Survivor
Jack Four est le dernier roman en date de Neal Asher, sorti le 10 juin 2021. Il s’inscrit au sein du vaste cycle Polity, mais n’est pas lié à un de ses sous-cycles : c’est un standalone, comme Prador Moon, Drone (bien que, pour ma part, je considère ce dernier comme le tome 0 du sous-cycle Agent Cormac), Hilldiggers et The technician (ces deux derniers seront critiqués sur ce blog avant fin 2022, normalement. Et en général, pour ce qui est des romans de Neal Asher, que je lis toujours avec grand plaisir, ces prédictions sont respectées). Ce qui veut dire que vous pouvez vous lancer dedans sans avoir rien lu d’autre, l’auteur expliquant d’ailleurs succinctement mais efficacement les bases de son univers (Prador – Polity – virus Spatterjay).
Après l’énormissime The human, sans nul doute le chef-d’œuvre d’Asher, je me demandais comment ce dernier allait pouvoir faire aussi bien, et je m’attendais donc « forcément » à quelque chose de moins bon. Si Jack Four n’est « évidemment » pas aussi bon, il reste tout de même très prenant (surtout dans sa première moitié, comme nous allons le voir), bien qu’à mon avis un peu trop long sur la fin, trop surchargé en combats dans sa deuxième moitié, et avec une révélation finale téléphonée. Pourtant, dans mon panthéon personnel, l’auteur britannique a su se faire une place au sein de mes valeurs sûres, aux côtés des David Weber et autres Peter Hamilton, des auteurs auxquels je reviens toujours avec plaisir et en toute confiance en sachant que même un roman « moyen » émanant de leur plume va me faire passer un très bon moment. Et cela a été le cas ici.
Pour celles et ceux d’entre vous qui ne connaissent pas l’univers Polity, je résume en deux mots (vous pouvez aussi vous référer à ma critique de The soldier, où j’entre bien plus dans les détails, si besoin) : l’action se passe plusieurs siècles dans le futur. L’humanité est dirigée (de façon assez bienveillante) par les Intelligences Artificielles (IA), qui, à un moment, ont pris le pouvoir pratiquement sans violence. Leur nation s’appelle la Polity (un terme anglais qui signifie État, administration, régime, etc). Son principal rival est la race extraterrestre Prador, sortes de crabes de cauchemar particulièrement sadiques et violents (et anthropophages). Un élément important de cet univers est le virus Spatterjay, un mutagène qui modifie votre apparence et vous transforme lentement en monstre, mais qui, en contrepartie, vous rend très difficile à tuer, multiplie votre force, votre endurance, votre vitesse, etc, et augmente votre espérance de vie. Après le dernier conflit Polity / Prador, une zone tampon, le Graveyard (le cimetière), a été établie, qui est démilitarisée mais est le lieu de toutes les opérations spéciales, tous les trafics, toutes les contrebandes.
Weak and powerless *
* A perfect circle, 2003 (ce groupe -qui comprend le chanteur de Tool– est extraordinaire !)
Le roman démarre alors qu’un clone s’éveille de sommeil cryogénique. Étant le quatrième d’une série de copies d’un homme appelé Jack, il s’appelle logiquement Jack Four (Jack Quatre). Ces clones, ainsi que les copies d’une femme appelée Jill (qui ne joueront presque aucun rôle dans l’histoire, je le précise, à part pour démontrer le sadisme et l’inhumanité de la bande qui a créé ces copies, puisqu’un de ses membres viole une des Jill dès les premières pages), ont été fabriqués par l’organisation d’une certaine Suzeal, une femme impitoyable. Jack Four s’aperçoit très rapidement (et le lecteur avec lui) qu’il n’est pas comme les autres : alors que ses frères clonés n’ont aucune personnalité, ne sont que des coquilles vides, en quelque sorte, lui fait vite preuve d’autonomie, quelque chose en lui injectant connaissances et fragments de personnalité et de souvenirs selon les besoins ou les circonstances. Il y a d’ailleurs un vague aspect AssaSynth (en beaucoup mieux fait), sur lequel l’auteur n’insiste pas autant qu’il aurait pu le faire mais qui reste intéressant, notamment dans la construction d’une personnalité autonome de celle de l’homme qui a servi de modèle (le Jack original), dans celle d’un système éthique (notamment le fait de tuer ou pas, et dans quelles circonstances), et via les choix moraux cornéliens auxquels Jack Four est confronté dans la seconde moitié (d’autant plus que comme le dit l’auteur, « there are no easy answers »).
Malheureusement pour lui, Jack et les autres clones sont vendus aux Prador, qui vont mener sur eux des expériences abominables (et je pèse mes mots) à l’aide d’une version modifiée du virus Spatterjay. Jack réussit à échapper à ses geôliers, en partie grâce à sa surprenante autonomie, et en partie parce qu’un des sujets d’expérimentations précédents s’est échappé de son laboratoire et est en train d’infliger de sérieux dégâts. Si tout cela vous rappelle quelque chose, c’est tout à fait normal : c’est peu ou prou équivalent au début d’Alien – La résurrection, version Polity et clones.
Jack n’échappe à la captivité que pour se retrouver devant un problème presque plus épineux : outre des Pradors surarmés et ultra-agressifs, outre les bestioles déplaisantes qui vivent dans leur vaisseau, ce dernier fait des dizaines de kilomètres de long (je vous laisse imaginer le volume de couloirs et autres conduits d’aération à parcourir…), et pire que cela, Jack ne sait pas exactement où il se trouve, où est la coque et où se trouvent les hangars où il pourra se faufiler dans un astronef auxiliaire et quitter cet enfer. Commence alors une très intéressante odyssée à l’intérieur de ce titanesque appareil (très immersive, parce qu’on a tendance à faire preuve d’empathie envers Jack, et ce d’autant plus qu’il ne bénéficie d’aucune des améliorations génétiques, nanotechnologiques et cybernétiques d’habitude communes : à part son origine clonale, c’est un homme « normal », pas un transhumain), avant que notre ami cloné puisse le quitter et s’embarquer dans un autre, un vaisseau de la Polity capturé par les Pradors qui va mener un assaut contre la station dirigée par… Suzeal. Car celle-ci possède quelque chose que les extraterrestres veulent absolument récupérer.
Au cours de l’attaque, le vaisseau est endommagé et s’écrase sur la planète proche, qui se révèle être l’endroit où un ancêtre de Suzeal a lâché une bonne partie de sa collection de… monstres. En effet, le « sympathique » personnage avait pour hobby de recueillir des spécimens des créatures les plus épouvantables de cet univers (et si vous connaissez même vaguement Neal Asher, vous savez que chez lui, les bestioles sont toujours particulièrement horribles et surpuissantes, à faire passer, en comparaison, l’Alien de Ridley Scott pour un poisson rouge confronté à un Grand requin blanc). Et donc, notre pauvre Jack va devoir la jouer à nouveau survivant, cette fois sur une planète et pas un astronef, et cette fois confronté non pas seulement aux Prador mais aux pires bêtes du cosmos (c’est très van Vogtien, non ?). Mais il va se faire un ami, un autre sujet d’expériences échappé du vaisseau Prador initial et qui va jouer un rôle capital dans la suite de l’intrigue : un dénommé Marcus. L’aspect « survie » est encore bien plus frappant dans cette phase du livre (25-50 %, en gros) que dans le début, notamment du fait de la variété de dangers / bestioles (après Alien 4, on a presque l’impression de voir Jurassic Park). Neal Asher se fait d’ailleurs plaisir, en mélangeant sur une seule planète une bonne partie de celles qu’il a imaginées pour d’autres mondes (Masada, Cull, etc) dans les autres tomes du cycle Polity. On dirait presque un « Best Of de l’horreur ».
Dans la seconde moitié du roman, Jack est ramené par les hommes de Suzeal sur la station spatiale, où il va être secouru par Marcus et mener à bien une insurrection à la fois pour mettre fin aux immondes (et je pèse mes mots) trafics de cette dernière, et peut-être surtout empêcher les Prador d’acquérir un type très particulier de bio-armement qui leur donnerait, en cas de nouvelle guerre avec la Polity, un avantage non-négligeable dans les combats au sol. Cette seconde moitié est encore plus rythmée (si, si) que la première, et enchaîne quasiment les combats, l’occasion de montrer les caractéristiques (notamment de premier secours, mais pas seulement) des armures de la Polity. Et croyez-moi que sur ce plan, on pulvérise (côté Hard SF oblige) ces références que sont Starship troopers (le roman d’Heinlein, hein, pas l’étron cinématographique) et surtout l’ultra-sur-évalué Armor.
Le roman se termine sur un épilogue vous faisant une « révélation » tellement téléphonée que si vous n’avez pas déjà deviné depuis des centaines de pages, littéralement, eh bien j’ai envie de vous dire, avec ce brin de provocation (MMORPG-ienne) qui me caractérise, « Go back Dofus Young Adult, Noob ! ».
Trigger warning *
* The Jack, AC/DC, 1975.
Commençons par ce qui fonctionne, puisque c’est (ça tombe bien) la majorité du roman. L’aspect psychologique est bien réalisé, l’aspect « survivant » dans le vaisseau Prador ou sur la planète encore plus, le côté « zoo des pires bestioles de la Polity » est jouissif, on apprécie que Suzeal et ses deux lieutenants finissent par s’en prendre plein la mouille, les combats sont d’une sauvagerie impressionnante, et comme je l’ai précisé, le côté Hard SF et / ou militaire est, comme toujours avec Asher, extrêmement convaincant. Notez une curiosité : je n’ai pas encore tout lu dans Polity (en même temps, il y a une vingtaine de romans), mais c’est la première fois que je tombe sur la mention de femelles Prador.
Mais… si la première partie est très prenante, la seconde est à mon avis trop longue (l’auteur tire assez clairement à la ligne sur la fin), trop surchargée en combats (oui, c’est moi qui dis ça 😀 ) et finit par accoucher (dans un soupir de soulagement de la lectrice ou du lecteur) d’une « révélation » qui n’en est pas vraiment (euphémisme !) une (par contre, je m’attendais à une seconde révélation qui n’est pas venue, finalement). Et puis reste ce qui sera la pierre d’achoppement pour une partie des lectrices et lecteurs qui voudraient tenter ce roman en tant que standalone (ceux qui ont déjà lu un autre bouquin de Polity sont habitués) ; on le sait, Neal Asher n’y va pas, dans ses livres, avec le dos de la cuillère, mais là, c’est encore bien plus poussé que d’habitude : viol, scènes de torture, mutilations sauvages pendant les combats, expérimentations médicales horribles, trafics d’une immoralité / amoralité répugnante de la part de Suzeal, et surtout une scène où un chirurgien robotisé dissèque / répare littéralement un être humain qui demeure conscient (mais est coupé de ses sensations de douleur, heureusement !) pendant toute la procédure (une scène qui restera dans les annales de la SF), il y a cent, mille fois de quoi faire dégoupiller celles et ceux d’entre vous qui ont besoin d’une page résumant les « trigger warnings » avant d’oser ouvrir un bouquin. Page qui n’est, je le précise, pas présente ici. Alors même moi qui ne suis pas facilement impressionnable, je dois avouer que je l’ai été par le côté SF Horrifique injecté par l’auteur, qui est souvent présent dans son œuvre aux côtés des aspects Hard SF et militaires, mais pas toujours à un dosage aussi élevé (même si dans certains autres romans, il l’est encore plus). Bref, selon l’expression consacrée, ce programme est déconseillé aux âmes sensibles.
En fin de compte, on va dire que Jack Four est un honnête Neal Asher, avec un protagoniste très attachant, très convaincant dans sa première partie orientée survie, moins dans sa seconde partie militaire (ce qui est tout de même un peu incongru connaissant l’auteur), qui souffre de longueurs et d’un dosage des combats un peu trop important. On notera aussi un bouquin qui n’y va vraiment pas avec le dos de la cuillère et est réservé aux lectrices et aux lecteurs durs à cuire, mais qui, en contrepartie, propose un aspect SF horrifique intéressant et un aspect Hard SF toujours aussi impressionnant, particulièrement pour ce qui concerne des armures de combat high-tech, où on peut sans problème le classer comme une nouvelle référence, peut-être même LA référence. Et comme avec tous les Asher, je conclurai par ces mots : vivement le prochain !
Niveau d’anglais : aucune difficulté.
Probabilité de traduction : très faible, malheureusement. Au secours Obi-Wan éditions Leha, vous êtes notre seul espoir !
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A chaque fois que je vois une critique d’un Neal Asher, je me dis qu’il faut que je lise un de ses livres. Mais je suis un peu perdu dans les cycles et sous-cycles de Polity et l’univers semble assez complexe. Tu saurais me conseiller une porte d’entrée ? Dans l’idéal un one-shot, histoire de commencer petit, orienté sf militaire, même si j’ai l’impression que la majorité de ses romans font partie de ce sous-genre.
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Prador Moon me paraît être le candidat idéal, d’après ton cahier des charges :
https://lecultedapophis.com/2018/06/21/prador-moon-neal-asher/
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Merci, je vais y jeter un oeil.
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