Edge of infinity – Collectif

Un meilleur niveau moyen que dans l’anthologie précédente, mais moins de nouvelles vraiment marquantes

edge_of_infinityEdge of Infinity est la seconde des sept anthologies de Hard SF du projet Infinity, mis en place par Jonathan Strahan, un maître dans l’exercice. Cette fois, les nouvelles concernées tournent autour d’un thème commun, à savoir la conquête du système solaire.

On y trouve, comme dans Engineering Infinity, un mélange d’auteurs très connus et d’autres qui le sont beaucoup moins sous nos latitudes (même si la part des premiers est supérieure à ce qu’elle était dans l’anthologie précédente). On retrouve d’ailleurs certains écrivains qui étaient déjà présents dans le premier opus : Stephen Baxter, Kristine Kathryn Rusch, John Barnes, Gwyneth Jones, Hannu Rajaniemi. Ce qui était, pour moi, une bonne nouvelle pour le premier et le dernier, moins pour les trois autres dont je n’avais pas forcément apprécié les textes jusque là. Mais comme nous allons le voir, j’ai eu quelques surprises, et quelques certitudes ébranlées, dans un sens ou dans l’autre ! 

Les textes

Je vais vous donner un bref résumé de chaque texte, avant de vous présenter mon avis à son sujet, puis une appréciation générale sur cette anthologie dans son ensemble.

The girl-thing who went out for Sushi – Pat Cadigan

Une jeune célébrité (reine de beauté et petit génie) se rend dans l’espace de Jupiter pour se faire opérer et acquérir une des formes posthumaines existantes. L’action n’est pas vraiment montrée de son point de vue mais plutôt de celui d’un de ses amis, qui a troqué sa forme bipède pour huit tentacules longtemps auparavant.

Cela faisait un gros moment que je voulais découvrir la prose de Pat Cadigan, une des auteures emblématiques du cyberpunk (bien qu’ici, on soit plus dans du Biopunk ou de la SF transhumaniste). Je dois cependant dire que je ne suis guère satisfait de l’expérience : d’un style auquel je n’accroche pas à une histoire sans grand intérêt (une vague réflexion sur l’altérité ou le racisme), ce texte ne restera certainement pas dans mes annales. Et pourtant, il a obtenu le prix Hugo 2013 de la meilleure Novelette (catégorie intermédiaire entre la nouvelle et la novella). Comme quoi…

The deeps of the sky – Elizabeth Bear

Dans l’atmosphère d’une géante gazeuse, un extraterrestre recueille les composés rares brassés par une tempête apportant la matière des profondeurs vers les couches supérieures, dans le but de s’attirer les bonnes grâces d’une des énormes femelles qui flottent dans les parages et devenir un de ses conjoints. C’est alors qu’il va rencontrer, près de la tempête, un vaisseau qui n’est pas le produit de la biotechnologie de sa race…

Voilà un très bon texte, qui combine Sense of wonder lié à l’environnement de type Jupitérien et thématique du premier contact (cette fois vu par les yeux des aliens). La forme de vie géante et aérienne, capable de produire des artefacts biotechnologiques dans son propre corps, rappelle un peu celle croisée dans Le sens du vent de Iain M. Banks.

Drive – James S.A. Corey

Un ingénieur martien met au point un propulseur à fusion révolutionnaire. Tellement révolutionnaire que le premier essai a des conséquences inattendues !

Bien que cela ne soit pas indiqué, cette nouvelle prend place dans l’univers de The Expanse, et montre le processus qui a abouti au propulseur Epstein, ainsi que les conséquences géopolitiques de sa mise au point. L’essai était d’ailleurs montré (sous forme de flashback) dans la série télévisée tirée des livres, et je suis ravi d’avoir lu ce texte car je me demandais justement si ce passage avait été inventé par les scénaristes ou bien s’il avait été écrit quelque part dans le cycle. J’ai désormais ma réponse. Au final, il s’agit, comme d’habitude avec « Corey » (rappelons qu’il s’agit en fait du pseudonyme commun de Ty Franck et Daniel Abraham / Hanover), d’un texte solide, agréable et rondement mené.

The road to NPS – Sandra McDonald & Stephen D. Covey

Un Samoan un peu barré veut tenter une première sur la glace d’Europe (le satellite de Jupiter), alors que certaines corporations lui mettent des bâtons dans les roues. Et tout se complique lorsque son co-pilote a un « accident » juste avant le départ !

Une nouvelle au style fluide et plaisant, combinant tension et humour, avec une fin assez réjouissante. Somme toute un texte mineur, mais fort agréable à lire.

Swift as a dream and fleeting as a sigh – John Barnes

Cette nouvelle est centrée sur deux types d’IA / robots différents qui analysent, chacun à leur manière, la psychologie humaine et se servent de ce qu’ils ont appris pour atteindre leurs objectifs.

Bon, ce second texte de John Barnes en deux anthologies me convainc un peu plus que le premier, mais ne restera pas pour autant dans mes annales. La chute est assez plate, le message relativement flou et long à se dessiner.

Macy minnot’s last christmas on Dione, Ring racing, Fiddler’s green, the Potter’s garden – Paul McAuley

Le père de Mai vient de mourir, et elle se rend sur Dioné, le satellite de Saturne, pour assister à ses obsèques. L’homme était artiste et pratiquait une forme spéciale de trek, et le lecteur va découvrir les pratiques du futur décrit dans ces deux domaines.

Cette nouvelle se déroule dans le même univers qu’un des romans de l’auteur, La guerre tranquille (le personnage de Lexi, la compagne du père de Mai, est d’ailleurs une descendante de Macy Minnot, l’héroïne de ce livre). Malgré de multiples tentatives avec la prose de McAuley, je n’arrive pas à être convaincu, et ce texte ne fera pas exception à cette malheureuse tradition : on s’ennuie, on peine à voir où l’auteur veut en venir, bref, on a hâte de passer à autre chose.

Safety tests – Kristine Kathryn Rusch

Sur une station spatiale en orbite terrestre, Devlin est un inspecteur désabusé (mais très soucieux de sécurité, surtout la sienne -il faut dire que son prédécesseur est mort en service-) chargé de faire passer divers permis de conduire… des vaisseaux spatiaux. Et son job est aussi stressant que périlleux !

Alors que les autres nouvelles de l’anthologie tournent toutes plus ou moins autour du sense of wonder lié à l’exploration du Système Solaire, d’individus d’exception, Safety tests est au contraire étrangement banale, montrant un jour de boulot comme les autres (ou presque…) d’un fonctionnaire lambda qui a peur de mettre les pieds au bureau mais qui, une fois qu’il y est, fait son travail sans états d’âme. Ce texte s’inscrit dans plusieurs registres différents selon le stade, de l’humour au début jusqu’à l’haletant sur la fin, est constamment surprenant et fort sympathique. Pour tout dire, je l’ai bien plus apprécié que la nouvelle de l’auteure présente dans l’anthologie précédente de la série, Engineering Infinity.

Bricks, sticks, straw – Gwyneth Jones

La mission Medici explore les lunes de Jupiter, quand une éjection de masse coronale coupe les communications entre la Terre et l’orbiteur jupitérien, ainsi qu’entre ce dernier et les installations ou véhicules à la surface des satellites de la planète. Or, l’interaction entre l’équipe de téléprésence humaine et ces robots a créé, durant l’entraînement, des logiciels intelligents, qui, à la suite de cette césure, deviennent conscients. Comme l’un d’eux l’explique, ils sont devenus des « clones logiciels » des membres humains de l’équipe de téléprésence. L’une de ces copies, celle de Sophie, est la seule qui veut rétablir le contact avec l’orbiteur, puis la Terre. Les autres vont essayer de l’en empêcher…

En un mot : mouais. Le postulat de départ, outre le fait qu’il n’est pas franchement expliqué clairement (et pas spécialement convaincant), est vaguement similaire à celui d’Éveil de Robert J. Sawyer, sorti trois ans avant. La fin, par contre, est assez réussie (et glaçante, si mon interprétation de ce qui s’y passe est correcte), mais le texte laisse toutefois une impression d’ensemble un peu brouillonne et de « aurait dû être meilleur ». Je suis toutefois plus convaincu par cette nouvelle que par celle qu’avait écrite l’auteure dans l’anthologie précédente.

Tyche and the ants – Hannu Rajaniemi

Sur la surface de la lune, Tyche, une enfant à l’imagination fertile, parle à des amis imaginaires alors que l’IA de sa base insiste pour qu’elle prenne régulièrement un mystérieux « traitement ». Un jour, au cours de ses jeux, elle croise des fourmis robotiques, qui viennent visiblement de l’Endroit Mauvais qui trône dans le ciel lunaire. A ce moment là, l’IA déclenche l’évacuation. Mais Tyche veut absolument donner au Magicien le rubis qu’elle a synthétisé pour lui…

Voilà un texte à l’ambiance très étrange (quelque part entre la Hard SF et le conte), avec une fin peu satisfaisante, et qui pose plus de questions qu’elle n’en résout. Rajaniemi a fait bien mieux que cette nouvelle dont on peut se dispenser sans grand regret.

Obelisk – Stephen Baxter

Wei Binglin, le capitaine qui a mené son vaisseau interplanétaire endommagé vers Mars malgré tout, est un héros pour tous, sauf pour lui-même. Pour rendre hommage aux colons morts qu’il transportait, il s’établit sur Mars, dans la colonie abritant le cairn où se trouvent les restes de Cao Xi, le premier homme a avoir posé le pied sur la planète rouge. Des années plus tard, maire de la bourgade, il voit un certain Kendrick, chassé des colonies des Nations Unies, débarquer, avec de grands projets pour le cairn. Descendant d’une lignée prestigieuse d’ingénieurs de l’extrême, il a eu une idée pour rendre le monument plus digne du héros…

J’avoue ressortir relativement mitigé de la lecture de ce texte. C’est du Baxter, donc, forcément, sur le plan Hard SF, c’est solide (même si je doute, pour ma part, que de grands projets de construction soient lancés aussi tôt dans l’histoire de la colonisation de Mars, du moins des projets pas directement liés à la terraformation ou à l’amélioration de l’infrastructure coloniale -ascenseur spatial, etc-). Hors du plan technique, l’histoire de la colonisation décrite (dominée par les chinois) est crédible. Le problème de cette nouvelle se situe plus au niveau de l’intrigue, et surtout de sa chute (^^), qui ne m’ont pas spécialement convaincu.

Vainglory – Alastair Reynolds

Loti Hung, sculptrice… d’astéroïdes, quatre-vingts ans, est abordée sur Triton par un détective privé, qui vient lui parler d’un boulot effectué un demi-siècle plus tôt, et qui serait lié à l’impacteur de Naïade, une des autres lunes de Neptune. Loti va alors se souvenir de sa rencontre avec le milliardaire Skanda Abrud, et de la façon dont elle a réalisé pour lui (en partie involontairement) une oeuvre d’art grandiose.

Je ne suis jamais déçu par la prose de Reynolds, et ce texte ne va pas déroger à cette tradition : il est tout simplement excellent. Sa narration, qui alterne entre présent et souvenirs d’un passé vieux de cinquante ans, est efficace, prenante, immersive, et réserve quelques surprises. Et quel sense of wonder ! Outre les merveilles liées à la colonisation du Système Solaire, la révélation quasi-finale est tout simplement grandiose. Bref, une excellente nouvelle, qui prouve, s’il en était besoin, qu’en matière de Hard SF et d’émerveillement, Alastair Reynolds n’a rien à envier aux Egan, Baxter et autres Watts.

Water rights – An Owomoyela

Jordan, propriétaire d’une station hydroponique, assiste à la destruction (probablement intentionnelle) de la cabine de l’ascenseur spatial terrestre assurant le ravitaillement des colonies orbitales en eau. Ce qui la place dans une position délicate : d’une part, elle se retrouve à la tête de la plus importante réserve du précieux liquide restante, mais d’autre part, sa sœur Harper ayant publié des éditos militant contre la fuite de ressources non-renouvelables en eau hors-planète, certains se demandent à qui a profité le crime. Et par dessus-tout, se pose la question de ce que va devenir sa production agricole sans irrigation…

Cette nouvelle est assez intéressante, et ce sur deux plans : d’abord, sur un pur aspect Hard SF, puisqu’elle tente de répondre à une question qu’aucun Space Opera ne se posera jamais, à savoir « d’où vient l’eau d’une station spatiale ? » ; ensuite sur un aspect sociologique, puisqu’elle montre bien la panique qui s’empare des gens quand l’approvisionnement d’une ressource vitale est compromis (situation que l’on peut facilement constater sur notre bonne vieille planète en cas de panne géante d’électricité, par exemple).

The peak of eternal light – Bruce Sterling

Cette nouvelle décrit la société d’une colonie installée sur Mercure. N’ayant accroché ni au style, ni à l’univers, je l’ai abandonnée sans regret au bout d’un tiers. Bruce Sterling nous a habitués à mieux, pourtant.

En conclusion

Si le niveau général de cette seconde anthologie du projet Infinity est meilleur que celui du volume précédent, elle manque pourtant, à mon sens, des textes majeurs (comme ceux d’Hannu Rajaniemi ou de David Moles) qui en faisaient tout l’intérêt. Un bilan en demi-teinte, donc, qui ne m’empêchera pourtant pas de continuer à lire les cinq autres anthologies de la série.

Niveau d’anglais : globalement, pas de difficulté particulière.

Probabilité de traduction : du recueil entier, zéro ; de certaines nouvelles, possible.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette anthologie, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de FeydRautha,

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