Minuit jamais ne vienne – Marie Brennan

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Largement supérieur aux aventures de Lady Trent, surtout pour les amateurs de Fées

minuit-brennanMinuit jamais ne vienne est le premier des quatre tomes du cycle La cour d’Onyx (qui comprend également une nouvelle s’insérant entre les tomes 1 et 2), par Marie « Lady Trent » Brennan. Ce roman pose de très intéressants problèmes de classification, car il navigue à la frontière de deux sous-genres différents, dont, de plus, les définitions exactes varient selon le spécialiste auquel vous avez affaire. Certains vous diront que bien que beaucoup d’éléments apparentent son cadre et son intrigue à l’Urban Fantasy, le simple fait que l’action se déroule à la toute fin du XVIe siècle l’exclut d’emblée de ce sous-genre, et qu’il faut le classer dans une des quatre variantes (dans la conception anglo-saxonne) de la Fantasy Historique (pour plus de détails, voir mon article), celle qui s’apparente à une version surnaturelle de l’Histoire secrète. Même si un tel classement serait loin d’être dépourvu de sens, je trouve réducteur, pour ma part, de réduire l’Urban Fantasy à la période XIXe-XXIe siècles simplement parce que c’est dans cet intervalle temporel que sont situées l’écrasante majorité des œuvres relevant de ce sous-genre. Dans cette optique, je préfère donc considérer que ce cycle en est, certes, un représentant atypique, mais qu’il relève pourtant bel et bien de l’Urban Fantasy (et puis bon, comme ça, il ne sera pas dit qu’il n’y a pas un seul livre d’Urban sur le Culte  😉 ). D’ailleurs, l’auteure elle-même insiste sur la différence entre les Fae du palais d’Onyx et toutes les autres, à savoir vivre en (ou plutôt sous la) ville et pas dans les endroits traditionnellement associés au Petit Peuple, à savoir sous les collines, dans les forêts, etc. Or, c’est précisément ce cadre urbain qui signe l’Urban Fantasy par rapport à la Fantasy standard dans les définitions les plus précoces de ce sous-genre.

Mais revenons à nos moutons : sous sa couverture (euh, non, on ne va pas parler de la couverture *haut-le-cœur*), ce roman est-il semblable, dans le style, au plus connu sous nos latitudes cycle de Lady Trent ? Pas vraiment. Il y a un côté pimpant, un aspect aventure scientifique, un volet Fantasy of manners qui n’existe pas ici, où l’atmosphère est nettement plus fantastique, où on se préoccupe surtout de position sociale (donc on cherche à exploiter le système, la hiérarchie, pas à lutter contre elle) et d’intrigue de Cour et où, peut-être surtout, l’ambiance est nettement plus sinistre. Bref, tout cela pour vous dire que le fait que vous ayez apprécié un des cycles n’est pas du tout une garantie pour que vous appréciez l’autre. Même le style d’écriture est différent, plus tranchant, moins enjoué, et, à mon avis, techniquement supérieur. Et j’aurais même tendance à dire qu’alors qu’on aurait pu croire que Lady Trent était le cycle majeur de l’auteure, ce simple tome 1 rebat les cartes très rapidement. Je pensais tomber sur une lecture sympathique mais mineure, et finalement j’ai trouvé ça très intéressant.  Lire la suite

A gathering of ravens – Scott Oden

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Quand un orc du Seigneur des anneaux rencontre Vikings (la série) et une version Grimdark de L’épée brisée de Poul Anderson, on balance son pognon sur son écran et puis c’est tout ! 

gathering_ravens_odenA gathering of ravens est un stand-alone qui a comme particularité de s’insérer dans une trilogie de romans pouvant également se lire de façon indépendante et partageant le même héros, Grimnir. Le second tome (Twilight of the gods) est d’ores et déjà annoncé. Le premier, donc, a été publié en Angleterre en 2017 (par une des subdivisions de Macmillan), et sera à nouveau publié, cette fois aux USA (par Bantam), le 17 mai 2018. L’auteur, Scott Oden, de nationalité américaine, a écrit un autre livre de Fantasy Historique, ainsi que des romans Historiques tout court.

Il s’agit d’une Fantasy relativement proche de L’épée brisée de Poul Anderson (et j’insiste sur le « relativement »), mêlant le monde réel des Xe et XIe siècles ainsi que la magie et les mythes scandinaves et celtiques. Toutefois, ce livre relève aussi (et peut-être surtout) du Grimdark, et met en scène l’antihéros le plus brutal et amoral vu, probablement, depuis le Kane de Karl Edward Wagner (avec lequel il partage d’ailleurs certaines caractéristiques -mais pas toutes-). Mais un Kane qui serait… un orc, tout droit (ou presque) sorti de chez Tolkien ! Traversée par des scènes d’une rare puissance, non dépourvue d’un fond que ne renieraient ni David Gemmell, ni Marion Zimmer Bradley, magnifiée par un personnage qui balaye les faibles d’un revers de sa lame tel un Conan orc adepte de Loki et non de Crom, cette oeuvre, dont on peut s’étonner qu’elle ne soit pas plus connue, impressionne par sa noirceur, son côté crépusculaire et sa brutalité.   Lire la suite

L’éclosion des Shoggoths – Elizabeth Bear

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Fondamental

shoggoth_manzanedoL’éclosion des Shoggoths est une nouvelle d’une vingtaine de pages publiée en français dans le numéro 89 de Bifrost. Elle est signée Elizabeth Bear (pseudonyme de Sarah Wishnevsky), l’épouse de Scott « Salauds Gentilshommes » Lynch. Cette auteure est membre d’un « club » très restreint, puisqu’il ne compte que quatre autres membres : celui des écrivains qui ont gagné plusieurs Hugo (dont un pour le texte qui nous occupe aujourd’hui, en 2009) après l’obtention du prix John Campbell du meilleur nouvel écrivain.

Texte fondamental au sein de la vague récente de Lovecrafteries cherchant à donner leur place, dans les univers du Maître, à ceux qui n’en ont pas ou trop peu (ou une place trop péjorative), L’éclosion des Shoggoths relève du volet science-fictif de l’oeuvre d’HPL, et non Fantastique ou Fantasy / Onirique. Alors qu’un roman court comme La quête onirique de Vellit Boe de Kij Johnson se préoccupe surtout de la place de la femme chez Lovecraft, la nouvelle de Bear, tout comme le très postérieur La ballade de Black Tom de Victor LaValle, s’attaque au racisme et à l’antisémitisme du natif de Providence.  Lire la suite

Agents of Dreamland – Caitlin R. Kiernan

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Lovecrafterie du XXIe siècle, certes, mais hardcore

agents_of-dreamlandCaitlin R. Kiernan est une autrice irlandaise vivant de longue date aux USA. Elle a écrit une dizaine de romans (de SF et de « Dark Fantasy » -comprendre, dans la terminologie anglo-saxonne, du Fantastique ou du Weird Lovecraftien, pas l’équivalent de ce que font Cook ou Abercrombie-), des scénarios de comics, plus de 250 nouvelles et novellas (dont celle que je vous présente aujourd’hui) ainsi que des… articles scientifiques consacrés à la paléontologie (son domaine d’études avant qu’elle ne se lance dans une carrière d’écrivain à plein temps). Elle est également connue pour avoir travaillé en étroite collaboration avec Neil Gaiman sur The dreaming, le spin-off de The Sandman. Elle a, entre autres, reçu deux World Fantasy Awards (excusez du peu !), mais ce qui est à mon avis son plus grand titre de gloire est la comparaison faite par S.T. Joshi en personne de son style avec ceux de Poe, Dunsany et Thomas Ligotti.

Malgré son titre, et si elle est sans conteste Lovecraftienne, cette novella n’a que très peu à voir avec les Contrées du rêve (qui ne sont que vaguement évoquées) et rien avec The dreaming. En fait, le « Dreamland » en question est une base souterraine située dans la légendaire Zone 51, et le cœur de l’histoire est en réalité relié à un tout autre pan de la mythologie Lovecraftienne. Par contre, Agents of dreamland est un prélude à une autre nouvelle de l’auteure, Black ships seen south of Heaven, publiée dans le volume quatre de l’anthologie Black wings (of Cthulhu) dirigée par S.T. Joshi.

J’ai créé, à l’occasion de cette critique, un nouveau cycle de lecture, « Lovecrafteries », dans lequel j’ai rétroactivement ajouté d’autres textes. Et d’autres encore viendront s’y greffer dans les semaines qui viennent (trois sont d’ores et déjà prévus : deux novellas et une nouvelle). Vous pouvez retrouvez ce tag dans la barre latérale du blog ou bien sur cette page. Notez que ce texte est disponible soit individuellement, soit dans un pack contenant trois autres Lovecrafteries (voir liens en fin de critique).  Lire la suite

Luna – Lune du loup – Ian McDonald

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Presque aussi bon que son prédécesseur

Luna_2_mcdonaldLune du loup est le volet intermédiaire de la trilogie Luna, par Ian McDonald, dont le tome 1 avait sans aucun doute été une de mes lectures les plus marquantes de 2017. Toute la question était donc de savoir si l’auteur allait à nouveau nous proposer un roman aussi prenant et haletant. La réponse est : presque. Si, globalement, ce second Luna est très intéressant et plutôt rythmé, il n’échappe pas à une baisse d’intensité relativement marquée entre l’incident sur Creuset et l’épisode au Brésil, ce qui représente tout de même quelque chose comme 100 pages. Mais avant et après ce point, par contre, c’est clairement passionnant et plein de rythme et de tension dramatique. Et ce alors que ce tome 2 ne bénéficie pas de l’effet de surprise du premier.

Le tome 3 (Moon rising) est attendu le 31 juillet en VO, espérons, donc, que la traduction sera rapide !

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La quête onirique de Vellitt Boe – Kij Johnson

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Lovecraftien… et féministe ! 

vellitt_boeSi vous suivez ce blog depuis un moment, le nom de Kij Johnson ne vous est pas inconnu, vu que c’est le troisième texte de l’auteure dont je vous parle, après la nouvelle Magie des renards et le roman court Un pont sur la brume. Dans les deux cas, l’atmosphère est assez éthérée, voire onirique, ce qui fait que l’américaine était tout à fait taillée pour s’attaquer au projet qui est le sujet du jour : donner sa propre version d’une quête dans les Contrées du rêve Lovecraftiennes. Car La quête onirique de Vellitt Boe (qui fait évidemment écho à celle menée par Randolph Carter pour trouver Kadath l’inconnue chez Lovecraft) s’inscrit, plus généralement, dans un mouvement qui a pris de l’ampleur ces dernières années, et qui consiste, tout en rendant hommage à la puissance de l’imagination de l’écrivain de Providence, à mettre au premier plan ceux qui étaient consciencieusement ignorés, négligés, voire méprisés, dans l’oeuvre du Maître : la personne de couleur (ou plus globalement tous les non-WASP – White, Anglo-saxon, Protestant-) et, ici, la femme (bien qu’une phrase décrivant le monde de l’éveil élargisse cette perspective : « et partout, il y a des femmes et des gens de toutes les couleurs »). Dans cette mouvance, on peut également citer L’éclosion des Shoggoths d’Elizabeth Bear (autre auteure dont je vous ai déjà parlé ici), nouvelle publiée dans le Bifrost 89, ainsi que La ballade de Black Tom de Victor Lavalle, à paraître également chez le Belial’ en avril 2018. L’éditeur semble donc se spécialiser dans ce que l’on pourrait appeler la « Littérature post-Lovecraftienne critique ».

Un petit mot sur la présentation : tout d’abord, elle est très soignée. Les rabats cachent une carte en couleur des Contrées du rêve, et puis il y a des illustrations intérieures (en noir et blanc) assez nombreuses et de très bonne facture, qui nous montrent les étapes et visions les plus marquantes de la quête de l’héroïne. L’achat de la version physique est donc, pour une fois, plus que recommandable. Un petit regret, cependant, concernant la couverture : si elle est très sympathique (et parfaitement Lovecraftienne, avec son chat et ses tentacules), je trouve toutefois dommage qu’elle omette ce qui fait justement tout l’intérêt de ce texte : le fait qu’un personnage féminin soit au centre de l’histoire, en un pied de nez à Lovecraft. J’aurais mieux vu, personnellement, Vellitt, le chat et les tentacules… Un peu comme sur la couverture américaine (mais avec l’héroïne de face, tant qu’à faire !).  Lire la suite

The infernal battalion – Django Wexler

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Un peu déçu

infernal_battalion_wexlerThe infernal battalion est le cinquième et ultime tome du cycle The shadow campaigns, une des deux références absolues de la Flintlock Fantasy. Des cinq romans, c’est celui qui s’éloigne le plus de l’Histoire pour aller vers une pure intrigue Fantasy (rappelons que le tome 1 était un équivalent de la Campagne d’Égypte de Napoléon, le 2 de la Révolution, le 3 de la Terreur et le 4 de la Campagne de Russie). C’est peut-être d’ailleurs ce qui m’a manqué : malgré sa note de 4.4 sur Goodreads, malgré le fait que ce soit un bon roman et qu’il offre une conclusion satisfaisante à cette pentalogie, j’en sors un peu déçu et frustré. J’ai été décontenancé par certaines parties, j’ai trouvé que le côté vraiment épique de la chose arrivait très tard, et globalement, j’ai moins été dans l’émotion qui prend aux tripes que pour la fin des Poudremages (l’autre saga de référence dans ce sous-genre), par exemple. Il n’en reste pas moins que, dans son ensemble, The shadow campaigns reste un cycle hautement recommandable, en Flintlock bien sûr, mais plus généralement en Fantasy.

Toute la question est maintenant de savoir ce que l’auteur va proposer ensuite : un nouvel univers, ou un second cycle dans le même, comme l’a fait McClellan par exemple ? Personnellement, j’ai trouvé que la fin de ce tome 5, si elle concluait tous les arcs scénaristiques de la pentalogie, ouvrait deux perspectives très, très intéressantes pour un éventuel spin-off. J’avoue que j’ai hâte de voir ce que Wexler va publier prochainement !  Lire la suite

Guide de lecture SFFF – Concept et point de départ

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ApophisDepuis que ce blog existe, on me pose souvent la question, en commentaire des critiques, des articles ou par mail, de savoir quels sont les romans que je conseille dans tel ou tel genre ou sous-genre de la SFFF. Il est en réalité très difficile de répondre à une telle question : ce que je considère, moi, comme des romans indispensables sont le reflet de mes goûts et de presque trente-cinq ans d’expérience en SFFF, et nul ne dit que cela va convenir à quelqu’un qui a des attentes ou un bagage de lecture différents. Balancer x livres de référence en vrac et démerdez-vous avec ça me paraît également être hors de question, tant cela renseigne finalement peu le lecteur. L’idéal serait, bien sûr, de prendre un moment pour discuter, via le blog ou par mail, avec chaque personne en recherche de conseils, déterminant ainsi, de façon personnalisée, ce que je vais lui recommander ou pas. Mais malheureusement, une telle manière de procéder est très chronophage, et le temps est quelque chose dont je manque cruellement.

Ce qui me conduit donc au présent Guide de lecture : son but est de proposer quelque chose de plus personnalisé qu’une simple liste brute, tout en offrant une réponse une bonne fois pour toutes à n’importe quelle demande potentielle (ou quasiment) en matière de « qu’est-ce que je dois lire ? ».  Lire la suite

Semiosis – Sue Burke

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Un dernier quart très intéressant… à condition de patienter jusque là !

semiosisSue Burke est une auteure américaine ayant longtemps vécu en Espagne (elle réalise d’ailleurs des traductions de l’espagnol vers l’anglais) et exerçant le métier de journaliste. En plus des textes liés à son activité professionnelle, elle a aussi rédigé des essais, de la poésie et des nouvelles. Semiosis est son premier roman à proprement parler. Ecrit en… 2004, il n’est publié que cette année par Tor. Une suite paraîtra en anglais en octobre 2019, ce qui n’est guère étonnant vu la réputation flatteuse qui précède ce livre et sa fin qui est loin de tout régler.

Semiosis est, en anglais, un terme de sémiologie lié aux signes et à la communication (sans doute la thématique centrale d’un roman qui en brasse de nombreuses), et plus précisément à la signification d’un signe en fonction du contexte. L’auteure l’étend aux signes chimiques, auditifs, visuels ou tactiles utilisés pour transmettre de l’information. Ce roman nous fait suivre, sur plusieurs générations, une colonie humaine établie sur une planète extrasolaire où la forme de vie dominante est végétale. C’est donc (entre autres) une histoire de premier contact, mais plutôt inhabituelle.  Lire la suite

The A(pophis)-Files – épisode 7 : les races imaginaires en Fantasy

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afiles_3Dans ce septième épisode de la série des A-Files (des articles de fond consacrés aux grandes thématiques et éléments emblématiques de la SFFF), nous allons parler des races imaginaires (elfes, nains, orcs, etc) et de leur place dans la Fantasy, qu’elle soit ancienne ou moderne. Car tel est le premier constat : les espèces non-humaines n’ont pas toujours eu la même importance, d’une part, et d’autre part la nature même de ces races a varié au cours du temps. Et comme souvent en matière de Fantasy, beaucoup de choses s’articulent autour du même écrivain et de la même oeuvre : J.R.R. Tolkien et Le seigneur des anneaux. Que la Fantasy post-SdA s’inscrive dans la lignée de Tolkien ou en opposition à lui, elle a très longtemps été fortement influencée par cet auteur et n’a finalement commencé à s’en détacher que depuis très peu de temps.

Vous pouvez retrouver les anciens épisodes de cette série d’articles de fond via cette page ou ce tagLire la suite