Houston, nous avons un problème !
Mission Critical est la nouvelle anthologie dirigée par Jonathan Strahan, célèbre pour s’être prêté à l’exercice au cours (notamment) des sept tomes de son projet Infinity (clic). Il déclare d’ailleurs que ce nouveau recueil en est le successeur spirituel, et en explique, dans la préface, la genèse : c’est en voyant le film Seul sur Mars, et en repensant à l’aventure de la mission Apollo 13, qu’il a eu l’idée de montrer ce qui se passe quand la situation vire de la routine au cauchemar, et surtout ce que les personnes prises dans la tourmente vont faire pour s’en sortir. Le tout majoritairement vu selon le prisme de la Hard SF, comme dans ses anthologies précédentes. Et une fois encore, du beau monde a répondu à son appel, aussi bien de très grands noms du genre (Greg Egan, Peter Hamilton, Peter Watts) que des auteurs connus (Aliette de Bodard, Linda Nagata, John Barnes, Tobias S. Buckell, Sean Williams, Yoon Ha Lee), des habitués des productions de Strahan (Kristine Kathryn Rusch) ou des écrivains un peu plus confidentiels, du moins sous nos latitudes.
Contrairement aux anthologies du projet Infinity, qui avaient parfois un champ d’action imposé assez précis (système solaire seulement, cadre militaire, etc), ici, le seul pré-requis est qu’il y ait un problème de nature technique et qu’on montre sa résolution. Point. Nous allons donc voyager dans les mondes extrasolaires, d’autres dimensions, dans notre bon vieux Système Solaire, mais aussi sous la surface des océans. C’est parti pour la balade !
Les textes
Je vais vous donner un bref résumé de chaque texte, avant de vous présenter mon avis à son sujet, puis une appréciation générale sur cette anthologie dans son ensemble.
This is not the way home – Greg Egan
Aisha et son bébé Nuri sont coincées sur la Lune depuis un an. Alors qu’elle commence à mettre en oeuvre un plan pour en partir, elle se remémore la façon dont elle en est arrivée à cette situation. Nous vivons ensuite son départ.
On ne va pas y aller par quatre chemins (ni s’étendre outre-mesure), mais si le récent Perihelion Summer m’avait paru indigne du Greg Egan de la grande époque, c’est en revanche clairement un chef-d’oeuvre par rapport à cette nouvelle, peu crédible (un comble pour le pape de la Hard SF !) et à la fin plate et surtout, à mon sens, absolument pas satisfaisante dans le cadre des règles fixées par Strahan dans cette anthologie. Bref, un très mauvais texte, à la fois en lui-même et surtout pour un écrivain du calibre d’Egan. Dont la seule préoccupation était, pour moi, de jouer avec le concept de crochet orbital. Je vous conseille toutefois de lire la critique écrite par l’ami FeydRautha sur cette nouvelle, où il propose une autre lecture possible du texte.
Rescue party – Aliette de Bodard
Cette nouvelle s’inscrit dans l’univers Xuya de l’autrice. Giao se rend dans la cité de Xarvi, sur Asphodèle. Elle fait partie d’une minorité ethnique dont la planète avait été colonisée par cette dernière, et qui a dû traverser une terrible odyssée pour aller vers la métropole, fuyant son monde sinistré économiquement et en proie aux divisions. Peu après son arrivée, elle est intégrée de force au Repository : en effet, sur Asphodèle, si vous ne contribuez pas significativement à la société mais que vos souvenirs présentent un intérêt pour retracer l’Histoire (réécrite…) de ce monde, l’IA qui gère le bâtiment vous capture, vous injecte des nanomachines qui vous maintiennent longtemps en vie et scanne vos souvenirs pour le bénéfice des visiteurs de ce « musée » très particulier. Le problème, c’est que si les recours sont possibles, en pratique ils n’aboutissent pas, et que, donc, nul ne s’est jamais évadé du Repository… jusqu’ici !
J’aime bien ce que fait Aliette de Bodard dans le cadre de Xuya, d’habitude, mais là le texte m’a paru long, lourd et assez prévisible pour ce qui est de ses grosses révélations ou twists, même s’il n’est pas dépourvu d’intérêt, notamment sur le plan des thématiques de fond. Les allégories de la colonisation de l’Indochine, de la terrible odyssée des boat people, des discriminations ethniques, de l’exploitation des colonies, de la réécriture de l’Histoire, etc, sont transparentes et bien traitées. Au final, toutefois, je garde de ce texte une impression relativement mitigée.
Devil in the dust – Linda Nagata
Linda Nagata, papesse du Nanopunk (clic), s’est depuis quelques années reconvertie dans la SF militaire, et elle a, de plus, une certaine tendance à aller faire des balades sur Mars. Ce texte tâche donc de mêler ces différentes tendances en un tout cohérent : nous suivons, sur la planète rouge, une équipe d’ingénieurs de combat en patrouille. Quelques années auparavant, un groupe de milliardaires s’est servi de machines autonomes pour tenter d’éradiquer le peuple, entraînant des milliards de morts. Ensuite, un des deux belligérants (on ne sait pas lequel) a reprogrammé les essaims de machines de Von Neumann utilisés pour la terraformation et en a fait des robots tueurs meurtriers. Ces RaVNs (Radicalized Von Neumanns) se sont répandus sur Terre, où on a fini par les vaincre. Reste à purger Mars. Mais la patrouille va tomber sur un os…
Eh bien j’apprécie en général ce que fait Linda Nagata, et ce texte, sans me laisser non plus une impression grandiose, ne déroge pas à la règle. Il est efficace, propose un worldbuilding solide malgré sa longueur limitée, son lot de surprises, du fond (on nous parle de « points sociaux » un peu comme dans Red Moon de Kim Stanley Robinson, et l’auteure émet un avertissement contre la déshumanisation entraînée par le pouvoir démultiplicateur de la technologie des systèmes autonomes -des IA auto-reproductrices-, qui permettent à une poignée d’hommes d’en supprimer des milliards d’autres), bref à ce stade de ma lecture du recueil, c’est le meilleur texte des trois premiers.
Hanging gardens – Gregory Feeley
Sur une Mars colonisée depuis 200 ans, la population se divise entre celle des cités orbitales, les Jardins Suspendus, et celle vivant sur la planète (ou plutôt en sous-sol), apparemment (je vais y revenir) ultra-minoritaire. Un groupe d’enfants et d’adolescents, les derniers survivants (idem) de la Topanga Commune, sont en péril mortel quand un bombardement cométaire artificiel (pour la terraformation ?) frappe la planète. Les gamins sont alors obligés de chercher un refuge ou du secours en surface. Mais l’air et l’énergie de leurs scaphandres autonomes ne sont pas éternels…
Voilà ce que j’appellerais un très mauvais texte : le style est lourd (et l’emploi de pronoms de genre neutre n’arrange rien), le worldbulding extrêmement flou (à un point tel que cela nuit à la compréhension des tenants et des aboutissants de l’intrigue : sur ce plan là, ce texte est l’exact opposé de celui de Linda Nagata), et la fin est à la fois abrupte et complètement insatisfaisante, puisqu’elle ne répond en rien à l’alternative, aux deux explications divergentes, proposées par l’auteur auparavant. De plus, comme dans le texte d’Egan, je me suis posé la question de savoir qui, des auteurs ou de moi, avait mal compris les fondamentaux du thème de l’anthologie tels que définis par Strahan : il me semblait que chaque nouvelle devait montrer comment les personnages se sortaient de leur problème. Or, ici, on ne sait pas s’ils ne font que se sortir d’un premier problème que pour mieux se jeter dans une situation plus périlleuse…
The one who was there – John Barnes
En 2154, Pelenora Shei, reporter local du « système » Saturnien, couvre une catastrophe qui a frappé Ontario Lacus, sur Titan. L’incident n’a fait aucune victime (comme dirait Bohort), mais a ravagé un site où se développait une vie indigène aux bases biochimiques uniques. Ce qui conduit la Société Cosmographique à faire quelques annonces sur l’avenir de l’Homme sur Titan et plus généralement dans les environs de Saturne.
Au moment où je commençais à avoir de gros doutes sur la qualité de cette anthologie, paf, voilà, heureusement, un très bon texte. On dirait presque un mélange entre Retour sur Titan de Stephen Baxter (pour la description d’une proto-vie à métabolisme à très basse énergie basée sur des polymères d’hydrocarbures) et Helstrid de Christian Léourier (pour le questionnement sur la pertinence de la présence humaine dans l’espace, bien que la réponse apportée ici soit très différente). Barnes fait un constat amer, mais pourtant conforme à ce que l’on constate actuellement, à propos de l’exploration spatiale : dans son univers, un survol de l’Étoile de Barnard fait moins d’audience qu’une émission consacrée… à un couturier ! Ce qui conduit donc à une « aventurisation », et à des journalistes plus préoccupés par le fait de raconter une bonne histoire que la vérité. Et la Société, à la faveur de l’incident de Titan, veut revoir le profil des gens envoyés passer des mois ou des années dans l’espace. L’auteur signe là un texte qui, en plus de ses qualités science-fictives, est aussi profondément humain et optimiste (malgré un constat de départ qui ne l’est pas forcément), un bonus appréciable !
By the warmth of their calculus – Tobias S. Buckell
Le vaisseau de glace et de roc de Fiana a retrouvé l’épave d’un astronef de métal des anciens, qui contient le précieux ADN de ces derniers. Mais une autre faction est arrivée sur les lieux en même temps, et en ne respectant pas les procédures prudentes de l’équipe de Fiana, ils attirent les Hunter-Killers, des machines extraterrestres qui détruisent tout ce qui manifeste une activité électrique (d’où la conception des vaisseaux, par ailleurs vivants, du peuple de Fiana). Pour leur échapper, elle va devoir jouer serré, et ne rien relâcher qui pourrait trahir sa présence, pas même la chaleur…
Voilà un texte très intéressant, avec un worldbuilding un poil flou mais très intrigant, qui ressemble à un improbable mélange entre Les étoiles sont légion de Kameron Hurley (mais où il y a une vraie explication à l’existence du système solaire très singulier et aux vaisseaux vivants qui servent de cadre), les Berserkers de Fred Saberhagen et les calculateurs humains de Dune ou de The calculating stars de Mary Robinette Kowal, plus un élément d’intrigue qui rappelle le génial mais glaçant Les équations froides de Tom Godwin. On appréciera aussi que l’auteur soit un des rares qui, en SF, se préoccupe de ce que devient la chaleur générée par les machines (même si ici, elles sont organiques) d’un vaisseau : on peut aussi citer, par exemple, Peter F. Hamilton dans L’aube de la nuit ou H. Paul Honsinger. J’espère que Tobias S. Buckell va faire quelque chose de plus (nouvelles, novella, voire roman) de cet univers, parce que franchement, il a du potentiel, et qu’on aimerait voir certains points racontés / expliqués / développés.
Mutata Superesse – Jason Fischer & Sean Williams
Un soldat, sorte de dératiseur de l’espace, vient secourir les membres d’une colonie illégale qui ont un peu énervé sur les bords la faune locale. Pour les distraire et leur éviter de se rouler en boule dans un coin à cause de la peur en attendant l’extraction (par une forme de téléportation), il leur raconte une de ses aventures précédentes, son combat contre un « oursin de l’espace » utilisant des dents volantes empoisonnées (!).
Voilà une nouvelle très drôle, sympathique et intéressante sur de nombreux plans, qu’ils soient littéraires ou science-fictifs. En effet, on remarque immédiatement que ce texte utilise la même approche littéraire que Le modèle de Pickman de Lovecraft : aucun dialogue n’est écrit, il s’agit uniquement d’un monologue à la première personne du singulier où seul le Commander Nicol, le sauveteur, parle, y compris en répondant aux autres personnages, qui sont donc hors-champ. On notera aussi l’histoire dans l’histoire, qui prend tout son sens dans la chute (cocasse) de la nouvelle. Mais peut-être surtout, il faut retenir une excellente conception de la technique de téléportation utilisée avant celle, à fonction d’onde, employée actuellement (et qui rappelle, au passage, celle de The light brigade de Kameron Hurley), et qui permet une « édition des mutilations » ou encore des manipulations « génétiques » en changeant tout simplement le code binaire informatique de la transmission de matière. Rien d’étonnant pour qui a lu Reconstitué du même Sean Williams, sans conteste le roman le plus pointu jamais écrit sur la téléportation et ses subtilités (comme quoi, Egan est loin d’être le seul auteur de Hard SF australien valable !).
The empty gun – Yoon Ha Lee
Kestre était la maîtresse duelliste de la Maison Elaya, avant que celle-ci ne soit anéantie deux mois plus tôt par la Maison Tovraz. Elle se rend sur une lune à la frontière de deux univers pour y trouver l’arme qui lui permettra de mener à bien sa vendetta. Là, une étrange marchande va lui vendre l’empty gun, un pistolet d’origine extraterrestre qui n’a pas besoin de munitions. Et pour cause…
Alors, là, c’est la petite baffe tout de même. L’univers (qui n’est pas celui du Gambit du renard) a un charme fou (la lune où commence l’action passe certaines nuits dans le Transitional space, un espace-temps qui se situe de façon oblique par rapport au nôtre -rappelez-vous des Chiens de Tindalos de Frank Bellknap Long et de Lovecraft, qui se déplacent dans les angles du temps alors que les humains vivent dans ses courbes-), le contexte et l’intrigue étant situés quelque part entre Dune, Poumon vert et Le faucheur de David Gunn. Il y a de savoureux dialogues entre Kestre et son assistant IA personnel (son Ombre Virtuelle, aurait dit Mr Hamilton), une superbe série de révélations dans la dernière partie, une chute saisissante, et, une fois encore, voilà un univers à fort potentiel qu’on recroiserait volontiers dans d’autres textes.
Genesong – Peter F. Hamilton
Alors qu’il convoie un astéroïde devant servir à la terraformation de Vénus, l’Arbre-Berger Guiding Star III est attaqué. Une des mères des biodes (les robots biologiques qui entretiennent le vaisseau vivant) va échapper au massacre, et préparer la reprise de son astronef pendant des années.
Ce texte a deux points communs avec le précédent : le fait qu’il s’agisse d’une histoire de vengeance, et sa qualité, qui fait que j‘ai à nouveau frôlé la claque. Je dis frôlé, car le worldbuilding, s’il est excellent (et au cœur du texte), recycle tout de même à la fois beaucoup la propre substance de l’oeuvre d’Hamilton (il y a un équivalent du lien d’affinité, des deux cultures « mécaniste » et « biologique » -comme chez Bruce Sterling, dont Hamilton s’est d’ailleurs probablement inspiré pour le monumental L’aube de la nuit– séparées et des ersatz des Gé-animaux), ainsi que celle des vaisseaux-arbres de l’Hypérion de Dan Simmons. Malgré tout, ce qui est intéressant, c’est que ces éléments, même s’ils sont du déjà-vu, bénéficient ici d’un traitement Hard SF tout à fait enthousiasmant. On remarquera également que la terraformation de Vénus, telle qu’elle est présentée, ressemble pas mal à celle imaginée par Kim Stanley Robinson, et que Hamilton emploie lui aussi le concept, apparemment très à la mode, du crochet orbital, tout comme Greg Egan en début d’anthologie.
La narration alterne séquences dans le « présent » avec d’autres, au début bien plus longues, présentant la culture ayant donné naissance au vaisseau vivant, et montrant le début de la mission. Le worldbuilding, s’il n’est, comme on l’a vu, pas original, est en revanche absolument passionnant (on aimerait bien voir cet univers plus développé, d’ailleurs), et possède une certaine poésie sous-jacente. Poésie qui est d’ailleurs mise à mal par l’auteur, qui semble prendre un malin plaisir à confronter une société hautement utopiste (et limite baba cool) aux réalités les plus sordides et sanglantes de l’univers et surtout de l’âme (post)humaine. Comme dans Semiosis de Sue Burke (que vous pourrez lire en français dans quelques semaines), on a presque l’impression qu’un des buts du texte est de dire « les rêves, c’est bien beau, mais quand les utopistes sont confrontés à la réalité, ils se salissent les mains comme les autres ».
Bref, Hamilton avait déjà trouvé qu’il pouvait être aussi pertinent dans la forme courte (clic) que dans la (très, très) longue, mais cette nouvelle revient en faire, s’il en était besoin, un brillant rappel.
Something in the air – Carolyn Ives Gilman
Le Tangier, vaisseau d’exploration automatique, arrive dans le système d’une étoile bleue qui semble avoir un comportement impossible : celui d’un objet quantique macroscopique, situé dans un espace résistant à la décohérence. L’astronef est équipé d’une porte réceptrice qui permet à une équipe de trois scientifiques d’y être transférés sous forme d’un rayon de lumière codée. Nous suivrons Mariela, une astrophysicienne, son ex-compagnon, géologue, et un biologiste et planétologue. Mais à l’arrivée sur le Tangier, les données des détecteurs ont changé, et continuent de le faire : le système a maintenant l’air banal, avec trois planètes obéissant aux lois de la mécanique classique. Mais certaines autres données restent étranges…
Ce texte est intéressant sur plusieurs plans, notamment sur celui qui émerge le premier, à savoir le worldbuilding. Le système permettant de se déplacer à la vitesse de la lumière à la condition préalable qu’une sonde se soit traînée en infraluminique jusqu’au site d’arrivée est singulier, vu que si un tel système de portes et de vaisseau « filant sa toile » existe en SF, d’habitude la téléportation est instantanée, ou au minimum supraluminique. Ce n’est pas le cas ici. Mais évidemment, il ne s’agit pas de l’intérêt majeur de cette nouvelle, qui est son exploitation de certains pans de la mécanique quantique. En très gros, cela marche dans les pas d’un roman de Greg Egan que je ne vais pas citer pour ne pas spoiler, en plus compréhensible mais en moins ambitieux. Même si les deux auteurs ne tirent pas tout à fait les mêmes conséquences du même phénomène : chez Egan, on l’occulte, chez Gilman, on le combat activement. De plus, Something in the air me semble aussi s’inscrire dans une démarche connexe de celles de Peter Watts et d’Alastair Reynolds : le premier avait montré, dans l’indispensable Vision Aveugle, une intelligence sans conscience, le second, dans Dans le sillage de Poséidon, une intelligence post-conscience, tandis qu’ici, Gilman invente carrément une anti-conscience.
Sur le plan Hard SF, scientifique et sur celui du Sense of wonder, c’est donc du lourd (il y a notamment cette phrase incroyable : « We share a reality, but they see one cross section of it, we see another ». Au passage, cela rappelle -mais via un mécanisme très différent- la nouvelle Poussière de Greg Egan). La fin est à la fois vertigineuse mais aussi sinistre. Sur le papier, c’est donc un excellent texte. Seulement voilà, outre le fait qu’il ressemble un peu trop à du Egan, ce texte m’a paru un peu long pour ce qu’il avait à raconter (notamment le passage sur la planète) et j’ai jugé son style sans grand attrait. Au final, c’est donc, pour ma part, un très bon texte, mais sans atteindre tout à fait la claque de bûcheron. Pour un avis encore plus enthousiaste, je vous invite à aller lire la critique du camarade FeydRautha.
Lost in splendour – John Meaney
Shep, ingénieur et pilote, doit conduire une équipe de neuf GenG vers Jupiter, où la Grande Tache Rouge est en train de changer. Pour ce faire, il doit emprunter avec son vaisseau une paire de Portes de Scully, un dispositif de téléportation. Mais lorsqu’il émerge de ce qu’il croit être la porte jovienne, la planète géante n’est pas là. Avant d’avoir pu déterminer où il se trouve, il est projeté ailleurs, en orbite d’un monde fabuleux.
Voilà un texte à la fois étrange et frustrant : étrange parce qu’il contient des éléments transhumanistes ou Hard SF caractéristiques d’une SF moderne, mêlés avec une partie sur la planète où Shep atterrit qui n’aurait pas dépareillé dans un Pulp. Clairement, le texte est nettement plus orienté aventure que réflexion, ce qui aurait pu ne pas causer de problème si ladite aventure ne sonnait pas aussi surannée et surtout plate, sans suspense (c’est d’ailleurs un défaut que je ferais au concept de base de l’anthologie : vu que Strahan a posé comme règle que les protagonistes devaient survivre, on est loin du thriller. Certains des auteurs s’en sont malgré tout bien tirés, mais ce n’est pas le cas de celui-ci, à mon sens). De plus, le seul point intéressant, à savoir les Portes, n’est pas du tout exploité ainsi qu’il aurait dû l’être, alors que sur la fin, Meaney lance 2-3 réflexions intéressantes. Enfin, il fait aussi quelques allusions à ce qui se passe sur Jupiter qu’on aurait, là aussi, bien aimé voir développées. Et bien entendu, rien de ce qui se passe sur la planète étrange et mystérieuse n’est expliqué…
Bref, pour ma part, je ne suis absolument pas d’accord avec le Times, qui expliquait que John Meaney était « le premier nouvel auteur de SF important du XXIe siècle » (je miserais, pour ma part, plus sur Rich Larson). Ou alors cette nouvelle, naviguant entre deux extrêmes de la SF, à la chute frustrante et sans réel fond thématique, n’est vraiment pas représentative de son oeuvre ! Je préfère y voir un hommage, écrit sans prise de tête (mais faisant franchement tache à côté de certains des autres textes de l’anthologie, du coup) à la SF que l’auteur apprécie, celle des Pulps, de Stargate, et probablement de X-Files.
The agreement – Dominica Phetteplace
Nora, une ex-militaire, fait partie de Mission Express, sorte d’agence spatiale privée où l’entraînement et les aptitudes physiques sont certes importants, mais où la popularité sur les réseaux sociaux et une émission de télé-réalité sont aussi capitaux pour savoir qui partira en mission sur Mars… ou pas (les votes des spectateurs se font par SMS !). Moins photogénique que certaines candidates ou moins populaire sur les réseaux que d’autres, Nora ronge son frein. Jusqu’à ce que la NASA, le Président américain et l’US Air Force fassent appel à elle, parce que le premier contingent, bien qu’envoyant rapports et vlogs depuis deux ans en provenance de la planète rouge, semble en fait n’avoir jamais quitté la stase cryogénique. Quelque chose, peut-être l’IA du vaisseau, ou peut-être une force martienne, semble avoir pris le contrôle du site. Son passé militaire fait que Nora est choisie pour aller enquêter, seule et dans un vaisseau à l’IA très spéciale (on soupçonne un sabotage de celle du premier astronef), car modelée sur un scan partiel du cerveau de la jeune femme. Sur Mars, elle découvrira la vérité sur ce qui s’est passé et sur les responsables !
Si le texte de John Meaney sonnait un peu creux, là, par contre, on frôle l’overdose tant l’autrice balaye des thèmes, des références et des ambiances très différents (on passe d’un ton franchement satirique au début à quelque chose de beaucoup plus grandiose à la fin). Je ne peux pas tout citer, histoire de ne pas spoiler, mais il y a du Citoyen +, du Frank Herbert, du Greg Egan et peut être surtout de l’Adrian Tchaikovsky (Dogs of war, qui va lui aussi sortir très bientôt en français) dans le mélange (on remarquera qu’Audrey Pleynet se retrouve en illustre compagnie !). Voire même un peu de Capricorn One, en un sens (le fait que la Terre ait reçu pendant deux ans des images martiennes trafiquées).
En tout cas, les thématiques sont nombreuses et très intéressantes : vidéos trafiquées par différentes factions, poids des réseaux sociaux, de la télé-réalité, discours nettement anti-nationaliste, émergence et droits de différents types d’intelligences artificielles ou émulées, etc. On remarquera aussi que ce texte pousse le postulat de départ de Strahan dans ses derniers retranchements : il n’y a pas un personnage tentant de se sortir d’une situation critique (de son point de vue, du moins)… mais trois ! Bref, une nouvelle riche, intéressante, très humaniste, mais un peu trop fourre-tout et balayant trop de spectres en terme d’ambiance ou de ton pour que je parle de mandale de maçon, pour ma part. L’autrice est à surveiller, en tout cas.
The fires of Prometheus – Allen M. Steele
Roy est membre du service de Recherche et Sauvetage du secteur de Jupiter. Il raconte (via une narration à la première personne) la façon dont son équipe et lui ont été envoyés stopper Hal Stubbs, le premier et dernier homme à poser le pied sur Io, un des quatre satellites majeurs de la planète géante.
Alors là, voilà un très bon texte, un Planet Opera Hard SF (mais très digeste) basé sur un très beau sense of wonder et dans la lignée (à mon sens) de Ben Bova (auquel il est rendu hommage, ainsi qu’à Frederik Pohl, via les noms de vaisseaux). Le lecteur découvrira notamment les dangers de la magnétosphère de Jupiter, la création d’une variante génétiquement améliorée de l’être humain taillée pour mieux les affronter, et l’environnement hors-norme de Io. La narration est très immersive (la quasi-reconstitution policière du début est excellente), le texte plein d’émotion, et la chute, complètement inattendue, magistrale.
Ice breakers – Kristine Kathryn Rusch
Maya est directrice des opérations minières sur le continent glacé d’une planète extrasolaire. Alors que la pire tempête depuis des années approche, elle sort de la base sécuriser certaines installations. C’est alors qu’elle assiste à la chute d’un vaisseau spatial…
Cette nouvelle joue un peu sur le même registre que la précédente (Quelqu’un est en danger, mais aller le sauver m’exposera moi-même à divers périls : donc j’y vais ou pas ?), mais sans en avoir la qualité. Oh ce n’est pas un mauvais texte, loin de là, mais il m’a paru un peu plat, j’ai eu du mal à m’y immerger ou impliquer émotionnellement. Un peu comme Watching the music dance de la même autrice dans Engineering Infinity, alors que comparativement, j’avais beaucoup plus apprécié Safety tests dans Edge of Infinity.
Cyclopterus – Peter Watts
Galik, qui travaille pour une compagnie minière sous-marine, descend à grande profondeur dans le secteur de l’île Clipperton, afin d’évaluer le potentiel des champs de nodules polymétalliques locaux. Mais son submersible est frappé par une onde de choc d’origine inconnue, qui le met en péril…
Une fois de plus, le jovial Peter Watts nous présente un monde utopique : les super-tempêtes, des ouragans « éternels » dus au réchauffement des océans, ont rendu le transport aérien au mieux très difficile, au pire obsolète, les vagues de chaleur perturbent les hivers européens, les pandémies et un super-champignon ravagent la planète, tout comme la montée des océans, l’avancée des déserts, les guerres pour l’eau potable ou l’ébullition des clathrates sous-marins. Bref, la planète est foutue, c’est acté. Les riches cherchent à se préserver, les éco-terroristes veulent leur peau. Mais… une fois de plus, le génial canadien nous livre un excellent texte, dans un univers sous-marin qui n’est pas celui de la trilogie Rifteurs (dont j’ai écrit des critiques très détaillées pour le numéro 93 de Bifrost, recensions que vous pourrez découvrir sur ce blog en janvier), mais qui s’en rapproche via certaines révélations de la fin.
En conclusion
Avec Mission Critical, Jonathan Strahan, le pape australien des anthologies, nous propose un successeur spirituel à son projet de recueils de Hard SF Infinity, récemment achevé. L’ouvrage s’inscrit aussi dans la continuité de films comme Seul sur Mars ou Apollo 13, qui montrent comment on peut s’en sortir quand la mission déraille dans les grandes largeurs. Les quinze nouvelles sont de qualité inégale, le franchement mauvais cohabitant avec le vraiment bon, sans, non plus, qu’on y trouve les chefs-d’oeuvre qu’on croisait dans chaque volume d’Infinity (ou quasiment), la plupart du temps pour un problème d’originalité plus que de qualité propre. Les meilleurs textes sont ceux des deux Peter (Hamilton et Watts), de Yoon Ha Lee, ainsi que celui de la moins connue Carolyn Ives Gilman, et dans l’ensemble, les auteurs les plus prestigieux du recueil s’en tirent au moins honorablement. À une (grosse) exception près : Greg Egan livre ici une nouvelle qui relève de la catastrophe industrielle, un Bhopal littéraire, un Tchernobyl science-fictif. Dans l’ensemble, toutefois, Mission Critical s’avère être une honnête anthologie de Hard SF (tout à fait lisible), à défaut d’être transcendante.
Niveau d’anglais : globalement facile. Seul le texte de Peter Watts est un poil plus difficile, mais rien de rédhibitoire.
Probabilité de traduction : du recueil en entier, zéro. De certaines nouvelles individuellement, plus que correcte.
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Ping : This is not the way home – Greg Egan – L'épaule d'Orion – blog de SF
Ping : Something in the air – Carolyn Ives Gilman – L'épaule d'Orion – blog de SF
En total accord.
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Je suis curieux de voir ce qu’il va nous proposer l’année prochaine.
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Merci pour cette chronique. Au final, seuls deux textes me font envie. Par les qualités que tu trouves et par leurs univers. Il s’agit de ”The one who was there” et « The fires of Prometheus”.
Je constate par contre qu’on a une frustration commune avec les textes courts : quand les univers approchés sont très intéressants, on en veut plus !
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Bon, je ne sais pas si je franchirais le pas. D’un autre côté, il y a la nouvelle de Watts…. Pfff, quel dilemme!
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Celle de Peter Hamilton est également excellente 😉
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