Gridlinked – Neal Asher

Le (perfectible) début d’une énorme saga

gridlinked_asherSi, dans la chronologie interne de l’univers, Gridlinked est le troisième livre de la saga Polity à lire (après Prador Moon et Drone), c’est à la fois le premier à avoir été publié (en 2001) et le premier roman à proprement parler de l’auteur (il n’avait écrit que des textes courts, nouvelles ou novellas, avant ça). C’est, enfin, le tome inaugural du sous-cycle Agent Cormac, qui en compte cinq. Sachant tout cela, je me doutais que l’écriture de Neal Asher ne serait probablement pas aussi efficace que dans les bouquins ultérieurs, et ma lecture a confirmé cette prédiction : sans être mauvais, Gridlinked ne saurait se comparer à la plupart de ses successeurs. À un point tel que Neal Asher s’est d’ailleurs senti obligé, bien plus tard, d’entièrement réécrire une fin à la fois relativement cryptique et assez peu satisfaisante (vous pourrez lire cette conclusion « étendue » ici une fois que vous aurez achevé la lecture du roman : comme vous le verrez, elle est très supérieure à la version initiale).

Malgré tout, cette lecture n’est pas désagréable, introduit, si vous lisez les romans dans l’ordre de publication, un univers fascinant (et un James Bond de l’espace), et, peut-être surtout, permet de se rendre compte du chemin parcouru par Asher, jusqu’à atteindre, dans les derniers romans de Polity en date, une efficacité stylistique absolument impressionnante. Au final, une lecture tout à fait valable, donc, même si pas toujours enthousiasmante. Je vais donc continuer à enchaîner, en vous proposant prochainement une critique de The line of Polity, le second tome des aventures de Cormac (le troisième en comptant Drone).

Je ne vais pas m’étendre sur l’univers, donc si vous en voulez un résumé plus détaillé, reportez-vous à ma critique de The soldier, le dernier tome en date de Polity au moment où je rédige ces lignes. En deux mots : l’action se passe dans un lointain futur (des siècles), dans lequel l’Humanité est dirigée par des Intelligences Artificielles (IA) globalement bienveillantes, la plus puissante étant appelée Earth Central. On se déplace essentiellement via des téléporteurs ayant une portée de centaines d’années-lumière dénommés Runcibles.

Base de l’intrigue, narration

L’action (et ce sous-cycle tout entier, au passage) est centrée sur Ian Cormac, un des agents vedette d’Earth Central Security (ECS). L’auteur le compare même à un certain 007, c’est tout dire ! Infiltré dans un groupe Séparatiste (anti-IA) sur la planète Cheyne III, il tue Angelina, la sœur du leader rebelle local, Arian Pelter, avant de blesser grièvement celui-ci et de le laisser pour mort. Avant de pouvoir démanteler son réseau terroriste, il est cependant envoyé par sa hiérarchie sur Samarkand, une lointaine colonie dont le Runcible vient d’exploser suite à un probable sabotage, générant l’équivalent de trente mégatonnes de TNT (1500 fois Hiroshima, en gros). L’affaire est grave, car la capacité à opérer un sabotage de cette nature donnerait une arme terrible aux terroristes, ainsi que la possibilité de désorganiser le réseau de transport et de communication des IA.

Au passage, Cormac, qui est lié au réseau de ces dernières (gridlinked, d’où le titre du roman) depuis trente ans (soit dix de plus que ce qui est recommandé) en raison du fait qu’il est considéré comme un élément indispensable à la sécurité de la Polity, est invité justement à couper son accès au réseau le temps de cette enquête, donc de la conduire « à l’ancienne ». En effet, il y a urgence : presque déshumanisé (à tel point qu’Angelina l’a pris… pour un androïde), son manque d’empathie fait qu’il y a un danger qu’il perde justement l’efficacité qui le caractérise.

Cependant, Arian Pelter a survécu, et avec l’aide de Stanton, le mercenaire qui lui sert de bras droit, il va mettre sur pied une équipe de tueurs pour se venger de Cormac. Et il va recevoir une aide particulièrement inattendue, celle de quelqu’un qui semble également en vouloir à Cormac, qui s’intéresse de près à Samarkand, et qui est une vieille connaissance des amateurs du meta-cycle Polity !

A partir de là, les points de vue des deux équipes (celle d’ECS menée par Cormac et celle mise sur pied par Pelter) vont se succéder de chapitre en chapitre, un troisième, celui d’une capitaine de cargo spatial, venant s’entrelacer plus tard.

Une petite remarque : si vous lisez les romans dans leur ordre de publication, c’est la première fois que vous entendrez parler de Cormac et de la Polity. Si, par contre, vous les lisez dans l’ordre préconisé par la chronologie interne de cet univers, vous connaîtrez déjà notre héros. Dans ce cas, sachez que Gridlinked se déroule environ soixante-quinze ans après Drone / Shadow of the scorpion. Vous découvrirez un Cormac méconnaissable, une vraie légende parmi les troupes régulières et les Sparkinds (forces spéciales) d’ECS, et quasiment dépourvu de toute forme d’empathie, voire presque d’humanité, après trente ans à être câblé sur la matrice.

Mon avis

Il est très important, avant de juger ce roman (surtout si vous avez lu les deux tomes précédents -dans l’ordre de la chronologie interne de l’univers, mais postérieurs en terme d’écriture / publication-), de se rappeler que c’était le tout premier écrit et publié par Asher. Ce qui peut permettre de comprendre, voire d’excuser, un style et un rythme qui sont encore loin d’avoir l’efficacité redoutable qu’il parviendra à leur donner par la suite. Sans être violent, ou faire de ce roman une lecture pénible ou bas de gamme, le contraste est bien visible, il faut être honnête.

Et ce constat peut s’étendre à l’intrigue, à la fin (tellement peu satisfaisante qu’elle a été plus tard réécrite, comme on l’a vu, pour un résultat nettement meilleur et surtout clair) et même aux thématiques : la ré-humanisation de Cormac (et la déshumanisation, en parallèle, de Pelter) est, à mon sens, sous-exploitée, par exemple. Seule la caractérisation des personnages (on retiendra l’antagoniste, le mutique Mr Crane, le très mystérieux Blegg, ainsi que Stanton, ma foi assez convaincant) et la description impeccable des scènes d’action (surtout le combat final contre Pelter) sont, à mon sens, au niveau des romans postérieurs.

Reste, bien entendu, un space opera et surtout une SF transhumaniste (IA, variantes génétiquement transformées de l’être humain, implants cybernétiques, etc) qui surpasse la plupart des représentants du genre, et une bonne dose de sense of wonder. Sans compter le fait de faire connaissance avec un « personnage » très ambigu, que l’on recroisera à plusieurs reprises dans la saga Polity. Au final, une lecture globalement satisfaisante, indispensable pour la suite du sous-cycle Agent Cormac, mais qui n’est pas pour autant à la hauteur de Prador Moon, Drone ou (surtout) The soldier.

Signalons aussi que si vous avez lu d’autres livres de la saga, vous en apprendrez plus sur les origines de la technologie de la Polity, ainsi que sur les IA : loin de celles de la taille d’une lune de certains contextes de SF (chez Walter Jon Williams, David Zindell, etc), celles d’Asher sont minuscules. Un gouverneur planétaire serait perdu dans un cendrier, et Earth Central en personne fait la taille… d’une balle de tennis, ce qui est considéré comme énorme !

En conclusion

Premier roman de l’énorme saga Polity de Neal Asher dans l’ordre de publication (troisième dans l’ordre de lecture préconisé par la chronologie interne de cet univers) et tome inaugural de la pentalogie Agent Cormac, Gridlinked nous présente Ian Cormac, sorte de James Bond de l’espace (le sexe et l’humour en moins), agent d’élite au service des IA qui président aux destinées de l’Humanité. Un homme qui, après trente ans de connexion directe à leur réseau, est en train de perdre son humanité. Pour sa prochaine enquête (sur les causes de l’explosion cataclysmique d’un téléporteur à portée interstellaire), on lui propose donc de couper sa connexion, et de mener ses investigations « à l’ancienne ». Dans le même temps, il devra faire face à la vengeance d’un terroriste qu’il a laissé pour mort, après avoir décapité sa sœur, et au double-jeu d’un fascinant « personnage », qui aura une importance majeure dans la suite de la saga.

Si Gridlinked est un space-opera transhumaniste et postcyberpunk plus que recommandable, il souffre tout de même nettement de la comparaison avec les romans ultérieurs de l’auteur : que ce soit le style, le rythme, l’intrigue ou l’exploitation des thématiques, on est assez loin du degré que je n’hésite pas à qualifier d’extrême d’efficacité qu’atteindra Asher par la suite. Mais gardons-nous d’oublier qu’il ne s’agit que de son tout premier roman proprement dit, et qu’au final, cela reste tout de même une lecture valable !

Niveau d’anglais : aucune difficulté particulière.

Probabilité de traduction : très faible (les deux tomes de Polity qui ont été traduits se sont méchamment plantés).

Pour aller plus loin

Ce livre est le premier tome d’une pentalogie ; retrouvez les critiques des autres livres sur le Culte d’Apophis : tome 2, tome 3,

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Lianne,

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15 réflexions sur “Gridlinked – Neal Asher

  1. Je le lirai quand même; j’ai l’intention de la faire dans l’ordre de la chronologie interne de Polity.
    Spuvent, je tiens à souligner quand il s’agit d’un premier roman, car ils sont rarement exempts de défauts, et il faut faire preuve d’un peu de patience. Pour te dire, que ce que tu dis n’est pas rédhibitoire pour ma part.

    Tu me donnes même envie de le lire tout de suite! 😉

    Aimé par 1 personne

  2. « presque déshumanisé (à tel point qu’Angelina l’a pris… pour un androïde) »
    Robocop, Judge Dred, Motoko Kusanagi, les plus charismatiques héros de SF sont souvent ceux dont on se demande ce qu’il reste d’humain en eux 😉

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