Un An dans la Ville-Rue – Paul Di Filippo

Contexte original, style exquis, miroir tendu à la SF

Imaginez une ville composée de millions de pâtés de maisons (Combien exactement ? Nul ne le sait), formant une Avenue limitée d’un côté par les Voies (ferrées), de l’autre par le Fleuve, artères de transport permettant à de mystérieux bienfaiteurs d’acheminer aux différents Arrondissements, qui ne produisent rien, tout ce dont ils ont besoin. Au-delà de ces deux artères vitales, il y a l’Autre Rivage et le Mauvais côté des Voies, séjour des âmes des morts que viennent chercher les Psychopompes planant sans cesse dans les airs, où deux « soleils » éclairent cet étrange monde. Dont les habitants humains savent qu’ils n’en sont pas les bâtisseurs, ne connaissent ni le début ni la fin de ce ruban d’asphalte, peut-être infini, et sont incapables de créer la moindre technologie (niveau début du XXe siècle), seulement de la réparer ou la modifier. Continuer à lire « Un An dans la Ville-Rue – Paul Di Filippo »

Olangar – Le Combat des ombres – Clément Bouhélier

Un point final remarquable, nuancé et d’une grande intensité dramatique, à la trilogie Olangar

À la fin d’Olangar – Une Cité en flammes, la cité éponyme tombait aux mains de ses soi-disant alliés, les Duchés, aidés par le Groendal, un parti politique xénophobe local. Le Combat des ombres, ultime volet de la trilogie Olangar, montre les horreurs de l’occupation et à quel point l’inévitable libération laissera un goût amer à des héros vieillissants et parfois au bout du rouleau, contraints à des compromis, voire des compromissions, qui auraient été inacceptables pour leurs versions plus jeunes et idéalistes. L’auteur n’a pas choisi la voie de la facilité pour son dispositif narratif , celui-ci étant le récit, fait des décennies après, des événements les plus marquants de cette année fatidique, rédigé par une personne dont l’identité ne se dévoilera que sur la fin. Ce récit fait des allers-retours dans le temps, utilisant à la fois quelques prolepses et de nombreuses analepses. Si l’ensemble se suit sans peine, il donne aussi le sentiment d’être parfois inutilement convoluté. Il est toutefois plutôt rythmé et traversé par une intensité dramatique souvent considérable. On signalera d’ailleurs que ce troisième tome est nettement plus noir que les précédents, et que sa fin est tout spécialement amère. Ce qui participe d’ailleurs à sa puissance.

Si Bans et barricades n’était pas dépourvu de manichéisme ou de naïveté politico-idéologique (peut-être un reflet, d’ailleurs, de l’idéalisme de certains de ses protagonistes), Bouhélier a proposé, dans les volumes suivants, un tableau de plus en plus nuancé, et si la description de l’occupation de la ville, très convenue (ghetto, camp de travail, rationnement, arrestations et exécutions sommaires, journalistes muselés, etc.) et sujet central de ce troisième volet (comme la lutte sociale était celui du premier et l’écologie / les méfaits du capitalisme débridé ceux du deuxième), ne fait pas l’impasse sur des stéréotypes quand sont décrites les exactions des nervis d’extrême droite du Groendal, elle s’accompagne surtout de nuances dans le camp d’en face. Qu’il s’agisse de la résistance intérieure, menée par les Nains et divisée sur la marche à suivre, ou d’éléments extérieurs comme Evyna et ses compagnons d’armes, le tableau brossé n’a, cette fois, pas grand-chose d’idéalisé et encore moins de manichéen. Car pour gagner, des exactions (notamment un massacre dans un manoir), des trahisons devront aussi être commises par le camp des justes, et ceux-ci devront nouer des alliances politiques et commerciales et parfois les cacher au peuple pour que celui-ci survive aux pénuries. Lucide, l’auteur conclut que le vrai et éternel vainqueur reste le capitalisme et les élites bourgeoises et nobiliaires.

Par sa puissance dramatique et sa clairvoyance dans la description de la façon dont un mouvement de Résistance devra parfois renier ses propres valeurs pour assurer une certaine forme de victoire, Le Combat des ombres est un remarquable point final à la trilogie Olangar, sans conteste une référence, désormais, en Fantasy industrielle et politique.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des chroniques suivantes : celle de Célinedanaë, celle du Nocher des livres, du Chien critique, de Boudicca, de Dionysos, de Dup,

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L’Empire des abysses – Adrien Tomas

Une fin de toute beauté pour le diptyque Vaisseau d’Arcane

L’Empire des abysses est la seconde partie du diptyque Vaisseau d’Arcane, après Les Hurleuses. Il est difficile de résumer les fondamentaux de ce deuxième roman sans gâcher au lecteur les retournements de situation de son prédécesseur, mais essayons tout de même (chose assez rare pour être signalée, l’auteur rappelle les événements précédents en introduction du livre, et ce sous la forme habile d’extraits de journaux) : aidée par la traîtrise d’un des personnages, une puissance étrangère a conquis le Grimmark. Seule une Rébellion, qui a enregistré quelques beaux succès mais aussi de sanglants revers, s’oppose à l’Occupant, ainsi qu’un port qui, en accueillant une escadre de la Flotte avant la capitulation, a pu préserver son indépendance. Simple bourgade de province, Skemma est ainsi devenue une épine dans le pied de la nouvelle administration, mobilisant la moitié de l’armée, ravitaillée en armes, nourriture et volontaires par la moitié du monde connu (une situation rappelant celle de l’Ukraine). Un an après les péripéties narrées dans Les Hurleuses, les protagonistes vont tenter de libérer leur pays, tout en empêchant le conquérant de s’emparer de ce qu’il est réellement venu chercher, ce qui aurait des conséquences désastreuses.

Adrien Tomas, comme de nombreux auteurs français, est ulcéré par la corruption gouvernementale, le contrôle policier, le capitalisme débridé, et il ressent le besoin de l’exprimer dans un livre. Ce qui le démarque de la plupart de ses camarades est qu’il est capable de nuance et de subtilité (l’antagoniste principal a certes fait beaucoup de mal, mais ses motivations étaient, à la base, tout ce qu’il a de nobles : diminuer les inégalités dans son pays, avoir un gouvernement moins corrompu, une énergie propre et abondante, etc.), de ne pas mettre toute une corporation dans le même sac, et peut-être surtout le fait qu’il n’oublie jamais qu’il écrit un roman et pas un manifeste politique. Il ne néglige, bien au contraire, ni l’intrigue, ni les personnages et encore moins le monde. Ce second volet confirme toutes les qualités du premier et les accentue encore, notamment en décrivant d’une façon remarquable l’origine de la magie. Le récit fait par l’Arcane qui donne son nom au cycle est magistral, générateur d’un véritable sense of wonder comme on n’en voit, d’habitude, que dans la meilleure… SF, celle des plus grands maîtres. On soulignera aussi la fascinante évolution, psychologique ou autre, de certains personnages, Sof en premier lieu. Le seul point qui pourra potentiellement gêner certains lecteurs sera le nombre très élevé de points de vue (une douzaine), surtout pour un roman d’à peine 300 pages.

L’Empire des abysses achève en beauté le splendide diptyque Vaisseau d’Arcane, prouvant une fois de plus qu’en matière de Fantasy Industrielle / Arcanepunk, les français n’ont de leçon à recevoir de personne.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des chroniques suivantes : celle de Célinedanaë, celle des Fantasy d’Amanda

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Le Chant des géants – David Bry

Un très bon roman, une édition grand format d’une qualité exceptionnelle

En 1985, Denis Gerfaud publie le Jeu de rôle Rêve de dragon, dans lequel le monde est issu du songe des mythiques reptiles. En 2022, ce rôliste chevronné qu’est David Bry crée Oestant, une île qui, à quelques touches nordiques près, doit tout à la (Grande-) Bretagne du Haut Moyen Âge, et est issue des rêves de trois géants. Vu que certaines analogies sont transparentes (on retrouve un roi Arthus, un Lancelin, un Caradec, un Bohort, etc.), que le personnage de Morfessa évoque très fortement Merlin (prophéties, capacité à faire franchir à des armées des centaines de kilomètres en un temps surnaturellement court, comme l’a fait l’Enchanteur avec celle se rendant à Bedegraine), et qu’il y a plus que de vagues analogies avec l’histoire de Tristan et Iseut (particulièrement la version écrite en 1226 par le Frère Robert, comprenant elle-même des éléments de mythologie scandinave en plus de celle des Celtes), il serait tentant de ne voir dans Le Chant des Géants qu’un roman inspiré par la Matière de Bretagne. Ce serait toutefois négliger le fait que l’Iliade est une grille de lecture au moins aussi valable (Sile équivalant alors à Hélène, Bran à Pâris et Ianto à Ménélas), d’autant plus que le récit a la dimension d’une épopée, à la puissante dramaturgie digne d’une tragédie grecque, jusqu’à l’utilisation habile, sur la fin, de la péripétie, ou « twist » comme on le dit aujourd’hui.

À ces inspirations ou ces convergences issues de la littérature classique, il faut en ajouter d’autres venant de la Fantasy moderne : le récit est fait par un mystérieux conteur dans une auberge, ainsi que par un flûtiste sur une colline, et leurs interventions forment le fil rouge du roman, le rapprochant du Nom du vent de Patrick Rothfuss ; l’atmosphère est certes dramatique et épique, mais elle a aussi une puissante dimension mélancolique, voire onirique, rappelant l’Ursula Le Guin de Terremer, référence revendiquée par Bry, tout comme Marion Zimmer Bradley, dont le cycle d’ Avalon a peut-être inspiré ses très beaux personnages féminins ; l’économie de mots de Le Guin, et sa capacité à créer, malgré tout, une puissante atmosphère, se retrouvent aussi chez David Gemmell, et l’écriture ciselée de Bry, où le gras est quasiment absent des os, tout comme la dimension guerrière et l’empathie ressentie pour des protagonistes très humains, semble venir tout droit de chez le britannique (le côté nerveux en moins).

Avec de telles inspirations et le talent de Bry, on est bien proche du chef-d’œuvre, même si quelques éléments peuvent tempérer l’enthousiasme : cette histoire de deux princes se disputant une femme et le pouvoir, l’un par amour et sens de l’Honneur, l’autre rongé par un complexe d’infériorité et des passions (comme on disait dans le Jeu de rôle Pendragon) dévorantes, est tout de même bien (trop) classique ; l’immersion dans les sentiments de Bran en fait certes un personnage attachant et de ce roman une lecture vivante, prenante, mais son histoire d’amour (proche de celle de Tristan, donc ne relevant pas du fin’amor) est parfois horripilante quand il s’interdit d’y céder, et un poil guimauve quand il finit par le faire, sans compter sa foi mal placée en son frère ; l’auteur adopte pour certaines scènes un staccato de phrases courtes avec retour à la ligne à la James Ellroy (écrivain avec lequel il a aussi en commun la thématique de la rédemption) en rupture avec le reste du style du livre, qui oblige à une gymnastique mentale d’autant plus agaçante que la description des combats est assez répétitive ; certains lecteurs seront frustrés par la place modeste (bien que capitale) prise par les Géants ; la fin, si elle est très réussie, tranche tout de même avec la couleur émotionnelle générale du texte ; enfin, Bry ne se renouvelle guère, ce nouvel opus étant tout de même bien proche de certains des précédents.

Mais en fin de compte, Le Chant des Géants est indubitablement un très bon roman, surtout pour qui aime ses sources d’inspiration, et d’autant plus recommandable que le contenu est sublimé par une édition grand format d’une qualité exceptionnelle pour son prix assez modeste (signalons aussi que la version poche est sortie il y a quelques semaines).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Célinedanaë, celle de Boudicca, de Tachan, de Ma Lecturothèque, des Fantasy d’Amanda, de Yuyine, de Zoé prend la plume, de Fourbis et Têtologie, de l’Ours Inculte,

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Huit sagas de Fantasy à lire pour… la qualité / l’originalité de leur aspect Historique

J’ai, assez récemment, relu un de mes livres hors-SFFF préférés, le monumental (dans tous les sens du terme : 1200 pages au compteur en version poche !) Azteca de Gary Jennings, une référence du roman historique, à l’érudition folle, fruit d’une douzaine d’années de recherches au Mexique. Et cela m’a clairement donné envie de vous parler de Fantasy Historique même si, pour le moment, y consacrer un de mes guides de lecture par sous-genre est hors de question : cela représente trop de boulot, et je n’ai ni le temps, ni la santé pour ça pour l’instant. Je vous propose donc à la place (pour patienter en attendant le guide complet de la Fantasy Historique) une liste de lecture, donc huit livres, cycles ou auteurs se distinguant par la qualité / vraisemblance, la puissance évocatrice ou encore par l’originalité de leur aspect historique, avec, en plus, une emphase particulière sur les œuvres émanant d’auteurs français. Rappelez-vous toutefois que ce style de liste n’est pas bâti sur les mêmes critères que mes guides de lecture plus complets, qui tendent vers l’exhaustivité autant qu’il est possible de le faire sans consacrer un essai au sujet, et dans le cadre, donc, d’un « simple » article, et qui, de plus, comprennent des romans qui font consensus au niveau mondial en ce qui concerne leur importance dans le registre SFFF concerné. Une liste est donc forcément plus limitée et surtout plus subjective (j’anticipe les réactions en commentaires, mais oui, on aurait pu / dû parler de Machin ou de Bidule, et ce sera très probablement fait dans un futur guide en bonne et due forme), mais a au moins le mérite de vous fournir tout de suite des pistes de lecture.

Au passage, on vous rappellera que le terme / registre littéraire « Fantasy Historique » admet plusieurs définitions (c’est même probablement le genre ou sous-genre qui en admet le plus, avec la Science-Fantasy), mais que pour résumer et simplifier, on peut essentiellement distinguer d’un côté ce qui est centré sur la vraie Histoire, se déroule sur Terre et emploie en plus quelques éléments surnaturels, et de l’autre côté ce qui se déroule dans un monde imaginaire mais très inspiré par une période historique réelle, voire une civilisation bien précise, et comprend des degrés divers d’éléments fantastiques. Continuer à lire « Huit sagas de Fantasy à lire pour… la qualité / l’originalité de leur aspect Historique »

Barbares – Rich Larson

La Faune de l’espace

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard, Erwann Perchoc, Laëtitia Rondeau et Pierre-Paul Durastanti !

Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises, sur ce blog, de Rich Larson, notamment de son magistral recueil La Fabrique des lendemains. Le Bélial’ a également publié ce jeune auteur dans les colonnes de son magazine Bifrost (même si les nouvelles en question m’ont, elles, fait moins bonne impression), mais il n’avait, jusqu’ici, pas fait son apparition dans la fameuse collection Une Heure-lumière (UHL) de l’éditeur. C’est désormais chose faite, puisqu’un de ses textes, Barbares (et non, cela n’a rien à voir avec les héros du plus grand film d’Heroic Fantasy de tous les temps), y paraîtra le 19 octobre 2023. Un UHL de fort bonne facture, très agréable à lire (j’y reviendrai), même si pas tout à fait au niveau (il est vrai stratosphérique) des dernières sorties du Bélial’, Le Dernier des aînés d’Adrian Tchaikovsky (que j’ai lu en VO il y a deux ans et beaucoup apprécié) et, évidemment, le fabuleux Rossignol d’Audrey Pleynet, tout simplement le meilleur titre de la collection (d’ailleurs couronné il y a quelques jours par le prix Utopiales 2023, excusez du peu !).

Signe de la relation étroite et de confiance liant l’auteur et son éditeur français, celui-ci est le premier à publier, en exclusivité mondiale, donc, ce texte. Bravo ! Continuer à lire « Barbares – Rich Larson »

The Malevolent Seven – Sebastien de Castell

Constantine + Le Manuel des Plans + un anti-Les Sept Samouraïs = The Malevolent Seven !

Sébastien de Castell est un auteur canadien essentiellement connu dans nos contrées pour le lobbying intense fait à son sujet par L’Ours Inculte (d’ailleurs remercié en postface) et, accessoirement (je plaisante…), pour ses cycles L’Anti-Magicien et Furia Perfax (chez Gallimard Jeunesse), ainsi que pour la traduction du premier tome (éponyme) du cycle Les Manteaux de gloire par Bragelonne, les trois autres et un recueil de nouvelles ne l’ayant pas été par cette maison (malgré, donc, le lobbying intense du camarade Inculte). Son nouveau roman, The Malevolent Seven (à ne pas confondre avec le récent The Maleficent Seven de Cameron Johnston, aux fondamentaux similaires -nous en reparlerons), ne s’inscrit pas dans le même monde que celui commun à tous les autres cycles de l’auteur (y compris Court of shadows, à venir en 2024), et semble être un stand-alone, bien que la fin hurle, à mon sens, la possibilité d’une suite (mais puisse aussi se suffire à elle-même, un peu dans le même esprit que Le Magicien Quantique de Derek Künsken -dont nous reparlerons aussi). Dans une interview (en anglais), le canadien a déclaré avoir écrit ce roman en février 2020 juste pour lui, pour avoir le plaisir de faire de la bonne Sword & Sorcery à l’ancienne, avec des jurons à toutes les pages (ce qu’il n’est pas en mesure de faire dans les livres Young Adult qui constituent désormais la majeure partie de sa bibliographie -et la quasi-totalité de celle traduite dans la langue de Molière). Il n’avait pas l’intention de le publier, mais son agent a demandé à le lire, l’a adoré, ce qui a conduit son éditeur à finalement le sortir.

C’est la première fois que je lis un roman signé par cet auteur, non pas que Les Manteaux de gloire ne m’intéressent pas (bien au contraire, même), mais parce que je me concentre plus, que ce soit pour le blog ou (surtout) pour Bifrost sur les nouveautés, et que ce cycle n’en est plus une depuis longtemps. La sortie de ce roman lisible de façon isolée m’est apparue comme une bonne opportunité de découvrir sa prose sans pour autant me lancer dans un cycle de plus, et je dois dire que sans crier au génie, j’ai bien apprécié cette lecture, même si je placerais le roman, similaire, de Cameron Johnston au-dessus. De plus, sur la fin, j’ai parfois eu du mal à suspendre mon incrédulité, certains points (notamment sur le magicbuilding et le worldbuilding) m’ont paru extrêmement stéréotypés (façon polie de dire que c’était carrément pompé de façon éhontée dans les sources d’inspiration), et je ne suis pas sûr d’avoir entièrement saisi tout ce qui tourne autour d’un des personnages. Je regrette aussi que la couverture soit, à mon sens, très mal conçue, car elle dévoile un point d’intrigue et ça, on aurait pu éviter. Enfin, l’ensemble laisse une impression rushée ou brouillon, et le développement très inégal des personnages pose aussi question. Clairement, donc, si je trouve que c’est un roman de Fantasy sympathique, voire recommandable pour certains profils de lecteurs ET si on n’en attend pas trop, je n’en ferai pourtant pas un des (romans) Culte d’Apophis qui ont donné leur nom à ce blog. Continuer à lire « The Malevolent Seven – Sebastien de Castell »

Himilce – Emmanuel Chastellière

Un grand roman (de Fantasy) Historique

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par les éditions Argyll. Un grand merci à Xavier Dollo et Emmanuel Chastellière !

Le 9 juin 2023, paraîtra chez Argyll Himilce, le nouveau roman d’Emmanuel Chastellière. L’auteur ayant fait des études d’Histoire, ses romans de Fantasy (L’Empire du léopard , La Piste des cendres) et ses recueils de nouvelles de New Weird à esthétique Steampunk (Célestopol, Célestopol 1922) ayant une forte composante composante historique (y compris pour les deux livres de Fantasy à poudre se déroulant dans un monde secondaire), et son intérêt, pour ne pas dire son amour, pour l’œuvre de Guy Gavriel Kay, le « pape » de la Fantasy Historique, étant bien connu, il paraissait clair que tôt ou tard, il allait écrire un roman relevant de ce sous-genre.

Ce qui frappe d’emblée est la période historique choisie : comme je l’expliquais dans une récente Apophis Box, la civilisation carthaginoise est très nettement moins exploitée en SFFF que d’autres de la même époque, Rome en tête. Ce qui interpelle ensuite est que la focale n’est pas centrée sur Hannibal, comme on aurait pu s’y attendre… mais sur son épouse, prénommée Himilce, un choix aussi singulier qu’audacieux, ne plaçant dès lors pas (ou disons plutôt pas majoritairement) cette œuvre dans une perspective militaire mais plutôt féminine, pour ne pas dire féministe. Car comme la quatrième de couverture l’explique très bien, un des intérêts (et comme nous le verrons, ce n’est pas le seul) d’Himilce est de tenter de démontrer pourquoi l’Histoire préfère retenir les hommes guerriers plutôt que les femmes promouvant la paix.

Au fil des lectures et des années, j’ai dit d’Emmanuel Chastellière que c’était un auteur prometteur, puis qu’il avait atteint une certaine maturité littéraire, puis qu’il se plaçait désormais parmi les écrivains d’imaginaire français qui comptent (on aimerait un peu plus de SF, par contre, merci  😀 ). Avec Himilce, dont la gestation a été longue, apparemment, il a clairement franchi un palier supplémentaire : si la Fantasy Historique est un sous-genre chéri par nombre d’auteurs français, et un registre où, contrairement à d’autres au sein des littératures de l’imaginaire, ils ont su, et souvent avec brio, se montrer fort convaincants, il manquait au domaine son équivalent de ce qu’est Guy Gavriel Kay chez les anglo-saxons ; non seulement Himilce est le roman le plus abouti d’Emmanuel Chastellière, mais il a su, ce qui n’est pas un mince exploit, se hisser à la hauteur du Kay moyen. Peut-être pas encore à celle des chefs-d’œuvre du canadien (Les Lions d’Al-Rassan ou La Mosaïque de Sarance), mais il n’a clairement rien à envier à la plupart des autres livres de Kay. Et croyez-moi, ce n’est pas le genre de compliment ou de « distinction » que je distribue avec prodigalité ou aisément, ma réputation de critique difficile n’étant plus à faire. Comme nous le verrons, s’il m’a manqué un petit quelque chose pour lui décerner le titre suprême de (roman) Culte d’Apophis, Himilce reste une sortie fort recommandable et, à mon sens, un jalon important dans la carrière de son auteur. Continuer à lire « Himilce – Emmanuel Chastellière »

L’Empire s’effondre – Sébastien Coville

Peut mieux faire

Une version modifiée de cette critique est sortie dans le numéro 104 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag.

J’attire votre attention sur le fait que les défauts, de communication ou d’écriture, que je pointe dans cette chronique ont été en grande partie corrigés dans le tome 2 (que j’ai également lu pour Bifrost), et que si ils restent valables pour la version grand format du tome 1, ils doivent être relativisés à l’échelle du cycle.

Ce qui frappe avant tout avec L’Empire s’effondre, premier tome d’une trilogie éponyme, est la communication de son éditeur, notamment sur la quatrième de couverture et sur les sites marchands : on y voit passer des comparaisons avec Frank Herbert, Isaac Asimov, Jean-Philippe Jaworski, Eugène Sue et Alexandre Dumas. Excusez du peu ! Outre le fait que pour un premier roman, ce genre de parallèles a bien peu de chances de se révéler fondé (et évacuons tout suspense, ils ne le sont pas), ils ont aussi le grand tort d’établir des attentes qui, si elles ne sont pas remplies, vont forcément générer de la frustration. Sans parler du fait que la comparaison avec Herbert est fort limitée (la religion en tant qu’outil de contrôle) et paraît plus opportuniste (mais c’est de bonne guerre), alors que la sortie du film Dune est proche, qu’autre chose.

Dans un empire imaginaire où la technologie (essentiellement centrée sur la vapeur) cohabite avec un système, reposant sur l’asservissement, de castes professionnelles très rigide car établi par des dieux tutélaires donnant un pouvoir absolu aux Princes qui les dirigent, un attentat menace de faire s’effondrer tout l’édifice quand il catalyse de violentes émeutes, qui servent elles-mêmes à justifier une révolution de palais dans laquelle trois princes prennent le pouvoir au détriment des autres, tandis qu’un quatrième entre en guerre pour rétablir le régime théocratique.

On sent clairement, à tous les niveaux, le potentiel de l’auteur, mais à chaque fois, quelque chose cloche : son écriture est souvent fluide et agréable, mais ne fait pas l’impasse sur des effets de  manche stylistiques dont il aurait pu se passer (tout comme des quatre scènes de viol en 100 pages !), sans parler de passages d’une emphase excessive et très clairement, de longueurs (l’ouvrage ne se serait pas plus mal porté dégraissé d’un bon quart) ; les personnages sont intéressants, mais le nombre de points de vue (une dizaine !) est effroyablement trop élevé, d’autant plus que certaines sous-intrigues sont achevées hors-champ et réglées d’un trait de plume (le conseil basique d’écriture « Montrer plutôt que raconter » est pourtant censé être connu de tous), quand ce n’est pas le personnage lui-même dont on se débarrasse sommairement sans qu’on comprenne l’intérêt de lui avoir consacré tant de pages ; le worldbuilding est travaillé et évocateur, mais montre aussi des détails peu crédibles, comme ces armes à feu à vapeur ou ces quartiers à étages s’accrochant au flanc des collines où se trouvent les palais des puissants ; enfin, l’aspect roman social fait lever les yeux au ciel tant il est du cent fois vu en Fantasy (si tant est que ce livre en relève, certains indices incitant au doute) politique française récente, avec sa stratification sociale se doublant d’une stratification spatiale, sa charge anticapitaliste, anti-élites, anti-religion, anti-journalistes, sa révolte prolétarienne, etc.

L’Empire s’effondre n’est en aucun cas un mauvais roman (surtout pour une première œuvre), mais il n’est certainement pas non plus à la hauteur des comparaisons auxquelles se livre son éditeur. Coville a clairement du potentiel, et avec peu d’ajustements (et une communication plus sobre), le tome suivant pourrait être une spectaculaire réussite (PS : il n’est en effet pas loin de l’être  😉 ).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca, celle du Nocher des livres, celle d’Elbakin, de Sometimes a book,

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La Lune tueuse – N.K. Jemisin

La Lune est peut-être tueuse, mais le roman n’est pourtant pas une tuerie, lui

Il y a une semaine, est sorti chez Pygmalion La Lune tueuse de N.K. Jemisin, premier roman d’un diptyque, Dreamblood. J’ai, pour ma part, lu cet ouvrage en anglais en 2017, sous le titre The Killing moon, et il ne m’a pas convaincu, à tel point que je n’ai jamais ressenti le besoin d’enchainer sur la suite, The Shadowed sun. La conclusion de ma critique était que cette fantasy d’inspiration égyptienne propose un univers fade (mais original par rapport à celle européenne / médiévale-fantastique, du moins à l’époque où elle est parue en VO -2012-), une écriture assez froide, ainsi que des personnages et un scénario particulièrement stéréotypés. Seul le protagoniste principal et son combat contre le côté obscur de la magie (magie d’ailleurs très réussie, le vrai point fort du roman) donnent à La Lune tueuse un certain intérêt, qui ne prend cependant véritablement son essor que dans les dix derniers % du livre. On est, de fait, très loin de la patate de golgoth que constitue, en revanche, La Cinquième saison de la même autrice. On félicitera toutefois l’éditeur pour sa couverture esthétique (à mon goût, du moins), en tout cas plus que celle de la VO.

Ma première impulsion serait donc de vous conseiller d’investir vos sesterces et autres dinars durement acquis dans de la SFFF de plus grande envergure (y compris le reste de l’œuvre de Jemisin), à un minuscule détail près : ce roman étant traduit par le sangui… le sympathique Pierre-Paul Durastanti, si vous voulez éviter que votre famille en pleurs ne vous retrouve, « suicidé » de trois balles dans le dos, ou qu’un missile Hellfire ne tombe par un malheureux « accident » sur votre voiture alors que vous la conduisez, réfléchissez-y tout de même à deux fois. Peut-être, d’ailleurs, que la lecture de ma critique complète de la VO vous convaincra que, finalement, ce roman a des attraits pour vous séduire, vos critères n’étant pas forcément les miens.

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