Opexx – Laurent Genefort

Impressionnant

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un SP fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard et Erwann Perchoc !

Le 26 mai 2022, paraîtront deux nouveaux titres de la collection Une heure-lumière, à savoir Un an dans la Ville-Rue de Paul Di Filippo et Opexx de Laurent Genefort. J’ai lu le premier pour le compte de Bifrost (vous pourrez retrouver ma critique dans le numéro 107 du magazine, à paraître début juillet), et ne vous en dirai donc rien (sous peine de décapitation sauvage -Olivier Girard a besoin d’un quickening de temps en temps-), sinon que c’est un excellent livre, à la traduction impressionnante de qualité (signée Pierre-Paul Durastanti -who else ?-) mais peut-être pas tout à fait destiné à tous les profils de lecteurs. Dans la suite de cet article, je vais donc plutôt vous parler de la novella de Laurent Genefort.

Sans doute inspiré par ses activités au sein de la Red Team, Genefort, à mon sens un des meilleurs écrivains de SF français en activité, donne un cadre militaire à sa nouvelle production, reprenant le sigle bien connu OPEX (Opérations Extérieures -sous-entendu au territoire métropolitain français) utilisé par notre Armée et lui ajoutant un « x » de plus, pour marquer le fait que dans son roman, lesdites opérations sont carrément extérieures à la planète Terre. Et, nom de moi-même, qu’il est agréable de voir 1/ un auteur progressiste qui ne fait pas preuve d’un antimilitarisme primaire, et 2/ un éditeur qui n’hésite pas à publier ce sous-genre de la SF (c’est de plus en plus rare).

À la lecture, je me suis longtemps demandé où Genefort voulait en venir. J’avais échafaudé une hypothèse, qui s’est révélée fausse (le narrateur aurait été un alien envoyé pour étudier l’espèce humaine mais ne le saurait pas lui-même parce que sa mémoire a été éditée), et c’est seulement en approchant de la fin que j’ai compris l’angle adopté par l’auteur pour son roman. Que j’ai trouvé très proche d’un légendaire film sorti à la fin des années 80, un long-métrage qui a marqué toute une génération et qui n’a strictement rien à voir avec la SFFF. En repensant à Opexx sous ce prisme d’analyse, beaucoup de choses ont fait sens. J’ignore si monsieur Genefort a intentionnellement « réécrit » cette histoire dans une perspective SF ou si il s’agit d’une coïncidence fortuite, mais dans ce dernier cas, je serais curieux de savoir ce qu’il pense de l’analogie, qui me semble absolument frappante. Je suis aussi curieux de savoir ce que les autres lecteurs vont en penser, et si eux aussi vont faire le même parallèle.

Quoi qu’il en soit, et comme nous allons le voir, même s’il n’est pas tout à fait dépourvu de tropes, voire de clichés, Opexx est un excellent (si j’osais, je dirais même un exxcellent  😀 ) court roman, qui prouve une fois encore, s’il en était besoin, tout le talent de l’homme, notamment en matière de worldbuilding et dans sa capacité à toujours mettre l’humain au centre de ses univers.

Base de l’intrigue

Il y a vingt ans, des émissaires du Blend (terme anglais signifiant « le mélange ») ont débarqué brusquement à l’ONU. Ils ont expliqué être une alliance intergalactique de nombreuses espèces extraterrestres, examiner la possibilité d’intégrer l’Humanité dans leurs rangs, et en attendant, ont demandé à ce qu’elle leur rende un menu service, en échange de la Rétribution (ou Paquets Cadeaux, ce qui m’a rappelé le très méconnu et pourtant absolument excellent Les envoyés de Williams / Dix) : éminemment évoluée et pacifiste, cette metacivilisation ne sait plus faire la guerre, aussi l’agressivité et le bellicisme inhérents à notre espèce les intéressent-ils fortement.

Des soldats triés sur le volet pour leur capacité à accepter (voire tolérer) l’altérité sont donc équipés d’armes et de protections avancées, et expédiés, par téléportation, sur des théâtres d’opérations situés sur d’autres mondes, pour divers types de missions nécessitant la présence d’une force armée : combat, escorte, reconnaissance stratégique, etc. Le narrateur (jamais nommé) est l’un d’eux. Neuroatypique, il est atteint d’un syndrome dit de Restorff, un déficit empathique ayant toutefois un effet secondaire intéressant, celui de lui permettre de mémoriser en dehors de toute affectivité. Il faut en effet savoir qu’avant la mission, le Blend implante dans le cerveau des soldats en Opexx tout un tas de connaissances ou de capacités (langages, connaissance des créatures locales, facultés de décodage sensoriel, et ainsi de suite) et qu’au retour, leurs souvenirs de l’opération sont édités, pour éviter ce qui s’est produit à quelques (sanglantes) reprises au début des missions, à savoir un très explosif choc de réacclimatation à un environnement terrestre, banal (quand on voit les difficultés qu’avaient les soldats US rentrés d’Irak à se réacclimater à la vie paisible en Amérique, on n’ose imaginer l’effet démultiplié de missions de combat carrément sur une autre planète, face à des non-humains !), ou bien le traumatisme psychique de ne plus avoir accès à des clefs de décodage de bribes de souvenirs ou de connaissances qui étaient là, mais qui n’y sont plus.

Notre narrateur anonyme a ceci de particulier que lui, via ses rêves, se rappelle de bien plus de choses que ses camarades. Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes avec madame et leur petite fille une fois en permission…

Tropes et ressemblances *

* Herd Culling, Porcupine Tree, 2022.

Quiconque a dépassé la surface de la SF militaire sait que le motif scénaristique « Nous venons d’une autre planète / d’une autre époque / d’un univers parallèle, nous venons vous recruter, humains du présent / passé, pour nous servir de soldats, parce que nous ne savons pas / plus nous battre / pas nous battre avec ces armes là / qu’il nous faut toujours plus de soldats / plus de soldats agressifs » est récurrent dans ce sous-genre. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet (ce sera sans doute le cas dans une future Apophis Box, si vous êtes intéressés), mais c’est un trope qu’on retrouve, par exemple, dans Le choix du courage de Tanya Huff, dans L’option Excalibur de David « Honor Harrington » Weber ou encore dans la nouvelle Avec du sang sur les mains d’Adam-Troy Castro. Très habilement, Genefort désamorce d’ailleurs lui-même les questions qu’on peut se poser sur la cohérence de la chose (et ses éventuels motifs sinistres sous-jacents).

De même, le motif scénaristique « ils se présentent en amis, nous offrent d’incroyables cadeaux technologiques, mais leurs intentions sont-elles vraiment altruistes / ce qu’elles semblent être » relève lui aussi du domaine du trope, voire du cliché. Là encore, l’auteur fait le boulot, en posant le problème sur la table et en faisant s’interroger son protagoniste dessus.

Outre le film que j’ai évoqué plus que nommément cité, pour ne pas divulgâcher, j’ai aussi trouvé certaines ressemblances entre Opexx et The light brigade de Kameron Hurley, à ceci près que Genefort étant un romancier très nettement meilleur que cette dernière, son court roman est incontestablement supérieur à celui de l’autrice. Et de toute façon, les convergences restent superficielles. Le lecteur expérimenté captera aussi de très probables clins d’œil à David Brin (le terme élévation est employé, et un certain passage a un fort parfum du cycle éponyme) et à Iain M. Banks (il serait très étonnant que le terme Impliqué ait été choisi par hasard !).

Intérêt(s)

Le tout premier intérêt que j’ai trouvé à ce roman au cours de ma lecture est, comme toujours, la qualité du, ou plutôt ici des worldbuildings de Genefort, qui imagine une foule de planètes et créatures étranges, fascinantes voire inquiétantes, avec une redoutable efficacité. Sur ce plan, l’auteur est clairement un, sinon LE maître dans le champ de la SF française, et ce depuis bien longtemps. Ensuite, une fois le livre achevé, j’ai admiré l’enchaînement progressif et inexorable de petits éléments qui avaient conduit à la situation finale que, rétrospectivement, j’aurais dû voir venir. Je ne sais pas si l’auteur a intentionnellement introduit des fausses-pistes (sur les intentions du Blend, l’édition des souvenirs des missions, etc.) ou si mon expérience de lecteur de SF fait que la partie analytique de mon cerveau cherche sans cesse à échafauder des hypothèses sur la nature réelle de l’intrigue, mais j’ai trouvé la chose plutôt bien cachée, personnellement, ne se dévoilant pleinement que vers la toute fin.

Un intérêt supplémentaire que je trouve à Opexx est de fournir une porte d’entrée idéale en SF militaire, car sous forme courte (une exception dans un sous-genre ultra-dominé par de très gros cycles et romans) et émanant d’un écrivain fameux pour son humanisme. Opexx a tout pour prouver (si certains en doutaient encore) que la Science-Fiction martiale peut dégager beaucoup d’émotion, qu’elle peut mettre en scène des soldats sans glorifier le massacre, qu’elle peut être centrée sur l’altérité (ce qui est fortement le cas de cet UHL) sans se réduire à extraterrestre (de préférence arachnide) = communiste / étranger = moi vois, moi tue.

Bref, j’ai trouvé de très nombreuses qualités à Opexx, et ce sur des plans très différents (du worldbuilding à l’émotion dégagée par la fin), qui en font un UHL de fort bon niveau (tout de même estampillé roman Culte d’Apophis, ce n’est pas rien !), même si je ne le placerais pas, pour autant, dans les plus éblouissants de la collection (L’homme qui mit fin à l’Histoire et Le serpent), ni tout à fait au même niveau que l’excellent Un an dans la Ville-Rue, qui sortira en même temps, le 26 mai 2022. J’espère surtout que l’estampille « SF militaire » ne servira pas de repoussoir, car ce serait particulièrement injuste envers un auteur et un éditeur dont l’humanisme et le progressisme ne sont plus à démontrer.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de FeydRautha, celle de Vive la SFFF !, de Xapur, d’Ombrebones, du Maki, de Célinedanaë, de Sometimes a book,

***

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29 réflexions sur “Opexx – Laurent Genefort

  1. Ce livre est sur ma liste, je suis donc content de lire ta chronique qui me donne très envie de lire ce livre.
    Je n’ai jamais lu de SF « purement militaire », parce que ce n’est pas ce que cherche en priorité dans ce genre littéraire, mais le fait que ce soit un court roman plutôt qu’un pavé ou une série de pavés, fait que je vais enfin pouvoir me frotter à ce genre.
    Là tout de suite je n’arrive pas à deviner à quel film tu fait référence.

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  2. Bonjour
    Ce livre est sur ma wishlist depuis que je l’ai vu sur le site du Belial.
    Connaissant et appréciant d’autres ouvrages de Genefort, ta critique confirme mon futur achat.

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  3. J’avais beaucoup aimé sa trilogie La Spire et repéré sa superbe couverture d’Aurélien Police. Il était donc dans ma liste d’achats prioritaires. Alors de la SF militaire et une guerre par procuration façon Tanya Huff me donnent encore plus envie.

    Aimé par 1 personne

    • Sachant en plus combien les inédits en SF militaire deviennent rarissimes en VF, celui-ci est triplement bienvenu : en tant que nouveau Genefort, que nouveau UHL et que Science-Fiction martiale.

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  4. Puisque tu joues aux devinettes, j’ai eu la même impression que toi en lisant L’affaire du Rochile
    A ton tour : quel est le film qui est vraisemblablement derrière ?
    Indice : le réalisateur a fait tourner Richard Widmark, Kirk Douglas, Steve Mc Queen, Charles Bronson et Clint Eastwood (entre autres)
    Il serait bon d’interroger à l’occasion Genefort sur sa cinéphilie qui doit être aussi considérable que sa connaissance de la SF
    et je confirme le Di Filippo (auteur trop rare en traduction) comme une priorité 😉

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  5. Ping : Hors-série Une heure-lumière 2022 | Le culte d'Apophis

  6. Le livre est entré cette semaine à la 85éme place du classement polar SF de Datalib.
    Encore une fois je soupçonne une mobilisation des bibliothécaires suite à ta critique.

    Aimé par 1 personne

    • Si l’auteur était moins connu, pourquoi pas, mais honnêtement, je ne pense pas que les bibliothécaires aient besoin de ma critique pour se mobiliser sur du Genefort, vu que c’est tout de même un de nos auteurs français de SFFF de tout premier plan.

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  7. Je viens d’enchaîner Colonies et Opexx et c’est vrai qu’humanisme et progressisme transpirent des ces textes. C’est encore plus vrai pour sa trilogie La Spire ou Les vaisseaux d’Omale. Autre chose de remarquable avec cet auteur : son style. Il est particulièrement clair et fluide, du coup sa lecture est toujours simple et aisée.

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  8. Ping : Opexx –  Laurent Genefort – L'épaule d'Orion

  9. Ping : Opexx (Laurent Genefort) – Vive la SFFF !

  10. Ping : Opexx – Laurent Genefort – Les Lectures de Xapur

  11. Ping : Opexx – Laurent Genefort | OmbreBones

  12. Ping : Opexx – Laurent Genefort – Au pays des cave trolls

  13. Ping : Opexx — Laurent Genefort – Constellations

  14. Ping : [Chronique] Opexx, de Laurent Genefort – Sometimes a book

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