De bonnes idées, insuffisamment exploitées
Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 103 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.
Haute-école est le premier roman de Sylvie Denis, le seul qui relève de la Fantasy. Il s’agit d’une déclinaison inhabituelle du genre, surtout pour l’époque de sa parution, avec sa société pré-industrielle devant plus à l’Ancien Régime qu’au Moyen Âge, sa magie remplaçant la technologie, et son histoire sortant des canons de celles centrées sur une école de magie. Le problème étant que depuis 2004, on a fait bien mieux dans ces registres, ce qui fait que ce livre accuse son âge… ce qui n’est hélas pas son seul souci.
Le worldbuilding, singulier, s’articule autour de deux royaumes concentriques : l’un, dit Intérieur, entoure le centre du monde, un désert calciné par le Solaire, l’autre, dit Extérieur, est limité par la mer et des Murailles de Brume infranchissables. Ils sont en guerre, depuis si longtemps que la raison du conflit a été oubliée. Dans le royaume Intérieur, on tue les magiciens, jugés trop dangereux, à la naissance ; dans l’Extérieur, ils sont enrôlés de force dans la Haute-école. Les plus chanceux finissent professeurs, les autres au service de l’armée, l’administration ou de riches privilégiés, servant de système d’éclairage public, à actionner les pompes pour l’eau courante, et ainsi de suite (l’école les qualifie de matériaux : ce ne sont plus des humains, mais des machines. On est loin de l’élite que forment les mages dans les autres univers de Fantasy). La répétitivité de ces tâches conduisant à la folie, au suicide ou une fuite punie de mort. Et le Grand Méchant, qui vient de s’emparer de l’école par le meurtre, a des projets encore plus sinistres : pour donner au processus la dimension d’un véritable travail à la chaîne, il veut créer un programme eugéniste et faire se reproduire les mages entre eux. Les rafles et l’embrigadement ne suffisent plus, voilà qu’arrivent l’élevage en batterie et les expérimentations humaines (pour développer de nouveaux pouvoirs).
Contre ces maux, militarisme, capitalisme, horreur quasi-nazie, se dressent les rares magiciens libres, quelques élèves de l’école, une poignée de soldats plus responsables, de Réformateurs voulant installer une monarchie parlementaire, ainsi qu’Arik, seul personnage solide, par sa nuance, dans une galerie qui se caractérise par ses stéréotypes et son absence de relief psychologique (le méchant très méchant, la jeune fille courageuse, la gentille copine qui va crever, le traître, le collabo, etc.).
Les personnages / points de vue / sous-intrigues sont trop nombreux, trop creux (les deux romances dispensables, le point de vue de l’antagoniste insuffisamment montré, les revirements peu logiques de Ian), le worldbuilding / magicbuilding trop flou ou basique, les événements de la fin du troisième quart mal exploités, et la conclusion, où, contre toute attente, les gentils écrasent les méchants d’un coup de baguette magique, vient gâcher ce qui aurait pu être un livre bancal mais intéressant. Reste un roman qui s’avère pourtant prenant, un style remarquable de fluidité et dans sa capacité à proposer quelques moments puissamment évocateurs, et un fond (antimilitariste, progressiste, humaniste, tolérant envers les autres cultures) de valeur à défaut d’être bien exploité. Car c’est là qu’est le principal reproche à faire à Haute-école : il a très souvent de bonnes idées, mais ne les exploite jamais suffisamment.
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Eh bien tu vois, je l’ai lu il y a seulement une paire d’années et, même s’il ne m’a pas marquée, j’ai dû ne retenir que les bons points que tu évoques à la fin de ton billet car j’en ai un bon souvenir 🙂 !
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Oh mais je garde moi aussi, globalement, un souvenir plutôt agréable de cette lecture. Et pour ce qui est des défauts, ça reste un premier roman, après tout.
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Je l’avais bien aimé ce roman. Le fait qu’il s’agisse d’un one-shot n’y était pas pour rien 😀
Cela dit, je te rejoins sur quelques points, avec le recul : le tout aurait pu faire preuve de davantage de solidité.
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En même temps, c’est un premier roman, donc certaines maladresses sont excusables.
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