Dix-huitième numéro de la série d’articles L’œil d’Apophis (car rien n’échappe à…) ! Je vous en rappelle le principe : il s’agit d’une courte présentation (pas une critique complète) de romans qui, pour une raison ou une autre, sont passés « sous le radar » des amateurs de SFFF, qui sont sortis il y a longtemps et ont été oubliés, qui n’ont pas été régulièrement réédités, ont été sous-estimés, ont été noyés dans une grosse vague de nouveautés, font partie de sous-genres mal-aimés et pas du tout dans l’air du temps, sont connus des lecteurs éclairés mais pas du « grand public », pour lesquels on se dit « il faudra absolument que je le lise… un jour » alors qu’on ne le fait jamais, et j’en passe. Chaque numéro vous présente trois romans, recueils ou cycles : aujourd’hui, il s’agit d’Exultant de Stephen Baxter, de Destination : vide de Frank Herbert, et du cycle du Guerrier de Mars de Michael Moorcock.
Au passage, sachez que vous pouvez retrouver les anciens numéros de l’œil via ce tag ou bien cette page. Je vous rappelle aussi que les romans présentés ici ne sont pas automatiquement des chefs-d’œuvre ou ceux recommandés par le site à n’importe quel amateur de SFFF (si c’est ce que vous cherchez, voyez plutôt les tags (Roman) Culte d’Apophis ou Guide de lecture SFFF).
Exultant – Stephen Baxter
Exultant est le second tome d’une trilogie de romans (Les enfants de la destinée, à laquelle est aussi rattaché un recueil de nouvelles) qui est elle-même reliée à l’œuvre maîtresse de Stephen Baxter, le monumental cycle des Xeelees, mais sa particularité est que vous pouvez le lire de façon tout à fait indépendante, sans avoir lu le tome 1 de la trilogie (Coalescence) ni aucun autre livre du cycle des Xeelees (j’étais dans ce cas quand je l’ai lu). Vous passerez, certes, à côté de quelques références aux bouquins liés, mais cela ne vous empêchera en rien de saisir le gros de l’intrigue. Certain(e)s d’entre vous doivent tout de même se demander quel est l’intérêt d’extraire un livre précis d’une vaste saga pour le lire de façon isolée : la réponse est simple, Exultant est tout simplement un des romans de (Hard) SF les plus hallucinants de toute l’histoire de ce genre littéraire. Rien de moins !
Après que l’Humanité ait échappé de peu à l’extinction suite à l’arrivée sur Terre d’une race extraterrestre, elle a voulu s’assurer que cela ne se reproduirait jamais et s’est donc tout simplement lancée dans la conquête de la galaxie tout entière, réorientant toute sa société dans ce but. Vingt mille ans plus tard, seul le centre galactique, dont le trou noir géant abrite les fameux Xeelees, une espèce à la fois exotique et avancée, résiste encore. La technologie supraluminique utilisée par les deux camps leur permet en effet de prédire tous les mouvements ennemis, ce qui fait que l’offensive marque le pas depuis… 3000 ans. Le front s’est stabilisé (avec une hallucinante allégorie de la guerre des tranchées), et il faudra la désobéissance d’un jeune pilote, Pirius, et la capture, inédite, d’un chasseur Xeelee, pour qu’un plan soit monté pour construire l’ensemble de systèmes offensifs et défensifs devant mettre fin au conflit en une frappe décisive.
Si l’intrigue de Hard SF militaire principale est déjà très intéressante (mais exigeante), le vrai joyau de ce roman est, à mon sens, constitué par de petits chapitres qui viennent s’insérer à intervalles réguliers entre la trame principale, et qui retracent l’histoire de la vie dans l’univers, et ce dès sa plus infinitésimale fraction de seconde. Et on ne vous parle pas, ici, de formes de vie telles que la SF en présente d’habitude, mais des fameux Xeelees (et d’autres bestioles comme les Oiseaux de photinos) qui donnent son nom au meta-cycle, des êtres basés sur des états de la matière très… exotiques. Je n’en dis pas plus, vous découvrirez ça si vous lisez ce bouquin, mais sachez qu’on est ici sur le pinacle du worldbuilding en matière de formes de vies non-humaines, et de très, très, très loin. Bref, que ce soit pour sa trame principale ou ce « bonus », Exultant est un roman certes assez ardu mais sans conteste du calibre des plus grands chefs-d’œuvre de la Science-Fiction (emphase sur science).
Destination : vide – Frank Herbert
Alors que ressort en grande pompe le cycle de Dune, il me paraît capital de rappeler que l’œuvre d’Herbert, dans la forme longue, ne se réduit certainement pas à cette saga. D’ailleurs, et même si cette opinion sera à coup sûr ultra-minoritaire, je suis fermement persuadé que si Dune est son cycle / roman le plus connu, il n’est pas le plus intéressant (en tout cas, il m’a moins marqué que certaines des autres œuvres de l’auteur). Je vous ai déjà parlé, il y a quatre ans et déjà dans L’œil d’Apophis, de l’excellent La ruche d’Hellstrom (Certains d’entre vous l’ont d’ailleurs peut-être lu depuis ? N’hésitez pas à vous exprimer en commentaires !), mais je pourrais en citer beaucoup d’autres. À commencer par le magistral Destination : Vide, premier tome d’un cycle (Le programme conscience) mais qui peut se lire sans problème de façon isolée (d’autant plus que les autres tomes sont moins bons, parfois nettement moins).
Officiellement, Terra est un vaisseau de colonisation infraluminique lancé à grande vitesse vers le système de Tau Ceti. Il est piloté par un trio de cerveaux humains insérés dans des circuits électroniques (Helva d’Anne McCaffrey ou les Shipminds d’Aliette de Bodard, en plus sinistre), et des milliers de colons en hibernation sont surveillés par une demi-douzaine de membres d’équipage qui restent éveillés. Quand les trois cerveaux ont des défaillances, et qu’un demi-tour est impossible, il faut, malgré le stress énorme généré par la situation, trouver une solution, et celle-ci est évidente : il faut réaliser ce qui n’a jamais été fait, et créer… une IA. Sauf que rien n’est ce qu’il semble être de prime abord : ni la mission du vaisseau, ni la composition de son équipage ne correspondent à ce qui nous a été présenté initialement !
Destination : vide est un roman exigeant et cérébral, dirons-nous, mais à la vertigineuse profondeur, et surtout à la fin extraordinairement marquante (et je pèse mes mots). C’est mon second préféré dans l’œuvre de Frank Herbert, après La ruche d’Hellstrom mais avant le cycle de Dune. Ceux d’entre vous qui ont apprécié ou apprécieront ce livre se tourneront avec intérêt vers le magistral Vision aveugle de Peter Watts (sans doute mon second roman de SF préféré après Hypérion), qui va bientôt être réédité par le Bélial’ et qui partage certains points communs avec le bouquin d’Herbert, mais est nettement plus moderne et tranchant, dirons-nous.
Cycle du guerrier de Mars – Michael Moorcock
Bon, après ces deux chefs-d’œuvre, terminons ce dix-huitième numéro de L’œil d’Apophis avec quelque chose de beaucoup plus léger, mais de saison, puisque l’ouvrage dont je vais maintenant vous parler pourra constituer une lecture « de plage » idéale. Il s’agit du cycle du Guerrier de Mars de Michael Moorcock qui, dans sa dernière édition en date, est accolé à une novella et une longue nouvelle relevant d’un registre littéraire similaire (et de héros différents) pour former un bon gros pavé de Science-Fantasy / Planetary Romance.
Le cycle du Guerrier de Mars est très facile à résumer : c’est une copie éhontée… enfin je veux bien sûr dire un hommage de Moorcock à Edgar Rice Burroughs, et probablement à Leigh Brackett également (qui va elle aussi être très prochainement rééditée par le Bélial’). C’est (ainsi que les deux autres textes accolés dans l’édition omnibus) surtout une œuvre de jeunesse d’un Moorcock qui n’a pas encore créé Elric et qui, surtout, n’a pas encore atteint sa maturité en tant qu’écrivain (et tout juste sa majorité légale). Autant vous dire que ça va à cent à l’heure, que le style ne casse pas trois pattes à un canard (sans être désagréable), que la psychologie des personnages est sommaire, que ces derniers sont des stéréotypes, et qu’on est aussi à l’opposé du roman d’Herbert que je viens d’évoquer qu’il est possible de l’être en matière de réflexion. C’est un roman d’action, d’aventure, de dépaysement (ce qui, à mes yeux du moins, n’a absolument rien de péjoratif : je suis fermement persuadé, contrairement à un nombre effrayant d’élitistes, que toute SFFF n’a ni à être « intelligente », ni à être orientée réflexion : le pur divertissement est, pour moi, aussi pertinent, voire noble, et très souvent moins soporifique), et ce qu’il fait, il le fait plutôt bien, dans la limite des bornes que j’ai posées en début de paragraphe sur l’originalité de la chose (aucune) et sur la maturité de son auteur (faible). Pourtant, je l’ai lu étant adolescent, relu il y a quelques années en étant largement adulte, et j’y ai pris à chaque fois un sincère plaisir (et j’ajoute que c’est un bon exemple de Science Fantasy, ou du moins d’une des nombreuses déclinaisons possibles du genre). Anecdote amusante, la première édition française (en tomes isolés) était publiée, dans les années 80 et au format poche, dans la collection Épées et dragons des éditions… Albin Michel. Eh oui, c’était le Mage de bataille de l’époque 😉
Un mot sur l’histoire (et c’est là que les parallèles avec Burroughs devraient vous sauter aux yeux) : sur Terre, de nos jours, le physicien Michael Kane (j’adore ce nom !) teste lui-même le téléporteur qu’il a mis au point, et les choses dérapent mais alors carrément (on remarquera d’ailleurs qu’en SF, qu’elle soit ciné ou livres, le test de téléporteur se termine rarement bien). Il se retrouve en effet sur la planète Mars… de l’époque des dinosaures, sans moyen de rentrer (ah !), un monde sauvage où l’épée se porte nue à la ceinture et où une race humanoïde civilisée cohabite avec des géants bleus, les ruines d’une culture non-humaine avancée et autres joyeusetés propres à catalyser l’aventure avec un grand A. Et bien sûr, il y a la belle princesse Dejah… pardon, Shizala !
Si vous cherchez une Science Fantasy très typée pulps, une SFF d’aventure qui vous reposera les neurones, par exemple sur la plage, le cycle du Guerrier de Mars est un sympathique candidat, à condition de ne pas vous attendre à un monument des littératures de genre ou à quelque chose du calibre d’Elric ou même d’Hawkmoon.
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Très chouette cet œil 🙂 je partage à fond ta réflexion sur la sfff divertissante. Être bien diverti c’est tout aussi important que d’être invité à une bonne réflexion et ça n’a pas toujours besoin d’être mélangé. Tout dépendra de ce que chaque lecteurice recherche dans sa lecture.
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Exactement !
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Je plussoie l’analyse pour le Guerrier de Mars (fun) et sa parenté avec Bracket.
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je me souviens , destination vide un des romans de SF les plus profonds de mon point de vue. Quand il est paru chez A&D, j’étais libraire, je l’avais reçu en SP et la plus part de mes clients ont rejeté ce bijou que j’avais tellement apprécié et que je le recommandais à tous. Je ne comprends toujours pourquoi il n’a pas eu plus de reconnaissance car il aborde ce problème fondamentale de la nature de la conscience , de son apparition dans une IA etc. Les trois romans qui suivent co-écrits avec Bill Ramson se lisent bien mais n’atteignent pas la profondeur de Destination Vide.
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Oui, c’est clair, il fait partie de ces romans de SF qui devraient logiquement être plus connus ou reconnus qu’ils ne le sont. Mais bon, difficile de s’extirper de l’ombre de Dune. La plupart des gens ne connaissent que ce cycle dans l’œuvre d’Herbert, pourtant bien plus diverse et riche que cela.
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Ah Exultant est vraiment génial ! Sont seul défaut est d’être coincé entre un volume 1 et un 3 vraiment moins bon (même si le 1 ne manque pas d’un certain intérêt) . Un des sommets de Baxter avec Accrétion et Temps. Même si ce volume peut se lire à part, la lecture est quand même plus savoureuse quand on lit dans l’ordre, à mon humble avis.
A tout hasard, quelqu’un sait si le Bélial s’apprête à sortir le recueil de nouvelles consacré à Baxter ?
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Diagrammes du vide ? Oh oui, ça fait des années que le Bélial’ s’apprête à le sortir, celui-là 😀 C’est devenu une de leurs Arlésiennes, avec la suite de La paille dans l’œil de Dieu de Niven / Pournelle.
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