Perihelion summer – Greg Egan

Tristement banal

perihelion_summerPerihelion Summer est le nouveau roman court de SF de Greg Egan, paru hier chez Tor.com. Et je dis bien : « de SF », et non « de Hard SF », tant ce texte est représentatif de la production récente du mystérieux australien, qui, par rapport à ses œuvres les plus anciennes, a d’une part spectaculairement mis de l’eau dans son vin en rendant sa prose compréhensible pour tout le monde sur le plan scientifique, et s’est d’autre part réorienté vers des thèmes sociaux plus que vers un vertige technologique, philosophique, transhumaniste ou lié aux merveilles de l’univers. On se rappellera, par exemple, de Cérès et Vesta. Dans Perihelion Summer, cette tendance est poussée encore plus loin : certes, cette histoire met en jeu un trou noir, mais ce n’est clairement qu’un gadget servant à l’auteur à catalyser un changement climatique extrême (je vais y revenir). De fait, cette novella n’est pas vraiment de la Hard SF, mais un mélange de Climate Fiction et de Science-fiction post-apocalyptique (avec un certain aspect thriller), malheureusement tout ce qu’il y a de banal, de vu et de revu chez d’autres, et le plus souvent de façon bien plus détaillée, puisqu’un roman court n’offre évidemment pas la même place pour développer certains thèmes qu’un pavé de 500 pages ou pire, un cycle entier.

Au final, Perihelion Summer est un texte banal, tel que n’importe qui aurait pu l’écrire ou presque : si Greg Egan peut écrire de la cli-fi / du post-apo comme tout le monde, l’inverse n’est malheureusement pas vrai, tant un écrivain lambda ne saurait proposer l’ultra-Hard-SF vertigineuse avec laquelle l’australien nous régalait jadis. Et si c’est ce Greg Egan là que vous voulez lire, c’est vers la sortie française de Diaspora, le 30 mai, qu’il vous faudra vous tourner, mais clairement pas vers cette novella.

Black hole sun, won’t you come, and wash away the rain *

* Black hole sun, Soundgarden, 1994.

L’intrigue débute avec l’approche d’un trou noir primordial, appelé Taraxippus, du Système Solaire, et… « Un quoi ? », êtes-vous en train de penser, ébahi. Ok, petit cours d’astrophysique (vous savez qu’on aime bien ça, sur le Culte). Un trou noir est l’état de densification ultime de la matière : il est en fait si dense que même la lumière n’a pas une vitesse suffisante pour quitter son puits de gravité. C’est donc pour ça qu’il est noir : il ne rayonne ou ne réfléchit rien. Et on dit que c’est un trou parce qu’au lieu de déformer l’espace-temps comme n’importe quelle masse, lui forme un puits sans fond : il le perce. Il en existe de trois origines : les trous noirs stellaires se forment lors de l’implosion (et je dis bien implosion) d’une étoile de  plus de 15-20 fois la masse du Soleil ; les trous noirs supermassifs, au cœur de chaque galaxie, peuvent faire des milliards de masses solaires, et résultent de la fusion de trous noirs plus petits, de l’accrétion de matière environnante ou de processus encore inconnus ; enfin, les trous noirs primordiaux (encore hypothétiques de nos jours) se seraient formés dans la première micro-seconde ayant suivi le Big Bang, par effondrement gravitationnel de régions extrêmement denses de l’univers primitif. Leur masse moyenne serait celle du Soleil, ce qui est inférieur à celle d’un trou noir stellaire.

En 2011, l’astrophysicien écossais Mike Hawkins fait de ces trous noirs primordiaux un candidat pouvant expliquer la mystérieuse matière noire (cinq fois plus abondante que la matière ordinaire qui nous entoure, celle-ci ne se manifeste que par ses effets gravitationnels). Il calcule que ces trous noirs issus du Big Bang seraient si nombreux qu’il pourrait y en avoir un toutes les 300 années-lumière (ce qui donne un nombre énorme à l’échelle de l’univers), et que statistiquement parlant, il était possible que l’un d’eux se situe à 16 A.L. à peine de la Terre. Le passage récent de l’astéroïde Oumuamua, originaire d’un autre système solaire, nous rappelle d’ailleurs que tout un tas de machins se balade, là-dehors : l’existence de planète « flottantes » (non liées à une étoile -certaines théories récentes en matière de formation de systèmes solaires tiennent l’éjection d’un ou plusieurs mondes comme inévitable ou presque, et il reste toujours la possibilité qu’une autre étoile frôle votre soleil dans son périple autour de la galaxie et n’arrache une planète de son orbite-), d’astéroïdes et autres comètes errantes, et bien sûr d’objets stellaires en vadrouille est prouvée.

Egan explique donc que Taraxippus, trou noir d’un dixième de masse solaire, s’approche de la Terre. Tout l’objet de la première partie du roman est donc de déterminer s’il va percuter notre planète, ou s’il va se contenter de traverser le Système Solaire avant de poursuivre sa course, comme l’a fait Oumuamua. De fait, c’est le second cas qui se présente, mais il n’est pas pour autant sans conséquence : en effet, Taraxippus a modifié l’orbite de la Terre, ce qui occasionne, dans l’hémisphère sud où se trouve l’Australie (sur laquelle est centrée l’action), des étés plus chauds (15°c en plus en moyenne en décembre -je vous rappelle que les saisons sont inversées dans l’hémisphère sud, et que Noël est donc en plein été-) et des hivers plus froids (10°c de moins en juin). Comme le fait remarquer l’auteur, s’il est tout à fait faisable de s’adapter à des hivers plus rudes (les scandinaves, les russes ou les canadiens le font sans souci même dans notre monde réel), en revanche 15°c de plus en moyenne (ce qui peut signifier 20°c à certains endroits) constituent une menace mortelle si la technologie vient à défaillir ou si le pays concerné ne dispose ni des moyens ni de l’organisation nécessaire.

Intrigue et thématiques

L’intrigue suit Matt, un ingénieur qui a conçu (bien avant cette affaire de trou noir) Mandjet, une ferme piscicole flottante, mobile et auto-suffisante (sa description technique est d’ailleurs très convaincante). Lors de la partie « astrophysique », minoritaire, du bouquin, c’est par ses yeux qu’on voit arriver des informations de plus en plus précises sur Taraxippus. Ensuite, on le voit évoluer dans le « monde d’après » la catastrophe, essayant de sauver sa famille et utilisant le Mandjet comme noyau d’une flotte de réfugiés climatiques se dirigeant vers l’Antarctique (devenu très habitable). On aura même droit à un petit aspect action / thriller sur la fin !

Clairement, Taraxippus ne sert à Greg Egan que de gadget pouvant expliquer un changement climatique plus radical et beaucoup plus extrême que celui, réel, dû aux rejets industriels humains auquel nous devons faire face (n’en déplaise aux climato-sceptiques). Ceux qui s’attendent à des développements Hard SF de foufou en seront donc pour leurs frais. On peut même se poser la question de la pertinence du fait de ne pas avoir écrit sur le « vrai » changement climatique et d’en avoir créé un artificiellement, via cette histoire de trou noir. Mais bon, Egan, même en transition vers de la Soft-SF, reste Egan, il fallait de la démesure, hein…

Dans la deuxième partie de la novella (25-43 %), on bascule donc de la Hard SF à la Climate Fiction, et c’est là que le bouquin part en vrille. Parce que fondamentalement, c’est du cent fois vu, et Egan ne fait ni mieux ni pire que les autres (à commencer par Kim Stanley Robinson). Vous pouvez donc deviner à l’avance les passages obligés que sont les pays de salopards qui ferment leurs frontières aux réfugiés (sachant qu’en Inde par exemple, la moitié de la population est condamnée si elle ne se déplace pas à la saison chaude ; je cite « We cannot and we will not allow our sovereignty to be undermined in the name of some false idea of compassion »), les camps frontaliers où des dizaines de milliers d’entre eux meurent chaque jour, les sceptiques qui pensent que tout cela n’est qu’un mensonge ou une exagération pour les exproprier de leurs terres, les gens qui refusent de partir par peur des squatteurs ou des pillages, et j’en passe. Bref, le mélange de thématiques sociales et climatiques qui sont très à la mode ces derniers temps en SF (cf La cité de l’orque, par exemple). Ce qui pose donc la question de savoir quel était l’intérêt pour Egan de jouer la même partition convenue que les autres, alors que jusque là, ce qui faisait l’intérêt de sa prose est que justement, il ne faisait rien comme les autres. Même si (et je l’expliquais dans ma critique de Cérès et Vesta), on le sait très sensible aux thématiques liées aux réfugiés.

Il faut toutefois dire que dans cette seconde partie, l’auteur passe très vite sur les thèmes de fond : il faut néanmoins admettre que dans une novella, on a évidemment moins de place pour les développer que dans un roman ou pire, un cycle. Une fois le bouquin achevé, reste cependant le sentiment que l’australien aurait pu (dû…) tailler dans la partie survival qui suit pour étayer un peu le fond. Ce qui est tout de même une remarque très étrange à entendre ou formuler pour qui connaît même un minimum l’auteur.

Dans la troisième partie de Perihelion Summer, on bascule à nouveau, cette fois d’une Climate-Fiction Soft-SF vers un post-apocalyptique aux accents de thriller encore plus banal, convenu, et pour tout dire assez ennuyeux (sauf sur la fin), que dans la partie précédente. De plus, le gros problème que j’y vois est qu’elle nous montre la situation par le petit bout de la lorgnette, au détriment des grands thèmes de fond esquissés dans la seconde partie. Certes, certains y verront au contraire quelque chose de plus immersif, qui permet de vivre la situation par les yeux du protagoniste (d’ailleurs plus travaillé que dans le texte moyen de l’australien), mais pour un écrivain du calibre de Egan, tout cela me paraît bien faible, personnellement.

Bref, après Adrian Tchaikovsky et Alastair Reynolds, voilà un troisième auteur de référence (pour moi, du moins) dont la dernière production en date s’avère être une cruelle déception. J’ose espérer que cette série noire va s’arrêter !

En conclusion

Ce nouveau court roman de Greg Egan montre, dans une première partie, le passage dans le Système Solaire d’un mini-trou noir, qui modifie l’orbite de la Terre, avec des conséquences climatiques catastrophiques. Une seconde partie montre les effets sociaux et géopolitiques de ce changement, tandis que dans la troisième (plus de la moitié de la novella), on bascule dans un « simple » récit post-apocalyptique aux accents occasionnels de thriller. Le problème est que la partie Hard SF est décevante pour l’aficionado de ce sous-genre, la partie Cli-Fi convenue et sous-développée, et la partie post-apocalyptique stéréotypée, parfois ennuyeuse, à mon avis indigne de Greg Egan, et mettant surtout trop en avant la forme et une vue de la situation par le petit bout de la lorgnette au détriment du fond. Bref, avec ce nouveau texte, l’australien bascule de plus en plus dans une Soft-SF sociale et d’un intérêt assez relatif (fondamentalement, c’est du dix fois vu, et le trou noir ne sert clairement que de gadget ou plutôt de catalyseur à un changement climatique alternatif et extrême), au détriment de l’ultra-Hard SF d’élite qui l’a fait connaître et apprécier (ou parfois détester). Car si ce texte n’est pas mauvais, il est tristement banal. Si vous êtes comme moi, pas spécialement fan de ce nouvel Egan et désireux de lire de la Hard SF de l’extrême, on vous conseillera plutôt de vous tourner vers la VF de Diaspora qui sort dans un mois et demi, vous y trouverez beaucoup plus sûrement votre bonheur.

Niveau d’anglais : moyen.

Probabilité de traduction : je suis raisonnablement confiant (niveau thématiques et format, ça irait bien chez le Belial’). Même si personnellement, je pense que quitte à traduire du Egan, il y a mieux à faire (*hum, trilogie Orthogonal, hum*).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce court roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de FeydRautha, celle de Gromovar,

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24 réflexions sur “Perihelion summer – Greg Egan

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  2. Tu es un peu plus dur que moi, mais nous sommes d’accord. La lorgnette est le soucis de ce texte. Egan part de grand (un trou noir), puis réduit cela à une catastrophe climatique, puis réduit encore à cela aux tribulations d’une barge flottante. Dans un roman classique, cela se tient. Mais pas chez Egan. C’est exactement le mouvement inverse qu’on lira dans Diaspora. Du zero vers l’infini.

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    • C’est exactement ça. C’est un mauvais Egan, qui manque d’ambition, mais pas fondamentalement un mauvais texte. Mais c’est aussi là que réside le souci : c’est une novella comme n’importe qui ou presque aurait pu en écrire une. Ce qui n’est évidemment pas le cas de Diaspora. Et c’est dans cette banalité que réside aussi ma déception.

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  3. Ça ne me surprend pas vraiment qu’Egan délaisse un peu le côté hard pour parler de thématiques plus actuelles. Il me semble qu’il est assez impliqué dans les questions tournant autour des réfugiés qui débarquent en Australie. Ce sujet ainsi que le changement climatique sont assez présents dans l’esprit de certains australiens (le pays a encore connu cette année un été aux températures record).
    Bref, peut-être Egan a-t-il besoin d’écrire sur ces sujets.

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    • Tout à fait, je mentionne d’ailleurs son intérêt pour la question des réfugiés à la fois dans cette critique et surtout dans celle de Cérès et Vesta. Et pour ce qui est des températures record cette année, pour suivre l’Open d’Australie de Tennis (qui se déroule en janvier, donc en été chez eux), je ne peux que confirmer.

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  4. « Ce qui pose donc la question de savoir quel était l’intérêt pour Egan de jouer la même partition convenue que les autres, alors que jusque là, ce qui faisait l’intérêt de sa prose est que justement, il ne faisait rien comme les autres. »
    CA m’amène à une question toute bête, mais est-ce qu’un auteur a forcément lu d’autres livres « concurrent » et sait-il qu’il fait grosso-modo la même chose.

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    • Vu que le pape de la cli-fi est Kim Stanley Robinson, autre grand nom de la Hard SF, il serait étonnant qu’Egan ne sache pas ce qui se fait dans le domaine. De plus, je suis de ceux qui sont persuadés qu’un grand auteur est avant tout un grand lecteur. Il serait donc doublement étonnant que l’australien ait fait son truc dans son coin en croyant innover.

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      • Note en passant : j’ai constaté, notamment en interviewant des auteurs, que s’ils sont parfois de grands lecteurs, ils ne lisent pas toujours beaucoup dans le genre dans lequel ils écrivent. Certains l’évitent même sciemment : la lecture est un loisir, l’écriture un travail, conserver le même genre dans les deux c’est mélanger loisir et travail et tout le monde ne supporte pas cette façon de faire. 🙂

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        • Sans doute, mais il faut un minimum de connaissances dans un genre pour pouvoir l’écrire bien. Par exemple, mes quelques tentatives de polar sont restés des échecs malgré des idées intéressantes.

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  5. NOOON PAS LUI
    Plus sérieusement, Egan, Robinson, Hamilton, Reynolds… Ça commence à faire un paquet. Manquerait plus que Baxter ne soit pas le prochain à succomber à cette terrible épidémie de banalite, et je vais vraiment me faire du mouron !

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  6. J’aime beaucoup a peine que tu as pris de vulgariser les catégories de trous noirs, les objets célestes en vadrouille et le petit topo des conséquences d’une modification importante de l’axe d’inclinaison de la Terre.
    EN revanche, sur tout ce qui est climate-fiction je suis un public un peu plus difficile, et je vais donc laisser tomber le bouquin – sans être à ranger dans les fosses septiques. (ok, je vais sortir…)
    mais comme notre ami scribe brouillard, si tous les grands auteurs de hard-sf se mettent à faire du commun, l’avenir s’annonce moins radieux.
    Heureusement que j’ai rpis un peu de retard concernant ces auteurs…

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