Corsaire de l’espace – Poul Anderson

Levez l’ancre, moussaillons !

Si les gros bataillons des amateurs de SF connaissent la collection Une heure-lumière du Bélial’, ils sont en revanche nettement moins nombreux à connaître Pulps, dirigée par Pierre-Paul Durastanti et consacrée, comme son nom l’indique, à des récits d’aventure faisant la part belle au sense of wonder « à l’ancienne », tels qu’on pouvait en lire dans les Pulps (magazines de SFF imprimés sur du papier bon marché -d’où le nom) ou en tout cas à la même époque approximative. Pour l’instant, ladite collection comprenait, outre les différents tomes de Capitaine Futur d’Edmond Hamilton (beaucoup plus connu sous nos latitudes sous le nom de Capitaine Flam ; si l’envie vous en prend, ma critique du roman inaugural est à votre disposition), un roman signé Jack Vance (Les Vandales du Vide) et un autre signé Eric Brown (Les Ferrailleurs du cosmos), et elle vient de recevoir un renfort de poids avec la publication, il y a quelques jours, de Corsaire de l’espace, ouvrage de Poul Anderson à l’histoire éditoriale compliquée (je vais y revenir). Poul Anderson, géant de la SFF (et pas que de la Science-Fiction : il a notamment écrit l’épique L’épée brisée) mis à l’index dans les années soixante dans l’Hexagone pour son refus de condamner la guerre du Vietnam et pour ses positions perçues comme réactionnaires… notamment du fait de ce livre bien précis. Pour être tout à fait clair, chacun(e) d’entre vous met à l’index qui il / elle veut pour la raison qu’il / elle veut, mais personnellement, je ne juge pas un auteur sur ce qu’il est ou pense, mais sur la qualité / l’intérêt de ce qu’il écrit. Et visiblement, chez le Bélial’, ils sont sur la même longueur d’onde. Soyez toutefois averti que cette sortie n’est donc pas destinée à tous les profils de lecteurs.

La postface, signée Jean-Daniel Brèque, ainsi que ce sujet sur le forum du Bélial’, reviennent sur la genèse compliquée de l’ouvrage : d’abord publié sous forme de trois novellas, puis sous celle d’un fix-up agrémenté d’un chapitre et de phrases supplémentaires de-ci de-là, il avait été traduit dans les années soixante par la revue Fiction, failli être réédité il y a une dizaine d’années chez un autre éditeur, avant d’atterrir, très logiquement chez le Bélial’, puisque celui-ci est maintenant devenu le spécialiste et défenseur (à juste titre, à mon avis) de l’auteur. La traduction a été révisée par l’excellent Pierre-Paul Durastanti, ainsi que par Olivier Girard, le capitaine (corsaire ?) à la barre du navire Bélial’. On décernera par ailleurs des louanges hautement méritées à l’illustrateur (Pascal Blanché) et au graphiste (Philippe Gady) pour leur couverture de toute beauté (rappelant les œuvres de Chris Foss, en plus vif au niveau couleurs), et à l’éditeur pour avoir le courage d’assumer de publier de la SF quand tant de pleutres, dans le milieu, abusent de leur chimérique « couverture neutre » (ou de machins symboliques pondus par des graphistes sans envergure) ou usent d’un luxe de circonvolutions et autres circonlocutions (« jeu érudit avec les codes de l’Histoire » à la place d’Uchronie, par exemple) pour ne pas appeler, sur les quatrièmes de couverture, un chat, un chat.

Univers, personnages, base de l’intrigue *

* Magyarország, Alestorm, 2022.

Sur la Terre du Futur, les nations se sont vues retirer le droit d’avoir recours à la violence, légitime ou pas : elles sont désarmées, n’ont plus de forces militaires et une police plus symbolique qu’autre chose. Une autorité internationale est la seule à pouvoir faire usage de la force. Plus encore, la paix et son maintien à tout prix sont devenues une nouvelle religion : dans cette société, être « belliciste » équivaut autant à un suicide social qu’être estampillé « facho » en France en 2023. Sans compter que l’individu en question n’est pas à l’abri de violences ou d’autres tours pendables, comme le prouvera d’ailleurs l’intrigue. Il se trouve justement que l’Hexagone a une lointaine colonie spatiale, la Nouvelle-Europe, qui est attaquée par une race extraterrestre dont l’Humanité a pénétré la sphère d’influence. La planète subit un bombardement nucléaire et est annexée. Des voix, celles des diplomates français comme celles de certains rares hommes de la rue courageux, s’élèvent pour qu’une expédition militaire soit montée, mais elles sont muselées quand l’ennemi veut négocier la paix. Et celle-ci étant une religion, désormais… Et puis en plus, ce monde ne compte qu’un demi-million d’habitants, et d’ailleurs, ils sont sûrement tous morts, hein ?

Or, il se trouve qu’un survivant, un ménestrel (oui, oui !) d’origine hongroise nommé Endre est parvenu jusqu’à la Terre, et qu’il raconte une tout autre histoire : d’une part, le bombardement nucléaire a été bien plus limité qu’on ne le croit, et d’autre part la majorité de la population a « pris le Maquis » et résiste encore et toujours à l’envahisseur. Pourtant, lui aussi est muselé, et rien ne bouge. Jusqu’à ce qu’il présente les preuves de ses dires à Gunnar Heim, puissant capitaine d’industrie qui fut jadis un capitaine tout court, de vaisseau de guerre. Quand il s’aperçoit que même les leviers politiques que sa fortune lui permet de pousser ne mènent à rien ou presque (et le « ou presque » va avoir son importance), il conçoit, avec un ministre français, un plan audacieux : profitant d’une faille juridique, il va remettre au goût du jour le système des lettres de marque, ramenant à la vie les corsaires désormais… de l’espace ! Et il est d’autant plus motivé qu’un quart de siècle auparavant, il a fait escale sur ce monde, s’amourachant d’une jeune villageoise, qu’il aimerait revoir, ou, à défaut, protéger. Et de toute façon, il sait que l’ennemi ne s’arrêtera pas là, et qu’agir tout de suite en lui montrant la détermination de la Terre est la seule voie logique à suivre, sous peine d’être confiné dans le Système Solaire ou d’agir, mais trop tard, quand il aura eu tout le loisir de rendre Nouvelle-Europe imprenable.

L’intrigue va donc se diviser en trois parties : la première correspond à ce que je viens de vous raconter, la seconde à l’armement du vaisseau sur une exoplanète (plus une odyssée en scaphandre suite à un incident de navette, dirons-nous, tout à fait haletante, peut-être pas aussi marquante que la puissante nouvelle Descente de Iain M. Banks, mais intéressante tout de même), et la troisième à la phase de combats pour libérer la planète proprement dite.

Analyse et ressenti *

* Set sail and conquer, Alestorm, 2008.

Comme l’explique fort justement la postface, un livre datant de 1965 présentant non pas une colonisation spatiale dominée par les anglo-saxons mais faisant la part belle aux français (et à leur culture, notamment musicale) a de quoi surprendre, mais la chose s’explique quand on connait la relation d’amitié liant Poul Anderson et notre Francis Carsac national. Il n’en reste pas moins que pour un Space Opera à l’ancienne (par opposition au New Space Opera), on est là sur une singularité hautement exotique, et donc digne de lecture, au moins par le passionné de SF de l’âge d’or. Sans compter que si Gunnar et ses frères d’armes ne se révèlent (évidemment ?) pas au niveau d’excellence de Van Rijn et ses compagnons (cf l’excellentissime cycle de la Hanse), et si un certain aspect Hard SF n’est pas aussi sensible que dans ledit cycle, ou, pire, que dans le non moins remarquable Tau Zéro, on reste tout de même sur des protagonistes fort attachants et sur un Space Opera old school d’une grande solidité scientifique (principalement sur le plan de la planétologie et de l’astrophysique), typique d’Anderson. Et de toute façon, le combat de cette poignée d’hommes aussi déterminés que courageux, lâchés par leur propre gouvernement, ne peut qu’intéresser et émouvoir l’honnête lecteur : le « seul contre tous » est une recette éprouvée ! Après tout, on parle toujours des Thermopyles des millénaires après, non ?

Si l’aspect romance relativement prononcé peut surprendre de prime abord dans un roman qui, s’il ne relève pas à proprement parler de la SF militaire, est tout de même bien militarisé, il s’inscrit en revanche bel et bien des habitudes de la SF ancienne, celle qui ne se donnait pas pour mission de vous expliquer que votre idéologie n’était pas la bonne mais plutôt celle de vous divertir et de vous émerveiller, hein. Et d’ailleurs, puisqu’on parle de l’aspect martial, c’est peut-être le seul point faible du bouquin, tant les scènes de combat se révèlent aussi brèves que, eh bien justement frustrantes du fait de leur brièveté. Les gens déterminés à faire ce qui doit l’être pendant que les politiciens rejouent à la drôle de guerre, avec les mêmes « résultats » d’ailleurs, pendant que le Maquis ou les alliés en prennent plein la figure, ou que l’ennemi se renforce tranquillement, on a vu ça chez David Weber, par exemple, sauf que chez lui, un seul combat spatial peut durer 80-100 pages ! Il faut donc se garder de lire Corsaire de l’espace en espérant y voir du Hornblower ou du Aubrey transposés dans l’espace et passant d’officiers de la Marine régulière à de (vils ?) corsaires, mais plutôt dans l’optique de se détendre et de voir d’autres horizons, ceux d’une France se lançant à la découverte des étoiles et plus vigoureuse que le reste du monde, abêtit et anesthésié par une idéologie littéralement mortifère, qui refuse les preuves quand on les lui présente, et que seul le courage infini et admirable d’une poignée d’hommes secouera peut-être. Car ce n’est pas que par amitié et amour de la France qu’Anderson a choisi de lui donner un rôle central dans son roman : les parallèles avec la Résistance sont évidents.

En fin de compte, si ce Corsaire de l’espace ne se hisse (évidemment ?) pas aux hauteurs cyclopéennes des chefs-d’œuvre d’Anderson, d’ailleurs publiés par ce même Bélial’, il n’en reste pas moins une lecture réjouissante pour l’amateur de SF à l’ancienne, courte et vigoureuse, romantique et aventureuse, et c’est bien là tout ce qu’on lui demande. Une respiration bienvenue avant de s’attaquer à un Greg Egan ou un Kim Stanley Robinson. Et puis de toute façon, l’ouvrage étant publié sous la direction de Pierre-Paul Durastanti, les noms de ceux qui s’en dispenseront seront consciencieusement notés, et le journal local se fera bientôt l’écho navré de leur trépas, hum, « accidentel » 😀

***

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11 réflexions sur “Corsaire de l’espace – Poul Anderson

  1. Aaaah merci, moi je suis très preneur de la littérature de genre, et encore plus quand je retrouve le plaisir de suivre un capitaine futur sur Jupiter ou un David Starr sur Mars. C’est tellement daté qu’on peut se dispenser de froncer les sourcils. Il y a un côté rétro merveilleux qui me rappelle l’énergie psychique chez Gustave Le Rouge. Juste une idée, mais une chouette idée. Et le super héros tout parfait (moins de super héroïnes mais j’attends un retour du genre… un autre Hamilton peut-être, façon mindstar?), ça me réjouit. J’ai l’impression que Van Vogt a fait sa carrière là dessus et je marche à chaque fois. Bref merci au blogueur qui l’a signalé et merci au directeur de collection qui l’a édité. Je vais l’acheter de ce pas.

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    • é-nor-me ! (quand je me suis amusé à écrire mes novellas de Western-Steampunk-Fantasy, j’ai créé le personnage de Dhur Hastanti, un Nain magnat du commerce semi-légal dans une ville minière de la frontière, à couteaux tirés avec un concurrent nommé Khor Lehone 😀 ).

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        • Mis en pause au moment de mes problèmes de santé et autres, et toujours en pause, pas faute d’envie, mais clairement faute de temps. Les tomes 1 et 2 sont écrits, une partie du 3 (celui qui met justement en scène Dhur Hastanti) également. Le truc, c’est aussi qu’avec les nouveaux outils d’illustration par IA, se sont ouvertes des possibilités inédites quand j’ai débuté ce projet il y a un an, comme faire mes propres couvertures, un wiki illustré ou des illustrations intérieures aux novellas, mais jusqu’ici, je peine à trouver un checkpoint entièrement adapté au style graphique que je veux et capable de mélanger Western, Steampunk et Fantasy (ils savent en général bien faire un des trois registres, pas forcément les trois à la fois). Je commence même à me demander si je ne vais pas créer mon propre checkpoint, et ce d’autant plus qu’au milieu des centaines de modèles anime, NSFW ou anime + NSFW, il devient vraiment compliqué de trouver autre chose, comme de la Fantasy « classique » (Fantasialixa restant, des douzaines de checkpoints testés, celui encore le mieux adapté à la chose).

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  2. Personnellement, je lis des auteurs de SFFF de tout le spectre politique : ceux ne correspondant pas à mes orientations avant tout pour le divertissement, ceux qui y correspondent avant tout pour la réflexion. Lorsque je suis en désaccord profond avec le propos d’une œuvre, je signale tout de même ce qui m’y pose problème ; mais généralement, c’est lorsqu’il s’agit de positions ouvertement discriminantes (racisme, sexisme…) plutôt que d’idéaux moraux.
    Au final, Poul Anderson est un auteur de SF davantage libertarien que réactionnaire : il peut se montrer en faveur de la libération sexuelle ou de l’inclusion de différentes cultures au sein d’un programme spatial (« Tau Zéro ») tout en se faisant interventionniste dès qu’il s’agit de faire respecter à travers le monde ses valeurs et son système économique (je suppose qu’un parallèle peut très bien être établi entre la guerre de « Corsaire de l’Espace » et celle du Vietnam qui battait son plein au même moment). C’est précisément ce dernier point qui pose éthiquement problème à moi et à la plupart des lecteurs français, majoritairement axés à gauche ; mais je pense que c’est pas parce que des auteurs libertariens comme lui, Jack Vance, Robert Heinlein ou Larry Correia ont parfois écrit des bouquins en faveur des pans les plus douteux de leur idéologie que ça doit nous faire oublier les aspects positifs de leur travail.
    En revanche, sans même entrer dans une discussion de philosophie politique, ce que je constate c’est que les auteurs de ce courant de pensée ont souvent tendance à forcer le trait pour critiquer les institutions : dès qu’ils le font ouvertement, ils se mettent à glorifier un homme providentiel se dressant au-dessus d’une foule stupide et sans discernement, ainsi que d’un gouvernement forcément bureaucratique du niveau intellectuel et éthique de Jo Dalton. C’est assez limitant en terme d’intrigues et de personnages. C’était le cas dans (l’épouvantable) « La grève » d’Ayn Rand, et vu la critique de FeydRautha de « Choc terminal », il y a toutes les chances qu’on y trouve le même défaut. Sachant que dans ce livre-ci, l’État et le « politiquement correct » imposent le pacifisme et des valeurs progressistes qui seraient absurdes face à la réalité, j’ai peur qu’on aille dans ce travers puissance 1000…

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    • Heinlein, c’est un cas encore plus compliqué, à mon sens. Conspué par certains pour Starship Troopers, il sera en revanche encensé deux ans plus tard pour En Terre étrangère, livre de chevet de la contre-culture US des années 70 😀

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