L’Invincible – Stanislas Lem

Précurseur, mais manquant de saveur

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 104 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

Le croiseur Condor a brusquement cessé de donner signe de vie alors qu’il était en mission sur Régis III, et ce malgré le fait qu’il est équipé de champs de force infranchissables et d’un armement suffisant pour raser des montagnes ou assécher un océan. Un vaisseau du même type, l’Invincible, arrive sur place pour enquêter. Il découvre un monde étrange, où la vie existe dans les océans mais est totalement absente sur les continents, des déserts stériles parsemés d’étranges ruines formées d’entrelacs de câbles noirs. Le Condor est presque intact, mais tout son équipage est mort (de cause inconnue), à part un homme plongé en hibernation dont, une fois éveillé, on s’aperçoit que ses centres cérébraux de la parole sont effacés. C’est alors qu’un étrange nuage de « mouches » noires va se mettre en branle…

Rédigé en 1962-63, L’Invincible est une application très précoce d’une thématique / technologie SF dont il n’existe que trois ancêtres antérieurs (dont un également rédigé par Lem, dans Eden) et qui ne deviendra courante dans le genre que plusieurs décennies plus tard. Sur ce point et sur d’autres, c’est un roman de Hard SF tout à fait remarquable, du Peter Watts bien avant l’heure, montrant que ce n’est pas l’être le plus évolué, le plus conscient ou le plus intelligent qui prend l’avantage sur ses concurrents… bien au contraire. Mais ce roman est aussi un anti-Space Opera, montrant que la soi-disant toute puissante technologie humaine ne peut pas tout résoudre et que notre espèce n’est peut-être pas destinée à occuper ou transformer chaque monde, ni à détruire toute espèce qui menace un homme. L’Invincible ressemble à Solaris dans la futilité des tentatives de communication avec l’Autre, mais s’en démarque radicalement dans le fait que si la planète Solaris est le triomphe de l’évolution d’une biosphère, qui finit par être intelligente à l’échelle d’un monde entier, la Nécrosphère de Régis III relève de principes totalement opposés.

Sur le papier, voilà donc, a priori, un roman de SF de tout premier plan. Oui mais voilà, si le fond est suprêmement intéressant, surtout pour un texte aussi ancien, la forme ne suit pas du tout. La narration est extrêmement froide, tenant presque plus du rapport que d’un récit vivant, et les personnages, même les deux principaux, sont des spectres sans âme ou presque. De plus, une fois l’explication sur la nature et les origines de la Nécrosphère donnée, le reste du livre n’a plus guère d’utilité, et vous pourriez en arrêter la lecture sans rien manquer d’essentiel. On ajoutera que le propos (la traduction?) fait vieillot, avec ses moteurs atomiques, ses robots très Pulps et ses rayons d’antimatière de la mort-qui-tue (même si ces derniers catalysent une scène de combat ultra-spectaculaire). On conseillera donc plus sa lecture à l’historien de la (Hard) SF qu’au lecteur moyen.

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4 réflexions sur “L’Invincible – Stanislas Lem

  1. Bien que souvenir de lecture ancien (à sa sortie en A&D), je l’avais trouvé réussi (comme Solaris ou Le Rhume) et je te trouve sévère bien que tu soulèves le problème réel de la traduction. Sans doute aussi certains livres deviennent-ils moins intéressants avec l’âge aussi bien par leur sujet que par la narration. Récemment pour moi L’ogre de l’espace de Benford qui n’a que 23 ans.
    L’invincible est un livre peut être exigeant par le style mais ne décourage pas les curieux en le confiant aux historiens de la SF

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    • Le truc marrant, c’est que contrairement à d’autres critiques / blogueurs, et malgré ma réputation (justifiée) d’extrême sévérité, je m’accommode d’habitude très bien d’un style sans attrait ou d’un livre qui se concentre plus sur un concept, un scénario ou un monde que sur les personnages et leur psychologie. Mais là, faut pas pousser mémé dans les orties non plus, on est vraiment sur quelque chose de très basique niveau style et persos. Après, je soupçonne nettement plus une traduction (très) perfectible qu’autre chose, puisque ce n’est pas le seul texte de Lem que j’ai lu et que j’avais trouvé son art de manier les mots assez prodigieux. Mais bon, toute question de trad mise à part, même un excellent écrivain peut produire, à un stade de sa carrière, un naufrage complet.

      Ceci étant posé, le but du Culte d’Apophis n’est pas de conseiller des livres perfectibles, mais ce que je perçois être le meilleur dans un registre donné (c’est donc subjectif). Et si ce livre est très précurseur et très intéressant dans sa thématique centrale (la Nécrosphère), il ne l’est plus, aux standards de 2023, sur d’autres plans. Le temps de lecture des gens et leur budget est limité, donc tout en mettant l’emphase sur certaines indéniables qualités du livre, je ne peux pas, pour autant, le conseiller à l’ENSEMBLE de ma communauté.

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  2. Pourrait-on dire que Stanislas Lem était un écrivain soviétique ? Était-il l’un des illustres représentants de cette SF d’URSS, qu’évoquait Bergier, il y a … euh … longtemps ? À cheval entre l’URSS du bon vieux temps et la SFWA, il était un peu la glasnost de la SF (ou pas, hein).
    (Ps, Apophis, si tu n’as pas l’anthologie à laquelle je fais référence je peux te la prêter)

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    • Il faut lire le Bifrost 104, le dossier très complet qui a été consacré à l’écrivain t’apprendra tout ce qu’il y a à savoir à son sujet. Concernant l’anthologie, c’est très aimable, mais j’ai un tel manque de temps qu’il me serait de toute façon impossible de la lire. Mais c’est gentil, merci.

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