Sowing the seeds of love *
* Tears for fears, 1989.
Pollen from a future harvest est officiellement une novella appartenant à la toute nouvelle collection, Satellites, consacrée par l’éditeur britannique Solaris à ce format bien précis de romans courts / nouvelles très longues (c’est un peu l’équivalent de ce qu’est Une heure-lumière chez nous). Outre le texte de Derek Künsken dont je vais vous parler aujourd’hui, elle comprend également The difficult loves of Maria Makiling de Wayne Santos et These lifeless things de Premee Mohamed. Je ne peux me prononcer sur ces deux derniers, vu que je ne les ai pas lus (et n’ai pas l’intention de le faire), mais dans le cas de Pollen from a future harvest (un texte par ailleurs déjà publié dans le numéro de juillet 2015 de Asimov’s Science Fiction), l’appellation novella me paraît étrange : d’après Amazon et isfdb, la version papier de l’ouvrage fait 105 pages (ce que je ne peux confirmer, l’ayant lu en version électronique ; notez que l’éditeur, annonce, lui, 176 pages, ce qui me parait douteux), dont un tiers sont en réalité consacrées à six chapitres d’un autre roman de Kûnsken (l’excellent The house of Styx), à la présentation des autres bouquins de l’auteur ainsi qu’à ceux de la collection Solaris Satellites. Je n’ai pas regardé le compte de mots / signes, mais je dirais qu’on doit être plus proche, dans ce cas précis, de la novelette que de la novella.
Pollen from a future harvest prend place dans le même lieu où se déroule une bonne partie du roman Le jardin quantique (que vous pourrez lire en français, si je ne m’abuse, en 2022) et explique une partie des événements du début du Magicien quantique. Précisons que Bélisarius et sa bande n’interviennent pas du tout dans cette novella… euh novelette et, plus important encore, qu’elle se suffit à elle-même et ne nécessite pas la lecture préalable d’autres textes de Künsken. Son avantage étant qu’elle reprend un des plus gros points générateurs de sense of wonder de The quantum garden (en un peu moins développé) en le combinant avec une passionnante enquête, pour donner un texte efficace et à grand spectacle.
Contexte, protagoniste, base de l’intrigue
Fin du XXVe siècle. La puissance des nations spatiales d’origine terrienne se mesure au nombre de trous de ver (d’un réseau artificiel créé par une ancienne race extraterrestre) que vous contrôlez (un peu comme dans l’univers d’Honor Harrington, au passage). Le Congregate (rassemblant des vénusiens, leur nation-mère québécoise et les français) est, ainsi, le Patron (au sens qu’on donnait à ce terme dans la Rome antique) de l’Union sub-saharienne (d’origine Zimbabwéenne). Il donne l’ordre à une des flottes de cette dernière, la Sixième Force Expéditionnaire, de lancer une mission de reconnaissance / raid contre les avant-postes d’une nation rivale, le Middle Kingdom (dont, sauf erreur, je n’avais pas entendu parler dans aucun des trois romans précédents de Künsken s’inscrivant dans l’univers du Magicien quantique). Sur un planétoïde orbitant autour d’une Naine Brune (pour les moins férus d’astronomie parmi vous : une super-Jupiter / une micro-étoile avortée), la Sixième Force va tomber sur un trou de ver inconnu, aux propriétés inédites : au lieu de conduire en deux points séparés de l’espace, ses deux extrémités sont côte à côte et mènent à deux points du Temps distincts (plus précisément, onze ans dans le futur). Comprenant la valeur qu’elle peut tirer de cette découverte (dans une perspective très Baxterienne, dirons-nous), l’Union supprime ou emprisonne les commissaires politiques et les espions (ceux qu’elle connaît, du moins) Vénusiens, établit une base de recherches, et tente de mettre au point des armes et des propulseurs révolutionnaires lui permettant d’arracher son indépendance au Congregate.
Une forme de vie végétale et intelligente très singulière s’est développée sur le planétoïde : elle a pour particularité d’utiliser le trou de ver pour échanger du pollen, donc de l’information génétique, avec le passé et le futur (dans une optique que nous qualifierons d’Eganienne -les initiés et les gens qui se prénomment Pierre-Paul comprendront-). Plus vertigineux encore, sa conception du présent (et sa causalité) s’étend non pas sur un battement de l’horloge de Planck, comme nous, pauvres humains, mais sur vingt-deux ans.
Le Major Okonkwo réalise des audits de sécurité. Le commandement de la Sixième Force lui demande d’en effectuer un sur la base de recherche car le pollen en provenance du futur vient justement de cesser d’arriver, et personne ne comprend pourquoi. Il pourrait s’agir d’un sabotage effectué par des agents dormants du Congregate jusqu’ici inconnus. Okonkwo est d’autant plus désireuse de mener à bien sa mission qu’un de ses deux maris (et mentor), Garai, est récemment décédé sur la base, selon toute vraisemblance de mort naturelle. Mais son flair d’investigatrice lui dit qu’il s’agit en fait d’un meurtre aux méthodes très subtiles, même si son motif, lui, reste difficilement compréhensible, et qu’aucun début de preuve ne vient à l’appui de cette hypothèse (ce qui expliquerait que le commandement ait refusé d’ouvrir une enquête). Les deux événements, la mort de Garai et l’arrêt du flux de pollen, pourraient-ils être liés ? Notre Major va, de plus, devoir naviguer dans les méandres de la politique (à couteaux tirés) du commandement de la base et plus généralement de la Sixième Force, sans parler de devoir éviter certains paradoxes temporels !
Mon analyse, mon avis
Bien que le lieu de l’action, certains événements et personnages (dont Iekanjika, qu’on retrouve aussi dans Le magicien quantique) soient communs aux deux, Pollen from a future harvest est (au moins en partie) distinct du Jardin quantique, à la fois parce que les protagonistes ne sont pas les mêmes, parce que l’intrigue est différente, et, il faut bien le dire, parce que Künsken entre un peu moins dans les détails concernant les fameux végétaux (au passage, la novelette / novella est encore plus adaptée aux non-férus de Hard SF / science que le roman). Toutefois, elle préserve, au sujet des végétaux et du trou de ver temporel, ce qui constituait une partie (et je dis bien une partie) de l’énorme générateur de Sense of wonder (SoW) qu’était ledit roman. Pour un texte court, on peut même dire que Pollen en génère une quantité impressionnante.
La question qui se pose toutefois est : si j’ai déjà lu The quantum garden / Le jardin quantique, Pollen from a future harvest est-il intéressant ? Je dirais que sur l’aspect des végétaux extraterrestres, vous n’apprendrez pas grand-chose de neuf (mais en revanche, on en apprend plus sur la fondation de l’Union et la composition du Congregate), mais que l’enquête reste, elle, tout à fait plaisante à lire. La réponse est donc oui, de mon point de vue, même si en version électronique, ce titre n’est pas spécialement donné (5.99 euros), déclaration qui doit cependant être nuancée par la présence de pas moins de six chapitres de House of Styx (ce qui m’a personnellement fait une belle jambe, vu que j’ai lu ce roman, mais pourrait être très intéressant pour celles et ceux d’entre vous qui hésitent à le faire). Je dirais même qu’avoir lu The quantum garden avant peut être un avantage sur un certain plan : la novelette est très dense (sans doute presque trop pour certaines catégories de lecteurs bien que, de mon point de vue, le fait de caser autant de choses dans un texte aussi modeste est au contraire un signe de talent) mais si vous connaissez déjà l’univers du cycle Quantum evolution, vous serez à même de mieux saisir la portée de certains événements.
Attention toutefois, même s’il s’inscrit dans l’univers du Magicien et du Jardin quantique, ce texte est totalement dépourvu du côté aventure et humoristique qu’on pouvait trouver, à des degrés divers, dans ces romans : le propos est ici nettement plus grave (notez d’ailleurs qu’il l’était déjà plus dans le Jardin que dans le Magicien).
Mais le SoW n’est pas le seul intérêt de cette longue nouvelle : l’enquête qui est au centre de l’intrigue est de très bonne facture, moins classique (du fait de son aspect temporel, entre autres, ou de l’importance de la biologie moléculaire -l’ancien domaine d’activité de l’auteur, au passage-) que celle d’Andréa Cort dans le récent La troisième griffe de Dieu (mais relevant du même registre littéraire, le whodunit) mais aussi passionnante et surtout bien plus imprévisible. En fait, je dirais que le seul défaut de ce texte est sa brièveté, tant sa fin arrive si vite qu’on ne s’y attend pas du tout (surtout si, comme moi, on ne s’est pas aperçu avant qu’un tiers du bouquin est consacré à autre chose). On en aurait bien repris pour 30-40 pages de plus ! C’est en tout cas une excellente porte d’entrée, cette fois au format court, dans l’univers du Magicien quantique 😉
Niveau d’anglais : le niveau de langue ne pose pas de problème, mais certains concepts scientifiques abordés peuvent éventuellement donner quelques vagues soucis aux lectrices et lecteurs les moins férus de Hard SF / science, même si de mon point de vue, c’est franchement digeste.
Probabilité de traduction : je dirais qu’elle n’est pas négligeable. Cela peut intéresser AMI, par exemple en texte offert gratuitement sous forme électronique ou bien intégré dans un des romans de l’auteur (comme ce qui a été fait pour Adam-Troy Castro). Mais vu le fort aspect Hard SF, la qualité et le fait que cela puisse se lire de façon indépendante, cela pourrait aussi potentiellement intéresser le Bélial’. C’est sans doute trop court pour un UHL classique… mais il y a d’autres options sur la table 😉
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Je crois que tu viens ( encore) de me rajouter un truc à la PAL en cas de trad’… 😉
Vu que tu en parles dans ton article, tu as des news sur une éventuelle trad’ de The house of Styx ? ( ton article était tellement dithyrambique ! )
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Pas de nouvelles, non. J’espère qu’elle va se faire, parce que ça a été une grosse claque, sur l’aspect Planet Opera avant tout, mais pas seulement.
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Bonjour, et merci pour cette critique qui donne bien envie.
J’avais noté ton avis plus que favorable pour les autres livres de cet auteur. The House of Styx me tente peut être encore plus que le Magicien quantique. Est ce que la lecture de cette novelette, puis de The House of Styx est une mauvaise idée si je souhaite un jour lire le Magicien quantique? Ou est ce suffisamment indépendant?
Merci pour la découverte de cet auteur.
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Bonjour, je pense que pour quelqu’un qui serait tenté de lire l’ensemble, lire le Magicien / Le jardin quantique avant et cette novelette après est préférable. Dans le cas d’un lecteur qui serait hésitant (et anglophone), il vaut mieux commencer par Pollen (plus court et moins cher).
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Je l’espère également vu ta critique ! Merci Apo 😉
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Je ne connaissais pas cette nouvelle collection chez Solaris. Merci pour la découverte. Je vais garder un œil ouvert sur leurs propositions.
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Les résumés des deux autres textes faisant partie du lancement n’ont pas éveillé mon intérêt (mais tu seras peut-être plus intéressé), mais je garderai moi aussi un œil attentif sur que Solaris va proposer à l’avenir. J’aime aussi l’identité graphique de la collection : c’est moins esthétique ou spectaculaire que du Aurélien Police, mais c’est immédiatement reconnaissable et ça résume bien le point clef de chaque texte, à mon avis.
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