Vous trouverez sur ce blog un grand nombre de guides de lecture, qu’il s’agisse de ceux où les livres sont classés par sous-genre, relèvent d’une thématique commune (il y en a aussi dans l’Apophis Box) ou concernent un auteur bien précis. Le néophyte y trouvera de quoi le guider dans la jungle des milliers de titres de Science-Fiction ou de Fantasy publiés, tandis que le vétéran y cherchera la perle rare qui aurait échappé à son radar au fil de décennies, parfois, de lecture de nos genres de prédilection. Il y a toutefois une autre façon de proposer aux aponautes des conseils de lecture, en regroupant les romans non pas par sous-genre, thématique ou auteur commun, mais par caractéristique saillante, qu’il s’agisse d’un univers particulièrement intéressant, de personnages hors-normes, d’une ambiance unique, etc. Le guide que je vous propose aujourd’hui se concentre sur dix écrivains / sagas / livres tout particulièrement recommandables sur le plan de leur système de magie. Il a été conçu pour venir en complément / illustration de mon récent article sur le magicbuilding, mais peut aussi évidemment se lire de façon isolée. Sachez aussi qu’un seul guide de lecture, surtout s’il a vocation à rester digeste, ne saurait mentionner tous les ouvrages qu’il est important ou intéressant de lire dans un domaine littéraire donné : il est donc possible que je propose une deuxième liste de lecture consacrée à la magie dans le futur (manière polie de vous inviter à vous dispenser d’un commentaire du type « il y a aussi le bouquin X / cette liste ne comprend pas le roman Y, liste nulle, c’est un scandale, Apophis imposteur » ; commentez tant que vous voulez ce qui est présent dans l’article, pas ce qui en est absent).
Vous pouvez retrouver les autres guides de lecture par caractéristique saillante commune sous ce tag.
N’oubliez pas que contrairement aux autres types de guides que je propose sur le Culte, qui ont été conçus pour être, autant qu’il est humainement possible de l’être, consensuels (on parle de romans qui, sur le plan mondial, font consensus dans le genre traité) et objectifs, ceux par caractéristique saillante contiennent une plus grande part de subjectivité, de choix personnel (je vous propose donc une liste, ma liste, pas LA liste). C’est particulièrement vrai sur un sujet comme les personnages, par exemple : si dire que ceux de l’auteur Z sont monodimensionnels est factuel (si ce sont des archétypes ambulants pouvant être décrits en quelques mots, voire un seul, et qui n’évoluent jamais, on peut difficilement les qualifier autrement), par contre entre deux autrices ou auteurs dignes de ce nom (proposant des personnages complexes, nuancés, qui évoluent), le lecteur A pourra trouver ceux de X fascinants, tandis qu’ils laisseront B totalement froid, alors que ce deuxième lecteur vouera un culte à ceux de l’auteur Y, qui ne marqueront par contre pas spécialement A ou C, et ainsi de suite. Au-delà d’un minimum vital de maîtrise technique et / ou de talent littéraire possédé par l’auteur, apprécier l’ambiance, les personnages, le style ou certains autres facteurs de son roman est essentiellement subjectif, même s’il existe certains écrivains qui, sur ce plan précis, font un large consensus (voire l’unanimité) autour d’eux.
Brandon Sanderson
Quand on parle de systèmes de magie particulièrement remarquables, en toute objectivité on se doit de mentionner le nom de Brandon Sanderson, car par la variété, l’originalité et la qualité ahurissantes de tous ceux qu’il a mis au point, c’est le roi incontestable du magicbuilding. Je n’entrerai pas dans les détails sur son œuvre, car c’est un sujet qui dépasse très largement le cadre étriqué de cet article et qui fera très probablement l’objet un jour (lointain) d’un dossier complet sur ce blog, mais sachez que si c’est le système de magie qui, pour une raison ou une autre (par exemple parce que vous êtes vous-même écrivain et cherchez à lire ce qui se fait de mieux dans le domaine), vous intéresse le plus dans un roman, c’est l’auteur à lire en priorité. Vous pouvez donc acquérir les yeux fermés, dans ce cas, n’importe lequel de ses livres comportant de la magie (si vous ne savez pas par quoi commencer, le site francophone spécialisé dans l’œuvre de Sanderson vous propose différentes pistes de lecture / points d’entrée sur cette page). Je me dois toutefois de vous avertir que sur d’autres plans, Sanderson pourra vous paraître beaucoup plus limité : son style est sans attrait particulier, et il est connu pour des romans dont le rythme atone s’emballe très brutalement dans les 10-15 derniers % (il vous faudra donc faire preuve de patience si vous avez l’impression qu’il ne se passe rien pendant des centaines de pages, puis trouver quelqu’un pour vous sortir de PLS une fois que la « Sanderlanche » – de Sanderson + avalanche -, comme on l’a affectueusement surnommée, se déclenche).
Cycle de Terremer – Ursula Le Guin
Je le dis depuis les débuts de ce blog, il y a neuf ans, mais pour moi, le cycle de Terremer est une lecture aussi essentielle que celle du Seigneur des anneaux pour quelqu’un souhaitant se construire une culture littéraire Fantasy. Les romans et les nouvelles qui le composent sont bourrés de qualités (de leurs très beaux personnages à leur profondeur philosophique, de leur ambiance à leurs thématiques de fond, etc.), dont j’aurai l’occasion de reparler dans d’autres guides du même genre. Je vais ici me concentrer spécifiquement sur leur magicbuilding, et sur ce plan, ils sont un modèle, puisque Ursula Le Guin répond, et ce quasiment entièrement dès le premier roman (même si d’autres textes affinent la chose), à toutes les questions nécessaires à la construction d’un système de magie qui tient la route : qu’est-ce que la magie (connaître le Langage – avec un grand « L » – dont le Créateur, Segoy, s’est servi pour créer le monde de Terremer), comment l’apprendre (auprès d’un maître ou, surtout, à l’école de Roke), qui peut l’apprendre (les femmes ne peuvent en apprendre que des bribes, puisque seuls les garçons sont admis à Roke) et donc pourquoi les pouvoirs employés par les sorcières sont différents de ceux des mages, quelles sont les conséquences de l’emploi inconsidéré de la magie (comme dit l’autrice, « Allumer une chandelle, c’est projeter une ombre »), quels sont les autres pouvoirs que ceux enseignés à Roke et quelles sont leurs sources, etc. Donc, outre une lecture indispensable en Fantasy en général, elle est aussi très utile pour qui veut mettre au point son propre système de magie ou qui veut une base à l’aune de laquelle comparer ceux créés par d’autres auteurs (et je rappelle que balancer cinquante trucs sans jamais rien expliquer, sans aucune cohérence, n’a jamais constitué un système de magie). On rappelle aussi qu’un des ouvrages composant le cycle (le recueil de nouvelles Contes de Terremer) ayant été traduit par le sangui… le sympathique Pierre-Paul Durastanti, ne pas le lire est donc une très mauvaise idée, voire même une idée dangereuse pour votre intégrité physique. Précisons, enfin, que le magicbuilding de Terremer est également remarquable sur le plan de sa précocité : dans les années soixante, proposer quelque chose d’aussi élaboré n’était absolument pas la norme, et si la magie était omniprésente en Fantasy, elle n’était quasiment jamais expliquée avec un tel luxe de détails. Pour cela, il faudra essentiellement attendre l’émergence de la Hard Fantasy plusieurs décennies plus tard.
Cycle des Maîtres enlumineurs – Robert Jackson Bennett
Capable d’écrire aussi bien (dans tous les sens du terme) du New Weird (American Elsewhere) que de la SF (Vigilance), Robert Jackson Bennett est cependant plus connu en France pour sa Fantasy, notamment celle mâtinée de… Cyberpunk (oui, oui !) de son cycle des Maîtres enlumineurs, dont un grand amateur de littérature de genre, un individu au charisme sauvage, quasiment Alain Delon-ien, surnommé Apophis, a un jour dit (déclaration d’ailleurs reprise par l’éditeur français sur un bandeau rouge, excusez du peu) qu’il proposait peut-être le meilleur système de magie de toute l’histoire de la Fantasy. Pour quelle raison, me direz-vous ? Mais pour une raison bien simple : la combinaison de la simplicité de son postulat de départ (les objets peuvent être « persuadés » d’obéir à d’autres lois physiques que celles de l’univers réel, ou que ces dernières ne les concernent plus : par exemple, des roues de carrosse peuvent « croire » qu’elles sont en haut d’une pente et qu’elles la descendent, ce qui fait que même si le véhicule n’a pas un attelage de chevaux et qu’il est en terrain plat, il va rouler) et des multiples et fascinantes conséquences que l’auteur va minutieusement en tirer est quasiment unique dans l’histoire de la Fantasy. D’autres (et nous allons en donner un exemple dans la suite de cet article) ont peut-être fait plus pointu, mais certainement pas avec un postulat de départ aussi aisé à comprendre, et ce par tout profil de lecteur de Fantasy, du plus novice au plus expérimenté. C’est d’ailleurs une leçon à retenir, sans nul doute, pour tout apprenti auteur : l’axiome ou le postulat de départ se doit d’être simple, ses conséquences d’être riches, complexes. Si vous souhaitez en savoir (beaucoup) plus sur ce système de magie, je vous invite à lire ma critique.
Les Chroniques des Crépusculaires / Les Royaumes Crépusculaires – Mathieu Gaborit
Bon, on s’accroche, parce qu’avant de vous parler de la prochaine œuvre que je vous conseille, il va falloir démêler une histoire éditoriale pour le moins touffue. Mathieu Gaborit commence par écrire une trilogie de romans de Fantasy, plus tard réunis dans une édition revue et augmentée nommée Les Chroniques des Crépusculaires. Il écrit ensuite deux autres romans situés dans le même univers, l’Harmonde, eux-mêmes par la suite réunis en une intégrale appelée Abyme. Puis Les Chroniques des Crépusculaires et Abyme sont réunis en une « intégrale d’intégrales » dénommée Les Royaumes Crépusculaires. Ouf ! Vu que Les Chroniques des Crépusculaires se trouvent assez facilement d’occasion à un prix raisonnable, je vais plutôt vous parler de cet ouvrage que des autres, plus onéreux. Cette trilogie coche un nombre conséquent de cases que j’évoquais dans mon article sur le magicbuilding, dont la place des mages dans la société, l’enseignement de la magie, les conséquences de son utilisation, et j’en passe. Elle a aussi pour intérêt de proposer un grand nombre de types ou de sources de magie, invariablement originaux et intéressants, de l’Accord qui tire sa puissance de la musique à la manipulation des Danseurs, sortes de lutins dont certains peuvent chorégraphier les mouvements, tandis que d’autres, sans scrupules, n’hésitent pas à torturer pour en tirer plus de pouvoir. Signalons également la tout à fait fascinante création d’une épée magique, Pénombre.
Mais ce qu’il faut retenir avant tout, c’est la couleur émotionnelle, l’atmosphère, l’ambiance, que l’auteur réussit à insuffler à son univers, son style, et par-dessus tout, à sa magie. On a vraiment l’impression d’avoir affaire à quelque chose de mystérieux, d’ésotérique, de mystique, parfois de ténébreux, quelque chose qu’on retrouve, bien que dans un style totalement différent, dans certains romans de Fantasy arthurienne. C’est, à mon sens, le très gros point fort de Mathieu Gaborit, et une façon de faire dont un auteur de jeu de rôle ou de roman de Fantasy aurait tout intérêt à prendre comme modèle. Signalons toutefois, pour être tout à fait honnête, qu’à ce stade de sa carrière, l’écrivain, avant tout créateur d’univers, montre plus de lacunes ou de difficultés sur d’autres pans de son écriture (à commencer par son protagoniste), qu’il gommera, au moins en partie, dans les ouvrages postérieurs. Mais pour moi (et vous savez à quel point je peux avoir un regard critique sur la SFF française, souvent plus préoccupée de transmettre un message idéologique que d’écrire de bons bouquins), Gaborit est un maître du magicbuilding et plus généralement de la Fantasy, avec une œuvre qui, sur certains plans au moins (magie, style, worldbuilding, ambiance), n’a rien à envier à celles de certains maîtres anglo-saxons.
Cycle Le Porteur de lumière – Brent Weeks
Le Porteur de lumière est une pentalogie, entièrement traduite, relativement innovante pour l’époque de sa parution (on y trouve des armes à feu dans un monde secondaire), et surtout caractérisée par un système de magie extrêmement pointu. Si Robert Jackson Bennett a, à mon sens, produit un des meilleurs magicbuildings de l’histoire de la Fantasy, par la combinaison de son postulat de départ simple à comprendre et de sa multitude de conséquences logiques en cascade (plus l’adaptation de mécanismes informatiques à la Fantasy), Brent Weeks a, lui, fourni un système d’une rigueur presque scientifique, clairement inspiré par les différents Lantern Corps des comics DC, et surtout, tout simplement, par la science réelle. En résumant beaucoup (je vous le répète, c’est déjà très riche dès le premier tome, et ça s’enrichit encore dans les suivants), la magie, c’est la conversion de la lumière (visible + UV + infrarouge) en effets physiques, via une substance appelée luxine. À chaque couleur correspond une luxine de même teinte, dotée de propriétés physiques uniques. Un mage ne peut normalement utiliser qu’une seule longueur d’onde / couleur de lumière / luxine. Il doit pour cela avoir sous les yeux quelque chose de cette couleur (le ciel pour le bleu, du sang pour le rouge, etc.) ou utiliser des lunettes teintées de la même nuance. Certains mages sont bichromes (en général, il s’agit de deux teintes proches, comme le rouge et l’orange par exemple), tandis que d’autres, très rares, sont polychromes (3 couleurs ou plus). Il existe un mage particulier, appelé le Prisme : d’une part, c’est le polychrome absolu (il peut utiliser toutes les couleurs), et d’autre part, il est le seul à pouvoir décomposer, comme un prisme, justement, la lumière blanche en n’importe quelle couleur, sans l’aide de lunettes ou le besoin d’avoir un exemplaire de la couleur désirée sous les yeux.
Alors bien entendu, un excellent système de magie ne fait pas forcément un bon roman, et le premier tome, notamment, a des points assez crispants, comme un rythme diesel, qui met beaucoup de temps à se mettre en branle, un des protagonistes qui est assez agaçant (rien à voir avec celui du Sabre de neige de Salomé Han, toutefois) et un monde qui a l’air d’un patchwork assez malhabile d’époques et de civilisations diverses. Néanmoins, le (très) bon l’emporte largement sur le mauvais, et les choses s’améliorent (sur la plupart des points) de roman en roman au fil du cycle. Si vous cherchez un système de magie aussi détaillé et pointu que possible, je vous encourage vivement à jeter un coup d’oeil à mes critiques des quatre premiers tomes : tome 1, tome 2, tome 3 et tome 4 (ce qui me fait penser qu’il faudra que je lise le cinquième et dernier).
The Craft sequence – Max Gladstone
The Craft sequence est un cycle de six romans signé Max Gladstone, auteur que les lecteurs français ne connaissent que via la novella Les Oiseaux du temps, co-écrite avec Amal El-Mohtar, un texte qui, de mon point de vue, est très mauvais (même s’il a été franchement apprécié dans l’Hexagone) et ne reflète absolument pas la qualité hallucinante de son œuvre phare, une des plus représentatives et réussies de l’Arcanepunk (ou Fantasy Industrielle). Je ne reviens pas sur l’originalité du worldbuilding, puisque j’en ai un peu parlé ici, pour plutôt me concentrer sur la magie (c’est le sujet de cet article, pour les deux du fond qui ne suivent pas) : chaque âme, mortelle ou divine, contient un fragment de pouvoir magique, le soulstuff, mais à moins d’en disposer de grandes quantités, ce n’est pas une source d’énergie très efficace pour accomplir des actes surnaturels. La manière la plus rapide (mais risquée) d’obtenir beaucoup de puissance est de prêter une partie de la vôtre à une autre entité (dieu, cercle de sorciers, etc.), car la nature de ce contrat / du transfert d’énergie fait que quand vous récupérez ce que vous avez prêté, il y a une sorte d’intérêt, de petit bénéfice, sous forme de puissance supplémentaire. En multipliant les contrats, vous pouvez donc acquérir pas mal de pouvoir en très peu de temps, en tout cas plus vite qu’avec la voie classique, qui consiste à capter lentement l’énergie cosmo-tellurique (de la planète et des étoiles). Les romans explorent en détail les conséquences de ces contrats (et de bien d’autres choses, puisque le magicbuilding est loin de se réduire à cela), qui impactent de nombreux pans de cet univers imaginaire, de la monnaie / l’économie (on échange des morceaux de métal contenant un peu de soulstuff) à la cosmogonie, puisque cela encourage les dieux à former des panthéons et ces derniers à établir des relations entre eux.
The Craft sequence fait partie des plus grandes oeuvres de Fantasy à n’avoir jamais été traduites, même pas partiellement, et c’est d’autant plus regrettable que l’auteur a entamé la rédaction d’un deuxième cycle (deux tomes parus au moment où je tape ces lignes) se passant dans le même univers. Les critiques des trois premiers tomes ( tome 1, tome 2 et tome 3) sont d’ores et déjà disponibles sur ce blog, celles des trois autres et du premier du nouveau cycle sont une de mes priorités absolues dans les mois à venir.
Trilogie des Poudremages – Brian McClellan
La trilogie des Poudremages (entièrement traduite en français), signée Brian McClellan, fait également partie d’une de ces formes novatrices de Fantasy ayant émergé ces deux dernières décennies, ici la Gunpowder / Flintlock Fantasy et pas l’Arcanepunk. Inspirée par la Révolution et le règne de Napoléon, elle mêle donc magie et canons, mousquets et poudre. Et ce mélange ne s’arrête pas à la construction de l’univers, mais va bien plus loin puisqu’il affecte aussi le magicbuilding : une des trois formes de magie est basée sur la poudre, permettant par exemple de faire exploser celle de vos adversaires ou de pouvoir toucher un adversaire à des portées très au-delà de celles des armes réelles de la période napoléonienne, voire de faire changer vos balles de direction en plein vol ! Si on ajoute à cela d’excellents personnages et d’autres qualités, cette Fantasy à monde secondaire (imaginaire) est très hautement recommandable, que ce soit sur le plan d’une magie certes relativement sandersonienne mais qui reste assez originale et en tout cas excitante, ou sur quelque autre plan que ce soit. Vous trouverez plus de détails au sujet des textes s’inscrivant dans cet univers, longs ou courts, traduits ou pas, dans cet article.
Cycle de l’Ascension – David Mealing
Le cycle de l’Ascension de David Mealing est une œuvre très originale, combinant une High Fantasy à élu (mais en mode 2.0), donc quelque chose de classique, avec des thématiques coloniales et une technologie postmédiévale, quelque chose de plus typique de la Fantasy des quinze dernières années, en gros. Dans un cadre inspiré par l’Amérique du Nord de la Guerre de Sept ans, ce sont non pas un mais trois élus sauveurs du monde qui vont tenter de préserver celui-ci des énormes changements imposés par une guerre liée aux Trônes des Dieux (et, sur un plan plus bassement matériel, par une lutte entre grandes puissances humaines rivales). Mélangeant Révolution française et américaine, pseudo-français et indiens, et proposant non pas un mais trois types de magies (avec des tas de sous-types et de subtilités !) et tous les aspects possibles et imaginables, d’un peu de romance à beaucoup d’action, ce livre impressionne, même si sa densité, son ambition et son côté militaire affirmé ne sont pas forcément taillés pour plaire à tout le monde. La, ou plutôt les magies, sans être spécialement originales ou révolutionnaires, sont en revanche particulièrement enthousiasmantes (et ont le gros mérite d’être variées, de ne pas se contenter de décrire une seule source ou forme de puissance occulte), et comme chez Gladstone, l’une d’elles est étroitement entrelacée avec d’autres aspects du worldbuilding : on ne colonise d’autres continents et on ne fait la guerre à des nations ou des peuples indigènes rivaux pas seulement pour des raisons géopolitiques, économiques, de prestige ou autres, mais pour s’emparer de « gisements » de ressources alimentant une de ces formes de magie.
Exercice très réussi de worldbuilding ET de magicbuilding, ce cycle est vivement conseillé aux auteurs en herbe, tout comme aux simples lecteurs. Ma critique du tome 1 vous en convaincra, je l’espère du moins, aisément !
The Ingenious – Darius Hinks
Contributeur régulier des romans Warhammer (40K et Fantasy) publiés par Black Library, Darius Hinks signe avec The Ingenious un livre qui n’a rien à voir avec cet univers, et qui propose un cadre plutôt original : une cité capable de se déplacer par téléportation de lieu en lieu, et prenant avec elle un petit bout des attaches la retenant à l’ancien quand elle se rend vers le nouveau. Elle est dirigée par une oligarchie d’alchimistes, dont l’un d’eux est en train, à l’insu des autres, de développer une nouvelle forme de pouvoir, qui ne nécessite ni laboratoire, ni amulette, ni poudres ou huiles, mais juste la pensée. En clair, il invente la magie. Et c’est là que réside le très gros intérêt de ce bouquin pour qui s’intéresse spécifiquement au magicbuilding, un terme qui doit être ici pris au pied de la lettre : il s’agit vraiment de construire, de créer la magie, pas seulement pour l’auteur, mais pour les personnages. Je pense qu’il est inutile de vous dire que la chose est (à ma connaissance du moins) extrêmement rare en Fantasy.
Worldbuilding et magicbuilding originaux et agréables, se nourrissant l’un l’autre et alimentant l’intrigue, excellents protagonistes (dont Isten, qui met une grande tarte dans la figure à l’insupportable stéréotype de la jeune héroïne « courageuse »), magie et monde très visuels, écriture fluide et efficace, forme n’occultant pas un fond intéressant, et surtout thématique centrale peu usitée, à savoir l’invention de la magie, The ingenious a tout pour vous séduire si vous êtes en recherche d’une Fantasy / d’un magicbuilding sortant des sentiers battus, du moins si vous lisez l’anglais, vu que ce roman n’a jamais été traduit. Si vous voulez en savoir plus, ma critique complète est à votre disposition.
Trilogie Le Prince du Néant – R. Scott Bakker
Dernière (mais non des moindres !) œuvre au magicbuilding d’exception présentée dans ce guide de lecture, la trilogie Le Prince du Néant a été entièrement traduite en français, ce qui n’est (hélas…) pas le cas du reste du cycle plus vaste dans lequel elle s’inscrit. On soulignera toutefois qu’il est devenu difficile de se procurer les trois traductions, et qu’elles se négocient souvent à des prix pour le moins prohibitifs (de vingt à une soixantaine d’euros par tome, pour du poche d’occasion). Les anglophones parmi vous seront donc plus inspirés de lire le cycle en VO, puisqu’ils pourront se le procurer sans la moindre difficulté et à un prix inférieur (environ 3.5 euros en version électronique anglaise, 13-14 en version papier). On « félicitera », une fois de plus, nos chers éditeurs hexagonaux pour laisser ainsi de côté une des plus grandes oeuvres de Fantasy de tous les temps (et je pèse mes mots : si vous me connaissez ne serait-ce que de réputation, vous savez que ce n’est pas le genre de « distinction » que j’accorde avec prodigalité ou aisément). Mes critiques des trois romans ( tome 1, tome 2 et tome 3) vous en convaincront sans peine. J’en profite d’ailleurs pour signaler que ma critique de The Judging Eye sera publiée plus tard cette année (c’est une de mes priorités absolues en 2025), et que celles des autres tomes de The Aspect-Emperor arriveront (de façon très probable) en 2026.
Sur le plan spécifique du magicbuilding, signalons que si les mécanismes de la magie ne se dévoilent que tardivement dans le cycle, la façon dont les sorciers sont intégrés dans les sociétés de ce monde imaginaire est en revanche visible et très intéressante dès le début : groupés en puissants scolasticats, ils ont une influence politique et militaire considérable, allant jusqu’à être le pouvoir derrière le trône dans certains pays. Pour autant, ils ne sont pas invincibles, ni au combat, ni politiquement, puisque des reliques d’une ancienne guerre permettent de les tuer par simple contact, et car ils sont rivaux entre eux, ce qui permet de maintenir l’équilibre des pouvoirs. Sur ce plan (et sur bien d’autres), la façon dont la magie est pensée dans cet univers est un modèle, là encore fortement conseillé à un auteur en herbe. Et le « simple » lecteur, lui, aura ce motif là, et une légion d’autres, de se réjouir d’une des lectures certes les plus exigeantes, mais aussi et surtout les plus exaltantes que la Fantasy peut offrir en 2025.
***
Bonjour, Apophis
Toujours agréable de vous lire et apprendre.
Merci pour ces clés arcanesques!!!
Bonne continuation
Mohamed Aponaute d’Alger.
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Bonjour Mohamed, merci beaucoup !
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Ah, pas de Jack Vance. Qui est pourtant un peu l’écrivain proto-système de magie. Enfin, c’est un avis fort peu étayé puisque je n’ai pas de culture JdR ou fantasy.
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Je vous invite à relire la fin du premier paragraphe de l’article ainsi que le second, cela devrait répondre à votre remarque.
J’ajouterai que dans ce genre d’article, lister trop de livres, ou trop de romans du même style, est contre-productif. Comme je l’explique dans l’introduction, ces listes ne sont PAS mes guides de lecture par sous-genre, qui se veulent complets, objectifs et comprendre un maximum d’auteurs jugés essentiels de façon consensuelle, mondiale. Tout au contraire, avec ces listes de romans réunis par caractéristiques saillante, le but n’est pas de lister tout ce qui est essentiel, mais une sélection de ces romans, de préférence une sélection qui soit digeste et qui ne noie pas le lecteur sous une avalanche de références (je me limite donc à une dizaine de titres, ce qui est déjà pas mal). Et qui dit sélection dit subjectivité, et peut-être surtout variété. Il faut des écrivains de différentes époques, différentes importances, abordant le sujet traité sous différents angles, en VF et en VO, etc. Donc si je cite Vance, ce sera dans un (hypothétique) second volet des livres à lire pour leur magicbuilding, où il prendra la place de précurseur tenu par Le Guin dans ce premier volet.
Il faut aussi prendre en compte le fait que si la liste est, donc, subjective et limitée (à 10), Vance n’est pas un auteur que je vais placer en priorité. En matière de magie, j’aime bien ses Sandestins, mais si je dois citer un précurseur, pour moi Le Guin est infiniment plus pertinente, car elle bâtit un système plus complet, plus élaboré, couvrant plus d’aspects de l’intrication magie / société. Après, on peut en débattre, c’est sûr.
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Mais… enfin… JE SUIS GENTIL COMME TOUT ET JE PETE LE NEZ DE QUI DIRA LE CONTRAIRE !!! 😉
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Je te reconnais bien là !
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Merci beaucoup pour ce guide de lecture bien complet. Je te rejoins totalement sur les cycles et auteur que je connais (B. Sanderson, U. Le Guin, M. Gaborit, Brian McCleallan, RJ Bennett). Ce guide me donne vraiment envie de découvrir d’autres auteurs et surtout d’autres systèmes de magie
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Sa mission est accomplie, alors 🙂
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Oh Poudremages… un peu comme le derneir tome de la saga de Joe Abercrombie (la sagesse des foules), ce livre a quelque chose que j’aime assez : le rendu d’une révolution. Je n’ai lu que le premier bouquin de Poudremages pour le moment et j’ai bien aimé.
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Dans le genre, un excellent roman est The Shadow Throne de Django Wexler (malheureusement jamais traduit) : https://lecultedapophis.com/2017/03/01/the-shadow-throne-django-wexler/
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Je n’ai pas trouvé ça fantastique de mon côté. Ce n’est pas mauvais, mais certainement pas marquant non plus. Le magicbuilding, puisque c’est le sujet, ne m’a pas franchement intéressé. Il faut dire qu’il y a, dans ce premier tome (seul lu pour l’instant) beaucoup plus de magic que de building, avec trois ou quatre formes de magie au moins mais qui sont finalement peu détaillées (dans leur mode de fonctionnement).
Cette histoire de magie basée sur la poudre, en particulier, m’a semblée être d’une triste facilité. Quel heureux hasard que cette poudre noire, carburant de la guerre moderne, puisse être le réactif essentiel d’une forme de magie dans un monde en pleine révolution industrielle ! Ce serait comme donner des propriétés magiques à l’or dans un monde guidé par l’argent (et justement…!).
Sans entrer dans les détails, la poudre de McClellan est d’autant plus pratique qu’elle est multi-usage. C’est cool, ça donne de belles scènes, mais je n’en ferai pas un système de référence.
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Ah, oui, c’est vrai qu’une magie basée sur la poudre noire court les rues en Fantasy, vraiment pas de quoi en faire une référence, non. De la fantasy avec de la magie d’un côté et de la poudre de l’autre, il y en a de plus en plus depuis presque une vingtaine d’années, maintenant, mais mêler les deux est rarissime (dans le sens : la magie est basée sur la poudre). Donc oui, très clairement, en matière d’originalité du magicbuilding, c’est bel et bien une référence.
Pour le reste, là aussi, l’intrication magie (donc, ici, poudre) / révolution industrielle n’est pas une « facilité » mais un code ou quasiment dans les Fantasy Postmédiévales. C’est clairement visible (et cardinal) en Arcanepunk / Fantasy industrielle, ça reste pertinent ici aussi.
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Je ne vais évidemment pas débattre des codes des genres et des sous-genres, je n’ai pas l’érudition nécessaire pour ça.
Que le système soit original, je ne le nie pas mais, en ce qui me concerne, l’originalité n’est pas un critère déterminant pour apprécier la qualité d’un livre ou d’un système de magie. C’est une qualité, bien sûr, mais pas la première à mes yeux.
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Ah ça, c’est autre chose, en effet. Chacun d’entre nous a sa hiérarchie des différentes composantes d’un livre : de mon côté, le world/magicbuilding est essentiel, un minimum d’originalité est important, le style, tant qu’il n’est pas grotesquement mauvais, m’importe assez peu (il peut être utilitaire plus que flamboyant ou élégant, je m’en fiche), etc. Chez d’autres, les personnages seront essentiels, pour d’autres encore, ce sera l’intrigue, pour beaucoup, l’élégance de la langue, et ainsi de suite.
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Bonjour et merci pour les nombreux et utiles conseils de lecture.
Pour les livres de R Scott Bakker ,comment expliques tu que la traduction se soit arrêtée alors que les livres semblent être recherchés et donc avoir trouvé leur public ?
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Bonjour, je n’ai pas les chiffres de vente, mais je ne pense honnêtement pas que cette trilogie se soit massivement vendue. D’après mon expérience, un indicateur qui ne trompe guère est le nombre de critiques, que ce soit sur Babelio ou équivalent, ou bien dans la blogosphère, et dans les deux cas, il est peu élevé. Je pencherais plus pour une attrition due à une absence de réédition que pour des livres vraiment recherchés, pour ma part.
Donc, si la première trilogie a connu un destin commercial mitigé, l’éditeur sera d’autant moins enclin à investir dans un nouveau cycle de quatre romans, d’autant plus dans un contexte où ni les longs cycles, ni les traductions n’ont la cote. Et je ne parle même pas des attentes du lectorat de 2025, qui sont à peu près aussi éloignées que possible de ce que propose Bakker : les gens veulent une fantasy « positive », simpliste (la guerre c’est mal, etc.) et romantique, Bakker propose une Dark Fantasy d’une très grande profondeur où les relations amoureuses jouent certes un rôle, mais où nous sommes loin de la Romantasy.
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Pourtant des auteurs comme Glen Cook / Joe Abercrombie ou Steven Erikson sont dans le même registre à mon sens que ça soit dans la dimension de l’univers ou de sa noirceur.
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Steven Erikson oui, Abercrombie oui pour la noirceur mais pas sur l’univers, Cook oui pour la noirceur, et pour ce qui est de l’univers, non pour la Compagnie Noire, oui pour les Instrumentalités de la nuit. Signalons d’ailleurs que l’inédit de la Compagnie noire n’est toujours pas traduit, alors qu’il est sorti il y a sept ans, tout comme l’ultime tome des Instrumentalités, sorti en 2014.
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D’abord félicitations pour ce guide de lecture (ça vaut pour l’ensemble des guides).
J’ai bien lu la fin du premier paragraphe mais je vais quand même ajouter (à mes risques et périls) que ma première grande claque en matière de magicbuilding a été Un monde magique de Jack Vance (sans le moindre sandestin). La deuxième a été effectivement Le sorcier de Terremer de Ursula le Guin.
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Merci ! Je parlerai évidemment de Vance dans la deuxième liste de lecture consacrée au magicbuilding (par contre, je ne sais pas du tout quand je l’écrirai, probablement pas en 2025 vu que le programme de cette année est déjà bien chargé et que j’ai déjà sorti un gros article plus une liste de lecture sur le sujet).
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