War cry – Brian McClellan

Machine-gun & Sorcery

war_cryBrian McClellan est un auteur américain qui a produit le meilleur cycle de la jeune histoire de la Flintlock Fantasy (voir mon article), les Poudremages. Il sort aujourd’hui un roman court qui n’y est pas lié et propose un tout nouvel univers. Comme vous pouvez vous en douter avec un écrivain qui semble avoir, comme votre serviteur, développé une profonde lassitude envers le médiéval-fantastique, ce nouveau contexte ne s’inspire pas tout à fait de l’Europe, et certainement pas du Moyen Âge. On aurait pu penser que McClellan allait, comme Adrian Tchaikovsky avant lui (dans Guns of the dawn), placer son histoire dans un cadre rappelant la Guerre de Sécession, mais il a en fait décidé de sauter une étape, et, grimpant dans les branches de l’arbre taxonomique, de passer de la Flintlock Fantasy à l’Arcanepunk, dont il devra désormais être considéré comme un des maîtres, à l’égal de Max Gladstone. Car War cry rappelle la Seconde Guerre mondiale… mais dans un monde secondaire (imaginaire) où la sorcellerie existe ! Bref, après la sword & sorcery, il faudra désormais aussi parler de machine-gun (ou de bomber) & sorcery !

Même si je lui ai trouvé quelques facilités sur la fin, il n’en reste pas moins qu’une fois de plus, McClellan nous offre un texte magistral, plein d’émotions variées, au rythme haletant et à l’univers totalement hors-norme dans un genre, la Fantasy, ultra-sclérosé. 

Univers

Premier aspect, l’époque. C’est complètement inspiré par la Seconde Guerre mondiale sur le plan technologique, puisque nous avons des mitrailleuses, des pistolets-mitrailleurs, des motos, des bombardiers, etc. Mais un conflit qui se serait enlisé et durerait depuis des décennies : le héros, Teado, qui a dans les dix-huit ans (et NON, ce n’est pas du Young Adult…), explique qu’il a commencé avant sa naissance et qu’on en annonce la fin « prochaine » depuis presque aussi longtemps. Au passage, le jeune homme contribuait déjà à assembler des avions dès son enfance, et un de ses compagnons d’armes, Aleta, est considéré, en ces temps de guerre, comme une « vieille femme », parce qu’elle a… vingt-neuf ans ! (l’espérance de vie est courte…). Enlisé ? Pas si sûr. L’ennemi a fait une avancée décisive, a la maîtrise du ciel, et bombarde régulièrement la capitale. Le camp de Teado est clairement sur la défensive, se contentant d’actions de guérilla. Mais je vais y revenir.

Sachez également que, sur le plan géographique et culturel, malgré l’inspiration historico-martiale, nous ne sommes pas dans un cadre évoquant l’Europe mais plutôt l’Altiplano et une culture sud-américaine moderne (les noms des personnages, par exemple, sont clairement hispanisants : Javiero, Rodrigo, Paco, Garcia, etc). En effet, l’action prend place sur les hautes plaines du Bavares, le plus grand plateau du monde.

Je précise que j’ai été un peu surpris à la lecture (en bien, hein), parce que le peu d’éléments disponibles avant la sortie de cette novella semblaient la situer dans une inspiration au croisement des indiens d’Amérique, de la Seconde Guerre mondiale et de X-Men Origins : Wolverine. Ce qui n’est pas tout à fait faux, mais pas totalement vrai non plus.

Sur le plan du Magicbuilding, McClellan propose quelque chose de légèrement différent par rapport aux Poudremages : dans ce nouvel univers, un sorcier ne peut pas lancer une vaste palette de sorts comme dans la plupart des cycles ou romans de Fantasy (ou comme les Privilégiés dans les Poudremages), mais est restreint à un pouvoir bien précis, un peu dans une veine super-héroïque (ou dans celle du -médiocre- An alchemy of masques and mirrors de Curtis Craddock). On nous parle de quatre sortes de sorciers : les Cracheurs de feu, qui ont tous disparu au fil du conflit (et qui ont un souffle de feu comme un dragon), les Wormers, dont il ne reste qu’une poignée dans le monde (mais dont vous ne connaîtrez pas la nature du pouvoir), les Smiling Tom (illusionnistes capables de cacher vos troupes, y compris au niveau du bruit et de l’odeur) et les Changers comme Teado. Avant de lire le bouquin, je m’imaginais un chamanisme à l’amérindienne (avec un animal tutélaire en lequel on peut se transformer) ou une Thérianthropie à la Manimal, mais en fait il ne s’agit pas de ça : les sorciers de ce type prennent une forme disons « démoniaque », avec des mega-griffes et crocs, des ergots, des cornes, etc, et aussi une force et surtout une résistance surhumaines. Teado dit, d’un air méprisant, à propos d’un Changer ennemi :

Killed by a machine-gun. Hardly able to call himself a Changer

Mon sentiment sur ce world- / magic-building ? En un mot : efficace. Malgré la brièveté du texte (112 pages), l’auteur installe un univers complet et original par rapport aux gros bataillons de la Fantasy, même si, évidemment, on aurait aimé en savoir beaucoup plus sur tel ou tel point, qui reste dans l’ombre. On espère d’ailleurs que McClellan proposera d’autres novellas, nouvelles, voire un ou plusieurs romans dans cet univers fascinant et hors-normes, ce qu’il n’a apparemment pas totalement exclu de faire.

Intrigue

Teado fait partie d’un peloton de rangers (réduit à une vingtaine de soldats, soit la moitié de sa taille normale, à cause des pertes au combat) stationné sur le plateau Bavares, l’unité devant harceler l’ennemi, une tâche dans laquelle elle est d’une efficacité redoutable (il y a certes eu des morts, mais les pertes adverses sont proportionnellement beaucoup, beaucoup plus grandes). Son camp est camouflé grâce aux illusions de Bellara, la Smiling Tom du groupe, tandis que son frère Rodrigo mène de très dangereux vols de ravitaillement vers Bava, pour aller chercher la nourriture, les munitions ou les… préservatifs que la ville n’envoie plus depuis six mois (ce groupe de combat est mixte).

Et justement, de retour de son dernier voyage, Rodrigo transmet de nouveaux renseignements sur l’activité de l’ennemi : celui-ci serait en train de construire une base aérienne (encore plus) avancée, qui lui donnerait encore plus de possibilités pour bombarder Bava et lui confèrerait un avantage décisif dans le conflit. L’unité y voit une possibilité de frapper tout en se réapprovisionnant, les vivres, notamment, étant dangereusement réduits. Elle va donc mettre au point un plan audacieux, consistant à aborder en vol un des avions de transport ravitaillant le nouvel aérodrome en construction. Rodrigo va piloter leur avion, Bellara va le camoufler, Teado, sous sa forme bestiale / démoniaque, va sauter dessus, arracher la tôle du toit de l’appareil, tuer tout le monde à bord, avant que l’autre pilote du groupe, Selvie, ne pénètre dedans pour prendre les commandes. Sauf que la mission ne va pas tout à fait se dérouler selon le plan prévu, que Teado va se retrouver isolé à cinquante kilomètres de sa base, et lors du voyage de retour, va tomber sur quelque chose de très perturbant !

Analyse et ressenti

Un mot sur les personnages, tout d’abord : il ne faut pas vous attendre à ceux, très réussis, des Poudremages, même si ceux de War Cry n’en sont pas pour autant ratés, juste définis à bien plus grands traits, manque de place oblige. Néanmoins, il faut noter qu’ils s’avèrent tous particulièrement attachants. L’intrigue tient tout à fait la route (et nous avons vu que l’univers aussi), même si je regrette un peu quelques facilités à la fin et un retournement de situation vaguement prévisible. Je retiendrai un rythme haletant, une novella globalement passionnante (c’est simple, je l’ai lue à trois fois ma vitesse habituelle !), et surtout un travail très réussi sur l’ambiance et surtout sur l’empathie pour les émotions ressenties par Teado.

Le début (la description de l’univers et de la situation actuelle) tire assez sur le Grimdark (on remarquera d’ailleurs que ce côté sombre est typique de l’Arcanepunk), avec cette ambiance de guerre dont on ne voit pas la fin, d’enfants-ouvriers puis soldats, de pays des protagonistes qui est clairement en train de perdre le conflit, de rationnement, de propagande, de déserteurs fusillés, etc. La plupart des membres de l’unité, Teado y compris, pensent à profiter de l’offre d’amnistie de l’ennemi pour les déserteurs, et seule la loyauté envers leurs camarades (et pas envers leur pays) les en empêche, car se rendre reviendrait à devoir révéler la position du camp. De même, plus l’histoire avance, et plus on est dans la trahison, la douleur de la perte de compagnons d’armes, le « tout est foutu », et j’en passe. Le lecteur se prend les émotions ressenties par Teado comme un coup de poing, et vit intensément l’histoire : l’intérêt de ce roman, s’il réside en partie dans son univers original (pour de la Fantasy), tient, à mon avis, surtout dans cette immersion et cette faculté qu’à l’auteur de faire vivre à son lecteur ce que ressentent les personnages, et ce d’une façon exceptionnelle. De plus, la fin, ainsi que certains passages du début (comme celui avec les écureuils), montrent que même dans la situation la plus noire et désespérée, certains tentent tout de même de trouver beauté, bonheur, espoir, de faire des plans pour l’avenir, dans un contexte où les dures réalités d’un conflit sans fin et le poids impitoyable de la propagande et des contraintes liées à l’état de guerre ne laissent pourtant à tout cela qu’une bien mince place. La fin, d’ailleurs, m’a fait penser à Adrian Tchaikovsky, dans la façon qu’il a, souvent, de voir la conclusion de ses textes remettre en perspective tout ce qui la précède, que ce soit sur le plan de la couleur émotionnelle du texte ou un autre. Elle est d’ailleurs assez belle et poétique, cette fin, surtout vu tous les malheurs qui la précèdent.

Il me faut toutefois préciser que le contexte très noir, la violence des combats et le cadre militaire risquent de ne pas être attractifs pour tout le monde. On aurait tort, toutefois, de se priver de ces montagnes russes émotionnelles, tant la balade se révèle marquante. 

En conclusion

War cry est la première incursion de Brian McClellan hors de la Flintlock Fantasy qui l’a rendu célèbre pour son excellent cycle des Poudremages. Il nous propose cette fois une novella d’Arcanepunk inspirée par une allégorie de la Seconde Guerre mondiale qui se déroulerait dans un monde imaginaire et dans un équivalent de l’Altiplano, avec une civilisation de type hispanique / sud-américain. Teado, sorcier capable de prendre une forme « démoniaque » surpuissante et ultra-résistante, fait partie d’une unité de rangers chargée de mener des actions de guérilla contre un ennemi qui a, depuis peu, pris l’avantage dans un conflit qui dure depuis des décennies. Pour acquérir le ravitaillement dont son unité a cruellement besoin, et tenter d’enrayer la construction d’une base aérienne avancée dont l’achèvement aurait des conséquences funestes, il va mener un raid contre un avion cargo ennemi. Mais la mission va mal se passer, et il va se retrouver isolé, faisant au passage une découverte très perturbante.

Une fois de plus, McClellan propose une excellent texte, dont le seul défaut est d’être un stand-alone d’à peine 112 pages. L’univers tranche radicalement avec la sempiternelle Fantasy médiévale-fantastique, le cadre non-européen est également rafraîchissant, les personnages, même s’ils ne peuvent se comparer à ceux des Poudremages, sont particulièrement attachants, l’intrigue est très satisfaisante (à part quelques facilités sur la fin, à la rigueur), le rythme haletant, et surtout la psychologie des personnages et la faculté de faire ressentir leurs émotions au lecteur est tout bonnement exceptionnelle. Ce voyage émotionnel, au spectre varié, s’avère être un tour en montagnes russes inoubliable, qui ne vous laissera pas indemne. Bref, un achat vivement recommandé, et sans doute un des meilleurs textes de McClellan, qui pourtant est très loin d’en manquer !

Niveau d’anglais : facile.

Probabilité de traduction : improbable mais pas impossible (coucou l’Atalante…).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette novella, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Lianne, celle de l’Ours inculte,

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29 réflexions sur “War cry – Brian McClellan

  1. Très bonne critique comme d’habitude. Par contre Brian McClellan m’a dit que si il y a des ventes suffisantes de warcry il écrira des suites.Il s’est préparé à toutes les éventualités je pense.

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  2. Ping : Comprendre les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire : hors-série n°3 – Silkpunk, Arcanepunk et LitRPG | Le culte d'Apophis

  3. Merci pour cette avis, je vais me le procurer de ce pas (ou de ce clic…). Ça fera une petite récré avant de lire The autumn republic le mois prochain.

    Chouette le nouveau design by the way, plus aéré, plus clair.

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  4. J’adore le terme « bomber & Sorcery ». Bon tu sais d’avance qu’il est sur ma liste et même déjà dans ma liseuse. Je suis très heureuse de ce retour très positif et ravie que McClellan fasse une incursion hors Flintlock. D’après ce que tu dis, c’est taillé pour moi!

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  5. Ping : Une note de fraîcheur conclue août 2018 – Albédo

  6. Ping : War cry, La guerre sans fin | L'ours inculte

  7. Ping : City of broken magic – Mirah Bolender | Le culte d'Apophis

  8. Ping : Titanshade – Dan Stout | Le culte d'Apophis

  9. Ping : Uncanny Collateral – Brian McClellan | Le culte d'Apophis

  10. Ping : Titan’s day – Dan Stout | Le culte d'Apophis

  11. Ping : Fantasy non-médiévale / d’inspiration extra-européenne / aux thématiques sociétales | Le culte d'Apophis

  12. Raah, faudrais que j’essaye la lecture en VO un jour. D’ailleurs avec Word on peux traduire un livre en entier je crois. Je vais essayer avec le deuxième tome des poudremages et puis on verra bien. Sinon je rajoute que comme livre qui fait une allégorie de la 2GM, il y a Into the Darkness de Harry Turtledove. Sur la page wiki sa rend plutôt bien, sur goodreads un peu moins…
    Sinon simple question, tu as déjà essayé de lire R Scott Bakker, parce que niveau Dark Fantasy lui il est génial (en tout cas pour moi).

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    • Eh bien justement, je vais en parler dans le guide de lecture de la Dark Fantasy que je suis en train de terminer (lentement), et proposer les critiques des trois tomes à partir d’août. C’est un des cycles dont j’ai le plus hâte de parler littéralement depuis le début du blog, en 2016 😉

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  16. Machine-gun and sorcery, j’adore l’expression et son concept ! De la fantasy dans les tranchées me tente énormément. Encore plus après avoir lu La promesse du sang. Tu penses qu’il y a une chance pour que Leha le publie après en avoir terminé avec la trilogie des Poudremages ?

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    • Tout dépendra des ventes, évidemment, et en plus, je ne sais pas s’ils publient des textes au format novella (je ne suis que de très loin leur activité, n’ayant aucune relation avec ces gens-là).

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