Aurora – Kim Stanley Robinson

Le meilleur roman de KSR depuis la trilogie martienne

Une version modifiée de cette critique est parue dans le numéro 96 de Bifrost. Vous pouvez retrouver tous mes articles publiés dans le magazine sous ce tag.

aurora_KSRDans la bibliographie de Kim Stanley Robinson (KSR), Aurora, publié en VO en 2015, se place entre 2312, au solide univers mais incapable de raconter une histoire, et Red Moon, qui en narrait plus ou moins correctement une mais pêchait par contre au niveau d’un contexte lunaire décevant. Se pose donc la question de savoir comment ce roman va se situer, et les interrogations augmentent encore à la lecture de la quatrième de couverture, où le résumé ne fait que quelques phrases. Et pour cause…

En effet, si le point de départ est clair (un vaisseau à générations est dans la phase finale de son approche de Tau Ceti et de ses planètes), et si pendant un bon tiers, le roman suit la partition qu’on imagine, l’auteur va ensuite lui faire prendre un tournant complètement inattendu, qui va occuper les deux tiers suivants et qui explique la discrétion de la quatrième. Qui mentionne aussi une citation du Guardian selon laquelle il s’agirait du meilleur livre de KSR depuis la trilogie martienne, voire de son meilleur tout court. Si la première partie de la phrase est incontestable, en revanche la seconde est une question d’attentes. Volume unique, narration bien plus maîtrisée que dans 2312, meilleur univers que dans Red Moon, rythme et intérêt constants quasiment d’un bout à l’autre et profondeur des thématiques traitées, Aurora a tout pour plaire, surtout à celui qui ne connaît pas la prose de KSR ou n’y adhère pas d’habitude. Mais non, il n’éclipsera pas la trilogie martienne, monument du Planet Opera à la richesse hors-norme.

On peut découper l’intrigue en plusieurs phases : la première montre le vaisseau en transit vers Tau Ceti, et parle d’écologie et de sociologie ; la seconde concerne l’arrivée, bascule dans le Planet Opera, et montre que KSR est aussi à l’aise pour décrire un monde extrasolaire fictif que lorsqu’il parle de Mars ; la troisième revient sur l’aspect sociologique et fait émerger une vraie IA (qui, d’ailleurs, est supposée être l’autrice du récit, ce qui mène à un savoureux jeu avec le lecteur : par la voix de ses personnages, KSR critique son propre roman !), puis nous fait vivre la fascinante introspection d’une conscience artificielle (et propose un livre aussi anti- « Singularité = fin du monde » que possible) ; la quatrième est un festival de Hard SF, avec un basculement de la thématique du vaisseau-arche et une utilisation de la mécanique orbitale qui aurait donné un orgasme à Arthur Clarke ; enfin, l’ultime partie nous reparle d’écologie, mais sous une forme différente. L’ensemble est passionnant pratiquement de bout en bout, sous quelque aspect (SF, sociologique, scientifique, écologique, etc) que ce soit, à l’exception de quelques dizaines de pages à la fin, qui n’ont guère d’intérêt.

KSR imagine les libertés qu’il faudra sacrifier pour qu’un vaisseau à générations fonctionne (celle de choisir quel métier exercer, où habiter, quand et si faire un enfant), les mesures à adopter si la mission déraille (et dans les deux cas, ce qui est acceptable ou non), les dangers biologiques du syndrome d’insularité, le fait que le débarquement est aussi délicat que le voyage, mais que le vrai danger ne vient pas d’une phase planifiée mais difficile, mais bel et bien de ce qui arrive quand l’imprévisible surgit. Comment faire si l’option A est caduque mais qu’il n’y a pas de consensus sur la B ? Que faire si cela menace de déclencher une guerre civile ?

Cette parabole écologique, qui, en parlant d’un vaisseau-monde (thème SF où ce roman s’impose désormais comme une référence), nous crie en fait l’urgence de respecter le nôtre, montre que l’humain est inadapté à l’univers et quantité négligeable face à la puissance de la vie… microbienne (résolvant ainsi d’une étonnante façon le paradoxe de Fermi). Elle dénonce l’idiotie, presque le crime, pour une génération narcissique, à la poursuite de la gloire et de la propagation de l’espèce humaine, de lancer des vaisseaux vers d’autres étoiles, condamnant ainsi à la souffrance leurs descendants, les animaux et les astronefs eux-mêmes. Paradoxalement, Aurora constitue ainsi à la fois une ode à l’astronautique, et un violent réquisitoire contre son utilisation à la légère. Et replace l’essentiel au centre du jeu : le bien-être de l’humain et de son environnement.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Yogo, celle de Xeno swarm, de Gromovar, de FeydRautha, du Post-it SFFF, de la Lectrice hérétique, de Brize,

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28 réflexions sur “Aurora – Kim Stanley Robinson

  1. Ping : Aurora – Kim Stanley Robinson – L'épaule d'Orion

    • Merci beaucoup ! L’écriture des critiques pour Bifrost est un exercice très ardu en raison des contraintes de place (il faut être le plus pertinent et précis possible sur ce que contient -ou pas- le livre en un nombre de signes très limité), mais là j’avoue que le fait, en plus, de ne pas divulgâcher tout en soulignant TOUTES les forces et faiblesses du roman a relevé de la haute voltige.

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  2. Oui bof….
    Le roman de KSR, je veux dire pas ton excellente chronique.
    ça manque de  » sens of wonder  » avec toutefois quelques réflexions pertinentes.
    Faut dire que je l’ai lu entre Anatèm et Latium.

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      • Oui, en fait j’étais plutôt emballé par l’entame d’Aurora et de fait cette enthousiasme initial s’est peu à peu étiolé, au point de me forcer à ne pas lâcher
        avant la fin.
        A contrario, j’avais lu quelques mois avant  » Les menhirs de glace « , « Icehenge  » en VO, un roman de jeunesse de KSR sous-côté à mon sens, bien qu’il ne soit pas exempt de quelques défauts, qui m’avait à la fois ému et captivé.
        Le ton y est délicieusement nostalgique et le thème principal du roman – la mémoire – est très intelligemment traitée par le jeune KSR de l’époque.

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  3. ta critique dans Bifrost m’a poussée à l’acheter. Je l’ai dans ma PAL, faut que je trouve la volonté de le lire, ce n’est plus une question de temps, mais vraiment de se trouver un créneau.
    Au fait, je ne te vois plus trop dans le blog, et cela m’inquiète un petit peu.

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    • Tu avais écrit Watts, c’est pour ça ! 😀 Alors pour les deux parties du Blanc Incandescent, l’année prochaine, et pour les tomes 4+ du Livre des martyrs, pas avant 2022, au mieux (leur taille énorme me cause de très gros problèmes pour les caser dans le programme de lecture).

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  4. En effet! Et pour cause je venais juste de finir Eriophora ( un bon cru avec une illustration très soignée) bref ok j’ai compris tu as un agenda suffisamment chargé, je lirai donc tes commentaires après les avoir lus pour une fois😈, Erikson toujours très « touffu » pas le plus simple il est vrai.

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  5. Je l’ai dans ma PaL depuis janvier 2019 ( en Espagnol, eh oui il etait deja sorti en poche en Amérique latine depuis ce temps la…et comme je me trouvais en Argentine et que je lis mieux en espagnol qu’en anglais, l’occasion fit le larron) et il faut vraiment que je le lise, ta critique m a sérieusement motivé…

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    • C’est intéressant, ça. Le fait de lire en espagnol doit t’ouvrir l’accès à tout un pan de la SFFF qui existe mais ne sera probablement jamais traduit en français (il y a eu quelques auteurs hispanophones traduits -je pense notamment à Javier Negrete-, mais ça reste très rare).

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  6. Ping : Les découvertes de l’ombre #19 clap de fin | OmbreBones

  7. Ping : La réalisation du réseau Starlink s'accélère et s'ouvre aux internautes

  8. Ping : Vision aveugle – Peter Watts | Le culte d'Apophis

  9. Ping : Silversands – Gareth L. Powell | Le culte d'Apophis

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  11. Ping : Les Menhirs de glace – Kim Stanley Robinson | Le culte d'Apophis

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