Anthologie Apophienne – épisode 15

Eye_of_ApophisL’anthologie Apophienne est une série d’articles sur le même format que L’œil d’Apophis (présentation de trois textes dans chaque numéro), mais ayant pour but de parler de tout ce qui relève de la forme courte et que je vous conseille de lire / qui m’a marqué / qui a une importance dans l’Histoire de la SFFF, plutôt que de vous faire découvrir des romans (forme longue) injustement oubliés. Si l’on suit la nomenclature anglo-saxonne, je traiterai aussi bien de nouvelles que de novellas (romans courts) ou de novelettes (nouvelles longues), qui sont entre les deux en terme de nombre de signes. Histoire de ne pas pénaliser ceux d’entre vous qui ne lisent pas en anglais, il n’y aura pas plus d’un texte en VO (non traduit) par numéro, sauf épisode thématique spécial. Et comme vous ne suivez pas tous le blog depuis la même durée, je ne m’interdis absolument pas de remettre d’anciennes critiques en avant, comme je le fais déjà dans L’œil d’Apophis.

Dans ce quinzième épisode, nous allons parler de deux nouvelles de Mike Resnick (une très courte, une d’une taille conséquente) et d’une autre de Nancy Kress. Sachez que vous pouvez, par ailleurs, retrouver les anciens épisodes de cette série d’articles sur cette page ou via ce tag.

Le dieu pâle – Mike Resnick

Je vous ai déjà parlé de Mike Resnick, en 2017 dans le septième numéro de l’Œil d’Apophis, et en 2019 dans mon Guide de lecture du Planet Opera. Mais si je vous ai démontré que c’était un excellent romancier, je ne vous ai pas encore parlé de ses nouvelles, également très intéressantes. Je vais donc vous en présenter deux dans cet article, et je vous reparlerai de l’auteur dans des épisodes ultérieurs de l’Anthologie Apophienne. Commençons par Le dieu pâle, nouvelle de quatre pages seulement mais à la puissance colossale, que l’on peut trouver dans l’excellent recueil Sous d’autres soleils (qui n’est plus réédité depuis longtemps mais se trouve aisément d’occasion). Ladite divinité comparaît devant un conseil des déités suprêmes des différents peuples africains, qui l’accusent des crimes de Paix, Vie, Miséricorde, Amour, Compassion et Espoir. Avant qu’il ne prononce sa sentence, Anubis tient à entendre la défense de celui qui a envahi le continent. Et là…

Le dieu pâle, charge anticléricale sans compromis mais d’une rare intelligence dans sa facture (on devrait la faire lire à tous les auteurs français de Fantasy qui tentent la même chose avec une confondante balourdise !), est un bijou d’écriture, un modèle dans la forme très courte, à la fin d’une rare puissance. C’est sans conteste la seconde meilleure nouvelle d’un recueil qui compte pourtant une écrasante majorité de textes de très haut niveau. C’est dire !

Sept vues sur la gorge d’Olduvaï – Mike Resnick

Et la meilleure nouvelle (ou plutôt novelette, vu qu’elle atteint les 65 pages) de Sous d’autres soleils (je précise qu’on peut également la lire dans le numéro 8 de la revue Galaxies) est sans conteste Sept vues sur la gorge d’Olduvaï, qui a d’ailleurs été couronnée, excusez du peu, par un Hugo et un Nebula ! L’histoire se déroule dans un très lointain futur. L’Homme s’est répandu dans l’espace, colonisant un million de planètes, détruisant les espèces qui osaient lui résister, obligeant les autres à parler sa langue, maintenant la Voie Lactée sous sa poigne de fer pendant 17 000 ans, avant que son empire ne s’étiole et que sa race ne disparaisse. Quatre millénaires plus tard, une expédition scientifique formée de plusieurs races extraterrestres visite la Terre, et plus précisément la Gorge d’Olduvaï en Tanzanie, le lieu où la race humaine est supposée être apparue lors de la Préhistoire. L’un des aliens a un pouvoir psychique qui lui permet de revivre les événements marquants qui se sont déroulés à proximité d’un objet. En examinant sept de ceux qui se trouvent dans la gorge, il va reconstituer l’Histoire humaine, et enfin comprendre, au plus profond de lui-même, comment l’Humain a pu dominer si facilement et laisser une si profonde marque sur la galaxie. Il va ainsi être témoin de la nature meurtrière, esclavagiste, colonisatrice et rapace, intolérante et raciste, destructrice des écosystèmes, sans scrupules et jusqu’au-boutiste de cette espèce, avant de comprendre que l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement !

Sept vues sur la gorge d’Olduvaï est également un joyau de la forme (pas si) courte, un bijou de construction, d’érudition, une novelette qui certes, est très marquée par cette Afrique qui a eu une telle importance dans l’œuvre de Resnick mais qui, paradoxalement, porte aussi un message à portée universelle sur les tares de l’être humain. Un texte à lire absolument par celui ou celle qui veut découvrir ce que la nouvelle de SFFF a à offrir de meilleur !

Le sauveur – Nancy Kress

J’ai beaucoup de mal avec la prose de Nancy Kress. Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer : trois romans (et deux autres en stock en attente de lecture), des nouvelles, je n’arrive jamais à adhérer totalement, il y a toujours quelque chose qui ne me convient pas tout à fait. Même pas à Shiva dans l’ombre, pourtant sa nouvelle la plus réputée. Mais vu que c’est une autrice appréciée par nombre de gens très bien, je persévère. Jusqu’à tomber, enfin, sur une fort convaincante novelette, Le sauveur. Ouf !

Le point de départ de ce texte est relativement semblable à ceux du film Premier Contact (lui-même l’adaptation d’une nouvelle de Ted Chiang, L’histoire de ta vie) ou du court roman Le fini des mers de Gardner Dozois : en 2007, un vaisseau spatial ovoïde se pose à la frontière des U$A et du Canada, avant de… eh bien de ne plus rien faire. Il est entouré d’un champ de force impénétrable, ne fait rien, ne transmet ou n’émet rien, ne répond à aucune tentative de communication. Très vite, les humains finissent par s’en désintéresser. Sauf que le lecteur, lui, sait qu’il semble être en attente de quelque chose, estimant constamment la probabilité de son apparition. L’autrice va alors suivre la destinée de notre espèce pendant quasiment trois siècles (de 90 ans en 90 ans, environ), jusqu’à ce que l’événement attendu par l’engin extraterrestre se produise et qu’il agisse (dans une perspective rappelant un peu deux des textes les plus fameux d’Arthur Clarke), enfin, révélant son véritable but. En parallèle, elle va dévider le fil de ses thématiques et sous-genres de prédilection : infertilité, pollution de l’environnement, biotechnologie qui vient pallier ces fléaux, etc.

Le sauveur est une (très) bonne novelette en elle-même, bien que relativement prévisible pour qui a un minimum de bouteille en SF, et bien qu’en pareil cas, on puisse prédire deux fins potentielles, et que Kress garde la surprise jusqu’à la fin (en brouillant les cartes jusqu’à l’instant même de l’intervention de la sonde). Si c’est incontestablement le meilleur texte de l’autrice à ce stade de ma découverte de sa bibliographie, il n’aurait, pourtant, pas forcément sa place dans cette anthologie, manquant du petit plus qui fait qu’un texte passe du « juste » très bon au statut d’incontournable. Mais l’anthologie apophienne n’a pas seulement pour but de recenser les nouvelles qui me paraissent incontournables ! Je vous ai déjà, par exemple, parlé de textes qui avaient une importance dans l’histoire de la SF. Dans le cas du Sauveur, à mon sens, il mérite sa place dans mon anthologie par la combinaison de sa qualité et surtout du fait qu’il me paraît être une excellente initiation ou introduction aux sous-genres et thématiques de la Science-Fiction.

Je m’explique : on y passe de la thématique du Premier Contact au sous-genre du Post-apocalyptique (infertilité et problèmes neurologiques causés par des perturbateurs endocriniens, entraînant d’autres ennuis, comme des guerres, et un effondrement presque global de la civilisation -et le presque a toute son importance-), puis du Biopunk, du Nanopunk (si vous ne connaissez pas ces termes : clic), avant d’enchaîner sur une autre thématique clé, que je ne vais pas dévoiler car c’est le cœur de l’intrigue, mais qu’un vétéran de la SF aura vu venir des dizaines de pages avant (et je précise que l’enchainement de ces sous-genres / thématiques reflétant l’évolution de la société humaine est parfaitement logique et crédible, il n’y a rien d’artificiel ou de bancal là-dedans : un point supplémentaire à mettre au crédit de l’autrice et de ce texte). Vu que Kress propose une Hard SF très digeste, parfaitement adaptée à des débutants, et en prise avec des préoccupations qui nous concernent toutes et tous (peur de l’avenir, dérives et promesses de la science, baisse de la fertilité, etc), ce texte est un moyen très efficace de faire découvrir la (Hard) SF à quelqu’un qui n’en lit pas, et peut-être surtout de montrer à quelqu’un qui perçoit le genre comme monolithique qu’il est en fait formé de nombreuses facettes ou nuances, qui sont autant de sous-genres ou de thématiques. Et c’est en cela que se situe, selon moi, le principal intérêt du Sauveur, même si quelqu’un qui maîtrise déjà les codes du genre pourra aussi indubitablement apprécier ce texte !

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12 réflexions sur “Anthologie Apophienne – épisode 15

  1. J’ai les mêmes réticences avec Nancy Kress que toi. Sa prose ne provoque pas l’évocation visuelle dans mon cerveau… je subvocalise finalement tout le texte sans réellement le vivre. Mais pour el Sauveur, elle a réussi à m’embarquer magistralement. Un très beau texte.
    Je me note Mike Resnick.

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