La souveraine des ombres – Chris Evans

Sur une base extrêmement originale et dépaysante par rapport à la Fantasy classique, l’auteur nous livre un roman qui ne tient pas totalement ses promesses, mais qui reste sympathique

souveraine_des_ombresChris Evans est un historien militaire canadien vivant aujourd’hui à New York. Ancien cadre dans diverses maisons d’édition, il est désormais écrivain à plein temps. Avec Django Wexler (Les Mille noms) et Brian McClellan (La promesse du sang), il est considéré comme un des auteurs les plus emblématiques de la Flintlock Fantasy, nouveau sous-genre qui émerge depuis quelques années et tente d’aller au-delà des codes médiévaux-fantastiques de la Fantasy traditionnelle. Il en est même un des pionniers, puisque son livre est paru bien avant ceux de ses petits camarades : 2008 (en VO, la VF date de 2011).

La souveraine des ombres est le premier tome d’une trilogie appelée Les elfes de fer. Les trois romans ont été traduits en français, mais aucun n’a bénéficié d’une version électronique. Les deux premiers ne se trouvent plus que d’occasion, tandis que le troisième a quasi-complètement disparu de la circulation. Le recours à la VO sera donc éventuellement nécessaire.

Pour tout dire, je suis allé vers ce livre un peu à reculons, étant donné que certaines critiques disponibles sur le net étaient mitigées, voire carrément mauvaises. C’est pour cela que parmi les références en Flintlock / Gunpowder Fantasy, j’ai décidé de le lire en dernier. Mais bon, j’aime bien me faire ma propre opinion, surtout quand les recensions disponibles font le grand écart entre 2 et 4 étoiles. Et finalement, si nous ne sommes clairement pas sur quelque chose du calibre de La promesse du sang ou du Prisme noir et si ce livre n’est effectivement pas dénué de défauts, j’ai passé un moment fort dépaysant en le lisant, notamment parce qu’il combine deux des axes de développement que j’entrevois pour la Fantasy de demain : cadre non-européen et changement de paradigme historique / technologique. 

Genres, Inspirations

Outre la Flintlock (pour résumer : Mousquets & Magie) et la Fantasy militaire (Les elfes de fer sont en fait un Régiment d’infanterie légère), La souveraine des ombres relève de la Fantasy historique (c’est très inspiré par l’Empire colonial britannique -je vais en reparler en détails-) et de ce que j’appelle la Fantasy exotique, c’est-à-dire celle qui s’inspire d’un cadre non-européen (ici, de l’Inde). C’est aussi de la Colonial Fantasy, comme Les Mille noms mais à un degré beaucoup plus poussé : ce sous-genre peu connu met au centre de ses thématiques et de la construction de l’univers du livre la notion de colonialisme, soit en plaçant l’action du côté des colons, soit du côté des colonisés, soit des deux. Enfin, dans son atmosphère, le côté ambigu de son héros, le degré élevé de magie mis en jeu et la lutte de combattants contre une sorcière maléfique, il relèverait presque de la Sword & Sorcery (ou plutôt d’une hypothétique Muskets & Sorcery  😀 ).

Un point à retenir est que par rapport aux autres locomotives de la Gunpowder / Flintlock Fantasy, les créatures et races fantastiques sont BEAUCOUP plus présentes : il y a des elfes, bien sûr, mais aussi des nains, des orcs et des elfkynans (des elfes Canada Dry : ils ressemblent à des elfes, ont une philosophie de vie assez elfique, mais leur culture est de type Hindou et ils constituent une espèce séparée à la fois des elfes et des humains). En cela, le roman se rapproche donc un peu plus de la Fantasy classique que ses petits camarades cités plus haut, ce qui peut donc faciliter la transition pour quelqu’un intéressé par la Flintlock mais qui a un peu peur du « choc culturel », de perdre ses repères.

Comme la citation en début de livre et le cadre très Indien / Hindou le suggèrent, c’est enfin très inspiré par Rudyard Kipling, sans en atteindre, évidemment, la qualité. Et bien entendu, certains points viennent tout droit de chez R.A Salvatore (voir plus loin) et Tolkien (idem).

Univers

Remarque préliminaire : pour une fois, une carte du monde est fournie, un « effort » à souligner. Elle est assez peu soignée (même moi, je fais mieux), mais à le mérite d’exister.

Dans cet univers (imaginaire mais très inspiré par une époque précise du nôtre), les humains ont bâti le grand Empire de Calahr, totalement calqué sur l’Empire colonial Britannique. Ayant conquis / colonisé les territoires des elfes (à l’ouest), des nains, des elfkynans et une partie de ceux des orcs (au sud; ceux de l’est restent entre leurs mains), ils ont cependant autorisé ces races (sauf les orcs) à conserver leur culture, ne tentant pas de les assimiler. Malgré tout, dans le sous-continent Masua (comprenez : Indien), dans le Protectorat du Grand Elfkyna, la Compagnie des Comptoirs de commerce (comprenez : Compagnie britannique des Indes Orientales) est le bras commercial des humains, tandis qu’un vice-roi en est le bras politique, appuyé par des troupes coloniales, dont les fameux Elfes de Fer.

Ces derniers sont originaires d’Hynta, de l’autre côté de l’océan, loin à l’ouest : pensez à un mélange d’elfes tolkienniens, d’animistes et d’indiens d’Amérique, et vous aurez une idée relativement correcte de la chose. A l’adolescence, ils tissent un lien-serment avec les chênes-loups , des arbres ayant un degré de conscience supérieur aux arbres normaux (un peu comme les Ents ou Jean-Claude Van Damme), devenant « frères de sève ». Le ryk faur, l’arbre partenaire, fournit alors à son frère elfique des armes en bois « magiques » (dans ce contexte, la magie n’est qu’une meilleure compréhension / exploitation / renforcement des Lois de la Nature), supérieures à tout ce que le feu et l’acier peuvent produire.

Un jour, cependant, une sorcière elfe transgressa le plus grand des tabous, en allant contre l’Ordre Naturel, brisant son lien avec lui lorsqu’elle sauva son ryk faur, dont le destin était de mourir. Elle créa ainsi les arbres de sang, qui se nourrissent de la vie, et devint la Souveraine des Ombres (j’avoue que tout ça n’est pas franchement super limpide dans le roman, au passage, c’est un peu flou, ça manque d’explications claires). Les racines de ces machins s’enfoncèrent de plus en plus profondément dans la montagne voisine, à la recherche, comme un certain Gollum, des grands secrets enfouis aux racines du monde. La corruption de la Sorcière toucha les elfes, dont certains naquirent avec la pointe de l’oreille noircie. De plus, elle recueillit tous les nourrissons elfiques abandonnés (essentiellement ceux portant la marque noire qui lui est associée sur l’oreille), en faisant son peuple. Pour lutter contre cela, ses frères mirent en place le Long Guet, devant la confiner sur Sa montagne (d’ailleurs, cette manie des majuscules est assez agaçante dans le livre, on dirait qu’on parle du Bon Dieu en personne ou que c’est traduit du germanique) et la Haute Forêt proche. Mais l’influence de la Souveraine s’étend, y compris à l’autre bout du monde, loin à l’est, dans l’Elfkyna.

Certains des elfes marqués par la tâche noire ont voulu, en guise de rédemption (ils n’ont jamais accepté leur nature, et sont dévorés par la honte et la culpabilité), et pour essayer de changer l’empire humain de l’intérieur (voir plus loin), s’engager dans son armée : ils sont devenus les Elfes de Fer, équivalent, dans cet univers, des Gurkhas ou d’indiens d’Amérique servant d’éclaireurs aux Tuniques Bleues. Leur Colonel était Konowa, dit Vif Dragon. Incapables de rejoindre le Long Guet, ils pensent que combattre pour la cause des Hyntas leur amènera finalement la symbiose avec les chênes-loups et la purification de leur âme souillée.

Comme vous le voyez, tous ces éléments (mousquets, Inde de Fantasy, elfes) mis bout-à-bout, nous sommes donc en présence d’une combinaison très originale, puisque si on trouve chacun de ces éléments séparément dans d’autres romans, leur association dans un seul d’entre eux est presque inédite (presque, car Le commando des immortels de Christophe Lambert -rien à voir avec l’acteur- combine aussi des elfes, les jungles asiatiques et les armes à feu, mais dans une Fantasy historique se déroulant pendant la Seconde Guerre Mondiale et pas dans une Flintlock plus proche de la Fantasy classique). Certains livres combinent en revanche elfes et mousquets, mais pas forcément dans un cadre aussi exotique : citons The Cerberus Rebellion de Joshua Johnson.

Intrigue

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Couverture de l’édition anglaise

Quelques années auparavant, Konowa a tué le Vice-Roi d’Elfkyna, le premier elfe à occuper cette charge prestigieuse, car ce vil personnage servait en fait la Souveraine (des Ombres, pas la Reine de Calahr comme il était supposé le faire), attisait la révolte parmi les indigènes elfkynans (qu’il tuait par centaines), dont il pillait les reliques sacrées, à la recherche d’un artefact désiré par sa véritable maîtresse. Le problème, c’est que Konowa l’a occis sans en avoir reçu l’ordre… Il est donc chassé de l’Armée, et les elfes du Régiment (dissout) sont expédiés loin au sud, dans une contrée désertique où se trouve un avant-poste encore plus paumé que l’Elfkyna.

Konowa va se retirer dans la jungle, en signe de rédemption pour la disgrâce du Régiment, attendant qu’un de ses anciens subordonnés vienne mettre un terme à sa vie, par exemple Kritton, qui a essayé d’empêcher son geste. Car celui-ci a eu de terribles conséquences : entre la trahison d’un vice-roi elfe et son assassinat par un franc-tireur elfe, c’est toute leur race dont on se méfie désormais. Race, dont, d’ailleurs, Konowa est un bien singulier représentant : elfe bien peu elfique dans son comportement, pas vraiment fier d’appartenir à ce peuple, il est aussi considéré comme un être « sans âme » (car pas lié à la Nature via un Frère de sève, rituel qu’il n’a pas été capable d’accomplir), portant des armes de métal, forgées dans le feu, et pas de bois. Il n’a donc pas de Ryk Faur, et pas d’arme magique : il se sert d’un mousquet, comme tout le monde (et comme il n’est pas lié avec un chêne-loup, il n’a pas rejoint le Long Guet). Par contre, il est devenu pote avec un gros matou, un Bengar, comprenez une sorte de tigre fantasy appelé Jir.

A ce stade, certains d’entre vous doivent s’écrier « HEIN, KWWWWWWAAAAAAA, mais c’est Drizzt et Guenhwyvar ton machin ! ». Ben oui, c’est un hommage très appuyé à R.A Salvatore. Et d’ailleurs, sur tout un tas de plans, nous ne sommes pas si loin que ça de l’elfe noir avec Konowa…

Mais revenons à nos moutons : alors qu’il revient vers sa cabane, Konowa est attaqué par des Rakkes, des créatures théoriquement disparues de la surface de la Te… du monde. Et il se trouve que partout ailleurs en Elkyna, d’autres espèces ou races disparues vont refaire surface, à cause de la Sorcière et de ses arbres noirs. La bougresse est donc bi-classée druidesse-nécromancienne, damned ! Sur ces entrefaites, il fait la connaissance de Visyna, une superbe Elkynane, fille d’un dignitaire de la Compagnie des comptoirs de commerce, et accessoirement sorcière (mais sympa, pas comme l’autre machin des Ombres). Elle lui porte un message : il est réintégré dans l’Armée (enfin, pour être précis, dans les troupes coloniales, ce qui n’est pas tout à fait pareil) séance tenante, car on reforme les Elfes de Fer.

Et là, mauvaise surprise : d’une part, ce n’est pas à lui qu’on confie le commandement du Régiment, mais carrément… au Prince Tykkin, l’héritier du trône, et d’autre part, ses fidèles soldats elfes ne sont pas réintégrés (à part Kritton, qui bénéficie d’un régime de faveur pour avoir tenté d’arrêter son Colonel à l’époque de l’assassinat du Vice-roi), on les laisse rôtir dans le désert et on recrute à la place soit de nouveaux soldats, soit dans les autres régiments (qui en profitent pour se débarrasser de leurs brebis galeuses : remarquez, au passage, que ce genre d’unité mi-bras cassés, mi individus peu-recommandables est une sorte de tradition dans la Flintlock, pourtant genre ultra-récent, puisque la moitié des romans considérés comme majeurs dans ce sous-genre utilisent précisément ce genre de bataillon à la limite du disciplinaire !). Konowa découvrira que tout cela découle de manœuvres politiques : le nouveau vice-roi a déployé les troupes impériales un peu partout sauf au nord, où la rébellion gronde (un parallèle avec la révolte des Cipayes ?), et il se trouve qu’apparemment, tout le monde (Souveraine des ombres, Tykkin, Elfkynans) serait très intéressé par un artefact magique, l’étoile de l’est ou de Syllra, qui se trouverait justement au nord, près du fort où Konowa a zigouillé l’ancien vice-roi, devenu depuis un émissaire mort-vivant de la Sorcière (un parallèle un poil gros à mon goût avec les Nazguls, mais bon…). La reine ne pouvant pas, pour raisons politiques, contredire aux ordres de son vice-roi (un point qui m’a paru un peu bizarre, mais une fois encore, pourquoi pas), on décide de ressusciter les Elfes de Fer, les faisant passer des troupes coloniales à l’armée régulière, au passage. Et on les confie au Prince, un collectionneur / naturaliste fanatique qui veut l’artefact pour le mettre dans un musée, malgré l’importance politico-religieuse qu’il a aux yeux des Elfkynans (outre le fait que sa réapparition est le signe que le monde est en péril, cet objet est le fondement de la Foi de ce peuple).

Les nouveaux « Elfes » de Fer (qui en comptent deux, en tout et pour tout), désormais formés d’hommes, d’un nain et de cornacs elfkynans pour les éléphants (servant de bêtes de somme) se mettent donc en route vers le fort de Luuguth Jor, en sous-effectif (313 soldats, soit la moitié de l’effectif normal… d’un simple bataillon !). Konowa, réduit au rang de commandant en second (et encore, seulement grâce à l’intercession d’un ami, qui lui achète cette charge), devra donc composer avec le « Prince Précieux », complètement ignare en matière de conduite d’un Régiment mais persuadé de tout savoir, la pire combinaison qui soit. Qui pourrait bien se révéler désastreuse lors de la (longue) bataille finale, un des innombrables remakes de Rorke’s Drift qu’on trouve en Fantasy et en SF militaires (cet affrontement épique, typique de la Flintlock, montre au passage la terrible efficacité des mousquets, obusiers, canons et boites à mitraille face à des hordes sans discipline, équipées d’armes primitives). Pourtant, le Prince est lui-même obligé d’en passer par là, car en tant qu’héritier au trône, il doit subir ce rite de passage, à savoir troquer le télescope contre le sabre et le sceptre.

Thématiques

En plus d’un cadre qui sort agréablement du médiéval-fantastique d’inspiration européenne, l’auteur introduit aussi dans son roman une réflexion un peu plus poussée que dans l’ouvrage de Fantasy moyen. Cette réflexion s’articule autour de grands thèmes, dont les principaux sont :

  • Le colonialisme : voyez p 218 par exemple, l’auteur dénonce sans détour les grands empires coloniaux, et la justification qui consiste à dire que la colonisation apportait les bienfaits de la « civilisation », de la raison et de la science à de pauvres sauvages superstitieux et ignorants. Ce qui est intéressant, c’est que tout en plaçant l’action du côté des colonisateurs, il n’en oublie jamais de donner le point de vue des colonisés, notamment en plaçant dans leurs rangs la sorcière Elfkynane Visyna. Enfin, il aborde le pillage des reliques indigènes, qui, dans notre monde, a fait les beaux jours du British Museum, par exemple.
  • L’écologie : tout le point de vue elfique est un hymne à la Nature et à sa préservation. Il oppose technologie et écologie, dans une perspective au final pas très éloignée de celle de Tolkien, bien que bâtie sur des bases différentes (Tolkien opposait plus un mode de vie campagnard, traditionnel, et l’industrialisation / la modernité sans réellement mettre en avant la préservation de l’environnement en tant que tel).
  • L’intolérance raciale, ethnique, culturelle et religieuse : cf p 238, l’auteur promeut la tolérance pour les idées et croyances des autres. La politique envers les minorités (ici elfes et naines) est aussi abordée.

De plus, Chris Evans oppose aussi magie et technologie, tout en les mêlant d’ailleurs quand ça l’arrange.

Certains ont trouvé que ces thématiques étaient insuffisamment développées, ce qui est vrai en valeur absolue, mais fait totalement l’impasse sur le fait que dans l’écrasante majorité des livres de Fantasy, ce genre de réflexion un minimum poussée est… totalement absent. Je préfère, pour ma part, saluer le fait que ce livre ne se contente pas d’être du divertissement mais cherche à faire réfléchir un minimum ses lecteurs sur certains thèmes. Sans compter qu’une fois de plus, ce roman se révèle être un précurseur (après l’aspect non-européen et l’aspect non-médiéval), puisque dès 2008, il s’inscrit dans cette tendance nouvelle qui consiste à mettre un peu plus de fond dans la Fantasy, la rapprochant ainsi de la SF dite « intelligente ».

Personnages

En gros, on peut les diviser en plusieurs catégories :

  • Les très intéressants, correctement décrits, pas (trop) stéréotypés : on peut y inclure Konowa, qui est un personnage complexe, parfois truculent et à l’humour mordant, parfois tourmenté par la culpabilité (sur le sort des anciens Elfes de Fer, sur le fait de porter la marque de la Souveraine à l’oreille et dans son âme), mais aussi Rallie, un excellent personnage de vieille journaliste de légende, également à l’ironie mordante, se baladant toujours le cigare au coin des lèvres dans un chariot rempli d’oiseaux messagers plus qu’étonnants (je vais y revenir).
  • Les intéressants mais pas assez décrits ou mis en valeur : je range là-dedans Visyna mais aussi Kritton, le seul autre elfe du Régiment, ainsi que les parents de Konowa et bien entendu la Souveraine des ombres en personne.
  • Les pas inintéressants mais très stéréotypés : je vais placer dans cette catégorie le Nain Yimt (oui, oui, il y a un Nain dans les… Elfes de Fer, et particulièrement truculent qui plus est !) et l’humain Alwyn. Certes, ils sont extrêmement stéréotypés (le vieux briscard dans l’armée depuis des lustres et la jeune recrue paniquée), mais ils ont un gros intérêt (outre l’humour ravageur et les chansons grivoises hilarantes du Nain) : donner le point de vue des hommes du rang dans les batailles. Django Wexler a également utilisé la même technique afin de renforcer l’immersion et de multiplier les points de vue (tactique / opérationnel / stratégique) dans Les Mille noms.
  • Les pas intéressants ET stéréotypés : le Prince Tykkin est au premier rang de ce type de personnages. Vous ne serez sans doute pas étonnés de savoir que sa seule activité significative pendant la terrible bataille finale est d’examiner les blessés pour voir s’il n’y  a pas de simulateurs… On peut aussi ranger le soldat Zwitty dans cette boite-là.
  • Les non-humanoïdes : une curiosité de ce roman est qu’il comprend un nombre inhabituellement élevé de « personnages » qui sont en fait des végétaux ou des animaux, dont Jir le félin compagnon de Konowa, l’écureuil-volant du prologue et de la fin, ou la ménagerie trimbalée par Rallie dans son chariot pour échanger avec son rédacteur en chef, et dont le plus pittoresque représentant est sans conteste Beurré, le pélican alcoolique.

Au final, tout ça manque de liant, de cohérence, de consistance. Même si on sent que ça va s’améliorer dans les tomes suivants, notamment avec le rôle probablement accru d’un des personnages secondaires et les révélations sur un des autres.

Bons points, mauvais points

Ce livre m’a laissé un sentiment très mitigé. Je ne l’ai pas trouvé aussi mauvais que certains critiques, c’est vrai, mais il n’empêche que je lui ai trouvé de nombreux défauts :

  • D’abord, un sentiment de gâchis : l’auteur avait posé des bases à la fois novatrices et enthousiasmantes (exotisme, elfes, mousquets, thématiques plus « intelligentes » que de la pure Fantasy de divertissement -par ailleurs très respectable dans son genre-), et il n’en a finalement pas fait grand-chose. D’une part, les « elfes de fer » nouvelle formule, sous le commandement du Prince Tykkin, n’en comprennent que deux, donc celui ou celle qui était là pour voir des elfes badass et / ou ambigus est un poil frustré (il y en a -y compris ceux du Long Guet-, ne vous inquiétez pas, mais moins que prévu). D’autre part, l’aspect exotique est assez flou, ça manque de descriptions des villes, des peuples, des coutumes, des odeurs, des saveurs, etc. Oh, certes, la moiteur de la jungle est fort bien rendue, mais j’ai été frustré à ce niveau. Finalement, seul l’aspect mousquets et canons est très bien rendu, dans les très bonnes cent dernières pages et la bataille finale.
  • Ensuite, un sentiment de grand écart : écart de ton (certaines choses sont très « dark », tandis que d’autres sont à la limite de la parodie -comme le Nain ou Beurré-), écart de qualité (le prologue et certains passages sont très mauvais, tandis que d’autres sont franchement bons), et surtout écart d’originalité. Certes (et surtout pour l’époque de parution en VO), le worldbuilding est extrêmement original, mais l’intrigue elle-même est ultra-classique : combattre les idées de domination du monde d’une sorcière maléfique, c’est du déjà-vu, que ce soit chez Cook ou ailleurs. Et je ne parle pas de la majorité du livre, avec ses chapitres courts se finissant sur un mini-cliffhanger, et sa succession de rencontres avec des bestioles qui semble tout droit sortie d’une table de rencontres de Jeu de rôle. Par contre, je le signale, contrairement à certains, j’ai trouvé que la « ménagerie » de la Souveraine était plus un point fort qu’un point faible : c’est la manière dont elle utilisée par l’auteur qui est maladroite, pas son concept même.
  • Enfin, un sentiment de flou : j’ai l’habitude des auteurs qui introduisent des concepts / termes inhabituels d’abord, avant de les expliquer longtemps après, d’habitude ça ne me pose pas de problème à condition que l’explication soit 1/ claire et 2/ présente à un stade ou un autre. Sauf que là, ce n’est pas toujours le cas, il y a des points que je n’ai toujours pas compris (d’après ce que j’en sais, le tome 2 corrige le tir, notamment via des appendices sur les Elfes). J’ai eu un sentiment un peu bordélique, à vrai dire : dans certains cas, l’explication est là, mais introduite… avant le concept qu’elle est censée expliquer. Sauf qu’on ne s’en rend pas compte, ce qui fait que le lecteur n’y prête qu’une attention relative : il ne réalise pas que c’est un point important de world- ou de character-building qu’on vient, mine de rien, de lui livrer.

J’ajoute, pour terminer, que le jeu de « je t’aime, moi non plus ! » auquel se livrent Konowa et Visyna, outre qu’il est ultra-cliché et prévisible, est plus agaçant qu’autre chose.

Pour autant, il y a beaucoup de bonnes choses dans La souveraine des ombres, à commencer par des personnages très attachants (Konowa -j’ai adoré ce personnage souvent corrosif, exubérant, truculent, impertinent, non conformiste, mais aussi très attaché à ses hommes et à son Unité-, Rallie, Yimt, Alwyn), de l’humour, un contexte novateur, une fin qui donne envie de connaître la suite tant elle introduit certaines révélations ou twists intéressants, et un fond qui fait un minimum réfléchir.

Notez aussi que les « grands écarts » dont je parlais plus haut ne sont pas tous mauvais : si les Elfes du Long Guet correspondent aux standards super-badass Tolkienniens (notamment les parents de Konowa), en revanche les Elfes de Fer d’origine étaient des parias, portant la marque noire de la Sorcière à l’oreille, et donc tout juste bons à servir de troupes coloniales… aux humains. Il faut avouer qu’un pareil changement de statut du d’habitude fier peuple elfique en Fantasy est pour le moins original, ce n’est pas tous les jours qu’on croise des elfes au service des hommes !

En conclusion

Mon opinion sur ce roman ne sera ni aussi sévère que les critiques sans concessions de certains, ni aussi enthousiaste que les recensions de certaines autres personnes. Je trouve qu’il présente des améliorations ou variations particulièrement significatives et intéressantes par rapport à la recette utilisée dans 90 % de la Fantasy : cadre non-européen, technologie de type Révolution / Empire (avec mousquets et canons), thématiques plus profondes que d’habitude (colonialisme, écologie, traitement des minorités, etc), mais aussi une race elfique qui au lieu d’être dans le haut du panier, est formée de citoyens de seconde zone, dont le pays a été phagocyté par un empire humain et qui lui sert de troupes coloniales pour maintenir l’ordre ou porter le fer et le feu chez d’autres races (dont les orcs). Et cette originalité est d’autant plus remarquable lorsqu’on prend en compte la date de sortie (en VO) du livre. Bref : le dépaysement est garanti !

Pourtant, si le concept de départ était excellent, et si certains personnages (Konowa, Rallie, voire même Beurré ou Yimt, soyons fous !) ou passages de l’intrigue sont très bons (dont la bataille finale), j’ai un net sentiment de gâchis : cadre sous-exploité et flou dans sa description, grands écarts de ton ou de qualité, explications insuffisantes (ou pas assez claires) sur le worldbuilding, points d’intrigue parfois un peu obscurs, intrigue qui se réduit pendant la majeure partie de l’ouvrage à une suite de rencontres avec des bestioles monstrueuses, méchante tout droit sortie de chez Tolkien ou Cook, l’auteur a en bonne partie gâché une excellente matière de départ.

Au final, le bilan est, pour ma part, mitigé mais certainement pas au point de ne pas lire la suite un jour, sans pour autant en faire une priorité. Bref, ce sera pour 2018 ou 2019, la suite des sagas de Django Wexler ou de Brian McClellan me paraissant bien plus prioritaire en matière de Flintlock Fantasy.

22 réflexions sur “La souveraine des ombres – Chris Evans

    • Merci 🙂

      La promesse du sang de Brian McClellan (en Flintlock, c’est pour moi le must absolu), Les Mille noms de Django Wexler (Flintlock + Colonial Fantasy) ou Le prisme noir de Brent Weeks (ce dernier combine mousquets, canons et un système de magie basé sur la lumière très, très, mais alors très détaillé, mais c’est plus de la Gunpowder -généraliste- que de la Flintlock -spécifiquement Napoléonienne / Révolution-).

      J’aime

  1. OK.
    Malgré ton avis mitigé, je reste intriguée, surtout qu’il y a des races classiques de la fantasy.

    J’ai prévu des « feux d’artifice » le mois prochain pour les Un An de mon blog, et je m’étais dit quoi de mieux que de la poudre et des canons ? Du coup j’ai programmé mars « Gunpowder » avec Les 1000 noms, Les manteaux de gloire, les poudres-mages et enfin, Téméraire 4! Sans doute que j’y insérerai un roman tourné vers l’Asie pour rendre hommage aux inventeurs.
    Et, si je le trouve….

    Aimé par 1 personne

    • Asie et inventions, il y a Chroniques des années noires de Kim Stanley Robinson, une uchronie magistrale (mais attention, le style de KSR est très aride et donc polarisant).

      Sinon, voilà ce que j’appellerais un programme vraiment alléchant et (en tout cas pour moi) hautement enthousiasmant ! Franchement, j’ai hâte de lire tout ça 🙂

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