Lectures 2023-2024

Un article, 9 chroniques !

Comme vous le savez sans doute, j’ai dû interrompre l’activité de ce blog pendant un an du fait de problèmes de santé (principalement) et autres. Je ne me suis toutefois pas totalement arrêté de lire : cela s’est parfois fait laborieusement, mais je suis arrivé à terminer un certain nombre de choses (plus trois abandons – Coldheart Canyon de Clive Barker, The Boy who walked too far de Dom Watson et The Cold between d’Elizabeth Bonesteel – et un certain nombre de « on reprendra ça plus tard » après quelques pages – dont L’Âge des lumières de Ian McLeod et Ventus de Karl Schroeder), dont certaines très intéressantes, lectures qu’il aurait été dommage de passer sous silence. Le truc, par contre, c’est que je n’ai pas pu faire une lecture aussi analytique que d’habitude, en raison de la fatigue et / ou du brouillard mental, ce qui s’est aussi manifesté par le fait que dans l’écrasante majorité des cas, je n’ai pas pris les abondantes notes qui sont un peu ma marque de fabrique dans la blogosphère SFF. Si on ajoute à cela le fait que je suis très mal à l’aise avec les chroniques faites, même à l’aide de notes, longtemps après la lecture du livre concerné, mon avis sur ce dernier sera donc plus succinct et moins détaillé que ceux auxquels vous êtes habitués si vous suivez le Culte depuis un certain temps (pas de panique, les « vraies » critiques commenceront à revenir dès février). Il s’agira plus de mini-, voire micro-chroniques que des « dissections » qui ont fait ma « renommée ».

Il me faut aussi préciser que dans ces lectures, certaines débordent un peu du cadre de mon année « sabbatique », et s’étendent sur une partie de 2023, où le blog était toujours en activité mais où je donnais la priorité (deadline oblige) à mes critiques écrites pour le magazine Bifrost, ce qui fait que certaines choses ont été lues pour le blog mais pas chroniquées dans la foulée.

Dans le reste de l’article, les livres ne sont pas vraiment classés (et surtout pas dans l’ordre chronologique des lectures), à part le fait que la première chronique concerne ma meilleure lecture dans le lot et les deux suivantes celles qui m’ont laissé le plus froid. Pour le reste, c’est essentiellement dans l’ordre où ça me revient. Et d’ailleurs, à ce propos, il est possible que j’oublie des choses (un des inconvénients à ne pas avoir pris de notes, justement), donc si je m’en aperçois, à l’avenir, je ferai un complément à cet article, par exemple dans une des Apophis Box mensuelles.

La Mort Immortelle – Liu Cixin

Ultime tome de la trilogie du Problème à trois corps entamée avec le roman éponyme et poursuivie dans La Forêt sombre, La Mort immortelle est encore plus ambitieux et époustouflant que son prédécesseur, ce qui n’est pas peu dire tant celui-ci plaçait haut la barre. Une constante, dans ce cycle, est de partir de quelque chose de familier, de terrestre, comme la Révolution Culturelle chinoise, pour aller vers toujours plus de science-fictif et de supra-terrestre ; l’évolution était déjà nette tout au long du premier tome, s’amplifiait de plus en plus au fil du second, et atteint ce que j’appellerais des sommets Stapledoniens dans le troisième. Difficile d’en dire plus sans divulgâcher, que ce soit la révélation du tome 1 ou les évènements du 3, mais si on peut qualifier Le Problème à trois corps de « planétaire » et La Forêt sombre d' »interstellaire », La Mort immortelle a, lui, carrément une dimension non pas galactique (ce qui aurait été l’évolution logique), mais cosmique. C’est une lecture, une « baffe », monumentale pour tout adepte de SF (même si elle est un peu moins Hard, pour le coup) qui se respecte, du calibre de chefs-d’œuvre comme Diaspora de Greg Egan par exemple. Un roman d’une taille conséquente, mais qui se dévore tant les scènes qu’on y découvre laissent pantois devant tant d’imagination, tant d’ambition, quelque chose dont la SF (et plus encore, la Fantasy) manque cruellement aujourd’hui. Un livre qui achève de cimenter le statut de nouveau classique, d’incontournable, du cycle auquel y appartient, particulièrement pour ses deux derniers tomes, et ma meilleure lecture, et de loin, de cette sélection. Et j’ajoute, pour les adeptes de SF qui fait pew pew parmi vous, que si vous croyez avoir tout vu avec l’Étoile de la mort et autres bombes casse-monde en matière d’armes « ultimes », c’est que clairement, vous n’avez pas lu Liu Cixin. Et en termine en couvrant le traducteur, le fort sympathique Gwennaël Gaffric, des louanges qu’il mérite, tant son travail est d’une fluidité exceptionnelle, exemplaire, qui contribue à faire de ce pavé une lecture aussi digeste qu’agréable.

La Porteuse de mort – Stark Holborn

Soyons clairs : je trouve compréhensible qu’un éditeur recherche des romans qui ressemblent à la série X, au film Y ou au livre Z, pour que le boulot de ses commerciaux soit simplifié (Libraire : ça ressemble à quoi ? ; représentant : à X, Y et Z) et surtout pour que la publication en question puisse compter, selon toute probabilité, sur des ventes dans la communauté de fans de X, Y et Z. En revanche, prendre un / des univers connu(s) mais qui ont déjà un certain nombre d’années (pour ne pas dire un nombre d’années certain) et sembler (je laisse le bénéfice du doute…) compter sur la méconnaissance de la SF croissante du lectorat pour lui vendre ce qui n’est qu’une (pâle) copie de l’univers en question, c’est beaucoup moins excusable. La Porteuse de mort n’est pas le pire cas pouvant illustrer cette pratique (qui reste, à mon sens, Cantique pour les étoiles de Simon Jimenez, tant c’est une copie carbone des Cantos d’Hypérion de Dan Simmons), mais il n’en reste pas moins qu’il y a bien plus que quelques vagues similitudes avec le contexte de Firefly / Serenity au niveau du worldbuilding (plus des éléments de La Stratégie Ender d’Orson Scott Card et de Mad Max Fury Road au niveau des personnages). Ce qui ne serait pas si grave si le bouquin était intéressant. Sauf qu’il ne l’est pas. Il se produit plein de choses, il y a pas mal de scènes d’action, l’univers devrait être plaisant à défaut d’être inédit, mais ça reste désespérément ennuyeux (et sur certains points, obscur, pour ne pas dire – pour la pré-fin, tout particulièrement – complètement abracadabrant). On sent vraiment le truc choisi parce qu’il cochait des cases marketing, mais la sauce ne prend pas. On conseillera donc (histoire d’être constructif) au lectorat de lire à la place un bon Space Western, comme Santiago de Mike Resnick par exemple.

Sacrifices aztèques – Graham Watkins

J’avais repéré ce roman avant la naissance de certains d’entre vous (si, si) via une chronique du regretté Roland C. Wagner dans Casus Belli (première époque), et l’ai acheté d’occasion il y a quelques années, avant de me décider à le lire en 2024. Quand il est ado, le protagoniste tombe, dans les affaires de son père, sur la photo, prise des années auparavant, d’une jeune femme d’une grande beauté, qui n’est pourtant pas sa mère, lui occasionnant ainsi son premier émoi sexuel. À l’époque de la guerre du Vietnam, devenu adulte, il finit par 1/ trouver une photo d’une femme qui ressemble de façon frappante à la précédente dans les affaires de son grand-père, cette fois (prise à l’époque où pépé était jeune), et 2/ par finir par en rencontrer une qui a la même apparence que les deux autres, mais en chair et en os, cette fois. Il va évidemment succomber à son charme, et découvrir une très ténébreuse vérité sur sa nature, ainsi que sur sa propre famille.

Je ne dirais pas que cette lecture était une perte de temps à l’égal de celle du Stark Holborn, mais en tout cas, c’est une claire déception par rapport à ce que R.C. Wagner recommandait d’habitude (un peu comme Plus de vifs que de morts de Frederik Pohl), vu que c’est tout de même grâce à ses conseils avisés que j’ai découvert Dan Simmons, Iain M. Banks et Vernor Vinge (entre autres), excusez du peu ! Néanmoins, le roman accumule les défauts, comme le fait que la VF en dise trop dès le titre (ou que le lecteur puisse se douter d’une grosse partie de la vérité trop facilement), tuant une partie du suspense, comme le côté obsédé de l’auteur conjugué à ses scènes de sexe assez insipides, son style (la traduction ?) qui ne casse vraiment pas trois pattes à un canard, ou comme le côté poussif et / ou assez psychédélique de la chose, sauf (dans les deux derniers cas) dans quelques scènes relevant des mythes aztèques ou dans une fin presque lovecraftienne, plus évocatrices, immersives (voire fascinantes) et mieux tournées. Ce n’est donc pas une lecture que je recommande particulièrement, sans crier à l’échec littéraire complet non plus.

Darwinia – Robert Charles Wilson

Du RCW (non, pas Roland C. Wagner, c’est la chronique du dessus, suivez un peu…), enfin je veux dire du Robert Charles Wilson, j’en ai lu beaucoup, à une époque. Pas tout, mais tout ce qui est majeur, quoi qu’il en soit. Mais c’était pré-blog, alors il n’y a pas beaucoup de traces de la chose sur le Culte, sauf des mentions ici et là. Mais Darwinia, pas encore, malgré le fait que je l’avais en stock depuis quelque temps. Je procrastinais parce que je m’étais en partie spoilé, et que j’étais donc un peu démotivé. Et puis à force de procrastiner, j’ai en partie oublié le spoil, et je me suis lancé. Et ai réussi à être surpris, parce que je croyais que le détour pris par les évènements était d’une certaine nature, alors qu’en fait non, pas du tout.

En 1912, une sorte de voile d’énergie ressemblant à une aurore boréale dessine, durant une nuit, un gigantesque carré allant de la méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande à l’Oural (en gros). Les bateaux en transit n’arrivent jamais, les communications transatlantiques sont coupées. Quand on finit par envoyer une expédition, elle s’aperçoit que si le tracé des côtes est resté le même, tout le reste est différent, de la faune à la flore. Et surtout, les humains et leurs réalisations ont disparu sans laisser de trace. Certains parlent de miracle, d’autres (qui nomment ce « continent » « inconnu » Darwinia) pensent à une substitution avec un autre monde, une autre Terre, qui a subi une évolution différente. La vérité est tout autre, et l’auteur va nous la dévoiler sur plusieurs décennies via des personnages comme toujours très humains. Le souci étant double, à savoir une vérité lâchée beaucoup trop vite, érodant nettement l’intérêt du lecteur pour la suite, et des ellipses temporelles si brutales qu’on regrette que certaines de ces « tranches de vie » n’aient pas été plus développées (d’autant plus que l’aspect uchronique est fascinant, notamment dans les luttes entre américains pour coloniser cette « nouvelle » Europe et européens qui étaient à l’étranger lors du phénomène et qui ne sont pas décidés à se faire dépouiller / coloniser). Je regrette de ne pouvoir mentionner en détails l’aspect science-fictif de la chose, parce qu’il y aurait pas mal à en dire, en bien comme en mal. Tout compte fait, si on est loin de la maestria manifestée par l’auteur dans Spin ou BIOS, et qu’on peut s’étonner que Wilson semble moins maîtriser son sujet que dans certains de ses livres antérieurs, ça reste un RCW et sur le plan d’une situation extraordinaire vue à hauteur d’homme par des protagonistes aussi humains qu’attachants, ça reste imbattable ou presque. Donc ça se tente, surtout après avoir lu le reste de sa bibliographie ou pour un aspect SF assez ambitieux et grandiose (et non, je n’en dirai pas plus) à défaut d’être à 100% convaincant.

Le Vol de la libellule – Robert Forward

L’auteur de L’Œuf du dragon propose cette fois le récit de l’expédition d’un astronef à voile solaire vers l’étoile de Barnard, une des plus proches voisines du soleil. Il découvre sur place une extraordinaire « planète double », deux mondes si proches l’un de l’autre qu’ils partagent une partie de leur atmosphère et de leur hydrosphère, ainsi qu’une race extraterrestre qui possède un degré surprenant de science théorique compte tenu du fait que son système sensoriel est très différent du nôtre et surtout qu’elle n’a pas développé de technologie ! L’équipage du vaisseau devra faire face à bien des dangers hors-normes, qui découlent eux-mêmes des particularités extraordinaires de ce milieu unique en son genre.

On retrouve dans ce roman, dont le manuscrit original a été rédigé dans la foulée de Dragon’s Egg puis qui a été remanié plusieurs fois, en grande partie les mêmes qualités et les mêmes défauts (bien que moins prononcés) que dans ce dernier : un sense of wonder hors-norme, une intéressante race alien (au passage, je me demande si le « Matin-Lumière-Montagne » de Peter Hamilton n’est pas un discret hommage à Forward, qui utilise une méthode similaire pour nommer ses extraterrestres), une fascinante utilisation d’une IA / robotique fractale, une très solide Hard SF (au moins sur la partie astronomique et sur le plan de la propulsion du vaisseau), mais une écriture parfois naïve, des personnages sans grande consistance, dans leur écrasante majorité, et quelques points agaçants, comme le degré de suspension d’incrédulité demandé par le voyage en état d’éveil (et pas cryogénisé) de 40 ans (sous drogue anti-vieillissement) dans un vaisseau qui semble trop petit pour transporter un écosystème auto-régénératif et autant de provisions (sans parler d’un nombre de navettes et autres engins auxiliaires digne du Voyager de la série Star Trek du même nom, qui en transporte tellement que ça en devient ridicule). Sans parler du fait que l’auteur passe très (beaucoup trop, à mon sens) vite sur la découverte du reste du système de Barnard pour se concentrer sur sa planète (double) principale. Mais ce que je préfère retenir est que, fasciné par les vaisseaux à voile solaire, j’ai ici un très bel exemple, un exemple emblématique, même, de leur utilisation en SF. Tout compte fait, une bonne lecture, donc.

La Quête de Nifft-le-mince – Michael Shea

Michael Shea (1946-2014) était un auteur de Fantasy et de SF dont je vous reparlerai sur ce blog dans les mois qui viennent, puisque j’ai récupéré deux de ses romans de Fantasy ainsi qu’un recueil de SF. La Quête de Nifft-le-mince est le premier volume d’une trilogie, le seul à avoir été traduit en français. Considéré comme une référence de la Sword & Sorcery, un de mes sous-genres de la fantasy de prédilection, ce livre a gagné le Word Fantasy Award 1983. Ce n’est pas un roman mais un assemblage de plusieurs novellas liées par un fil rouge : il s’agit en fait du récit, en forme de panégyrique (Nifft est déjà supposé être mort plusieurs fois, pour toujours finir par réapparaître… jusque là), de certaines des plus fameuses aventures de Nifft, le plus illustre voleur de son monde, avec divers compagnons pour l’assister, dont un en particulier, dans un univers de Science-Fantasy qui est en fait une Terre d’un futur extrêmement lointain, après que d’innombrables empires se soient développés et aient périclité, allant, pour certains, jusqu’à conquérir les étoiles. La quatrième de couverture cite Fritz Leiber et Jack Vance (et on pourrait ajouter : Clark Ashton Smith) avec beaucoup de justesse, tant on a effectivement l’impression que la base de cet univers, de ces personnages et ces aventures soient dans la continuité des leurs (ce qui n’a rien d’un hasard, vu que Shea a aussi écrit une suite aux aventures du Cugel de Vance, publiée en VF en 1997 sous le titre La Revanche de Cugel l’astucieux).

Il y a toutefois une grosse différence entre les inspirateurs et Shea : il est allé BEAUCOUP plus loin qu’eux ; deux des textes concernent des voyages en Enfer (ou dans différents types d’enfer, ou diverses régions de l’Enfer), et l’auteur y fait preuve d’une imagination et de qualités en matière de worldbuilding presque inimaginables (même The Border Keeper de Kerstin Hall a l’air timide à côté, c’est tout dire !), dans un genre gigerien-psychédélique. Et le dernier texte, celui où l’aspect SFF de la Fin des temps est le plus visible, est aussi un bijou d’une puissance évocatrice et d’une imagination rarissimes, surtout en cette ère de Low Fantasy toute-puissante. Attention toutefois, je ne pense pas, d’une part, que vu le côté extrême et parfois déjanté de la chose, ce soit apte à séduire tous les publics, et d’autre part, il ne faut pas juger l’ensemble de l’ouvrage à son premier texte, que j’ai trouvé d’un style excessivement lourd, alors que ce n’est pas le cas du reste du « recueil ». Le fait que deux traducteurs soient crédités m’incite à penser que ceci explique sans doute cela, même si j’avoue ne pas avoir creusé la question. En tout cas, à mon sens, ça mérite clairement sa réputation, et je suis tout à fait curieux de voir 1/ ce que donne la suite (jamais traduite, donc) et 2/ ce que vaut l’auteur en SF, cette fois.

Line war – Neal Asher

Les trois dernières lectures dont je vais vous parler concernent toutes Neal Asher qui, vous le savez peut-être, est un de mes auteurs de SF favoris. La première est Line War, ultime tome de la pentalogie Agent Cormac (qui est elle-même une des multiples composantes de l’énorme meta-cycle / univers Polity), après Gridlinked, The Line of PolityBrass Man et surtout Polity Agent, dont il constitue la suite directe. Le nouvel adversaire découvert lors du tome précédent attaque les frontières de la Polity, même si dans certains cas, son comportement semble étrange, pour ne pas dire incompréhensible : il semble s’acharner sur des cibles qui ne sont pas prioritaires sur le plan militaire mais poussent certains personnages emblématiques (Mr Crane, Orlandine) de cet univers à vouloir le détruire. Comme d’habitude avec l’auteur, le problème se résout d’une façon pleine de sense of wonder, et le roman, franchement réussi, parachève un cycle très recommandable, même s’il ne constitue pas le sommet de ce que le natif de l’Essex a écrit dans le cadre de la Polity (qui est très clairement la trilogie Rise of the Jain). Il m’a aussi permis de mieux connaître des personnages (à commencer par Orlandine) croisés dans The Soldier (la fin de Line War annonçant d’ailleurs clairement les événements de ce roman), qui a été ma porte d’entrée dans ce pan de la bibliographie d’Asher (que j’avais déjà lu et apprécié avec Voyageurs, SF hors-Polity). Notez qu’on en apprend beaucoup plus sur trois races extraterrestres / leurs IA, sur les magouilles et mensonges (une constante dans le meta-cycle, mais toujours pour le bien du plus grand nombre, comme dirait Spock) de celles qui dirigent les humains, et que l’inspiration tendrait presque autant (voire plus) vers Dan Simmons que vers Iain M. Banks dans ce livre précis.

Notez que l’épilogue est absolument fascinant, surtout parce qu’il est complètement inattendu et parce qu’il a, paradoxalement, à la fois d’énormes conséquences sur tout ce que vous lirez se déroulant dans le cadre de Polity par la suite ET en même temps… aucune. Oui, je sais, cela paraît antithétique, mais c’est pourtant la pure vérité, même si je ne peux évidemment pas vous en dire plus sans divulgâcher.

War bodies – Neal Asher

Dernier roman du meta-cycle Polity en date au moment où je rédige ces lignes (le prochain, Dark Diamond, où Asher revient au voyage dans le temps, paraîtra en avril 2025, et sera immédiatement chroniqué sur le Culte), War Bodies est le troisième et dernier d’une « série » de trois stand-alone (après Jack Four et le monumental Weaponized) avant que l’auteur ne revienne à un nouveau cycle s’inscrivant dans sa saga emblématique. Comme Weaponized (auquel il est furtivement fait mention quand un personnage dit n’avoir vu une entité comme le protagoniste qu’une seule fois, sur la Lune), il raconte un épisode « méconnu » (que l’auteur n’avait pas forcément évoqué ou pleinement exploité jusque là) de la guerre contre les Pradors, à ceci près qu’il se déroule sur sa fin plutôt qu’à son début. La Polity reprend contact avec les Cyberats, ces humains qui ont fui la Terre deux décennies avant la prise de pouvoir des IA (très justement anticipée, mais dont ils pensaient qu’elle mènerait à la destruction de l’Humanité, ce qui ne s’est en revanche absolument pas produit) et ont cherché leur propre voie d’amélioration posthumaniste via la cybernétique (et ils sont plutôt radicaux, puisqu’ils préconisent de se débarrasser aussi complètement que possible de la partie organique du cyborg). Elle les aide à mettre un terme à la guerre civile qui les déchire (le gouvernement en place est particulièrement oppressif) puis les recrute pour les aider à combattre l’ennemi extraterrestre. L’un d’eux, un jeune homme, Piper, fils d’un scientifique de renom, s’est vu doté d’un implant de pointe (supérieur, même, à la technologie de la Polity, alors qu’à part sur ce point, les Cyberats sont loin derrière elle) greffé à ses os, qui fait tourner une IA et lui permet de pirater et de contrôler n’importe quel appareillage (après Iain M. Banks, Asher rendrait-il hommage à Peter Hamilton, chez qui ce genre de super-pirate est fréquent ?), y compris cybernétique, ce qui en fait un atout énorme dans une guerre de haute technologie. Pris en main par une unité des Forces Spéciales de la Polity, il joue un rôle clé dans le conflit.

Outre le fait qu’il continue à enrichir le déjà admirable et considérable worldbuilding de cet univers, War Bodies a aussi le gros intérêt de montrer qu’il est possible, dans les années 2020, d’écrire un roman d’apprentissage qui ne soit ni niais, ni stéréotypé (on ajoutera, sur ce plan, que ni la fin – par ailleurs magistrale – ni la nature de la technologie supérieure dans les os de Piper ne sont ce à quoi le lecteur pourrait s’attendre vu certaines convergences avec Weaponized), ni maladroit. Les séquences d’introspection, les questionnements moraux et éthiques, les échanges avec les mentors et subordonnés du protagoniste, sont remarquables. Si je le placerais en-dessous de Weaponized, il n’en reste pas moins un des meilleurs Asher récents, et pour les amateurs de pew pew, il y décrit un véritable modèle, en matière de SF militaire, d’invasion planétaire quand la Polity et ses nouveaux supplétifs s’attaquent à une place-forte Prador tenue par 100 millions d’entre eux, ses vaisseaux de combat effectuant des manœuvres à 1000 G… au sein de l’atmosphère ! (spectaculaire, on vous dit…)

The Technician – Neal Asher

Pour finir, The Technician est un de ces romans isolés qui forment la vaste mosaïque, aux côtés de pentalogies et autres trilogies, de l’énorme meta-cycle Polity. Ce qui est très intéressant est qu’il prend des évènements, des personnages (dont le drone au centre d’une des deux trames du roman éponyme – en VF du moins, étant donné qu’en VO, il s’appelle Shadow of the scorpion -) ou des concepts venus de différents autres bouquins de Polity (y compris de la trilogie Transformation, à laquelle je n’ai pas encore touché) et en fait un tout cohérent devant répondre à certaines questions laissées en suspens, enrichissant, une fois encore, un pan du worldbuilding, en l’occurrence la disparition des Atheters. Ce n’est pas un mauvais livre, certaines scènes sont vraiment fascinantes (dont une avec un artefact qui est presque le Monolithe clarkien d’Asher), on a enfin toute la vérité sur le sort de cette race (même si on a finalement peu de surprises à ce niveau), mais il ne restera pas parmi mes lectures les plus marquantes de cette saga. Il manque du punch militaire, de la Hard SF d’élite, du body horror extrême (bien que sur ce plan, on ne soit pas trop mal servi) et du sense of wonder de certains des autres. On est toutefois à des années-lumière de La Porteuse de mort, ça reste un Neal Asher.

***

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35 réflexions au sujet de « Lectures 2023-2024 »

  1. Hello,
    Merci pour ces critiques, analyses et recommandations. Une question : je n’arrive pas à trouver à quoi correspond « B.I.O.S » de Wilson malgré pas mal de recherches. En anglais comme en français 🙂 Je rate quelque chose ? 🙂

    Merci !

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    1. C’est moi qui ai mal orthographié, car après vérification dans l’édition poche que je possède, le titre est juste BIOS en majuscules, sans les points (j’ai corrigé, merci !). Ma lecture est lointaine, mais il ne me semble pas que ce soit un acronyme, plutôt une emphase sur les thématiques bios (biotechnologie et biosphère) du worldbuilding, de la protagoniste et de l’intrigue.

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  2. Le retour des chroniques apophiennes, hourra !!!

    À l’époque de sa sortie, « Le Problème à trois corps » m’était un peu tombé des mains. Je trouvais vraiment le style « sec ». Mais l’ambition démesurée qu’affiche cette œuvre fait que le compte retenté l’aventure un jour. En revanche, évite la série de Netflix, c’est un désastre.

    Le pitch de « La Porteuse de mort » ne m’attirait pas du tout. Ta chronique me donne envie de l’éviter comme la peste.

    Pour RCW, « Darwinia », mais aussi « Les chronolithes » et « BIOS » traine dans ma monumenPAL… Mais j’avais un bon et un très bon moment avec « Blind Lake » et « Spin ». De dernier, lu sur tes conseils, mais dont la suite ne m’attire pas du tout.

    J’avoue que le « Polityverse », part tes chroniques précédentes, me tente énormément, mais… j’ai déjà tellement à lire. Il y a déjà tellement de livres dans cet univers. En l’état, je ne vois pas quand je pourrais m’y frotter.

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    1. Oui c’est sûr que vu la productivité d’Asher, c’est de plus en plus difficile au fil des années de commencer Polity, Autant pour la Culture, il y a un nombre raisonnable de textes et (malheureusement) on sait qu’il n’y en aura pas plus, autant pour Polity il y a un nouveau bouquin chaque année ou presque, pour un total de 21 romans, je crois (bientôt 22), plus des recueils de nouvelles avec au moins un texte lié à Polity à chaque fois. Plus au moins une (grosse) novella, Jenny Trapdoor, de mémoire.

      Alors Les Chronolithes, c’est bien, mais BIOS, c’est du génie, pas autant que Spin, mais c’est un fascinant mélange entre Biopunk et Planet Opera, ultra Dark.

      Je te recommande vraiment de retenter le cycle de Liu Cixin, car déjà que la fin du tome 1 est fascinante, le tome 2 propose une solution absolument magistrale au Paradoxe de Fermi et le 3 est d’ampleur cosmique. Et pour ce qui est de la série, les avis négatifs semblant unanimes, je vais suivre ton conseil et faire l’impasse.

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  3. Hello,

    Heureux de ton retour, de tes critiques et conseils.

    En cette absence de tes illuminations, j’ai lu Béréval « le janissaire » et « je suis vaisseau » : j’ai beaucoup apprécié !

    j’ai aussi lu les 2 « Blitz » de Willis mais là on est plus sur la reconstitution historique..

    là je lis « la cité des nuages et des oiseaux de Doerr, un formidable roman historique qui nous porte jusque dans un voyage spatial intergénérationnel.

    Lisant la nuit sur ma liseuse, pour le jour j’ai repris le cycle Fondation lu il y a 30 ans : ça n’a pas vieilli au niveau de l’intrigue psychologique.

    Nous attendons tous ton retour durable.

    A+

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  4. Tout comme toi, j’ai reçu une claque avec la trilogie du Problème à Trois Corps. C’est le genre de bouquins dont on se souvient encore des années plus tard ! Je me souviens encore, à la fin du tome 1, d’avoir eu le sentiment d’être toute petite dans l’univers. Un effet waouh. Quant à la fin de la trilogie elle-même, on est dans une autre dimension ^^

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    1. C’est le genre de roman de SF que je cherche depuis que j’ai découvert le genre, et que je trouve de moins en moins dans les nouveautés. Heureusement, tout n’a pas été traduit, loin de là (je me souviens notamment de l’excellente découverte qu’a été House of suns d’Alastair Reynolds quand je l’ai exhumé de la biblio de ce dernier, des années avant qu’il ne soit traduit), et il reste des textes de grande qualité dont la notoriété n’a pas encore vraiment franchi la Manche ou l’Atlantique. Sans compter les romans plus connus que j’ai en stock, en VO ou VF, et que je n’ai pas eu le temps / les facultés de concentration de lire… jusque là. Il faut que je formalise mon nouveau programme de lecture, mais je pense que je vais me régaler dans les 1-2 ans à venir, et vous aussi, du coup, avec les chroniques 😉

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  5. Ce que j’aime avec tes chroniques c’est que la Non-fan de SF que je suis apprécie découvrir des avis sur des titres que je ne lirai jamais 😂. Paradoxe quand tu nous tiens. Bref la santé c’est le plus important alors prends soin de toi. Mini ou micro chronique on prend tout. Et on lira avec bonheur retrouvé aussi les plus grandes plus tard.

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  6. Tu carbures ces derniers jours ! Ça va un peu mieux du coup ?

    Encore de quoi regretter la frilosité des maisons d’édition et le manque de goût du lectorat pour Neal Asher. Ou mon niveau minable en anglais.

    Le seul que j’ai lu dans cette liste c’est la mort immortelle et même s’il est bon, j’ai quand même préféré le précédent. Justement parce que celui-là allait limite « trop » loin et au bout d’un moment, arrivé vers la fin, j’ai un peu décroché car les enjeux me passaient un peu au dessus. J’ai aussi été assez agacé par le personnage principal qui semble presque faire exprès de prendre la mauvaise décision à chaque fois. De quoi se demander pourquoi tout le monde continue de lui demander son avis sur des questions qui mettent en jeu la survie de l’humanité entière.

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    1. Oui, ça va mieux, merci. C’est vrai que la montée en puissance entre les tomes 2 et 3 est brutale. Il aurait presque fallu un tome 3 d’ampleur « galactique » avant de s’attaquer au volet « cosmique » dans un tome 4. Et c’est vrai que La Mort immortelle va vraiment très, très loin en matière d’enjeux. En même temps, des romans de SF de cette ambition, nous en avons de moins en moins (le fait que certains éditeurs doivent prospecter en-dehors des sphères littéraires anglo-saxonnes et francophones en dit long, à mon sens), donc pour ma part je préfère un roman qui en fait certes un poil trop aux légions de livres qui n’en font VRAIMENT pas assez.

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  7. J’ai lu la trilogie du Problème à Trois Corps l’année dernière et j’ai été époustoufflée aussi ! Le dernier tôme est complètement hallucinant et j’ai eu quelques nuits blanches tellement j’étais absorbée par ma lecture. Soit il fallait que je lise, soit il fallait que j’y réfléchisse. Celles et ceux qui ne l’ont pas encore lue, allez-y ! C’est très addictif.

    Et effectivement, le travail du traducteur est tout simplement incroyable.

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  8. Toujours un grand plaisir de lire tes critiques, surtout parce qu’elles sont détaillées et argumentées !

    Allez, on fait remonter Polity dans la PAL.

    Nous te souhaitons tous le meilleur pour la santé !

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