Apophis Box – Février 2023

apophis_box_1L’Apophis Box est une série d’articles… n’ayant pas de concept. Enfin presque. Bâtie sur le modèle des « box » cadeau, vous y trouverez à chaque fois trois contenus / sujets en rapport avec la SFFF, qui peuvent être identiques ou différents entre eux, et qui peuvent être identiques ou différents de ceux abordés dans la box du mois précédent. Pas de règle, pas de contraintes, mais l’envie de créer du plaisir, voire un peu d’excitation, à l’idée de découvrir le contenu de la nouvelle Box. Celle-ci est dévoilée au début ou au mitan du mois. Le but étant aussi de me permettre de publier des contenus trop brefs pour faire l’objet d’un des types d’articles habituellement proposés sur ce blog ou dérogeant à sa ligne éditoriale standard, et bien sûr de pouvoir réagir à une actualité, à un débat, sans être contraint par un concept rigide.

Vous pouvez retrouver les Apophis Box précédentes via ce tag.

Distorsion de la ligne éditoriale : vies virtuelles compressées, à la télévision et au cinéma

Il y a une thématique science-fictive qui m’a toujours fasciné, et dont on trouve trois excellents exemples à la télévision et au cinéma, comme nous allons le voir : la possibilité, via une technologie quelconque, de vivre virtuellement l’équivalent de décennies de souvenirs et d’expériences aussi vraies que nature en l’espace de quelques heures, voire quelques dizaines de minutes à peine. Des souvenirs qui semblent aussi vrais que ceux des événements vécus dans le monde physique, réel, et qui peuvent profondément changer la personne qui les possède, désormais. Evidemment, en matière d’expérience d’un monde qui n’a en fait aucune existence tangible, qui n’est que le fruit d’impulsions électriques envoyées au cerveau de la personne par une machinerie cybernétique, vous seriez tentés de penser à Matrix, mais pourtant, cette série de films ne relève pas de ce dont je veux vous parler aujourd’hui : pour ce qu’on en sait et voit dans les longs-métrages, une seconde dans la Matrice correspond à une seconde dans le monde réel, il n’y a pas de « compression ».

Le premier exemple que l’on peut donner de cette thématique est le film Inception, où on dispose d’une technologie permettant de s’introduire dans les rêves des autres. Et plus on plonge loin dans les différents états oniriques, plus on peut accéder à une « compression temporelle » importante ; en clair, quelques instants de cycle de sommeil, mesurés dans le monde de l’éveil, paraîtront durer beaucoup plus longtemps au sein du songe lui-même. Vous avez d’ailleurs peut-être vu cette pub pour Canal+, où une série « à la Game of Thrones » dure dix saisons, et est centrée sur un secret que nul ne connaît, détenu par une princesse rousse ; dans la version longue de cette publicité, alors que l’épisode final très attendu du show va enfin dévoiler ledit secret, une étudiante rousse ressemblant trait pour trait à l’héroïne se réveille, va en cours, et raconte à une copine le rêve fou de dix ans de succès d’une série imaginaire qu’elle vient de vivre, alors qu’elle ne s’est vraisemblablement assoupie que quelques minutes, quelques dizaines au pire.

Dans Inception, cette idée est poussée à un degré extrême : Cobb, joué par Leonardo Di Caprio, partage un rêve avec son épouse, où ils tentent d’aller dans la strate onirique ultime, atteignant un niveau subjectif d’écoulement temporel si lent qu’une seule nuit de sommeil leur permet de vivre virtuellement un demi-siècle d’expériences. Comme il le raconte lui-même, lors de l’éveil, le fait que de vieilles âmes occupent de jeunes corps n’est pas sans conséquences, d’autant plus quand sa femme avait choisi d’oublier qu’elle se trouvait dans un univers onirique et en avait fait sa réalité, et qu’il ne l’en a sortie qu’en implantant une idée dans son esprit, précisément celle qu’elle ne se trouvait pas dans le monde réel. Ce qui s’avère désastreux quand elle devient persuadée que le monde de l’éveil n’est qu’une autre strate onirique !

Deux autres excellents exemples de vie imaginaire vécue à vitesse grand V mais semblant aussi réelle que les souvenirs acquis dans le monde tangible sont donnés dans l’univers de Star Trek. Dans le quatrième épisode de la saison 4 de Deep Space Nine, appelé La Mémoire emprisonnée, O’Brien (le col bleu de ST : DS9 et ST : TNG, donc un des personnages auquel le public est sans doute le plus à même de s’identifier), parce qu’il pose simplement quelques questions anodines sur la technologie d’une race extraterrestre, est accusé d’espionnage, et condamné. Il se trouve que les Argrathi disposent d’un procédé permettant d’imprimer dans le cerveau du justiciable des décennies de réclusion en l’espace de quelques heures seulement dans le monde réel, et avant que la Fédération ne puisse y faire quelque chose, la sentence est exécutée, et le Chef O’Brien se réveille avec vingt ans d’emprisonnement, de brimades et de traumatismes dans la tête.

Lorsqu’il rentre sur la station spatiale DS9, il n’a été, pour ses collègues, sa femme et sa fille, absent que quelques jours, en mission diplomatique de routine ; mais pour lui, en revanche, vingt ans se sont virtuellement écoulés, et c’est à peine s’il les reconnaît. De plus, l’expérience l’a profondément changé : il a développé un comportement d’essence carcérale (dormir par terre, mettre de la nourriture de côté car les rations étaient aléatoires et qu’on l’affamait régulièrement, etc.), est beaucoup plus nerveux, voire violent. On découvrira qu’un évènement précis est en partie la cause de ces changements, et le chef finira par remonter la pente. On regrettera toutefois que finalement, l’épisode n’ait que peu de conséquences, puisque dans les épisodes suivants, le personnage restera le même qu’avant. Cependant, il s’agit d’un épisode de premier ordre, du fait de la performance des acteurs (Colm Meaney en premier lieu, qui joue O’Brien), de la manière dont les choses sont présentées, et d’une excellente utilisation de la musique d’ambiance. Attention toutefois, il s’agit d’un des épisodes les plus durs et les plus sombres de la plus noire des séries Star Trek (le « Rogue One » de la franchise, mais surtout une de mes séries préférées dans cet univers). Notez, pour l’anecdote, qu’il existait une « règle » pour les scénaristes de la série : « O’Brien must suffer ! », qui faisait qu’une fois par saison, ce sympathique personnage devait en baver un maximum  😀

Mais la plus belle déclinaison de l’idée de « vie virtuelle compressée » reste sans aucun doute Lumière intérieure, l’avant-dernier épisode de la saison 5 de Star Trek : La Nouvelle génération, unanimement considéré comme une des meilleures histoires de l’intégralité de la franchise Star trek (excusez du peu, vu qu’au moment où je rédige ces lignes, celle-ci compte, toutes séries confondues… 873 épisodes !). Je précise que, tout comme La Mémoire emprisonnée dont je parlais précédemment, cet épisode peut se voir sans rien connaître ou presque à la série à laquelle il appartient, voire à Star Trek. Voyageant entre deux systèmes stellaires, l’Enterprise D (classe Galaxy) croise une sonde spatiale d’une technologie primitive, qui émet un rayon vers le capitaine Picard, traversant les boucliers comme s’ils n’existaient pas (elle était pas supposée être primitive, cette sonde ???). Il tombe en pâmoison comme une oie blanche de la Cour de Versailles, et les analyses médicales démontrent qu’il manifeste une intense activité cérébrale, alors qu’on est impuissant à le réveiller. Quand Riker, le second de Picard, tente d’interrompre la transmission de la sonde, le capitaine passe à deux doigts de mourir, aussi laisse-t-on le processus se dérouler.

Au bout de vingt-cinq minutes, il s’arrête, et Picard se réveille (le spectateur a eu des aperçus de ce qui lui arrivait réellement, mais l’équipage de la passerelle du vaisseau n’en sait rien, lui). Or, si moins d’une demi-heure s’est déroulée sur le pont de l’Enterprise, Picard, lui, a vécu des décennies d’une autre vie, ailleurs, a eu une femme, des enfants, des amis, et a peu à peu presque oublié sa « vie précédente » au sein de Starfleet. Je n’en dirai pas plus pour vous laisser le plaisir de la découverte, sinon que cet épisode est effectivement extrêmement réussi (et là encore, outre le scénario, les performances des actrices et acteurs n’y sont pas pour rien) et surtout très émouvant. On peut toutefois encore une fois déplorer que par la suite, il n’impulse pas plus de changements dans le comportement du capitaine, et qu’il ne soit fait mention de sa vie virtuelle qu’une seule fois par la suite (dans l’épisode où il tombe amoureux d’une AUTRE rousse que le docteur Crusher. Remarquez, je le comprends aisément, je ne résiste pas, moi-même, aux rouquines). Si vous avez l’occasion de voir Lumière intérieure (sur Paramount+, par exemple), ne ratez surtout pas l’occasion, vous ne le regretterez pas !

Premier Contact, certes, mais avec des extraterrestres… indifférents !

La règle non-écrite de tout scénario de Premier Contact entre les humains et une race extraterrestre est que, d’un côté ou de l’autre (il faut se souvenir que dans certains contextes de SF, c’est l’Humanité l’espèce avancée et voyageant dans les étoiles, tandis que l’alien est primitif et confiné à son monde d’origine), voire des deux côtés à la fois, l’évènement a un retentissement et des conséquences tout à fait considérables. Mais, comme toute règle, celle-ci a ses exceptions et autres contre-exemples. Et ils sont d’autant plus intéressants que l’indifférence manifestée par des visiteurs issus d’une planète lointaine peut générer des atmosphères et des registres littéraires fort différents, du comique au sinistre. En voici une petite sélection !

Tout d’abord, les humains peuvent tout simplement être scandalisés que le visiteur alien ne s’intéresse pas du tout à eux, mais à quelque chose d’autre présent dans notre Système Solaire. Dans L’Invasion de Vénus (nouvelle parue dans le numéro 70 de Bifrost il y a dix ans, et également disponible en anglais dans Engineering Infinity, excellente anthologie où on trouve aussi Le Serveur et la Dragonne d’Hannu Rajaniemi, traduit par votre serviteur dans le numéro 101 de la même revue) de Stephen Baxter, les extraterrestres (ou plutôt leur vaisseau, qui ressemble furieusement à une comète) ont pénétré dans le système solaire, mais à la grande surprise des terriens, ils ignorent superbement la planète bleue, pour se diriger vers l’étoile du berger. Et là… Dans cet excellent texte, l’auteur démontre en très peu de pages, s’il en était besoin, son considérable talent, proposant un magistral cocktail de réflexion, de sense of wonder et même d’humour (la réaction vaguement outrée des terriens au désintérêt très Lovecraftien dont les aliens font preuve à leur égard est fort savoureuse).

fini_des_mersIl peut aussi y avoir des cas où des êtres venus d’ailleurs ne s’intéressent pas aux humains mais à autre chose qui se trouve sur Terre (un objet, les vestiges d’une civilisation disparue, une formation naturelle, une espèce animale -là encore, l’univers Star Trek en donne un très bon exemple, dans le film Star Trek IV : Retour sur Terre, quand une « sonde » énorme et d’une monstrueuse puissance débarque en orbite, ignore totalement notre espèce, mais tente de communiquer avec… les baleines-, et ainsi de suite), voire à l’état de notre planète elle-même ou de l’ensemble de sa biosphère, hors-humains. Dans le très sous-estimé Le Fini des mers de Gardner Dozois, des engins aliens apparaissent un beau jour, n’interagissent avec les humains que pour leur rendre la monnaie de leur pièce quand ils sont attaqués, mais les ignorent par ailleurs, ne communiquant qu’avec les IA soviétiques et américaines des systèmes de défense stratégique, et surtout avec des êtres apparentés à eux, les Autres, qui vivraient également sur notre monde, invisibles et inconnus de nous.

Dans la nouvelle Le Sauveur de Nancy Kress, un astronef débarque, de même, en 2007, se pose, et ne fait plus rien (pas plus qu’ils ne répond aux tentatives de communication initiées par les humains)… pendant trois siècles, alors que la civilisation s’effondre avant de renaître. Il attend quelque chose qui n’est pas lié à l’Humanité (pas directement, du moins), et ne réagira qu’au moment de son avènement (une partie de l’intérêt du texte venant du fait qu’un lecteur ayant un minimum d’expérience en SF va voir deux fins possibles, connexes, venir longtemps à l’avance, et tourner les pages avec gourmandise pour savoir laquelle l’autrice a choisi), le tout dans une perspective rappelant fortement Arthur Clarke.

rejoice_erikson_VFJe le disais plus haut, les aliens peuvent ne pas débarquer pour une espèce précise, qu’il s’agisse de la baleine ou de l’humain, mais parce que l’ensemble de la biosphère est en danger ou que le dérèglement climatique menace l’équilibre de la planète. C’est par exemple le cas dans le très médiocre (et bien mal nommé…) Réjouissez-vous de Steven Erikson, ou dans la version la plus récente (2008) du film  Le jour où la Terre s’arrêta (qui a d’ailleurs visiblement inspiré l’auteur) qui, pour le coup, est à mon humble avis, sous-estimé, lui. Dans le roman d’Erikson, la communauté galactique arrive sur Terre, et pour sauver son biome, impose à l’Humanité une tutelle pour le moins radicale ; dans le long-métrage avec Keanu Reeves, pour sauver la biosphère, l’Humanité est condamnée à la destruction (par l’équivalent d’une gelée grise : des nanomachines qui consument tout matériau artificiel pour le transformer en copies d’elles-mêmes). Il y a donc bien pire qu’une indifférence bégnine, à savoir une absence totale d’empathie pour le sort de nos semblables !

à_dos_de_crocodile_eganQuand on entend « Premier Contact », on pense souvent « première rencontre entre des humains de notre époque ou d’un futur très proche, confinés à la Terre, au mieux au Système Solaire, avec une espèce avancée » ; et pourtant, il y a de nombreux exemples d’œuvres où une Humanité technologiquement évoluée, s’étant répandue hors de son berceau, fait, de façon presque routinière, la rencontre de cultures aliens jusqu’ici isolées et plus primitives. Une bonne part de la franchise Star Trek est d’ailleurs précisément basée sur cela. Il existe même quelques cas extrêmes, comme Excession (un des livres les plus cultissimes de l’Apophisme) de Iain M. Banks, par exemple, où la Culture, une des puissances majeures de la galaxie, rencontre carrément un artefact venu d’une autre « dimension », qui lui ouvre des perspectives technologiques aussi vertigineuses qu’inédites. Mais l’illustration la plus frappante de ce sous-genre de la thématique SF du Premier Contact reste sans aucun doute l’également excellentissime À dos de crocodile de Greg Egan, où l’espèce qui occupe le noyau (par opposition au disque) de la Voie Lactée est si isolationniste qu’on la nomme carrément les Indifférents, puisqu’elle renvoie toute sonde lancée vers son espace et reste obstinément sourde à toutes les transmissions du reste de la communauté galactique depuis… 40 000 ans !

Extension des horizons : multinationales et autres sous-genres de la SF que le Cyberpunk

Même avec des connaissances assez basiques en SF, si je vous demande de me citer LE sous-genre de cette dernière où les corporations / multinationales / Zaibatsus sont le plus mis en avant, vous allez à coup sûr me répondre « le Cyberpunk ». Et vous aurez raison. Cela ne veut pas, pour autant, dire que les multiplanétaires peuvent ne pas jouer un rôle important, voire même être au centre, de romans ou de films relevant d’autres registres science-fictifs. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples marquants, même s’il y en a évidemment d’autres. Au passage, si le fait qu’une entreprise puisse acquérir autant de pouvoir qu’un gouvernement (voire devenir le gouvernement) et / ou puisse avoir ses propres forces militaires (ou bien faire appel, à sa convenance, à celles du pays d’où elle est originaire) vous parait irréaliste, je vous suggère de vous intéresser à l’histoire de la Compagnie britannique des Indes orientales ou à celle de l’United Fruit Company…

Commençons par le plus évident, à savoir la saga Alien, qui, après tout, est centrée sur la Weyland-Yutani Corporation, société construisant des dispositifs de terraformation et impliquée dans la Défense, tellement influente qu’elle peut utiliser les Marines Coloniaux américains quand elle le désire. L’univers Alien est bien des choses, et relève de divers sous-genres ou thématiques de la SF (Horrifique, Militaire, Space Opera, biotechnologique, etc.), mais c’est peut-être, pour moi, un des contrepoints les plus saisissants au Space Opera « héroïque », qu’il soit de l’âge d’or du genre ou plus récent : ici, les protagonistes ne sont ni des surhommes, ni des membres d’une quelconque élite, mais des cols bleus, littéralement, dans le premier film, des routiers de l’espace. Ils n’ont aucun super-pouvoir (psionique, par exemple), aucun entraînement militaire, nulle arme absolue (et même quand ils en ont, elle se révèle essentiellement futile). La science n’est pas triomphante, elle ne mène pas l’Homme vers un avenir radieux, mais vers une horreur si indicible que Lovecraft lui-même ne l’aurait pas reniée. On ne traverse pas la galaxie en un quart d’heure en passant en « vitesse-lumière » comme dans le détestable Star Wars : l’espace reste un endroit terrifiant, dangereux, une bête qui, à l’instar du Xenomorphe, ne pardonne aucune erreur et cherche en permanence à avoir votre peau. Et, donc, si Star Wars, par exemple, montre le danger de l’impérialisme et du militarisme, la saga Alien démontre que le danger peut ne pas venir que de politiciens corrompus et d’un gouvernement officiel, mais aussi de la part prise, dans les secteurs de la colonisation de mondes extrasolaires ou de l’infrastructure militaro-industrielle, par des entreprises soit en cheville avec le gouvernement, soit remplaçant ce dernier, que ce soit de façon légale ou en maintenant un cadre officiel fantoche tout en tirant les ficelles en coulisses.

Si la franchise Alien démontre que, dépassant les limitations traditionnelles du Cyberpunk, le pouvoir rapace des corporations peut se projeter dans des contextes couvrant un nombre conséquent d’années-lumière et de systèmes stellaires extrasolaires, il existe d’autres exemples dépassant certes l’orbite terrestre, sans pour autant sortir du Système Solaire ni relever du Cyberpunk à proprement parler. Dans le film Outland de Peter Hyams (réalisateur qui a à son actif quelques beaux films de SF ou en tout cas liés à une fiction scientifique, dont 2010 et Capricorn One), qui relève du Space Western et est une sorte de version spatiale du long-métrage Le train sifflera trois fois (avec Sean Connery dans le rôle du shérif, ici), une corporation appelée Con-Am a établi une mine de Titane sur Io, satellite de Jupiter. L’administrateur, sans scrupules, organise une filière de distribution d’amphétamines synthétiques, qui augmentent certes la productivité des ouvriers (donc les profits de la Compagnie, avec un grand « C »), mais finissent par les rendre fous et causer des morts tragiques. Quand le nouveau prévôt (Federal Marshal en VO), joué par Connery, prend ses fonctions, il creuse un peu trop derrière les prétendus « accidents » et a une trop ferme volonté de ramener la situation à la normale, ce qui fait que l’administrateur demande au syndicat du crime qui lui fournit le produit que des tueurs soient envoyés pour se débarrasser de l’importun. Là encore, j’apprécie beaucoup cette image de conquête spatiale « à la dure », aussi peu béatement optimiste, utopiste ou idéalisée que possible, avec un milieu extraterrestre et / ou spatial qui ne pardonne ni négligence, ni perte temporaire de ses moyens, et pas la plus petite erreur.

trilogie_martienne_ksrLa ligne éditoriale du Culte admet certes quelques distorsions dans l’Apophis Box, mais ce blog étant là, à la base, pour parler de SF(FF) écrite, prenons deux autres exemples tirés, cette fois, de romans : tout comme la franchise Alien, la Trilogie Martienne de Kim Stanley Robinson est bien des choses (à commencer par le Planet Opera ultime, indépassable, consacré à la colonisation de la planète rouge), notamment un autre clair avertissement que les Corpos pourraient bien tenter de prendre le contrôle total de colonies installées sur d’autres planètes et ayant développé leur propre culture, un gouvernement indigène. Dans Mars la Rouge, les « transnationales » ont acquis un énorme pouvoir sur Terre, dominant certains pays du tiers-monde et exerçant une influence disproportionnée sur les gouvernements des plus grandes puissances. Quand le pouvoir de l’émanation de l’ONU qui gère Mars s’érode, leurs armées privées en viennent, de fait, à être vues par les locaux et natifs comme une force étrangère d’occupation, déclenchant une sanglante révolution aux désastreuses conséquences (quand vous vivez à l’abri de dômes vous évitant d’être exposé au froid, à une atmosphère toxique et raréfiée ainsi qu’aux radiations, le moindre missile peut avoir un effet dévastateur ; l’évènement est aussi l’occasion d’assister à une des plus impressionnantes catastrophes lues en presque quarante ans de SF, pour ma part : pour ceux qui connaissent le concept d’ascenseur spatial, vous ne vous êtes jamais demandé ce qui se passerait si le câble était coupé et qu’il retombait sur la planète d’ancrage ?).

crépuscule_hansePrenons, enfin, un cycle entièrement centré sur une entité politique d’essence capitaliste explorant l’espace à la recherche de bonnes affaires : je veux bien entendu parler du Cycle de la Hanse Galactique de Poul Anderson. Je ne dirais jamais assez le bien que je pense de cette pentalogie, qui, sur quelque plan que l’on se place, est vraiment excellente : personnages truculents et extrêmement sympathiques, dialogues et traduction ciselés, aspect Planet Opera de Hard SF (mais très compréhensible) qui est quasiment ce qui se fait de mieux en la matière, rien n’est à jeter. Dans le cinquième et dernier tome, le bien-nommé Le Crépuscule de la Hanse, les barrières éthiques, morales et légales régissant jusque là le commerce interstellaire sautent, livrant des espèces primitives et des mondes mineurs à un hyper-capitalisme rapace et meurtrier, et le gouvernement n’est plus qu’un pantin dont les ficelles sont tirées par les corporations, tout cela parce que les cinq plus puissantes parmi celles du Système Solaire veulent entrer en concurrence avec leurs homologues extrasolaires, fut-ce au prix d’une guerre, alors que l’Homme avait été assez sage pour dépasser de telles conflagrations martiales. L’Humanité se dirige alors vers la Longue Nuit, un de ces interrègnes de déclin, voire de barbarie, entre deux périodes de civilisation, dont un certain Isaac Asimov nous a jadis longuement entretenu dans le cycle Fondation.

***

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13 réflexions sur “Apophis Box – Février 2023

  1. Aha! Cher ami, je suis heureuse de retrouver un long article à savourer. Star Trek, quelle série!!! Une de mes madeleine de Proust, j’ai toujours beaucoup d’affection pour l’ensemble des personnages, même si je suis loin d’avoir vu l’intégralité des épisodes (des 873). Sais-tu qu’il existe aussi des épisodes de fan d’excellente facture ? ( https://www.youtube.com/playlist?list=PLhvh2eq-XLgqNxH6npvQxGxLCUHy90IpZ)

    La trilogie martienne est une grosse lacune à mon actif, mais l’ensemble est si vaste que j’avoue un certain découragement. Il faut que je lutte!

    Alien(ssss), quel film. Je passe la moitié du temps, les yeux derrière ma main en sollicitant mon époux : « tu me dis quand c’est fini. » Pourtant, j’aime beaucoup!

    Et Poul Anderson, comme tu le sais, un de mes auteurs favoris, sachant que je me suis imposée le défi de lire tout ce qui était publié en français, tout comme pour GG Kay…

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  2. Je me suis refait les 4 Aliens avant d’attaquer le roman Alien3 basé sur le scénario initialement écrit par Gibson. C’est clair que tout du long, la Wyeland-Yutani coche toutes les cases du trope mégacorp. D’ailleurs une des extensions de Stellaris permet de jouer une mégacorp.

    Dans le genre mégacorp IRL, les différentes entreprises de la « famille Samsung » représentent environs 1/4 du PIB sud-coréen et l’énorme influence politique de la « famille Samsung » est souvent pointée du doigt.

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    • J’ai vu un reportage il y a quelques années sur une « ville Samsung » : en gros, les employés n’ont pas besoin de sortir de l’entreprise, TOUT est compris dans son périmètre : logements, parcs, services, grandes surfaces, cinémas, etc. Et quand tu vois les appartements, tu as l’impression que les mecs en sont déjà au XXIIe siècle tellement il y a un domotique de fou furieux 😀

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  3. Yes ! Un article long sur des thématiques SF !
    Pour les souvenirs en temps compressés, je rajoute l’épisode 2 de la saison 2 de Rick et Morty où ce dernier joue (un peu involontairement) à un jeu d’arcade en incarnant un personnage nommé « Roy » et vit toute sa vie de ses 5 ans jusqu’à ses 65 ans en se mariant, en des enfants et même en combattant et en guérissant d’un cancer avant d’atteindre le game over à sa mort. Malgré l’humour omniprésent, on voit là aussi que ça a quelques conséquences sur le mental de Morty qui met un moment à se rappeler qui et où il est.
    Oui on a tendance à penser assez rapidement au GAFAM pour les entreprises puissantes, mais on oublie trop vite que les compagnies des indes avaient bien plus de pouvoirs. J’aurai plutôt cité la compagnie néerlandaise pour ma part. C’est sûr que la britannique était objectivement plus puissante, mais rapporté à l’échelle du gouvernement du pays dans lequel elles étaient implantées, la compagnie néerlandaises des indes orientales est probablement l’entreprise la plus puissante de tous les temps, la seule qui ait l’envergure d’une mégacorpo cyberpunk.
    J’ai justement lu un bouquin sur Alien, son univers et sa création le mois dernier « Alien, la mécanique de la peur » sorti l’année dernière, si tu aimes ces films je te le conseille. Par contre, mollo sur le « détestable » Star Wars ! XP
    873 épisodes de star trek ? Bon ça confirme que je ne vais pas commencer ça, au bout d’un moment, faut se dire qu’on a raté le coche.

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    • Tu me connais, j’aime bien provoquer les fans de Star Wars ^^ Pour Star Trek, c’est toutes séries confondues, donc si tu en regardes une seule, ça redescend à un nombre bien plus « raisonnable », surtout avec les dernières séries en date, qui ont des saisons au moins réduites de moitié (voire plus) par rapport aux séries des années 80-2000 (on tournait généralement autour d’une vingtaine d’épisodes par saison, aujourd’hui c’est plutôt dans les 9-13, de mémoire, pour Discovery et Strange New Worlds). Sinon je te rassure, même moi je n’ai pas tout vu (j’ai vu un épisode de Prodigy et de Lower Decks, et 0 de TAS).

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        • Le truc avec TAS, Prodigy et LD, c’est que j’ai du mal avec l’aspect graphique, je préfère nettement, dans cet univers, les séries filmées. Et concernant Prodigy et LD, je n’accroche pas au ton humoristique de la seconde et au design (particulièrement celui des persos) de la première (j’ai l’impression d’être dans un Pixar…).

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  4. Quand je vois parfois dans des articles ou des bouquins, évoqué l’ascenseur spatial, je pense toujours immédiatement à la Trilogie Martienne, il a tellement bien géré le truc et de façon logique…
    Est-ce que pour « Premier Contact, certes, mais avec des extraterrestres… indifférents ! » on peut mettre Stalker des Strougatski dans la liste ?

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    • Oui, complètement. Comme je le disais, il y a d’autres exemples de cette thématique que ceux cités dans l’article. En général, en pareil cas, je me limite aux plus connus / emblématiques ou à ceux qui ont bénéficié par ailleurs d’une critique détaillée sur le blog, histoire que les gens puissent avoir plus de détails sur ces livres s’ils le désirent.

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  5. On trouve aussi un exemple saisissant d' »enfer virtuel compressé » dans l’épisode 2×4 de « Black Mirror », utilisé autant par la police que le privé pour détruire psychologiquement les personnes. Je crois que c’est le plus gros trauma que m’aura laissé cette série.

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  6. Comme exemple de vie virtuelle compressée, il y en a un exemple dans la série The 4400, épisode « Life interrupted ». Le héros se retrouve dans une vie parallèle, où les 4400 n’ont jamais été enlevé et réapparus, et où son fils n’est pas tombé dans le coma. Il est marié à Alana, qui est une 4400 et qui a conscience que ce n’est pas leur vraie vie. Mais comme tout va bien, il accepte cette vie plus tranquille et tombe vraiment amoureux d’Alana. Il aperçoit juste de temps en temps une porte là où ne devrait pas y en avoir. Au bout de près de 10 ans, sa curiosité l’emporte et il passe la porte. Il découvre alors que cette vie a été généré par les intelligences du futur pour que le héros puisse se reposer et trouver l’amour, car le futur dans sa vraie vie va vraiment lui apporter des épreuves terribles. On lui donne même le choix de rester quelques années de plus mais il refuse et retourne dans sa vraie vie où quelques heures à peine se sont écoulées. Alana aussi y retourne (car c’est elle qui inconsciemment généré cette vie) et ils restent en couple. C’était vraiment cute, assez chouette pour le héros qui part ailleurs déguste pas mal, ça fait épisode à part donc ça meuble un peu la saison, et le spectateur se demande « mais que va t il se passer de si terrible ? » et donc continue de regarder

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    • Intéressant, merci Audrey ! Je me rappelle avoir vu au moins une partie de cette série, mais je n’en ai qu’un très vague souvenir. Le seul truc qu’elle m’évoque, outre le concept de base, c’est le visage du génial Joel Gretsch, un acteur capable de jouer aussi bien le plus brave type de la planète (dans V, notamment) que le pire des salopards (dans la série Disparition, par exemple).

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