Les neuf Magnifiques – Chapitres 1-4

Je vous ai récemment parlé de mon projet de cycle de novellas mélangeant Western, Fantasy, Steampunk, Super-Héros et une part pas si négligeable de SF, le cycle des Magnifiques. Dans cet article, je vous propose de lire les quatre premiers chapitres du tome 1, Les neuf Magnifiques. Si ma prose plaît à un nombre suffisant d’entre vous, je mettrai ensuite en ligne un chapitre par semaine jusqu’au quatorzième et dernier. Vos commentaires, même négatifs, sont les bienvenus, à condition bien évidemment qu’ils soient constructifs et argumentés (ce qui signifie que je ne tolèrerai pas des « Cé nhulle » sans argumentaire, par exemple).

Je vous recommande toutefois d’attendre d’avoir lu l’intégralité de ce court roman avant d’émettre certaines remarques : certains points peuvent vous sembler temporairement étranges ou maladroits, alors qu’ils ont été sciemment conçus comme tels pour mieux ménager certaines surprises dans les derniers chapitres. Si, le bouquin fini, vous pensez toujours qu’il y a des maladresses dans la construction de l’intrigue, n’hésitez pas, par contre, à en faire part. Sachez toutefois également que certains points ont été construits non pas selon une logique interne à ce seul tome 1, mais dans la perspective plus globale de l’ensemble du cycle (voir plus loin). Par exemple, deux éléments ont été établis pour servir de noyau scénaristique aux tomes 2 et… 6. Oui, je fais de l’Erikson  😀 Sachez aussi que oui, les personnages sont stéréotypés, au moins pour certains, mais il faut bien se rendre compte que plus on avancera dans le cycle, plus il y aura de Magnifiques et d’antagonistes. Ayant fini d’écrire le tome 2 (115 Ksec -milliers de signes, espaces comprises- contre 197 pour le tome 1), Le retour des Magnifiques, je suis sur le point de commencer la rédaction du tome 3, Pour une poignée de pièces d’or, qui compte vingt-neuf personnages principaux (si, si). Vous vous imaginez donc bien qu’il faut qu’ils aient une caractéristique saillante (d’où l’utilisation des surnoms / Noms de guerre à la Glen Cook, par ailleurs) ou qu’ils soient basés sur un acteur / personnage célèbre pour que la lectrice ou le lecteur s’y retrouve. Vous verrez d’ailleurs ça dès le tome 2, qui oppose neuf Magnifiques à six adversaires surpuissants, inspirés (entre autres) par les Chevaliers du zodiaque. OUI, OUI.

Un mot sur les tomes 2+ (du moins sur certains d’entre eux : en dire même un peu sur les autres serait vous divulgâcher les révélations finales de certains autres) :

  • Le tome 2, Le retour des neuf Magnifiques, est inspiré par le film Le retour des sept mercenaires, par l’anime Les Chevaliers du zodiaque, le cycle d’Hawkmoon de Moorcock, la série Sons of Anarchy et par un film de Science-Fiction légendaire dont je vais soigneusement taire le nom et que je vous laisserai découvrir.
  • Le tome 3, Pour une poignée de pièces d’or, est inspiré par les westerns Pour une poignée de Dollars, Chisum et par la bien réelle Guerre du comté de Lincoln. Les Magnifiques sont appelés à l’aide par les habitants de la ville minière de Silverstone, où deux notables Nains, Khor Lehone et Dhur Hastanti, se mènent une guerre commerciale sans merci qui menace de dégénérer en bain de sang quand chacun fait appel à une bande semblable aux Magnifiques pour l’épauler, respectivement les Gaillards et les Justiciers (vaguement inspirées par les Boys et les Regulators de la véritable histoire de l’Ouest).
  • Le tome 4, Les Magnifiques et le Pharaon, reprendra essentiellement des personnages introduits dans le tome 2 et s’inspire principalement du film La Momie (celui de 1999), plus de éléments tirés de Crocodile Dundee (présents également dans le tome 2) et de chez Rider Haggard (idem).
  • Le tome 5 s’appellera Le zénith des assassins, sera inspiré par Le train sifflera trois fois et reprendra des personnages du tome 3.
  • Les tomes 6 et 7 seront liés et formeront une grande histoire coupée en deux. Ils marqueront un premier changement considérable chez les Magnifiques. Ils s’inspireront du cycle d’Elric de Moorcock, de l’Atlantide et de Tolkien.
  • Le tome 8, Assaut sur la prison, s’inspirera des westerns Rio Bravo et El Dorado (qui sont en fait quasi identiques), et mettra en vedette le bras droit d’Ellie Vanclif chez les Magnifiques, le Duc (non, pas Jeff Bridges, l’AUTRE duc du cinéma, je veux bien sûr parler de John Wayne, ou du moins un personnage modelé sur lui).
  • Le tome 9 renforcera l’aspect SF du cycle et sera inspiré par… The Thing (SI, SI). Le tome 10 lui sera indirectement lié et reprendra une idée que j’avais émise dans une des Apophis Box.
  • Je ne suis pas encore complètement fixé sur le scénario du tome 11. Il sera inspiré par un western (ça, c’est certain), peut-être Tombstone, mais ce n’est pas encore gravé dans le marbre.
  • Le tome 12 renforcera fortement l’influence Super-Héros du cycle.
  • Le tome 13 en sera la suite logique, verra éclater une guerre entre les deux principales puissances coloniales du Continent de la Lune, et la formation d’une nouvelle nation. Cette novella exploitera des éléments mis en place dès le tome… 1, c’est-à-dire celui que vous vous apprêtez à commencer à lire.
  • Le tome 14 exploitera des éléments des tomes 1, 2, 12 et 13.
  • J’ai des idées pour les tomes 15 à 17, mais il est trop tôt pour en parler.
  • De même, j’ai des idées de Spin-off, revenant sur le passé ou les aventures parallèles de certains personnages. Si un personnage du tome 1 vous plait vraiment et que vous souhaitez en savoir plus sur lui, n’hésitez pas à vous exprimer en commentaires. Si je vois qu’il y a une forte demande, je peux écrire une petite (100 – 115 Ksec) novella qui lui sera consacrée.

Pour terminer, n’oubliez pas que ce cycle n’a pas été conçu comme une grande œuvre très littéraire dans l’esprit de l’école française de SFFF, mais plutôt pour retrouver celui des romans d’aventure, de divertissement, des littératures de l’imaginaire pré-années 90-95, en gros. Cela ne veut pas, pour autant, dire qu’il est dépourvu de fond ou qu’il ne vous demandera pas de réfléchir. En effet, j’ai emprunté au polar (qui fait aussi partie des littératures de genre) une démarche consistant à inciter la lectrice ou le lecteur à être attentif aux petits détails, qui ne prendront tout leur sens que lors du chapitre final, qui remet tout en perspective. Cela ne veut pas non plus dire que ces histoires sont dépourvues de style (de mon point de vue, du moins), mais en revanche, il est calibré pour privilégier la fluidité de lecture, la génération d’émotions et le pouvoir évocateur, pas l’esbrouffe stylistique.

Dernier point : si la chose vous intéresse (exprimez-vous dans les commentaires), je me propose de faire, dans des articles séparés, un « making-of » de chaque chapitre publié sur le blog, vous expliquant certains points techniques, d’intrigue, les sources d’inspiration, mettant des photos ou dessins vous permettant de mieux visualiser tel équipement ou personnage, etc. Par contre, vu que cela va représenter un certain travail, je ne le ferai que si, là aussi, j’ai assez de demande pour ça.

Et maintenant, place au spectacle !

(Ne vous étonnez pas, le chapitre 1 est beaucoup plus court que les autres.)

(Je précise que les chapitres 2 et 3 sont ceux que j’aime le moins parmi tous ceux que j’ai écrits sur les 312 Ksec / 2 courts romans rédigés jusqu’ici. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé de dévoiler le 4 en même temps qu’eux, car il donne, à mon sens, une meilleure idée du roman que les 1-3).

(Ah, et puis j’ai failli oublier, c’est de la Dark Fantasy croisée avec du Western Spaghetti / Crépusculaire, et c’est écrit par moi. Donc s’il y avait des Trigger warnings, il faudrait deux pages pour les lister. C’est donc déconseillé aux âmes sensibles, tout ça).

Chapitre 1 : la cavalière pâle

  Lani avait tenu à enterrer son chien toute seule. À quatorze ans, presque quinze, la jeune fille avait été jugée assez mûre par ses parents pour accomplir elle-même cette pénible tâche. Elle était montée, tôt le matin, sur les contreforts de la chaîne de montagnes surplombant Lago, son village, tenant le cadavre emmailloté dans un linge de la pauvre créature massacrée par les vauriens de la bande de Calavera. Deux demi-orcs montés sur autant de centaures s’étaient présentés un peu avant midi pour délivrer un ultimatum : comme chaque année depuis près d’une décennie, le chef de guerre viendrait prélever son tribut, ainsi qu’il le faisait dans d’autres bourgades des environs. Les Anciens avaient eu beau expliquer que s’ils donnaient les quantités exigées, le hameau serait ruiné et ses habitants condamnés à la misère, les émissaires n’avaient rien voulu entendre. Et quand Lani n’était pas parvenue à calmer son petit chien noir, qui ne cessait d’aboyer après ces brutes, qu’il sentait, d’instinct, constituer un danger pour sa jeune maîtresse, l’une d’elles l’avait abattu d’un coup de revolver, avec un sourire mauvais, histoire d’appuyer en actes ses paroles menaçantes. Après quoi la petite clique s’en était allée en ricanant cruellement, promettant de revenir en force dans un mois à peine.

  « Là, ce sera bien », se dit-elle. Sur ce replat, son brave petit chien aurait vue sur tout le bourg, et pourrait continuer à veiller sur elle. Elle creusa le sol meuble, et y déposa le corps martyrisé, avant de combler le trou. Puis elle se mit à prier : « Ô Hesselene, je te supplie de guider l’âme de mon compagnon vers les étoiles et de ne pas le condamner au Néant éternel. Il n’a fait que nous défendre à sa façon. Déesse, je t’en conjure, étend sur nous ta protection ! Nous sommes harcelés par ces horribles hors-la-loi, n’y-a-t-il donc personne pour nous venir en aide ? »

  Sa vision brouillée par les larmes, Lani ne sut jamais si ses yeux lui avaient joué des tours ou si vraiment, sans un bruit, sans un éclair, la femme montée sur un grand cheval pâle était apparue comme par enchantement à l’entrée sud de son village, à l’instant précis où sa supplique prenait fin. Un fait troublant était toutefois que la grande elfe maigre et au regard dur qui le chevauchait portait la tenue noir et argent… des prêtresses d’Hesselene.

***

  Le temps que l’adolescente regagne Lago, courant à perdre haleine, l’étrangère était attablée avec les Anciens à l’auberge. La jeune fille, qui entretenait le fol espoir d’un signe divin, d’un serviteur envoyé par Hesselene en personne, fut déçue d’apprendre qu’elle n’était que la remplaçante de leur Pasteur, mort de vieillesse quelques jours auparavant alors même qu’il était agenouillé, en prière, devant l’autel des Neuf du petit temple local. Ce ne fut que bien plus tard que rétrospectivement, les villageois se demandèrent comment l’archiprêtre le plus proche avait eu vent de leur manque de conseil spirituel, et pourquoi cette elfe élancée était arrivée par le sud. Ce qui ne fit d’ailleurs que mener à d’autres questions, considérablement plus troublantes.

  Sur le moment, toutefois, ils furent surtout pressés de conter leur triste situation à l’ecclésiaste. Quand l’un des Anciens lui demanda son nom, elle lui lança un regard sans réplique, et répondit : « On m’appelle simplement la Prédicatrice. Mon véritable nom est entaché de honte, que je tente d’amender par mes actions au service d’Hesselene et des Neuf. »

  Le récit fait, elle leur demanda pourquoi ils ne se défendaient pas. Après tout, ils étaient près de deux fois plus nombreux que les bandits, même en ne comptant que les hommes et les femmes en âge et en état de se battre. De la foule amassée pour apercevoir la nouvelle venue, des cris de protestation s’élevèrent : « Mais nous ne sommes pas des guerriers, et de toute façon, nous n’avons ni fusils, ni pistolets ! »

  Elle médita leur réponse un moment, puis rétorqua : « Dans ce cas, il vous faut trouver des protecteurs, des professionnels du maniement des armes dont la présence dissuadera la bande de Calavera de s’en prendre à vous. Et pour ce qui est des fusils, ils s’achètent, et les mercenaires pourront vous en enseigner le maniement. » Quand les villageois se lamentèrent que la scélérate leur avait pris leurs maigres richesses depuis bien longtemps, et qu’ils n’avaient pas le centième de la somme qui serait probablement nécessaire, même à eux tous, elle eut un de ses rares sourires : « Certains viendront effectivement pour l’argent, mais pas pour le vôtre. Au bout de toutes ces années, et avec toutes ces bourgades rançonnées, Calavera a dû accumuler un beau butin. Anéantir ou disperser sa bande, c’est s’en emparer. D’autres, en revanche, auront un motif différent pour accepter. », expliqua-t-elle avant de se taire, semblant apprécier de tenir son auditoire en haleine. « Lequel ? », souffla un des Anciens.  Autre sourire de la Prédicatrice : « Mais le plus vieux et le plus basique de tous, bien sûr : la vengeance. Et il se trouve que je connais justement la personne idéale. »

***

Chapitre 2 : Ellie-une-main

  Quatre-vingts kilomètres plus au nord, Ellie Vanclif pénétrait dans un des nombreux saloons de la grande ville-frontière de Lapasse, dernier véritable îlot de civilisation avant de s’enfoncer dans les colonies du sud, et, au-delà, sur l’isthme qui séparait le continent de la Lune de celui du Soleil, terre mystérieuse parée des plus folles légendes mais dont nulle expédition n’était encore revenue. Elle n’était pourtant pas là pour boire, ni pour assouvir son goût pour un des quelconques autres plaisirs, drogue ou chair, qu’offrait ce genre d’établissement malfamé. Non, Ellie avait une mission. Chasseuse de primes, elle gagnait sa vie en ramenant, mortes ou vives, les pires crapules aux représentants royaux.

  L’extrême-sud du continent de la Lune avait beau avoir la réputation, dans le Vieux Monde, d’être une terre sans foi ni loi, la première assertion était grossièrement fausse, et la seconde n’était pas entièrement vraie. Ces contrées méridionales étaient le refuge non seulement des sangs-mêlés, demi-elfes et demi-orcs, chassés du continent originel par son racisme endémique, mais aussi celui des plus vils criminels fuyant la justice du septentrion. Les prévôts représentant les différentes puissances coloniales tentaient, avec leurs maigres moyens, surtout vu les immenses aires à pacifier, d’au moins retirer les pires spécimens de la circulation. On pouvait laisser courir, quelque temps du moins, un voleur de chevaux ou de bétail, mais un violeur, un assassin, un incendiaire ou un marchand d’enfants-esclaves était une tout autre affaire. Les représentants de l’Ordre déléguaient donc l’arrestation, parfois l’exécution pure et simple, de ces vermines à des chasseurs de prime dans le genre d’Ellie. Métier dangereux s’il en est, mais pour le moins lucratif. À condition, bien entendu, de ne pas dilapider même d’aussi coquettes sommes en cognac ou en rhum, en cigares haut de gamme, en prostituées, en opium ou bien dans le jeu.

  Ce qui frappait chez Ellie, c’était le contraste entre d’une part la fraîcheur de ses traits juvéniles, de ses grands yeux bleus, de sa soyeuse courte chevelure châtain doré, et d’autre part le côté dure à cuire, dangereux, mystérieux, donné par la grande balafre marquant sa joue gauche — fruit du coup de sabre d’un repris de justice orc — et surtout le fait que la jeune femme, surnommée Une-main, cachait le moignon de son bras gauche sous un étrange vêtement, qu’une âme peu charitable aurait décrit comme le fruit poussiéreux et élimé des amours d’une cape de pluie et d’un tapis traditionnel des paysans du sud. Droitière, loués soient les Neuf, Ellie restait, malgré ce handicap, une des plus fines gâchettes du Midi.

  Les piliers de bar ne réagirent pas à sa présence, et le pianiste continua à faire retentir ses joyeux accords. On connaissait, au moins de vue, Ellie à des centaines de kilomètres à la ronde, et sa présence n’avait donc rien d’incongru. Dommage pour sa cible du jour, un Sombrecoeur surnommé le Balafré. Si le silence s’était soudain fait, peut-être aurait il pressenti le danger. Mais il continua à deviser tranquillement avec ses voisins de droite et de gauche, un colossal mi-Troll et une chose vêtue de haillons, à la peau d’un vert blafard, dégageant une telle puanteur qu’il ne pouvait s’agir que d’un mort-vivant. Et Ellie détestait les morts-vivants. À vrai dire, elle n’avait pas beaucoup plus de sympathie pour les mi-Trolls, et encore moins pour les Sombrecoeurs. Mais la prime sur la tête du Balafré était de mille pièces d’or, une fortune dans ces terres du bout du monde. Le jeu en valait donc la chandelle.

  Le Sombrecoeur sentit quelque chose frotter son dos, et en se retournant, il contempla, stupéfait, cette jeune humaine embraser tranquillement un court cigare avec l’allumette qu’elle venait d’oser utiliser sur lui. Pour qui le prenait-elle, un élément du mobilier ? Ce qui acheva de porter au rouge sa fureur fut l’air goguenard qu’elle affichait, comme si la chose était parfaitement naturelle. Elle se permit même un : « Un problème, messieurs ? » avec un air d’ingénuité proprement scandaleux. Même l’inexpressif mort-vivant parut sidéré par l’audace de la donzelle.

  Quand on était recherché comme le Balafré (et très probablement ses deux comparses), on évitait en général d’attirer l’attention sur soi. À vrai dire, on devrait même s’abstenir de fréquenter les villes d’une certaine importance, mais que voulez-vous, on a beau être fils d’une elfe noire et d’un orc, on est comme tout le monde, on aime bien se jeter un peu d’eau de feu dans le gosier de temps en temps. À bien y réfléchir, l’attitude d’Ellie ne brillait pas non plus, de prime abord, par son intelligence. Lorsqu’on traquait ce genre de coupe-jarret endurci, on se gardait d’attirer son attention avant de lui passer une corde autour du torse ou du cou, selon la nature du mandat. Toutefois, un vrai malin aurait compris la nature de l’arnaque : mieux valait s’arranger pour neutraliser — que ce soit en les tuant, en les faisant emprisonner ou en les mettant en fuite — les deux complices dans un lieu où ils ne seraient pas en position de force, où ils n’oseraient pas aller trop loin, plutôt que se retrouver à un contre trois en pleine cambrousse.

  Le mort-vivant, qu’Ellie baptisa Le Puant, posa une main sur le bras du Balafré, avant de lui murmurer quelque chose à l’oreille. Le Sombrecoeur acquiesça, une lueur perverse venant remplacer la fureur dans son regard. Visiblement, l’intention était de partir sans faire d’esclandre, puis de tendre une embuscade à Ellie plus tard, dans le but de lui faire subir bien des choses déplaisantes. Dans le genre la violer puis la tuer. Voire l’inverse. Avec ces pervers de morts-vivants, tout était possible. Mais elle avait prévu le coup. Le Puant avait l’air de savoir garder le contrôle de ses actes, mais ce n’était peut-être pas le cas du mi-Troll (affectueusement affublé du sobriquet de Beau Gosse). « Toi ! », lui lança-t-elle, « Je parie dix pièces d’or que même ta mère ne te trouve pas beau ! »

  Sa race n’étant pas connue pour sa maîtrise d’elle-même, le grand échalas verdâtre, au nez crochu et au visage constellé de verrues, voulut laver l’affront dans le sang, et s’empara d’une sorte de long hachoir passé à sa ceinture, une arme grossière, ébréchée et mal entretenue. Amateurs ! N’importe quel professionnel sait que prendre soin de son matériel est primordial ! Ellie réagit avec une stupéfiante rapidité : son bras unique jaillit, assénant une brutale manchette sur le poignet de Beau Gosse pour lui faire lâcher son couperet, puis une seconde à la base du cou, sur un point vital capable de faire s’évanouir un homme d’un seul coup. Les mi-Trolls étant des durs à cuire, l’attaque se contenta de le mettre hors de combat quelques secondes, bien assez de temps pour permettre à Ellie d’empoigner sa dague à sa ceinture, avant de redécorer le visage de l’affreux en la lui plantant dans l’œil. Il n’était pas tombé à terre, raide mort, que la main de la jeune femme s’était déplacée vers son pistolet, avant de prononcer une étrange parole, dans ces circonstances : « Eau bénite ! ». Mais le plus ahurissant fut qu’une voix caverneuse en provenance de l’arme confirma « Eau bénite ». Un tir fusa du canon, touchant le Puant en pleine poitrine. Ce qui fit sourire le mort-vivant : ces maudites créatures pouvaient encaisser sans dommages des coups d’épée ou des balles qui auraient sans le moindre doute tué tout membre d’une espèce normale.

  Il sourit moins quand quelques secondes plus tard, le trou d’entrée se mit à émettre une lueur blanche, à grésiller, puis à carrément fumer. Une tache noire se répandit à la vitesse de l’éclair, consumant les chairs impies. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le Puant avait rejoint le Néant qu’il n’aurait jamais dû quitter. Deux de moins. Au Balafré, sa vraie cible, maintenant.

  Sauf que le tenancier du bar ne l’entendait pas de cette oreille. Il exhiba un fusil de chasse à canons jumelés d’un calibre plus que respectable, avant de cracher, l’air mauvais : « Allez régler vos affaires dehors, ou je vous abats tous les deux ! ». Visiblement, il ne plaisantait pas. Le Balafré avait dégainé une rapière à la lame noire recouverte de runes funestes dans une main, et un pistolet au canon inhabituellement long, vraisemblablement d’origine elfique, dans l’autre, mais vu que certains des clients avaient eux aussi posé la main sur leurs revolvers, il estima plus prudent de sortir libre et vivant de cette souricière plutôt que de se lancer dans une vaine bravade. Il rangea très lentement son arme à feu, en ne quittant pas Ellie des yeux, mais garda son épée en main jusqu’à ce qu’il atteigne la porte du saloon, lançant à la jeune femme, les dents serrées : « On se reverra, morveuse ! ». Puis il s’éclipsa dans la rue.

  Ellie sourit. Son plan avait fonctionné comme prévu. Le Balafré finirait, d’ici quelques jours, par attaquer une ferme des environs, à la recherche de nourriture, d’argent ou d’une pauvre fille sur laquelle passer ses frustrations. Elle l’aurait à ce moment là, maintenant qu’il était seul. Car il n’oserait plus montrer sa sale trogne en ville, désormais : quand on réagissait, les armes à la main, à une petite plaisanterie et une vague insulte, on était clairement loin d’être un bon citoyen. Des dizaines de personnes avaient vu le Balafré en action, et son retour à Lapasse ne passerait certainement pas inaperçu. Ellie pensait même savoir vers quelle ferme il se dirigerait. L’une d’elles était moins bien défendue que les autres, et le chef de famille avait une femme d’une beauté rare dans ces campagnes. Il n’y avait plus qu’à se poster à proximité et à attendre quelques nuits, au maximum, pour refermer le piège.

***

  Deux soirs après leur altercation, et alors qu’Ellie surveillait, à quelques dizaines de mètres, l’hacienda concernée, la chasseuse de primes aperçut la forme massive du Sombrecoeur se faufiler en direction du corps de ferme. Elle dégaina son pistolet, l’arma, puis cria au semi-orc : « Salut, tu te souviens de moi ? », son sourire colorant son timbre de voix. Elle ne souriait plus, à peine quelques instants plus tard, quand la voix du Balafré jaillit dans son dos en lui rétorquant : « Mais oui, fort bien, ma chère ! », tandis que l’homme qu’elle avait pris pour lui lui faisait face, dévoilant le visage mangé par la petite vérole d’un quelconque bandit local. Se retournant, elle s’aperçut que deux autres hommes du même acabit entouraient, des fusils pointés sur elle, le Balafré. Qu’Hesselene, la déesse de la Mort, ait pitié d’elle, elle ne pensait pas qu’il recruterait d’autres acolytes aussi vite et aussi facilement. Toute sa bande n’avait pas dû se rendre en ville pour se rincer le gosier, juste ses deux principaux lieutenants. C’était la seule explication !

  D’un coup de rapière, le Balafré fit voler le pistolet d’Ellie, qui s’écrasa quelques mètres plus loin, dans l’herbe, tandis que le faux Sombrecoeur, qui avait servi d’appât, la délestait de son couteau. Sarcastique, le Balafré lui lança alors, l’œil brillant : « Alors, que fait une manchote quand elle n’a plus d’arme en main ? », ce à quoi Ellie rétorqua du tac au tac, et avec un immense sourire : « Mais elle utilise son autre main, bien sûr… »

  L’étrange cape ou couverture de la jeune femme se souleva, du côté où nul membre n’était plus supposé se trouver, et trois coups de feu en jaillirent, abattant les hommes de main du Balafré. Bien qu’il ait transitoirement affiché un réjouissant air de stupéfaction et de peur, il se reprit très vite : il se drapa dans son manteau noir, et disparut, comme avalé par la nuit. Damnation, une Cape d’invisibilité ! Ellie se hâta de ramasser son pistolet magique, et de lui souffler « Traqueuse ! ». L’arme confirma, et tira. Aussi ahurissant que cela puisse paraître, la balle changea de direction en plein vol, frappant un point situé à hauteur de tête et faisant jaillir une gerbe de sang, d’esquilles d’os et de matière cérébrale. Dans la mort, sa cape ensorcelée s’ouvrit, et le Balafré réapparut.

  Mais Ellie n’eut pas le temps de savourer son triomphe : un projectile vint la frapper à l’épaule gauche, lui coupant le souffle. Le roué personnage avait posté un fin tireur un peu plus loin ! Et le pire était que la chasseuse de primes n’avait pas vu d’où provenait le coup. Bien plus loin que la portée des munitions chercheuses de son revolver enchanté, pour sûr. Elle eut à peine le temps de se jeter à terre qu’une balle siffla là où se trouvait sa tête un instant à peine auparavant. Un fin tireur, ça oui. Son esprit tournait à plein régime, cherchant une solution, quand un cri affreux retentit soudain. Quelques secondes plus tard, elle vit une sorte de boule rouler vers elle. Ce n’est qu’arrivée à ses pieds qu’elle se rendit compte que c’était en fait une tête humaine tranchée net. Et le sabre courbe qui avait mis fin à l’existence de son agresseur était entre les mains d’une elfe blafarde, élancée et étique, au regard dur, portant la tenue noir et argent des prêtresses d’Hesselene.

  Avec stupéfaction, Ellie s’écria : « Par les Neuf, c’est toi, Cli… ». Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, son interlocutrice l’arrêtant d’un geste impérieux. « Je n’use plus de ce nom. On me connaît sous celui de Prédicatrice, désormais. Mais oui, c’est bien moi. »
La chasseuse de primes opina et répondit : « Comme tu veux. Merci, tu m’as sauvé la vie, en tout cas. Encore une fois ». Les deux femmes s’étaient rencontrées sept ans plus tôt, quand la prêtresse avait utilisé sa magie théurgique pour soigner une grave blessure infligée à Ellie. Hesselene n’était pas seulement la déesse de la Lune, de la nuit, la juge et psychopompe des âmes ; c’était aussi la divinité tutélaire de la sorcellerie, et elle partageait avec Tellagaïa, déité de la Nature et de l’agriculture, le don de guérison. Les années semblaient ne pas avoir épargné l’ecclésiaste : si Ellie se souvenait bien, elle devait maintenant avoir dans les quarante-deux ans, mais pourtant, elle en paraissait au moins dix de plus. Voire pas loin de quinze. Qu’est-ce qui pouvait avoir ainsi brisé cette femme ?

  « C’est une sacrée chance que tu te sois trouvée dans les parages, Prédicatrice. Sans toi, je rejoignais le paradis d’Hesselene.
– La chance n’a rien à voir là-dedans. Je te cherchais, et ma déesse m’a guidée vers toi.
– Pour quelle raison ?
– Je suis désormais la prêtresse attitrée d’un village situé à moins d’une centaine de kilomètres d’ici. Ils ont des ennuis avec des bandits qui les rançonnent, et je cherche des mercenaires qui pourraient les dissuader, ou former les villageois pour qu’ils assurent leur propre défense.
– Ah. Et en quoi ça m’intéresse ?
– Le chef de la bande est Calavera.
Quoi !? Mais on a dit qu’elle était morte, que les troupes coloniales avaient eu sa peau, exterminant jusqu’au dernier membre de sa maudite tribu de mangeurs d’herbe !
– Il semblerait qu’elle ait survécu et formé une nouvelle sorte de clan. Elle pille tous les bourgs de l’extrême-sud depuis une bonne dizaine d’années. Apparemment, elle a établi son repaire suffisamment loin de la civilisation pour être à l’abri des prévôts comme des soldats.
– Tu es sûre qu’il s’agit bien d’elle, tu en es certaine ?
– La description que mes ouailles m’en ont faite ne laisse pas de place au doute.
– Comment peux-tu être aussi affirmative ? Je ne t’ai décrit cette centauresse qu’à une seule reprise, et c’était il y a des années…
– C’est que, vois-tu, j’ai eu, moi aussi, l‘occasion de l’observer de près. Elle s’en est prise à mon couvent quelque temps après notre rencontre.
– Je l’ignorais ! Dis-m’en plus ?
– Je réserve cette histoire pour une autre fois. Le temps presse, malheureusement. Calavera et sa bande reviendront dans mon village dans moins d’une lune. Il me faut réunir une équipe aussi vite que possible, rentrer à bride abattue, entraîner les villageois et renforcer les défenses de la bourgade. Et c’est là que tu interviens.
– Tu peux évidemment compter sur moi. La pensée que cette créature est encore en vie m’est insupportable !
– À vrai dire, je m’intéresse encore plus à tes relations qu’à ta personne. Tu es toujours en contact avec ta bande ?
– Les autres membres des Sept ? Je sais approximativement où ils sont, oui. C’est eux que tu veux recruter ?
– Oui. C’est faisable en une semaine ?
– Tout juste, si on s’y met sans tarder.
– Qu’attendons-nous alors ? »

***

Chapitre 3 : Blondinette et Crasseuse

  « Par les pouvoirs qui me sont conférés par Son Excellence le vice-roi de Nueva Hispania, je vous condamne, Tuko Büchs, dite « Crasseuse », à la peine de mort par pendaison, avec exécution immédiate, pour les crimes de vol de banques et de services postaux de l’État, escroquerie et extorsion de fonds, trafic de fausse monnaie, attaque à main armée, trafic d’objets sacrés — à ces mots, un murmure de désapprobation s’éleva de la foule venue assister au specta… à la pendaison — d’incendie criminel, de faux témoignage, d’abandon de domicile conjugal, d’incitation à la prostitution sur la personne d’une fillette de douze ans — autre murmure horrifié — de recel, d’usage de jeux de cartes et de dés truqués, d’agression et de coups et blessures. Qu’Hesselene ait pitié de votre âme ! »

  Pendant tout le temps que le juge débitait la longue litanie de ses méfaits, Crasseuse opinait du chef, émettant parfois des grognements approbateurs. Elle faillit s’insurger quand le magistrat mentionna l’âge de la gamine qu’elle avait voulu mettre sur le trottoir pour se faire quelques piécettes d’argent — « Mais je croyais qu’elle en avait quinze, c’est bien assez vieux ! » — mais décida que c’était inutile. Quand, comme toutes ces bonnes gens, on condamnait une honnê… enfin une Naine tout court à mort pour ces quelques broutilles, il était inutile de discuter. D’ailleurs, si la foule n’avait pas été aussi occupée à la huer, elle aurait dû remarquer que pour quelqu’un supposé passer de vie à trépas dans une poignée de secondes, Crasseuse affichait un étrange sourire madré.

  Et pour cause… À quelques dizaines de mètres de là, la chasseuse de primes qui avait livré l’immonde criminelle Naine à la Justice royale contemplait la scène, le même genre de sourire aux lèvres, montée sur une jument pie. Aux yeux des honnêtes gens, elle semblait vouloir s’assurer que le travail qu’elle avait commencé en capturant Crasseuse était mené à bien, en voyant se balancer son cadavre. La populace allait cependant vite comprendre que son intention était tout autre ! Car tout cela n’était qu’une arnaque bien rodée, menée à bien par l’improbable duo formé par la Naine et la demi-elfe qu’elle avait surnommée « Blondinette ». Cette dernière faisait semblant de livrer Crasseuse, qui était en réalité son associée, touchait la prime, puis la libérait d’un tir bien placé sur la corde servant à la pendaison, avant que les deux roublardes ne s’éclipsent dans la confusion. En répétant ce coup dans des petites villes suffisamment éloignées les unes des autres pour que l’alerte ne se propage pas à temps, les deux femmes pouvaient littéralement plumer tous les prévôts d’une province en deux ou trois semaines. Tout ce qui était nécessaire était de bons chevaux, un tireur sûr et une sacrée dose d’audace. Et tout cela, Crasseuse et Blondinette l’avaient.

***

  Les deux comparses finissaient de savourer un lièvre tiré l’après-midi même et s’apprêtaient à digérer en fumant un bon cigare, quand une elfe longiligne surgit de nulle part et pénétra dans le cercle de lumière de leur feu de camp. La demi-elfe et la Naine sursautèrent, dégainant leurs pistolets plus vite que l’éclair. Comment avait-elle fait pour tromper leur vigilance ? La femme, vêtue de la tenue sacerdotale des adeptes d’Hesselene, leva les mains en signe d’apaisement et déclara : « Du calme, mes amies, je viens vous voir de la part d’Ellie Vanclif, il me semble que vous la connaissez ? ».

  La mention de ce nom familier ne sembla pas rassurer les deux arnaqueuses, bien au contraire : se prévaloir d’un tiers de confiance était un bon moyen, pour un représentant de la Loi ou un assassin, d’endormir la méfiance de ses victimes potentielles. « Et qu’est-ce qui me dit que c’est vrai ? », déclara, soupçonneuse, Crasseuse.

  « Elle m’a donné ça », rétorqua la Prédicatrice, lui tendant le revolver qu’Ellie cachait sous sa tenue. « Elle m’a demandé de vous dire qu’il ne fonctionnait plus que comme une arme normale. Le mécanisme que vous avez conçu est défectueux, elle doit à nouveau armer manuellement avant de presser la détente.
– Ah, mais ça change tout, ça », dit Crasseuse en s’emparant de l’arme, vérifiant que l’inscription sur la crosse — Pour Ellie, C. — était bien présente. Elle rangea son pistolet, lançant un regard à Blondinette pour l’inciter à faire de même, fit signe à la prêtresse de s’asseoir près du feu de camp, puis reprit : « Et pourquoi Ellie n’est-elle pas là en personne ?
– Elle est partie chercher Mamie et Mademoiselle. Elle veut remonter son ancienne équipe pour m’aider à défendre un village rançonné par des bandits, dans le sud.
– Tiens donc, elle a viré sainte, maintenant ? Elle est aussi cupide que nous, dans son genre, un tel altruisme ne lui ressemble guère.
– Le chef de la bande est Calavera. »

  La demi-elfe et la Naine ouvrirent des yeux ronds comme des assiettes, puis déclarèrent presque simultanément, générant un bien involontaire effet comique :

  «  Vous plaisantez ? Mais elle est morte !
– Non, elle ne l’est pas, et Ellie veut régler ses comptes avec la centauresse. Elle vous demande de vous joindre à elle. Si ce n’est pas par fidélité, il y aura toutes les richesses de la bande à la clef.
– Ellie est comme une sœur pour moi », intervint Blondinette. « La question ne se pose même pas de mon côté. Tu suis, espèce de rat puant ?
– De l’or, une amie dans le besoin, un village plein de jeunes hommes vigoureux, des centaures à tailler en pièces, que peut demander une honnê… une simple Naine de plus ?
– C’est réglé, alors. Comment doit-on vous appeler ?
– Prédicatrice suffira.
– Comme vous voulez. Et au fait, comment nous avez-vous retrouvées ?
– Les voies de la Déesse sont impénétrables.
– Ah d’accord », s’esclaffa Crasseuse. « Vous êtes une marrante, dans votre genre, vous ! Non, sérieusement ?
– Je suis allée dans la direction opposée aux patrouilles qui vous recherchent pour vous passer une corde au cou, puis j’ai guetté la lueur d’un feu de camp. »

  Les deux arnaqueuses semblèrent se contenter de cette explication. La vérité, bien sûr, était tout autre.

***

  Au petit matin, Blondinette et la Prédicatrice étaient parties vers le point de rendez-vous fixé par Ellie, tandis que Crasseuse se dirigeait vers sa planque, dans un canyon tellement désolé et difficile d’accès qu’aucun chasseur de primes et nul prévôt n’aurait songé à l’y chercher. Si sa vieille bande se réunissait, c’était l’occasion idéale pour leur faire tester ses dernières créations en matière d’armes à feu. Car Crasseuse n’était pas qu’une hors-la-loi : c’était surtout une armurière de très grand talent. En fait, si la Naine s’était lancée dans une carrière criminelle, c’est parce qu’elle avait besoin de beaucoup d’argent pour financer ses créations mécaniques, magiques, ou celles mêlant les deux arts à la fois. Métaux rares et sources d’énergie arcaniques coûtaient très cher, et le braquage de banques ou le trafic de contrefaçons étaient des moyens faciles de s’en procurer en grande quantité et rapidement. Pourtant, au fond, ce n’était pas une mauvaise bougresse.

  Arrivée dans son repaire, elle commença par faire quelque chose qui aurait sidéré ceux qui lui avaient donné son surnom : se prélasser interminablement dans un bain chaud, généreusement agrémenté de sels odorants fort coûteux. Certes, quand on passait ses journées à forger ou à tester de nouvelles munitions ou des armes inédites et expérimentales, on se retrouvait inévitablement recouverte de suie, de résidus de poudre, avec des vêtements à moitié brûlés sentant une transpiration tentant désespérément de refroidir un corps éprouvé à la fois par la chaleur de la forge et celle de ce canyon, qui semblait servir d’enclume à un soleil impitoyable. Certes. Mais il fallait bien avouer que même sortie de son antre, la Naine se contentait très bien de haillons, de vêtements dépareillés et vaguement ridicules, ne prenait aucun soin de son apparence, et qu’en comparaison de son ancienne comparse, Mademoiselle, eh bien oui, elle avait l’air… crasseuse. Mais même le dernier des rats d’égout peut apprécier un bon bain, et même la plus garçonne des naines de prendre soin d’elle de temps en temps. Surtout quand personne n’est là pour le rapporter. Crasseuse était étrangement fière de sa réputation de bandit le plus sale du Sud, et mettait un point d’honneur à l’entretenir.

  Sauf que… La porte de la salle d’eau s’ouvrit à la volée, et un individu affichant une triomphante risette et pointant un revolver d’un fort respectable calibre jaillit dans la pièce, lançant un joyeux : « Ah, je te tiens, scélérate ! ». Crasseuse leva à peine un sourcil, et rétorqua, l’air d’une archiduchesse ayant été dérangée par un individu excessivement grossier et ennuyeux : « Ça par exemple, mais c’est Sourire, le plus minable des chasseurs de prime du Sud ! Comment m’as-tu retrouvée, canaille ? »

  L’individu patibulaire exhiba la dentition particulièrement lacunaire qui lui avait valu son sarcastique sobriquet, et répliqua : « C’est mon petit secret, gibier de potence ! Tu vas sortir de ton bain comme une gentille fille, et je vais te ramener à Lapasse ! Tu feras ma gloire et ma fortune, tu… »

  Il fut interrompu par deux projectiles de plomb, qui jaillirent de sous l’eau de la baignoire et allèrent se ficher dans sa poitrine. Il tomba à terre, un air de stupéfaction sur le visage, pas encore mort mais presque. Crasseuse se dressa, exhibant sans pudeur sa nudité devant l’agonisant, le lorgna un court instant, lui logea un troisième projectile en plein milieu du front pour l’achever, avant de s’écrier, d’un ton scandalisé : « On peut prendre son bain tranquille dans ce pays ou pas ?! »

  À la décharge du pauvre Sourire, qui aurait été capable d’imaginer que quelqu’un ferait ses ablutions… avec un revolver ?

***

  Pendant ce temps, la Prédicatrice et Blondinette chevauchaient en direction du village pittoresquement nommé « Les Palmeraies », où elles étaient supposées retrouver Ellie, Mamie et Mademoiselle deux jours plus tard, trois au pire. Elles arrivaient à la passe franchissant les montagnes entourant la plaine où se trouvait le bourg quand la demi-elfe fit signe à sa nouvelle compagne de voyage de faire halte. « Endroit idéal pour une embuscade, vous ne trouvez pas ? », souffla-t-elle. « Tout à fait », confirma la prêtresse. Elle n’a pas sitôt fini de prononcer ces paroles, l’air sinistre, qu’un coup de feu claque juste devant le sabot de sa monture, et qu’un ordre sec est aboyé : « Lâchez vos armes et rendez-vous, je ne le répéterai pas ! ». Six hommes, tous munis de fusils à levier de sous-garde, une arme récente dotée d’une capacité de quinze cartouches et capable d’enchaîner les tirs très rapidement, se dévoilèrent dans les rochers environnants. Très lentement, et sans jamais cesser de pointer leurs armes vers les deux femmes, ils convergèrent vers elles.

  La Prédicatrice leur lança, tout en éperonnant sa monture pour qu’elle s’approche du groupe : « Mes fils, je ne comprends pas, qu’avez-vous à me reprocher ? Je ne voyage avec cette jeune personne que depuis quelques heures, je l’ai rencontrée sur la route des Palmeraies, et nous avons convenu qu’il serait plus agréable, et sans nul doute plus sûr, de cheminer ensemble plutôt que séparément. Serait-elle une criminelle ? Je l’ignorais, vous pouvez me croire, sans quoi moi, prêtresse d’Hesselene, déesse de la Justice divine, je n’aurais jamais voyagé avec une hors-la-loi ! »

  Même Blondinette faillit s’y laisser prendre, tant le ton à la fois outragé et catastrophé de l’elfe paraissait sincère. Et de fait, les six chasseurs de primes parurent troublés, ce qui ménagea à la grande femme une ouverture, un bref instant qu’elle sut mettre à profit. Avantagée par le fait que du haut de sa monture, elle les dominait, elle dégaina son sabre courbe en un éclair, tranchant deux têtes d’un seul mouvement d’une fabuleuse puissance pour une femme si efflanquée, avant de charger un troisième homme, qui eut le temps de tirer mais manqua son coup. Cédant à la panique, il se retourna, tentant de s’enfuir. Erreur fatale, immédiatement exploitée par la Prédicatrice, qui lui fendit le dos sur toute sa longueur, avant de mettre pied à terre d’un bond pour lui ouvrir la gorge d’un revers de lame, faisant jaillir une vaste gerbe de sang artériel. Le spectacle horrible de la soudaineté et de la brutalité de la mort de leurs camarades pétrifia les trois autres assaillants, et Blondinette ne leur laissa pas le temps de se reprendre : leurs poitrines furent bientôt ornées de trous sanglants à hauteur du cœur.

  Blondinette s’apprêta à féliciter l’ecclésiaste pour son efficacité quand à quelques dizaines de mètres, le hennissement d’un cheval se fit entendre. Damnation ! Il y avait un septième homme, et celui-là filait à bride abattue vers Les Palmeraies pour y prévenir le Prévôt local que deux meurtriers se dirigeaient tout droit vers le hameau. Ou du moins le croyait-il. Il était clair qu’il ne connaissait pas la région : pour le coup, le village était vraiment sans foi ni loi, et il avait plus de chances de s’y faire trucider qu’autre chose. C’est d’ailleurs pour cela qu’Ellie l’avait choisi comme point de rendez-vous : aucun représentant de l’Ordre ne viendrait troubler la réunion de sa bande de mercenaires. Mais laisser filer l’individu représentait un risque, et Blondinette était une femme qui ne laissait rien au hasard.

  «  Voulez-vous que j’utilise ma sorcellerie pour le neutraliser ? », intervint la prêtresse. « Avez-vous une préférence ? Amnésie, éclair, une boucle temporelle qui le ramènera directement à l’endroit d’où il est parti, d’où nous n’aurons plus qu’à le cueillir ?
– C’est fort aimable à vous, ma Sœur, mais ce ne sera pas nécessaire. »

  Tout en prononçant ces paroles, Blondinette fouilla dans les fontes de sa monture, dévoilant un étrange fusil au canon spectaculairement long, surmonté par un tube à la fonction mystérieuse, avant d’y coller son œil.

  « Il est très loin, vous savez. Vous ne réussirez jamais à faire mouche à pareille distance, si fine gâchette que vous soyez. » La Prédicatrice avait à peine achevé sa phrase que le coup partait. Le temps de vol fut suffisamment long pour qu’elle eut tout le loisir de se tourner vers le fuyard et de le voir chuter au bas de sa jument, raide mort. Et évidemment, Blondinette affichait un sourire aussi éblouissant que la splendide chevelure qui lui avait valu son affectueux surnom. Narquoise, elle se fendit d’un : « Vous disiez, femme de peu de foi ? »

***

Chapitre 4 : Mamie et Mademoiselle

  Le Royal était le plus grand saloon et hôtel de la ville de Coronado. C’est dire qu’on y voyait du beau monde, ainsi que certaines des femmes les plus attirantes de la province. La créature qui venait d’en passer les portes stoppa pourtant le pianiste dans son élan, arrêta toutes les conversations et coupa net la plupart des souffles. Une silhouette élancée aux formes harmonieuses, mises en valeur par un assemblage rien moins que diabolique de cuir, de brocart, de plumes et de dentelle, offrant d’ensorcelants aperçus de son décolleté ravageur et de sa cuisse au galbe sublime. Un visage en forme de cœur, illuminé par d’immenses yeux émeraude et un sourire éblouissant, dessiné par des lèvres parfaites rehaussées de carmin, que couronnait un charmant grain de beauté. Une chevelure cuivrée cascadant sur des épaules nues à la peau d’albâtre sans défaut. Ange descendu du Ciel ou Succube montée du plus profond des Enfers, nul n’aurait su le dire, mais elle avait instantanément jeté sur les clients, et jusqu’au personnel lui-même, les rets d’un sortilège dont ils auraient bien du mal à se dépêtrer.

  L’étourdissante apparition marcha, non, plana d’un pas gracieux vers la réception, s’adressant au directeur de l’établissement, tout aussi médusé que les autres. Voilà donc à quoi devait ressembler le chant des Sirènes, fut la réflexion générale de l’assistance au son de sa voix mélodieuse. La jeune beauté s’enquit du numéro de chambre d’un certain Monsieur LaHood, homme d’affaires venu de Nouvelle-Avalon, loin au nord du continent, qui était de passage dans la région pour négocier l’achat de concessions minières prometteuses. On disait de lui qu’en expropriant par la menace, voire la force, de petits propriétaires et prospecteurs au Septentrion, il avait bâti une considérable fortune. Le directeur, obséquieux, l’invita à le suivre séance tenante, et lui demanda le motif de sa visite à l’honorable Monsieur LaHood, ainsi que le nom sous lequel il devait la présenter. L’ingénue lui répondit qu’elle s’appelait « Mademoiselle », et que le motif de sa visite était d’ordre privé. Très privé, ajouta-t-elle avec un clin d’œil désarmant. Si troublé qu’il avait viré au cramoisi et suait carrément à cause de la montée en régime de son imagination lubrique, le directeur n’eut même pas la présence d’esprit de lui rétorquer « Mademoiselle comment ? » et la guida, empressé, vers les étages.

  LaHood était un homme riche, qui s’était fait de nombreux ennemis. Il y avait donc deux gardes devant sa porte, un à chaque extrémité du couloir où se trouvait sa suite, et deux autres dans celle-ci. Le seul endroit où ils ne pénétraient pas était sa chambre proprement dite. La jeune femme n’eut pourtant pas la moindre peine à être admise dans les appartements de l’homme d’affaires. LaHood avait, comme tous les jours depuis qu’il logeait au Royal, demandé à ce qu’une catin de luxe lui rende visite, et cette beauté était pile à l’heure. Et pour cause, Mademoiselle ayant soudoyé la mère maquerelle à laquelle LaHood faisait appel, obtenu l’horaire auquel sa protégée devait se présenter, et lui ayant dit qu’il était inutile qu’elle le fasse ce jour-là, quelqu’un d’autre devant prendre sa place. C’est aussi de cette façon qu’elle eut connaissance de la façon dont le magnat était protégé.

  La méfiance d’une des sentinelles du couloir fut éveillée par un bruit suspect en provenance de l’escalier. Elle dégaina son arme et jeta un coup d’œil, avant de descendre quelques marches pour en identifier la source. Qu’elle trouva, pour son plus grand malheur. L’homme mourut sans comprendre ce qui lui arrivait.

 Les gardes devant la porte virent leur collègue quitter son poste, puis une servante âgée, particulièrement voûtée, en tenue de femme de chambre, arriver et leur déclarer d’une voix faible et chevrotante : « Je crois que votre ami a fait un malaise, il est tombé dans l’escalier… »

  L’un des deux quitta son poste, dégainant lui aussi son revolver, tandis que le mercenaire en faction à l’autre bout du couloir se rapprochait pour mieux couvrir la porte, au cas où. Quand le premier homme de main arriva à hauteur de la vieille, elle s’anima comme un diable sortant brusquement de sa boite : elle se redressa, abandonnant sa posture faussement voûtée et semblant presque doubler de taille, tandis que son expression vaguement sénile, un peu perdue, accablée par la vieillesse et trop de labeur pour ses frêles et anciennes épaules, laissait la place à un air de satisfaction mauvaise. Une courte lame à la forme vicieuse vint se ficher dans le cou du garde, mettant fin à ses jours dans l’instant.

  Dans la main gauche de l’assaillante, un minuscule pistolet à deux canons sembla apparaître comme par enchantement, même si en réalité, nulle sorcellerie n’était à l’œuvre : un ingénieux dispositif à ressort d’origine gnome faisait jaillir l’arme, prête à faire feu, dans la paume de son porteur, s’il exécutait un certain mouvement sec du poignet. C’était un modèle ayant la faveur des dames, mais aussi des assassins, pour sa discrétion et sa capacité à être aisément dissimulé dans un sac à main ou en haut d’un bas de soie. Les munitions, elles, n’avaient rien de banal, cependant : c’était une des créations issues de la science et de la magie runique de Crasseuse, des balles qui, au lieu d’émettre l’aboiement sec commun à toutes les armes à feu, ne laissaient échapper qu’un vague chuintement, inaudible à plus de quelques mètres ou de l’autre côté d’une porte. Les deux sentinelles restantes furent affublées d’un trou sanguinolent au milieu du front en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

  Le bruit sourd de leur chute sur le sol aurait pu alerter les deux factionnaires restant dans la suite elle-même s’ils n’avaient pas été hautement distraits par les cris de plaisir de la jeune beauté qui, de l’autre côté de la porte de la chambre, semblait subir les assauts bestiaux de LaHood, si on en jugeait par les grognements quasi-animaux que celui-ci émettait. La réalité, pourtant, était tout autre : Mademoiselle avait encore la majorité de ses vêtements, et si le lubrique homme d’affaires grognait, c’est parce qu’elle lui avait planté un lourd stylet en plein poumon, ayant l’instruction claire de son commanditaire qu’il souffre avant de rejoindre l’Au-delà d’Hesselene. Quand elle entendit deux séries de coups secs frappés à la porte principale, suivi d’un seul, elle sut que Mamie avait fait sa part du travail et se posta juste derrière celle de la chambre. Quand l’un des gardes ouvrit à sa complice, il reçut instantanément trois coups de poignard en plein torse, puis un quatrième qui pénétra le cerveau par l’oreille gauche pour l’achever. L’autre était en train d’essayer frénétiquement de dégainer son arme quand Mademoiselle déverrouilla la porte de la pièce à la volée et lui expédia une lame de lancer, jusqu’ici cachée dans son porte-jarretelles, en plein cœur.

  Satisfaite, elle retourna vers le lit, où LaHood agonisait, lui empoigna la tête par les cheveux, plaça le tranchant d’un autre couteau dissimulé sur sa gorge, avant de lui souffler à l’oreille, d’un ton qui n’avait plus rien de charmant mais suintait le venin : « De la part des prospecteurs de Malpaso ! », et de l’égorger. D’un signe de tête, elle indiqua à Mamie de quitter les lieux avant que quelqu’un ne tombe sur un des cadavres. En un rien de temps, la jeune beauté et la vieille bique empruntèrent l’escalier de service, et sortirent par l’entrée des fournisseurs sans être remarquées. C’est là, cependant, qu’elles jouèrent de malchance, car LaHood avait encore un autre homme de main, très récemment ajouté à ses gardes du corps, et dont la mère maquerelle qui avait renseigné Mademoiselle n’avait pas connaissance. Il avait prétexté un besoin naturel urgent pour aller en réalité trousser discrètement la plus jolie des femmes de chambre. En découvrant, à son retour, les cadavres de ses collègues, il avait alerté les Prévôts, qui avaient lancé une chasse à l’homme avant que les deux tueuses ne puissent prendre une diligence pour quitter la ville. La beauté de Mademoiselle avait ses avantages, mais elle la rendait aussi difficile à oublier et facile à décrire. Sale temps pour les sicaires…

***

  Si Blondinette et Crasseuse étaient des arnaqueuses d’exception, capables de blouser n’importe quel juge ou prévôt, de fourguer de la marchandise volée, de la fausse monnaie ou des objets et documents contrefaits, Mademoiselle et Mamie étaient, elles, capables d’opérer de véritables tours de magie en matière d’intrusion et d’assassinat, la première détournant l’attention par son charme extraordinaire, tandis que l’autre se fondait littéralement dans le décor, nul ne songeant un instant à se méfier de la vieille femme avant qu’il ne soit bien trop tard. Pourtant, si les deux tueuses à gages étaient d’incontestables expertes dans l’art de tuer discrètement et efficacement, elles étaient bien moins à l’aise dans le domaine de l’affrontement frontal : la tenue de Mademoiselle était certes affriolante, mais mal adaptée à la fuite ou au combat de longue haleine ; quant à Mamie, elle avait beau être très en forme pour son âge (et c’était un doux euphémisme, tant la vitalité de la vieille pie dépassait celle de filles ayant à peine le tiers de ses printemps), elle aussi avait ses limites. Elle était redoutable dans une action courte, mais n’était plus bonne à rien s’il fallait courir ou ferrailler longtemps.

  Le duo de choc avait semé une partie de ses poursuivants, laissé raide morte une partie des autres, mais son endurance et ses munitions s’épuisaient, et la situation commençait à prendre un tour fort déplaisant. Les deux servantes d’Hesselene risquaient de rejoindre le domaine de la déesse de la Mort bien plus vite que prévu, si ça continuait. Courant à perdre haleine dans les dunes basses entourant les faubourgs de Coronado, elles crurent leur dernière heure arrivée quand soudain, la silhouette d’un cavalier supplémentaire se découpa dans le soleil couchant. Celui-là, plus malin que les autres, avait décidé de leur couper la route, et elles se retrouvaient prises entre le marteau et l’enclume. Elles stoppèrent net, et, résignées, se préparèrent à mourir dignement, en combattantes, quand le cavalier dégaina deux pistolets et abattit plus vite que l’éclair les quatre qui étaient dans leur dos.

  « Que… » lâcha Mademoiselle, avant d’être interrompue par la voix joyeuse de Mamie qui, ayant mis sa main en visière, avait pu apercevoir les traits de leur sauveur dans la lumière vespérale.
« Ellie ! Ellie Vanclif, c’est bien toi ?
– Oui, Mamie. J’arrive juste à temps, on dirait !
– C’est le moins qu’on puisse dire ! Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– Mais je vous cherchais, bien sûr. J’ai un petit travail à vous proposer.
– C’est bien payé ? », demanda une Mademoiselle à qui l’appât du gain avait rendu son souffle et sa contenance. « Je ne sais pas… S’emparer de dix années de butin d’un chef de bande écumant des douzaines de villages, de mines et d’haciendas, ça te paraît suffisant ? », répondit Ellie dans un immense sourire.

***

  Les détails sur la mission échangés, un repas partagé, maints vieux souvenirs de faits d’armes évoqués, Mademoiselle demanda : « Bon, il nous manque qui, alors ?
– Surineuse et Sentence.
– Ah non, Ellie, ne me dis pas que tu veux encore m’obliger à fréquenter la brute et la psychopathe ! Tu ne connais donc personne d’autre qui pourrait les remplacer ? J’ai quelques noms en tête, si tu veux…
– Oui, je sais bien que ce n’est pas la grande amitié entre elles et toi, mais sur ce coup là, j’ai besoin de gens de confiance. Tu sais bien ce que la mort de Calavera représente pour moi.
– Bien, par amour pour toi — Mademoiselle lui lança une œillade tellement suggestive qu’elle aurait porté le sang de n’importe quelle créature de sexe masculin à ébullition — je vais faire un effort.
– Eh bien, c’est là que ça se complique. Aux dernières nouvelles, elles sont en prison.
– Les idiotes, elles se sont fait prendre ?
– Bah, ça arrive même aux meilleures…
– Pas à moi, jamais », rétorqua fièrement Mademoiselle, levant bien haut son charmant petit menton.

  « Quelle prison, Ellie ? » demanda, soupçonneuse, Mamie : on ne la faisait pas à l’Ancienne…
« Eh bien c’est là que ça se compli…
– Oui, tu l’as déjà dit », s’agaça Mamie.
« Ah pardon, c’est là que ça se complique vraiment. Elles sont à Fort Grant.
– Que la miséricorde de Tellagaïa soit sur nous !
– Pourquoi, qu’est-ce qu’elle a de si terrible, cette prison ? », demanda, pour le coup sans fausse ingénuité, Mademoiselle. Les deux autres femmes tournèrent simultanément la tête vers elle, l’air effaré. « Certaines fois, je me demande vraiment ce que tu fiches dans ce métier… », soupira Mamie.

***

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27 réflexions sur “Les neuf Magnifiques – Chapitres 1-4

  1. Hello, pas lu encore mais j’ai une question :
    Est il possible de changer les couleurs ou avoir un autre format svp ?
    Actuellement, la couleur de la police / du background ne rend pas la lecture très agréable.

    J’aime

    • J’ai bien peur que non, car un changement affecterait l’intégralité des 758 autres articles du blog, pas seulement celui-ci. Et ce d’autant plus que le thème est en place depuis des années et que de mémoire, tu es le seul à t’en être plaint. Je comprends bien que sur un texte aussi long, ça puisse être désagréable pour certains, mais d’un autre côté, j’ai mis aujourd’hui 4 chapitres en ligne d’un coup, alors qu’à partir de la semaine prochaine, il n’y en aura qu’un seul à la fois, ce qui fait que ces articles là ne seront pas plus longs que les critiques ou articles de fond habituels du blog.

      Ce que je peux te conseiller, c’est de lire un chapitre ou deux à la fois, et de faire une pause ou de revenir les lire plus tard.

      Pour ce qui est de le proposer dans un autre format, je me suis déjà exprimé sur la question, et je ne proposerai pas cette novella sous un autre format, du moins dans un avenir prévisible. Si un éditeur est intéressé par l’achat des droits, c’est lui qui s’en chargera, mais je ne le ferai pas moi-même. Pas les logiciels, pas les compétences, pas le temps et SURTOUT pas l’envie. J’ai déjà une plate-forme de diffusion, j’ai fait le choix d’un modèle de diffusion gratuit (pour le moment) et sous forme de « feuilleton », je ne proposerai donc pas d’autre format (et ne permettrai pas à quelqu’un d’autre de le faire à ma place sans mon consentement et achat des droits).

      J’aime

      • Ah mince, justement j’étais du même avis, avec un texte aussi long, j’avais envie de pouvoir le lire plus confortablement sur ma liseuse… J’en ai donc fait un ebook.

        Si tu souhaites, je peux te l’envoyer (il est très basique), sinon je le garde pour moi 🙂

        Très curieux de lire ton texte en tout cas, un grand merci pour ce partage et pour oser le faire !

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        • Ah ça oui, par contre, ceux qui possèdent une liseuse peuvent copier les chapitres dans un quelconque format de fichier compatible avec leur appareil et lire cette novella dessus (et au pire, il y a Calibre pour faire des conversions), ça ne me pose aucun problème tant qu’ils gardent ledit fichier pour eux et ne le diffusent pas.

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  2. C’est très agréable à lire, merci beaucoup ! (C’est la première fois que j’ose m’exprimer ici mais j’ai trouvé ton récit très bon.) La structure m’a l’air très huilée, ça m’intrigue beaucoup de voir la construction globale. Les passages drôles ou abusés ne m’ont pas fait sortir de l’histoire alors qu’en y réfléchissant, c’est parfois risible ou cliché (la pique avec la maman du demi-Troll, inattendue ^^). Je trouve ça en tout cas maîtrisé et très cool de fait dans le style que ça se donne !
    J’espère pouvoir voir la couleur de la suite waouh !

    (Ah ouais aussi les tonalités et caractéristiques des personnages sont vraiment ultra satisfaisantes, merci encore ^^)

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    • Merci beaucoup ! Je mettrai en ligne un chapitre par semaine, probablement le mardi ou le mercredi. Comme tu le verras, les passages drôles ont été spécialement conçus pour créer un contraste avec la suite des événements (et plus encore avec le tome 2). Ce n’est d’ailleurs pas le seul pan de l’écriture où j’installe quelque chose pour mieux le démolir ensuite, quand le lecteur s’y attend le moins, de préférence 😉

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    • Je m’apprête à en débuter l’écriture. J’ai eu pas mal de recherches préparatoires à faire. Pour les Magnifiques, ça allait, j’en ai créé 38 au moment où je rédige ces lignes, mais j’ai dû me creuser la soupière pour créer les 18 membres des deux bandes concurrentes (si possible intéressants et ne faisant pas double emploi avec d’autres persos existants). Je me suis bien amusé, n’empêche.

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  3. Bonjour, je suis un fan du Culte d’Apophis depuis de longues années, même si ce commentaire est mon tout premier sur ce site. C’est avec plaisir et un entrain tout particulier que j’ai lu ton texte, étant moi-même scribouillard à mes heures perdues… Je ferai plus tard un commentaire plus étayé, mais ce qui ressort dans l’ensemble c’est que tu es plein d’idées, de bonnes idées même, mais que ça va un peu trop vite, ça ne laisse pas le temps de se poser pour apprécier la foultitude de concepts, de personnages et de lieux qui sont abordés. L’univers proposé fait envie mais c’est beaucoup trop survolé.

    Aussi, les actes décrits ne pèsent pas le poids dramatique qu’ils devraient peser normalement, ce qui donne au texte un goût (peut-être voulu ?) rappelant le shonen/le manga . Je n’ai rien contre ça en soi, mais ça peut être déroutant pour certains lecteurs. Je reviendrai sur ce point dans un autre commentaire, avec quelques exemples à l’appui.

    Autre problème : tu expliques/racontes beaucoup trop, ce qui prive le lecteur de faire ses propres déductions, or c’est un des plaisirs fondamentaux de la lecture ! L’utilisation assez fréquente de l’adverbe « visiblement » en est la preuve : pourquoi ne pas suggérer, habilement, au lecteur ? (la fameuse, et souvent mal comprise, règle du show dont tell). Cela pourrait aussi être dû à un narrateur pas assez défini, cadré, et donc ayant un autorité fragile sur le lecteur. De nombreux écrivains étant d’accord pour dire que la question du narrateur/pov est l’une des plus ardues de l’art de la fiction, tu as peut-être besoin de davantage d’expérience sur ce sujet.

    En somme, il faudrait que tu prennes plus le temps d’aller en profondeur de ce que tu proposes (par ailleurs très intéressant), et que le narrateur suggère davantage qu’il ne raconte.

    Derniers points rapides (désolé pour ce commentaire si décousu) : le choix des adjectifs n’est pas toujours judicieux (je prendrai un seul exemple parce qu’il est tard : l’adjectif « pénible » dans la deuxième phrase du premier chapitre n’apporte rien, en effet, n’importe quel lecteur empathique comprendrait le fardeau que représente cette tâche). Les adjectifs et les adverbes doivent apporter de précieuses nuances, ou alors ils ne seront que des boulets et des poids morts dans la phrase… Et une enfilade de phrases trop lourdes par rapport aux informations qu’elles apportent, ça appauvrit l’expérience de lecture.

    Ci-dessous un passage pris au hasard que j’ai retapé. Je ne prétends pas que c’est meilleur (je ne suis pas du tout un professionnel, juste un passionné de prose, un amateur, donc), mais je pense que ça illustrera mieux ce que j’essaie d’expliquer. Dans tous les cas chapeau, chapeau pour le courage de proposer ton texte (je n’ai jamais franchi le pas), chapeau pour ce premier jet (écrire est si dur, tellement dur, vraiment), et enfin chapeau pour ce site qui m’aura fait découvrir tant de perles (Vision Aveugle, Anathem, etc.). P.S : c’est une critique sincère mais pas forcément juste : il n’y a pas de lois universelles en écriture, seulement un bouquet goûts plus ou moins proches, et c’est ce qui fait la beauté de cet art ! Je tiens à le préciser car je suis bien placé pour savoir que la critique est une douce promenade, tandis que l’art est un satané chemin de croix. ~ Apollinaire B.

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    • Merci pour ce retour détaillé ! Concernant ta remarque selon laquelle cela va trop vite, il y a deux facteurs à prendre en compte : premièrement, j’ai conçu ce cycle comme un ensemble de novellas, ce qui fait que la taille de chaque tome est soumise à des limites ; pas moins de 100 Ksec, pas plus de 200. Ce tome 1 faisant 197K, je suis déjà quasiment à la limite fixée. Deuxièmement, aussi bien pour le monde que pour les personnages (ceux qui vont survivre, du moins), il y a des points décrits plus en détails dans les tomes suivants ou plus loin dans celui-cI, quand cela m’a semblé le plus pertinent. Troisièmement, il y a, justement, huit personnages à présenter avant d’entrer dans le vif du sujet, ce qui fait que je ne peux pas me permettre de passer trop de temps sur chacun d’entre eux non plus.

      Ta remarque sur les adjectifs est fort judicieuse, et j’en tiendrai indubitablement compte pour le prochain toilettage du texte.

      Concernant le poids dramatique, comme tu le verras lorsque tu l’auras lu en entier, le texte est équilibré pour installer certaines ambiances, impressions ou certitudes… puis les démolir. On en reparle à la mise en ligne du chapitre 14 😉

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  4. « Toi ! », lui lança-t-elle, « Je parie dix pièces d’or que même ta mère ne te trouve pas beau ! »

    La mâchoire de Beau Gosse se relâcha sous l’effet de la surprise, et il garda cet air de gobe-mouche le temps de réaliser pleinement sa rage. Son nez crochu, son visage constellé de verrues, ses yeux de merlan frit, l’entièreté de la purulence verdâtre qui lui servait de visage se crispa dans une indignation magnifiquement rendue pour un mort-vivant. Il porta une main empressée sur hachoir passé à sa ceinture, à la lame grossière et émaillée de rouille, et s’avança à lourds pas.

    Pas fichu d’affuter sa rapière, et ça veut en découdre ? Ellie ne cilla pas face à l’imposante silhouette dégingandée qui lui fondait dessus. Avec un air de morgue affichée, elle se campa solidement et lança son bras unique en avant. La main et le couperet n’avaient pas touché le sol qu’elle envoyait déjà une seconde manchette, sifflante et brutale. Etc, etc.

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    • Alors c’est joliment tourné, on dirait un mélange Wastburg / Abercrombie… mais c’est un peu théâtral à mon goût, plus cape & épée que western. Mais si le reste de ta prose a cette qualité, il faut la faire lire, ce n’est pas parce que ça ne correspond pas au ton que je veux donner à ce texte ou à mon style que ce n’est pas bon. C’est même franchement réussi, à mon sens.

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  5. Bonjour, bravo pour votre courage. Je n ai encore jamais lu de Fantasy car je préfère la SF (meme si je ne peux pas vraiment juger mon répondrait on, avec justesse). Donc je ne suis pas vraiment qualifié pour juger votre texte.
    Mais j ai lu ces premiers chapitres avec plaisir et je suis intéressé de lire la suite. Votre texte introductif en tête rend la lecture plus abordable. Style et intrigue simples, personnages attachants et j ai apprécié que tous les personnages soient des femmes. Ça change et ça fait du bien.
    Encore merci pour votre formidable travail sur le blog et encore bravo pour avoir osé écrire.

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  6. Bonsoir,

    Voilà qui fait sortir le loup du bois ; du moins, le lecteur anonyme gourmand des chroniques et qui ne s’était pas encore risqué à commenter.
    C’est un bon texte, j’ai eu plaisir à le lire d’une traite. Bon sang, cela fait plaisir d’entendre – pardon, de lire – une histoire qui tient debout, avec des personnages bien croqués, bien typés.

    Après on peut sortir sa loupette et pinailler sur le style.

    Quelques trucs à surveiller, ennemis de tout texte:
    – les « mais ». J’ai une dent contre ce « mais », pique-assiette qui s’invite partout et souvent affadit la proposition. Faire systématiquement un essai en l’escamotant. Ainsi pourra t-il prouver sa valeur, ha, ha, ha.
    – les tournures négatives, passives (d’autant qu’on est dans un film, enfin, un texte, d’action)
    – les empilements de noms/ adjectifs/ adverbes/compléments/propositions, sauf pour obtenir un effet précis. Découper permet de rythmer (se relire à haute voix !) « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer », Saint Exupéry a tout dit.
    – les pronoms qui ne sont pas essentiels à la compréhension.
    – les mots « faibles » (verbes avoir, faire, trouver, tuer, prendre…) => CRISCO est notre ami (https://crisco2.unicaen.fr/des/synonymes). Bon, de ce côté-là le texte est bien loti.

    Sauf pour les personnages qui s’écoutent parler – et compte tenu des références Western évoquées ! – le laconisme s’impose. C’est délicat. Le dialogue écrit ne peut pas se permettre de coller au langage parlé « usuel » (je suis tombé sur le cas une fois dans un policier, le phénomène était -heureusement- limité à un personnage secondaire, c’est pénible, physiquement pénible). Il ne peut pas non plus trop s’en éloigner… C’est un outil qui peut apporter du mordant, aussi je voterais « dialogue » en remplacement du style indirect dans l’échange Prédicatrice / Anciens.

    Je rejoins Eric sur le « show, don’t tell », mâtiné d’un « never explain ». Personnages en action. Exemple, pour ourler le 1er paragraphe du chapitre 2; « Un serveur balança le contenu des crachoirs devant ses bottes ; Ellie fronça le nez aux relents qui montaient des ornières (ou pas, si elle est imperturbable/ anosmique). Sortant l’affichette froissée de sa poche, elle vérifia : trois cents ducats, un prix élevé. Aux conditions habituelles : « Mort ou vif ».  »

    Maintenant, je veux la suite !! Apophis, avec le menu alléchant que tu nous présentes, prends garde aux Misery en puissance 😉

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  7. Je précise que si j’ai mis du temps à venir commenter ici, c’est que ton poste étant long, j’ai préféré me ménager un créneau ce week-end pur m’y plonger un bon coup.
    Okayyy… 17 tomes potentiels. Et après, j’ai parfois l’impression de voir trop gros avec les trois cycles d’Au Bord de l’Abîme ^^
    Cela dit, ta présentation laisse entrevoir un univers soigneusement construit et divertissant. Ce que la lecture confirme. Il y a un petit côté « pulp » dans ta façon d’écrire, avec juste ce qu’il faut de détail, allant à l’essentiel.
    Si je devais pinailler, ce serait sur le naming. J’ai toujours eu du mal avec les trucs comme « continent de la Lune », ou les « villes de fantaisie » qui ont des noms semblant sortir ou dérivé de notre monde bien réel. Mais je soupçonne qu’il y a une raison à cela, que n’est pas par hasard.
    Hâte de lire la suite.

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    • Les 17 tomes potentiels n’ont rien d’irréaliste, à mon sens, vu qu’il ne s’agit « que » de novellas et qu’en à peine un mois, je suis déjà en train d’écrire la troisième. Le côté Pulp est au coeur du projet : en fait, c’est un peu le Capitaine Futur Fantasy / Western / Steampunk que je veux écrire.
      Concernant le worldbuilding, je vais écrire une sorte de « Making-of » du roman, qui expliquera mieux les choses. Les noms des autres continents sont dérivés de ceux d’animaux (Taureau, Lion, Dragon, etc.) et sont un hommage à Hypérion (Equus, Aquila et Ursus).

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  8. Chapeau. Bravo. Respect ! Et merci de nous avoir proposé ces textes. Plusieurs lecteurs ont déjà réagi et comme je suis globalement d’accord avec eux (question des adverbes et des adjectifs, points de vue, etc.), je ne répèterai pas en moins bien ce qu’ils ont déjà écrit dans les commentaires précédents. Pour essayer d’être constructif, je colle ci-dessous une proposition de relecture du chapitre 1 avec quelques suggestions de modifications (adverbes/adjectifs enlevés et quelques reformulations) qui ne me semblent pas dénaturer ton style ni ton objectif. Si tu es intéressé, je peux continuer. Mais, surtout, je veux la suite ! (Youl Brunner contre les chevaliers du Zodiaque !!!!). Courage pour l’écriture, et abuse bien du plaisir de « la transe » 🙂

    Lani avait tenu à enterrer son chien toute seule. À quatorze ans, presque quinze, la jeune fille avait été jugée assez mûre par ses parents pour accomplir elle-même cette pénible tâche. Elle était montée, tôt le matin, sur les contreforts de la chaîne de montagnes surplombant Lago, son village, tenant le cadavre de la pauvre créature massacrée par les vauriens de la bande de Calavera. Deux demi-orcs montés sur autant de centaures s’étaient présentés un peu avant midi pour délivrer un ultimatum : comme chaque année depuis près d’une décennie, le chef de guerre viendrait prélever son tribut, ainsi qu’il le faisait dans d’autres bourgades des environs. Les Anciens avaient eu beau expliquer que s’ils donnaient les quantités exigées, le hameau serait ruiné et ses habitants condamnés à la misère, les émissaires n’avaient rien voulu entendre. Et quand Lani n’était pas parvenue à calmer son petit chien noir, qui ne cessait d’aboyer après ces brutes, qu’il sentait, d’instinct, constituer un danger pour sa jeune maîtresse, l’une d’elles l’avait abattu d’un coup de revolver, avec un sourire mauvais, histoire d’appuyer en actes ses paroles menaçantes. Après quoi la petite clique s’en était allée en ricanant, promettant de revenir dans un mois.
    « Là, ce sera bien », se dit-elle. Depuis ce replat, son brave petit chien aurait vue sur le bourg et pourrait continuer à veiller sur elle. Elle creusa le sol meuble et y déposa le corps martyrisé, avant de combler le trou. Puis elle se mit à prier : « Ô Hesselene, je te supplie de guider l’âme de mon compagnon vers les étoiles et de ne pas le condamner au Néant éternel. Il n’a fait que nous défendre à sa façon. Déesse, je t’en conjure, aide nous ! Protège-nous de ces horribles hors-la-loi ! »
    Sa vision brouillée par les larmes, Lani ne sut jamais si ses yeux lui avaient joué des tours ou si la femme montée sur un cheval pâle était apparue comme par enchantement à l’entrée sud de son village, à l’instant précis où sa supplique prenait fin. Une grande elfe maigre et au regard dur, qui portait la tenue noir et argent des prêtresses d’Hesselene…
    ***
    Le temps que l’adolescente regagne Lago, l’étrangère s’était attablée avec les Anciens à l’auberge. La jeune fille, qui entretenait le fol espoir d’un signe divin, d’un serviteur envoyé par Hesselene en personne, fut déçue d’apprendre qu’elle n’était que la remplaçante de leur Pasteur, mort de vieillesse quelques jours auparavant, agenouillé en pleine prière, devant l’autel des Neuf du petit temple local. Ce ne fut que bien plus tard que les villageois se demandèrent comment l’archiprêtre avait eu vent de leur manque de conseil spirituel, et pourquoi cette elfe élancée était arrivée par le sud. Ce qui ne fit que soulever d’autres questions, encore plus troublantes.
    Sur le moment, toutefois, ils s’empressèrent de conter leur triste situation à l’ecclésiaste. Quand l’un des Anciens lui demanda son nom, elle répondit, avec un regard qui n’appelait pas de réplique : « On m’appelle simplement la Prédicatrice. Mon véritable nom est entaché de honte, que je tente d’amender par mes actions au service d’Hesselene et des Neuf. »
    Le récit fait, elle leur demanda pourquoi ils ne se défendaient pas. Après tout, ils étaient presque deux fois plus nombreux que les bandits, même en ne comptant que les hommes et les femmes en âge de se battre. Des cris de protestation s’élevèrent de la foule rassemblée pour apercevoir la nouvelle venue : « Mais nous ne sommes pas des guerriers, et de toute façon, nous n’avons pas d’armes ! »
    Elle médita leur réponse un moment, puis rétorqua : « Dans ce cas, il vous faut trouver des protecteurs, des professionnels du maniement des armes dont la présence dissuadera la bande de Calavera de s’en prendre à vous. Des fusils, cela s’achète, et des mercenaires pourront vous en enseigner le maniement. » Quand les villageois se lamentèrent que la scélérate leur avait pris leurs maigres richesses depuis bien longtemps, et qu’ils n’avaient pas le centième de la somme qui serait probablement nécessaire, même à eux tous, elle eut un de ses rares sourires : « Certains viendront effectivement pour l’argent, mais pas pour le vôtre. Au bout de toutes ces années, et avec toutes ces bourgades rançonnées, Calavera a dû accumuler un beau butin. Anéantir ou disperser sa bande, c’est s’en emparer. D’autres, en revanche, auront un motif différent pour accepter. », expliqua-t-elle avant de se taire, semblant apprécier de tenir son auditoire en haleine. « Lequel ? », souffla un des Anciens. « Mais le plus vieux et le plus basique de tous, bien sûr, reprit la Prédicatrice en souriant : la vengeance. Et il se trouve que je connais justement la personne idéale. »

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    • Mon cher Arthur, je te remercie pour ton enthousiasme, pour ton avis constructif et tes conseils. Toutefois (et c’est valable pour certains des autres intervenants sur ce fil), je n’ai jamais demandé à ce qu’on réécrive mon texte ou qu’on fasse un travail éditorial dessus, et pour tout dire, je n’apprécie VRAIMENT pas que certains se soient amusés à le faire (surtout que je ne crois pas avoir affaire ni à des gens publiés -ce qui est par contre mon cas, je le rappelle, hein-, ni à des éditeurs professionnels). De mon point de vue (et ma sœur est parfaitement d’accord avec moi sur ce point), on fait plus que frôler l’irrespect.

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      • Cher Apophis. Je suis désolé que tu réagisses ainsi. J’avais cru comprendre que tu souhaitais des réactions et je suis désolé si je me suis montré trop enthousiaste. C’est bien entendu ton texte et tu en fais ce que tu en veux. Une petite précision, toutefois, puisque tu estimes que j’ai fait preuve d’irrespect (je pensais faire l’inverse en lisant attentivement ton texte) et que je n’ai pas les compétences nécessaires pour te faire des remarques ou des suggestions : j’ai publié cinq livres chez des éditeurs commerciaux (très) connus (un sixième est en cours de rédaction, contrat signé en novembre dernier), et je relis – gratuitement – les manuscrits de nombreux amis eux-aussi auteurs, avec la bénédiction de leurs éditeurs, tout en étant directeur de collection moi-même. Dans tous les cas, je lirai avec plaisir la suite des aventures des Magnifiques. Amitiés. Arthur

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  9. Bonjour,
    Tout d’abord merci beaucoup pour la mise à disposition publique de ces chapitres d’introduction.
    J’ai abordé le texte exactement de la même façon qu’un livre que j’aurais acheté en librairie, sans aucune volonté / prétention d’analyse spécifique sur le style ou la forme. Avec cette approche, je vous donne ci-dessous mon ressenti après lecture de ces 4 chapitres :
    – Le principal : la lecture est très fluide, très agréable. À aucun moment je n’ai eu une impression de phrase mal tournée qui fait sortir de la lecture. Aucune lourdeur, un vrai plaisir à lire.
    Je rejoins ensuite les précédents commentaires sur 2 points :
    – Les explications du narrateur sont beaucoup trop détaillées. Pour donner un exemple concret, je pense à l’apparition de « Sourire » et à l’explication selon laquelle ce sont ses dents manquantes qui lui ont valu son surnom. La mention des dents pourries au détour d’un sourire du protagoniste suffiraient amplement au lecteur pour comprendre. Le problème c’est qu’on l’impression d’être pris par la main comme un enfant… L’application du « show don’t tell » permettrait d’augmenter nettement la force du texte et l’implication du lecteur.
    – L’utilisation des adjectifs semble parfois un peu superflue (la « pénible » tâche par exemple au tout début). Ce point rejoint en fait le précédent dans le sens où on se sent trop accompagné, guidé, on nous dit ce qu’on doit ressentir plutôt que de nous le faire ressentir. Ce qui a malheureusement tendance à avoir l’effet inverse…

    Sur le fond il est évidemment impossible de juger en 4 chapitres, donc à suivre. Pour le moment j’ai le même ressenti qu’il y a des années et des années à la lecture du « Livre sans nom ». La comparaison n’est absolument pas valable au niveau du style, Le livre sans nom s’illustrant plutôt dans la vulgarité et la violence à outrance, mais c’est un peu le même fun, le même plaisir coupable, le wtf qu’on re-demande. En tout cas j’ai hâte de rencontrer Surineuse et Sentence, ce qui est plutôt un bon signe d’accroche !

    Au final, il en ressort un moment de lecture très agréable et apprécié, avec quelques maladresses certes mais je trouve quand même (pour ce que vaut mon avis de lectrice lambda) que c’est bien plus plaisant et mieux maîtrisé que certains romans français publiés (que je ne citerai pas) qui ont malgré tout beaucoup de succès… Et je compare un texte brut avec des textes relus et corrigés… Bref, j’ai l’impression qu’il y a un vrai potentiel.
    La question qu’on pourrait se poser c’est la pertinence du format avec le contenu prévu : format court mais énormément de protagonistes : 5 chapitres sur 14 sont nécessaires dans le 1er tome pour la présentation des 8 personnages principaux, et j’ai cru comprendre que beaucoup, beaucoup d’autres personnages sont attendus ! À voir si le format court permet de développer suffisamment l’ensemble sans faire naître un sentiment de frustration.
    Félicitations pour ce 1er écrit de qualité et vivement la suite :).

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    • Merci beaucoup pour ce retour détaillé ! En fait, ce sont les six premiers chapitres qui servent à présenter les protagonistes, puisqu’il y en a un neuvième qui va être recruté (alors que ce n’est pas un ancien équiper d’Ellie) sur l’insistance de la Prédicatrice. J’ai modelé la structure de cette novella sur celle du film Les sept mercenaires et sur celle du roman Le magicien quantique de Derek Künsken, en tentant d’avoir une phase de recrutement de l’équipe la plus efficace possible : pas trop longue, mais présentant les traits saillants des personnages. Effectivement, cela nécessite 6 chapitres sur 14 (en réalité, on est plus proche de 5 et demi, mais ne chipotons pas), mais en matière d’intensité, vous ne serez pas déçue, je pense, par la suite.

      Effectivement, beaucoup d’autres personnages sont présents dans le cycle (j’ai déjà écrit le T2 et travaille sur le 3), à la fois parce qu’il y a plusieurs morts par tome dans les deux premiers et qu’il faut les remplacer, et aussi pour me permettre d’avoir des équipes adaptées aux ambiances / inspirations très différentes de chaque tome. Je tente toutefois d’utiliser des archétypes, de leur donner des traits saillants ou de les baser sur des personnages connus, ce qui fait que c’est sans doute moins difficile à gérer pour le lecteur que ça n’en a l’air sur le papier. Et de toute façon, certains Magnifiques reviennent d’un tome à l’autre (Ellie, par exemple, est présente dans les 3 premiers).

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  10. Un grand merci pour partager ce texte gratuitement avec nous, c’est vraiment sympa.
    J’ai été long pour mettre un commentaire, mais je ne l’ai lu ton histoire que ces derniers jours, après avoir terminé mon livre en cours (je me suis permis de copier ton texte pour pouvoir le lire sur ma liseuse, j’espère que ce n’est pas un problème, il ne sera bien évidemment pas diffusé !).
    Premier constat : tu sais écrire ! Je n’en doutais pas au vu de la qualité de tes textes sur ce blog, mais écrire une histoire qui se tient et est agréable à lire doit être un sacré exercice. Et je suis vraiment ravi de découvrir ta plume.

    Je ne vais pas m’étendre, je voulais juste t’encourager à continuer, je lirai la suite avec grand plaisir. C’est frais, les personnages sont bons, ta prose est très agréable. J’aime beaucoup. Bonne continuation et encore merci 🙂

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    • Merci beaucoup ! Et oui, tu peux tout fait copier le texte pour le mettre sur ta liseuse (c’est effectivement plus agréable à lire que sur un moniteur, surtout pour un texte long), tant que tu ne le diffuses pas, ça ne me pose aucun problème.

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