Précurseur, mais manquant de saveur
Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 104 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.
Le croiseur Condor a brusquement cessé de donner signe de vie alors qu’il était en mission sur Régis III, et ce malgré le fait qu’il est équipé de champs de force infranchissables et d’un armement suffisant pour raser des montagnes ou assécher un océan. Un vaisseau du même type, l’Invincible, arrive sur place pour enquêter. Il découvre un monde étrange, où la vie existe dans les océans mais est totalement absente sur les continents, des déserts stériles parsemés d’étranges ruines formées d’entrelacs de câbles noirs. Le Condor est presque intact, mais tout son équipage est mort (de cause inconnue), à part un homme plongé en hibernation dont, une fois éveillé, on s’aperçoit que ses centres cérébraux de la parole sont effacés. C’est alors qu’un étrange nuage de « mouches » noires va se mettre en branle…
Rédigé en 1962-63, L’Invincible est une application très précoce d’une thématique / technologie SF dont il n’existe que trois ancêtres antérieurs (dont un également rédigé par Lem, dans Eden) et qui ne deviendra courante dans le genre que plusieurs décennies plus tard. Sur ce point et sur d’autres, c’est un roman de Hard SF tout à fait remarquable, du Peter Watts bien avant l’heure, montrant que ce n’est pas l’être le plus évolué, le plus conscient ou le plus intelligent qui prend l’avantage sur ses concurrents… bien au contraire. Mais ce roman est aussi un anti-Space Opera, montrant que la soi-disant toute puissante technologie humaine ne peut pas tout résoudre et que notre espèce n’est peut-être pas destinée à occuper ou transformer chaque monde, ni à détruire toute espèce qui menace un homme. L’Invincible ressemble à Solaris dans la futilité des tentatives de communication avec l’Autre, mais s’en démarque radicalement dans le fait que si la planète Solaris est le triomphe de l’évolution d’une biosphère, qui finit par être intelligente à l’échelle d’un monde entier, la Nécrosphère de Régis III relève de principes totalement opposés.
Sur le papier, voilà donc, a priori, un roman de SF de tout premier plan. Oui mais voilà, si le fond est suprêmement intéressant, surtout pour un texte aussi ancien, la forme ne suit pas du tout. La narration est extrêmement froide, tenant presque plus du rapport que d’un récit vivant, et les personnages, même les deux principaux, sont des spectres sans âme ou presque. De plus, une fois l’explication sur la nature et les origines de la Nécrosphère donnée, le reste du livre n’a plus guère d’utilité, et vous pourriez en arrêter la lecture sans rien manquer d’essentiel. On ajoutera que le propos (la traduction?) fait vieillot, avec ses moteurs atomiques, ses robots très Pulps et ses rayons d’antimatière de la mort-qui-tue (même si ces derniers catalysent une scène de combat ultra-spectaculaire). On conseillera donc plus sa lecture à l’historien de la (Hard) SF qu’au lecteur moyen.
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Le monde rouge décrit dans Le grand livre de Mars n’est pas celui que nos robots et nos satellites nous ont dévoilé, mais celui, conforme aux maigres connaissances en planétologie de la première moitié du XXe siècle, imaginé dans le sillage d’astronomes comme Giovanni Schiaparelli ou Percival Lowell, une Mars dotée d’une atmosphère respirable et d’une vie indigène tentant de lutter contre la désertification en creusant de vastes réseaux de canaux. La planète rouge de l’âge d’or de la SF n’est pas tant fantasmée en sœur plus sèche de la Terre, dotée de civilisations indigènes quasi-humaines, qu’en accord avec ce que la science de la première moitié du siècle dernier faisait entrer dans le champ du possible. Une illusion qui viendra se fracasser sur le mur du réel quand, en 1964, la sonde Mariner 4 transmettra les premières images et données scientifiques de Mars : non seulement il n’y a ni canaux, ni civilisation, mais la planète n’a pas d’atmosphère respirable et est stérile. Le programme Mariner n’aura pas seulement un grand impact scientifique, il repoussera la spéculation science-fictive liée aux extraterrestres au-delà du Système solaire. Celui de Brackett étant devenu irréaliste aux yeux des lecteurs, elle devra se résoudre à transposer les aventures de son héros fétiche, Eric John Stark, sur une planète extrasolaire. 




