Olangar – Clément Bouhélier

Une excellente Fantasy post-médiévale

olangar_1Cette recension est initialement parue dans le numéro 93 du magazine Bifrost

Voici donc la première des recensions que j’ai écrites pour le cahier critique du magazine Bifrost (par opposition au dossier thématique qui est compris dans pratiquement chacun de ses numéros), celle des deux volumes d’Olangar de Clément Bouhélier. À l’époque de sa rédaction, je n’ai malheureusement pas eu le temps d’en écrire une « version longue » plus conforme aux chroniques publiées sur le Culte (et je ne l’ai hélas pas non plus cette semaine), mais j’ai conservé mes nombreuses notes et je n’exclus pas de « remastériser » (comme on dit dans l’industrie musicale) cet article un jour. Je signale d’ailleurs que certains autres livres lus pour Bifrost seront dans le même cas, tandis que pour d’autres, j’ai eu de meilleures disponibilités, et j’ai donc pu écrire deux versions de la critique, la « courte » pour le magazine et la « longue » pour le Culte (sachant que la version magazine entraîne ses propres contraintes ou difficultés et est donc bien plus longue à écrire que sa taille réduite ne pourrait le laisser penser : il faut, après tout, fournir une vision la plus pertinente possible du livre concerné en à peine quelques milliers de signes). Je précise aussi que Critic est devenu un des leaders (avec Bragelonne) en matière de Fantasy (à monde secondaire) post-médiévale, avec les parutions ultérieures à celle d’Olangar de (entre autres) L’empire du léopard ou de La piste des cendres (que je suis également en train de terminer pour Bifrost, et dont vous pourrez retrouver la recension dans le numéro 98 du périodique).

Sachez aussi qu’une suite, Une cité en flammes, paraîtra le 7 mai 2020 toujours chez Critic. Mais place maintenant à la Critic… euh la critique !

Clément Bouhélier – Critic – août et septembre 2018 (roman inédit scindé en deux tomes, 400 et 448 pp. GdF. 22 et 22 €)

Avec le diptyque Olangar, Clément Bouhélier, jusqu’ici auteur de thrillers, se lance dans une Fantasy délaissant le cadre médiéval classique dans ce genre, proposant un contexte inspiré par la fin du XIXe siècle, quelque part entre Victor Hugo, Émile Zola et le Western, où les trains, les dirigeables, les six-coups et les usines sidérurgiques côtoient des elfes et des nains défiant tous les stéréotypes, les premiers étant hyper-conservateurs et homophobes et les seconds étant à la pointe du combat… social (un élément central du livre). Si ce genre de Fantasy post-médiévale est encore rare en France (sauf chez Critic), elle est néanmoins en progression constante chez les anglo-saxons depuis quelques années : Olangar se situe quelque part entre les univers de Brian McClellan et de Max Gladstone, avec une ambiance Far West occasionnelle qui rappelle Joe Abercrombie. Ce contexte très travaillé et inhabituel est le gros point fort du diptyque, notamment dans la description des deux villes (Olangar et Frontenac), qui ont une vraie et puissante « personnalité ».

Olangar_volume_2L’intrigue entrelace deux lignes narratives : l’une, classique, montre l’enquête menée par une jeune noble sur la mort suspecte de son soldat de frère, avec l’assistance d’un elfe taciturne, banni par les siens et en quête d’un sens à donner à sa vie. L’autre suit le combat d’un nain, figure emblématique de l’action syndicale dans la capitale, Olangar, alors que la lutte des classes se transforme en lutte armée, sur fond d’élection opposant les candidats des deux partis qui, depuis un siècle et la fin de la Révolution, s’échangent le pouvoir à tour de rôle, avec un jeune politicien aux dents longues (clairement inspiré par Emmanuel Macron) dans le rôle du candidat anti-système. Ces deux intrigues sont liées, même si une bonne partie du tome 2 se concentre plutôt sur la première. Les personnages sont bien campés sans être inoubliables, et l’enquête (où l’auteur se retrouve en terrain de connaissance) est intéressante, bien que l’aspect « vengeance » soit très classique en Fantasy. Le style de Bouhélier s’avère fluide et plaisant, même si le roman aurait aisément pu être raccourci sans impact sur son intérêt : c’est une écriture à la Peter Hamilton, où l’auteur a tendance à décrire des scènes non pas sans valeur, mais somme toute accessoires et dispensables.

Sur un pur aspect romanesque, ce diptyque est incontestablement de qualité, et a l’avantage de présenter au public français une Fantasy post-médiévale inhabituelle et rafraîchissante. Le souci potentiel est ailleurs : la quatrième parle de roman engagé abordant avec finesse des thématiques actuelles, ce qui n’est pas tout à fait exact. « Engagé » est un faible mot (et même « militant » serait en-dessous de la réalité), et cette allégorie de la France actuelle ou passée (les équivalents de Le Pen et Macron sont clairement identifiables), opposant les pauvres ouvriers aux salauds de patrons, de militaires et de politiciens, n’est souvent guère subtile. Il est donc probable qu’un lecteur qui cherche, via la Fantasy, à s’évader du monde réel, ou qui ne partage pas les convictions de l’auteur, ne soit pas forcément le public cible du diptyque. Il serait toutefois dommage de s’en priver, une Fantasy aussi originale et de bonne qualité ne se rencontre pas tous les jours !

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce diptyque, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca sur le Bibliocosme (volume 1, volume 2), celle de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls (volume 1, volume 2), d’Ombre Bones (volume 1 , volume 2), du Chien critique, du Nocher des livres (volume 1, volume 2), de C’est pour ma culture, de L’Ours Inculte,

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32 réflexions sur “Olangar – Clément Bouhélier

  1. Merci pour cette critique bien que succincte 😊 dans ma PàL depuis peu, tu me confortes dans le fait que je les lirai un jour. Concernant Critic, je ne savais pas qu’elle était perçue comme la nouvelle référence en fantasy. À part Davoust je ne connais pas du tout les auteurs de cette maison d’édition.
    Chez eux y’a les Lasser qui me font de l’oeil aussi mais pour le reste je suis pour l’heure encore frileuse.

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    • Une des références (sinon LA référence) majeures en Fantasy post-médiévale, oui. Sinon, en Fantasy en général, Bragelonne reste la référence incontestée, que ce soit en nombre ou en variété des publications, sans compter le fait qu’ils aient significativement contribué à populariser ce genre littéraire en France ces deux dernières décennies.

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  2. Tu m’as refroidi avec cette histoire de Politique pas subtile, je passe, même si je partage les idées de l’auteur, j’ai pas envie de lire ça aussi frontalement en imaginaire

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  3. J’ai pu lire les 2 romans. Très bons livres effectivement. On sent que l’auteur a bossé en politique et cela transparaît dans son histoire.Et je te rejoins sur certains aspects du livre : certaines scènes auraient pu être supprimées, clivage « peuple » VS « institutions » etc.
    Hormis cela, j’ai trouvé le diptyque très bon et qui se lit facilement

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    • D’habitude, je n’ai pas de contraintes de taille. Là par contre, vu que cette critique a été spécifiquement écrite pour Bifrost, je suis limité en terme de nombre de signes. Mais l’essentiel est dit, de mon point de vue.

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  4. J’avais rencontré l’auteur, il avait l’air très sympathique mais ce n’est pas le genre de roman que j’ai envie de lire en ce moment. En revanche, j’ai hâte de lire ton avis sur La piste des cendres. Je l’ai fini hier et je devrais rédiger ma chronique dans la semaine.

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  5. J’ai un avis un poil différent ….
    Je viens ainsi de mettre en ligne une critique de ces deux romans aujourd’hui sur mon blog, et je ne crois pas qu’il faille partager les vues idéologiques de l’auteur pour apprécier cette aventure.

    Le contexte, la lutte des classes dans un monde de Fantasy, ce que j’ai appelé une « Fantasy Marxienne », reste un affrontement entre deux adversaires. Comme dans beaucoup de romans de ce genre.
    Dont les camps ne sont d’ailleurs pas si tranchés que tu sembles le dire.

    Pour l’évasion, justement, le grève telle qu’elle est décrite dans Olangar est une pure fiction. Bien loin des mouvements syndicaux contemporains.

    En outre, l’aventure n’est heureusement jamais sacrifiée à l’angle politique choisi, d’ailleurs plutôt original en Fantasy. Sans parler du gauchissement de certains stéréotype de la Fantasy, assez rafraîchissant.

    Clément Bouhélier m’a fait penser à des auteurs comme Fajardie (en polar) et Lehman (en Sf), lesquels utilisaient aussi, dans leur champs respectifs la politique, mais sans jamais oublier l’évasion.

    Bref, je crois qu’on peut aborder ce diptyque de manière enthousiaste si on cherche de l’originalité et de l’aventure. [-_ô]

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    • « Un poil » différent, hein ? Tu veux dire que nous ne sommes d’accord sur rien, oui. Tu m’excuseras, par exemple, de trouver ton assertion selon laquelle le mouvement syndical décrit dans Olangar n’a aucun rapport avec la réalité tout bonnement risible (je précise que j’ai une sœur militante à la CGT, donc bon, dans la famille, le syndicalisme, on connaît « vaguement »), surtout quand tu soutiens que du coup, cela permet au lecteur en quête de merveilleux et d’évasion du monde réel de s’éloigner de celui-ci. Je vois tout à fait le lecteur qui cherche du merveilleux ou de l’épique être ravi de se retrouver avec un pseudo-Macron, un ersatz de Le Pen, des syndicalistes (nains, certes) et des « salauds de patrons, soldats et politiciens » toutes les dix pages (mais à part ça, les camps ne sont pas radicalement tranchés, non, non). Alors oui, Olangar est un bon bouquin, je persiste et signe, je lirai, pour ma part, sa suite, mais (et son éditeur n’a, lui, aucun problème à le signaler), c’est un livre engagé, en prise avec la réalité (syndicalisme, écologie, etc), ce qui pourra, quoi que tu en dises, être rédhibitoire pour certains profils de lecteurs. Cf l’exemple de l’Ours Inculte plus haut dans le fil.

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      • Non je n’ai pas vu de pseudo-Macron, ni de pseudo-Le Pen, mais des stéréotypes.
        Qui peuvent pourquoi pas t’y faire penser.

        Oui les camps sont trancher, mais pas homogènes, pas plus que les motivations des uns et des autres. Oui il y a des « salauds de patrons, soldats et politiciens », quand ce sont les Nains ou leurs partisans qui en parlent. Dès lors que le point de vue se déplace de l’autre côté des barricades, les ouvriers ne sont pas mieux vus.

        Rédhibitoire pour « certains profils de lecteurs », comme toutes les lectures, non ?

        Mais en effet je persiste à dire que ces deux tomes apportent de l’évasion et que les effets de réels sont assez loin de notre réalité.
        Ne serait-ce que grâce à l’encrage temporel, qui rappellera plus Germinal, que décembre dernier.

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  6. Content de te voir apprécier un auteur français ! ^^
    Quant à l’arrière-goût politique contemporain, c’est marrant, je n’y ai pas du tout vu Macron et Le Pen, j’y ai plutôt retrouvé plein d’allusions au XIXe siècle, moins du nôtre. Chacun son interprétation j’imagine. 🙂

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    • Tu remarqueras que j’ouvre ma critique en parlant d’un contexte inspiré par la fin du XIXe, Hugo, Zola et le Western. Et que je la referme en parlant d’un texte qui est une allégorie de la France actuelle ou passée. J’ai même failli créer un nouveau sous-genre, la « Germinal Fantasy », pour ce livre.

      Concernant les allusions au XXIe siècle, il n’est nulle question d' »interprétations », comme tu dis. L’avantage quand, comme moi, on prend des notes très détaillées lors de chaque lecture, c’est que même près d’un an et demi après celle-ci, on peut aisément prouver ses dires :

      – p 63 : « La Confrérie oeuvre en faveur des sans-dents« . L’expression revient d’ailleurs plusieurs fois dans le livre.
      – Malberg (« Macron ») est un jeune politicien par opposition aux vieux croulants habituels. L’auteur dit qu’il a 32 ans et que personne ne le connaissait deux ans auparavant (ça rappelle quelqu’un, non ?), qu’il séduit les riches comme les pauvres ( = droite comme gauche), et que ses adversaires représentent l’Ancien Régime ( = l’ancien monde selon les éléments de langage LREM).
      – Les forces de l’Ouest sont le clair équivalent d’une Société Militaire Privée moderne et n’ont donc rien à voir avec ce qu’on trouvait fin XIXe en matière militaire, à ma connaissance du moins.
      – Iosef Mandrac (« Le Pen » / « de Lesquen ») réclame l’expulsion des elfes et des nains et le rétablissement des frontières entre les territoires des différentes races.

      Voilà. D’autres questions ?

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