaisons avec Frank Herbert, Isaac Asimov, Jean-Philippe Jaworski, Eugène Sue et Alexandre Dumas. Excusez du peu ! Outre le fait que pour un premier roman, ce genre de parallèles a bien peu de chances de se révéler fondé (et évacuons tout suspense, ils ne le sont pas), ils ont aussi le grand tort d’établir des attentes qui, si elles ne sont pas remplies, vont forcément générer de la frustration. Sans parler du fait que la comparaison avec Herbert est fort limitée (la religion en tant qu’outil de contrôle) et paraît plus opportuniste (mais c’est de bonne guerre), alors que la sortie du film Dune est proche, qu’autre chose.

Dans un empire imaginaire où la technologie (essentiellement centrée sur la vapeur) cohabite avec un système, reposant sur l’asservissement, de castes professionnelles très rigide car établi par des dieux tutélaires donnant un pouvoir absolu aux Princes qui les dirigent, un attentat menace de faire s’effondrer tout l’édifice quand il catalyse de violentes émeutes, qui servent elles-mêmes à justifier une révolution de palais dans laquelle trois princes prennent le pouvoir au détriment des autres, tandis qu’un quatrième entre en guerre pour rétablir le régime théocratique.

On sent clairement, à tous les niveaux, le potentiel de l’auteur, mais à chaque fois, quelque chose cloche : son écriture est souvent fluide et agréable, mais ne fait pas l’impasse sur des effets de  manche stylistiques dont il aurait pu se passer (tout comme des quatre scènes de viol en 100 pages !), sans parler de passages d’une emphase excessive et très clairement, de longueurs (l’ouvrage ne se serait pas plus mal porté dégraissé d’un bon quart) ; les personnages sont intéressants, mais le nombre de points de vue (une dizaine !) est effroyablement trop élevé, d’autant plus que certaines sous-intrigues sont achevées hors-champ et réglées d’un trait de plume (le conseil basique d’écriture « Montrer plutôt que raconter » est pourtant censé être connu de tous), quand ce n’est pas le personnage lui-même dont on se débarrasse sommairement sans qu’on comprenne l’intérêt de lui avoir consacré tant de pages ; le worldbuilding est travaillé et évocateur, mais montre aussi des détails peu crédibles, comme ces armes à feu à vapeur ou ces quartiers à étages s’accrochant au flanc des collines où se trouvent les palais des puissants ; enfin, l’aspect roman social fait lever les yeux au ciel tant il est du cent fois vu en Fantasy (si tant est que ce livre en relève, certains indices incitant au doute) politique française récente, avec sa stratification sociale se doublant d’une stratification spatiale, sa charge anticapitaliste, anti-élites, anti-religion, anti-journalistes, sa révolte prolétarienne, etc.

L’Empire s’effondre n’est en aucun cas un mauvais roman (surtout pour une première œuvre), mais il n’est certainement pas non plus à la hauteur des comparaisons auxquelles se livre son éditeur. Coville a clairement du potentiel, et avec peu d’ajustements (et une communication plus sobre), le tome suivant pourrait être une spectaculaire réussite (PS : il n’est en effet pas loin de l’être  😉 ).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca, celle du Nocher des livres, celle d’Elbakin,

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La Lune tueuse – N.K. Jemisin

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La Lune est peut-être tueuse, mais le roman n’est pourtant pas une tuerie, lui

Il y a une semaine, est sorti chez Pygmalion La Lune tueuse de N.K. Jemisin, premier roman d’un diptyque, Dreamblood. J’ai, pour ma part, lu cet ouvrage en anglais en 2017, sous le titre The Killing moon, et il ne m’a pas convaincu, à tel point que je n’ai jamais ressenti le besoin d’enchainer sur la suite, The Shadowed sun. La conclusion de ma critique était que cette fantasy d’inspiration égyptienne propose un univers fade (mais original par rapport à celle européenne / médiévale-fantastique, du moins à l’époque où elle est parue en VO -2012-), une écriture assez froide, ainsi que des personnages et un scénario particulièrement stéréotypés. Seul le protagoniste principal et son combat contre le côté obscur de la magie (magie d’ailleurs très réussie, le vrai point fort du roman) donnent à La Lune tueuse un certain intérêt, qui ne prend cependant véritablement son essor que dans les dix derniers % du livre. On est, de fait, très loin de la patate de golgoth que constitue, en revanche, La Cinquième saison de la même autrice. On félicitera toutefois l’éditeur pour sa couverture esthétique (à mon goût, du moins), en tout cas plus que celle de la VO.

Ma première impulsion serait donc de vous conseiller d’investir vos sesterces et autres dinars durement acquis dans de la SFFF de plus grande envergure (y compris le reste de l’œuvre de Jemisin), à un minuscule détail près : ce roman étant traduit par le sangui… le sympathique Pierre-Paul Durastanti, si vous voulez éviter que votre famille en pleurs ne vous retrouve, « suicidé » de trois balles dans le dos, ou qu’un missile Hellfire ne tombe par un malheureux « accident » sur votre voiture alors que vous la conduisez, réfléchissez-y tout de même à deux fois. Peut-être, d’ailleurs, que la lecture de ma critique complète de la VO vous convaincra que, finalement, ce roman a des attraits pour vous séduire, vos critères n’étant pas forcément les miens.

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La Campagne écarlate – Brian McClellan

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Un tome intermédiaire inhabituellement intéressant

Le 23 septembre 2022 paraîtra La Campagne écarlate de Brian McClellan, second volet de la trilogie des Poudremages. Je ne pense pas que la majorité de ceux qui ont lu La Promesse du sang aient besoin d’être convaincus de lire la suite (mais plutôt qu’ils vont se ruer dessus dès sa sortie !), mais au cas où il y aurait encore quelques indécis, ayant lu ce tome 2 en VO, je peux assurer que pour un tome intermédiaire de trilogie (classiquement le moins intéressant des trois, coincé entre l’effet découverte du premier et l’effet épique / dramatique du dernier), celui-ci est inhabituellement bon et intéressant. Il a aussi le gros mérite de prendre le lecteur systématiquement à contre-pied, en ne jouant pas la partition à laquelle il pouvait s’attendre et en le surprenant constamment. On notera aussi une vraie dynamique psychologique et relationnelle entre les personnages, ainsi, bien entendu pour la Rolls de la Fantasy à poudre, que le côté épique des combats.

Si vous avez aimé le roman précédent, il n’y a donc, logiquement, aucune raison de ne pas lire sa suite. Celles et ceux d’entre vous qui voudraient en savoir plus à son sujet pourront se référer à ma critique complète de la VO.

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Malice – John Gwynne (VF)

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Le digne héritier de David Gemmell

Le 26 août 2022, sortira (sous le même titre) la traduction de Malice, premier des quatre tomes du cycle Le Livre des Terres Bannies. Si vous suivez nos blogs et nos réseaux sociaux, ça fait un moment que le camarade Inculte et moi (le camarade Culte ^^) vous parlons de l’auteur, John Gwynne, qui est pour nous clairement l’héritier (le vrai, hein) de l’immense David Gemmell. Jusqu’ici, la prose du britannique n’étant disponible que dans la langue de Shakespeare, la plupart d’entre vous devait, malheureusement, se contenter de notre parole en la matière, ainsi que lorsque nous vous expliquions à quel point c’était exceptionnellement immersif et doté de personnages particulièrement vivants et attachants. Heureusement, pour ce cycle comme pour bien d’autres, les éditions Leha sont venues à la rescousse, et entament donc sa traduction dans la langue de Molière.

J’ai, pour ma part, lu l’ouvrage il y a quatre ans et demi, pour le compte d’une maison d’édition (pas Leha) qui n’a pas donné suite (pas pour des raisons de qualité, mais de rapport coût de la traduction / recettes projetées). Je concluais ma critique (que vous pouvez lire en intégralité sur cette page) ainsi : tome introductif d’une tétralogie de beaux pavés, Malice réalise une sorte d’impossible mélange entre éléments de structure ou de style propres à J.R.R. Tolkien, G.R.R. Martin ou (surtout) David Gemmell (dont John Gwynne est à mon avis un sérieux prétendant au titre d’héritier), entre épique et intime. High Fantasy à fort aspect politique, écrite dans un style, un univers, une narration et une atmosphère évoquant fortement Gemmell, cette histoire brille particulièrement sur deux plans, à savoir une immersion extraordinaire et des personnages inoubliables. On appréciera la place laissée à une civilisation de géants (ce qui ne court pas les rues en Fantasy) dans ce monde, ainsi qu’un certain twist aux codes de la High Fantasy lorsque deux des personnages croient servir le bien alors que le lecteur, lui, a des doutes. Quoi qu’il en soit, Malice est un premier roman absolument impressionnant, ouvrant un cycle dont chaque tome est réputé meilleur que le précédent (si, si). C’est donc avec un grand plaisir que je lirai la suite. Car ce roman, c’est pour moi un Retour vers le futur : ce sont les sensations et l’immersion d’un Elric, des Princes d’Ambre ou du Seigneur des anneaux, mais à 47 ans, pas à 10-15 ! Inutile de dire que cela ne m’arrive pas tous les quatre matins, blasé, inévitablement, que je suis après 37 ans de lectures SFFF…

Sachez, pour terminer, que depuis la parution de cette tétralogie, Gwynne a amplement confirmé son statut 1/ de très grand auteur de Fantasy « à l’ancienne » et 2/ d’héritier (désormais incontestable) de David Gemmell, notamment avec le premier tome de sa dernière trilogie en date, The Shadow of the gods. Bref, très clairement, si vous êtes amateur de Fantasy, je vous conseille vivement la lecture de Malice, vous ne le regretterez pas !

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Haute-école – Sylvie Denis

4

De bonnes idées, insuffisamment exploitées

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 103 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

Haute-école est le premier roman de Sylvie Denis, le seul qui relève de la Fantasy. Il s’agit d’une déclinaison inhabituelle du genre, surtout pour l’époque de sa parution, avec sa société pré-industrielle devant plus à l’Ancien Régime qu’au Moyen Âge, sa magie remplaçant la technologie, et son histoire sortant des canons de celles centrées sur une école de magie. Le problème étant que depuis 2004, on a fait bien mieux dans ces registres, ce qui fait que ce livre accuse son âge… ce qui n’est hélas pas son seul souci.

Le worldbuilding, singulier, s’articule autour de deux royaumes concentriques : l’un, dit Intérieur, entoure le centre du monde, un désert calciné par le Solaire, l’autre, dit Extérieur, est limité par la mer et des Murailles de Brume infranchissables. Ils sont en guerre, depuis si longtemps que la raison du conflit a été oubliée. Dans le royaume Intérieur, on tue les magiciens, jugés trop dangereux, à la naissance ; dans l’Extérieur, ils sont enrôlés de force dans la Haute-école. Les plus chanceux finissent professeurs, les autres au service de l’armée, l’administration ou de riches privilégiés, servant de système d’éclairage public, à actionner les pompes pour l’eau courante, et ainsi de suite (l’école les qualifie de matériaux : ce ne sont plus des humains, mais des machines. On est loin de l’élite que forment les mages dans les autres univers de Fantasy). La répétitivité de ces tâches conduisant à la folie, au suicide ou une fuite punie de mort. Et le Grand Méchant, qui vient de s’emparer de l’école par le meurtre, a des projets encore plus sinistres : pour donner au processus la dimension d’un véritable travail à la chaîne, il veut créer un programme eugéniste et faire se reproduire les mages entre eux. Les rafles et l’embrigadement ne suffisent plus, voilà qu’arrivent l’élevage en batterie et les expérimentations humaines (pour développer de nouveaux pouvoirs). Lire la suite

Noon du soleil noir – L.L. Kloetzer

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Un roman de Leiber Leiber Kloetzer

Noon du soleil noir est le nouveau (et troisième) roman de L.L. Kloetzer qui, comme on le sait, n’est que le pseudonyme commun des époux Laurent et Laure Kloetzer (un peu comme le « James S.A. Corey » auteur de The Expanse n’est qu’un nom de plume pour deux écrivains différents). Et l’attente a été longue pour ses fans, puisque la précédente œuvre de l’artiste bicéphale, Anamnèse de Lady Star, datait d’il y a déjà neuf ans, même si de son côté, le seul Laurent a été plus productif, y compris chez le Bélial’, qui avait déjà publié son Issa Elohim dans la collection Une heure-lumière en 2018. Les plus éveillés d’entre vous remarqueront que 1/ c’est le premier roman de Fantasy de L.L. Kloetzer, 2/ c’est par contre un retour à ce genre pour le seul Laurent, et que 3/ Olivier Girard est tout de même un fin renard de publier de la Fantasy (ce qui est très inhabituel pour sa maison d’édition) au moment où « tout le monde » fait surtout de la SF, qui est plus dans l’air du temps.

Je me suis, jusque là, tenu à l’écart de la prose SF des Kloetzer, que ce soit Issa Elohim ou les deux romans rédigés en commun, car je n’étais pas convaincu qu’ils étaient susceptibles de me séduire. Seulement voilà, quand le Bélial’ a commencé à communiquer sur Noon, il a mis en exergue le fait qu’il s’agissait d’un hommage au cycle des épées de Fritz Leiber, une œuvre pour laquelle j’ai une tendresse toute particulière. Un hommage assumé, ce qui est finalement devenu rare : je pourrais citer plusieurs ouvrages de SF, rédigés dans la langue de Molière ou traduits, qui tirent significativement leur substance d’un autre auteur, mais qui, pourtant, ne citent jamais l’influence de l’inspirateur, semblant, au contraire, parier sur la méconnaissance des classiques d’une grande part du lectorat actuel pour lui vendre de pales ersatz des originaux. Rien de tel ici, ce qui est clairement à mettre au crédit du Bélial’ et des deux co-auteurs.

Quand, comme moi, vous êtes cité sur la quatrième de couverture de la seule intégrale (intégrale complète, hein, pas le machin partiel paru chez Bragelonne -oui, l’intégrale-pas-intégrale, c’est un concept…) existant en français (celle parue au Livre de Poche) de cette saga fondamentale en Fantasy, lire un roman qui s’en réclame est pratiquement une obligation « professionnelle ». J’avais toutefois des doutes sur la capacité de l’écriture des co-auteurs à me convenir, doutes levés quand l’éditeur a eu la bonne idée de mettre en ligne un extrait gratuit de ladite prose. De fait, elle est élégante sans être pompeuse, fort rythmée, musicale, fluide et agréable. J’ai d’ailleurs dévoré ce (petit) roman à une vitesse devenue rarissime chez moi, signe certain de sa qualité. Tout comme le fait que je lui attribue la distinction enviée (si, si) de (roman) Culte d’Apophis !

On signalera également que l’ouvrage est richement illustré par Nicolas Fructus, qui signe aussi la couverture. Outre le fait que les dessins intérieurs vont du « correct » au « magnifique » (les paysages, le jardin médicinal, etc. ; certains constitueraient presque à eux seuls un motif d’achat, même en ne tenant pas du tout compte du texte), ils permettent de visualiser plus clairement l’action ou ses protagonistes, et contribuent à renforcer la puissante atmosphère déjà tissée par la prose des Kloetzer.

Je ressors de cette lecture d’autant plus satisfait que ce livre m’a réservé bien des surprises, à commencer par le fait que s’il est marqué du sceau de Fritz Leiber, ce n’est pas la seule influence qui a servi à le forger, la seule fée inspiratrice à s’être penchée sur son berceau. Et à vrai dire, l’une d’elles est aussi présente que celle du père du cycle des épées… voire presque plus sur certains points capitaux de l’intrigue et de la construction du monde. Je ne saurais trop recommander la lecture de Noon du soleil noir aux amateurs de Fantasy « à l’ancienne », Sword & Sorcery et Heroic Fantasy, qu’ils aiment le travail des Kloetzer ou pas. Et comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, je compte bien revenir, un jour ou l’autre, sur le reste de leur bibliographie, commune ou celle du seul Laurent (et ce d’autant plus que j’ai Issa Elohim en stock, récupéré sous forme électronique lors du Confinement, il me semble). Lire la suite

Hors-série Une heure-lumière 2022

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Les femmes à l’honneur

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un SP fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard et Erwann Perchoc !

Pour la cinquième année consécutive, le Bélial’ vous propose, à partir du 26 mai, pour l’achat de deux titres de la collection Une heure-lumière en version papier (le but étant de soutenir les libraires -l’opération est aussi évidemment valable sur le site de l’éditeur lui-même-), un Hors-série gratuit qui ne sera disponible que par ce biais et seulement dans la limite des stocks disponibles. L’objet ayant une dimension collector, s’il vous intéresse, il ne faut pas traîner. Et justement, c’est aussi le 26 mai 2022 que sortiront les deux nouveaux titres d’UHL, à savoir Un an dans la Ville-Rue de Paul Di Filippo et Opexx de Laurent Genefort. J’ai lu le premier pour le compte de Bifrost (vous pourrez retrouver ma critique dans le numéro 107 du magazine, à paraître début juillet), et ne vous en dirai donc pas grand-chose, sinon que c’est un excellent livre, à la traduction (signée Pierre-Paul Durastanti) d’une impressionnante qualité, mais peut-être pas tout à fait destiné à tous les profils de lecteurs. Vous trouverez ma critique du second ici.

L’ouvrage (112 pages au compteur tout de même) est illustré, comme d’habitude avec brio, par Aurélien Police pour la couverture (très esthétique, mais n’ayant finalement aucun rapport avec le contenu, comme nous allons le voir) et Anouck Faure pour l’unique illustration intérieure (vous retrouverez une autre de ses œuvres dans le numéro 107 de Bifrost, en ouverture d’une nouvelle de Sarah Pinsker). Il débute avec un court édito d’Olivier Girard, le capitaine à la barre du navire Bélial’, qui revient sur le chemin parcouru par la collection en six ans (avec un coup de canif, à mon avis complètement mérité mais encore trop gentil, envers ces autres maisons qui, soudain, trouvent d’immenses mérites au format court, pour lequel elles n’avaient, jusqu’ici, que mépris) et souligne le fait que le format très singulier d’UHL favorise la prise de risque, aussi bien pour l’éditeur (moins de papier, moins de coûts -éventuels- de traduction) que pour le lecteur (moins cher payé, plus vite lu, donc un moyen facile de tester une autrice ou un auteur). Lire la suite

La promesse du sang – Brian McClellan – version Leha

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Enfin !

Le 25 mars 2022, les éditions Leha publieront à nouveau, après un premier faux départ en 2014 chez Panini, le tome inaugural (La promesse du sang) de la saga emblématique de la Fantasy à poudre, les Poudremages, réalisant ainsi le souhait des nombreux membres du fandom qui, tels votre serviteur, l’Ours Inculte ou bien des membres de la communauté Elbakin, ont milité, au cours des années, pour que la traduction de ce cycle soit reprise (et cette fois menée à terme). Espérons que cette sortie contribuera également à (enfin…) mieux faire connaître et surtout apprécier en France ce sous-genre récent (une dizaine d’années) de la Fantasy à monde secondaire, tant ses fondamentaux (époque d’inspiration, technologie) tranchent radicalement avec le médiéval-« fantastique » de la Fantasy à papa et apportent un vent de fraicheur bienvenu à ce genre littéraire dans son ensemble.

Mais l’originalité n’est pas la seule qualité des Poudremages, car cette trilogie en cumule bien d’autres, à commencer par d’excellents personnages, dont, évidemment, celui qui est représenté sur la magnifique couverture (on félicite d’ailleurs Leha d’avoir repris les illustrations de la VO), Tamas, sans oublier un système de magie unique, car basé sur l’utilisation de la… poudre ! Je ne vais pas m’étendre plus sur le sujet, car à ce stade, si vous ne jetez pas vos euros, Francs suisses, dollars canadiens, dinars et autres Francs CFA sur votre moniteur, je ne peux plus rien pour vous  😉 (et oui, au passage, 25 euros est un tarif plutôt onéreux pour un roman de cette taille, mais croyez-moi, il les vaut largement).

Celles et ceux, toutefois, qui voudraient en savoir (beaucoup) plus sur ce livre peuvent se référer à la critique très détaillée que j’ai écrite lorsque j’ai lu l’édition précédente. Je précise également que vous trouverez sur le Culte les chroniques du tome 2 et du tome 3, et aussi celles consacrées à la dizaine de nouvelles (très intéressantes, pour certaines) complétant ces romans ici et , plus celle d’une novella (ici) introduisant un personnage de la seconde trilogie se déroulant dans cet univers et mettant en scène certains protagonistes (survivants…) des Poudremages.

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