KSR ne sera pas AUSSI adoubé maître du Planet Opera lunaire !
Cette critique est initialement parue dans la version électronique du numéro 95 de Bifrost (PS : une version légèrement modifiée paraîtra également dans Bifrost 106). Par contre, elle n’est que mentionnée (en deux phrases) à la fin du guide de lecture idéal lunaire de la version papier (pour une raison très simple : Red Moon n’étant pas précisément un bon roman, sur le registre lunaire ou en général, et la place dans la version imprimée du magazine étant drastiquement limitée, sa critique n’avait donc rien à faire dans une bibliothèque idéale consacrée au sujet).
Vous pouvez retrouver tous mes articles publiés dans le magazine sous ce tag.
Lorsque Kim Stanley Robinson (KSR), l’auteur de la trilogie de Mars, cycle probablement insurpassable en matière de colonisation de la planète rouge et d’émergence d’une culture indigène, sort un roman consacré à la Lune, les attentes ne peuvent être qu’élevées. Hélas, elles seront déçues.
Si, logiquement, Robinson met au centre de cette colonisation la Chine, qui domine le pôle sud de l’astre alors que toutes les autres nations, américains y compris, s’entassent au pôle nord, la colonie sélène n’est pas vraiment le point focal du récit. Car c’est en fait d’une Anticipation du futur proche (2047) de la Chine dont il s’agit, et pas vraiment d’un Planet Opera comme pouvait l’être la trilogie de Mars. L’intrigue est centrée sur une nouvelle révolution Chinoise, visant à changer une nation introvertie, autoritaire, mono-culturelle, patriarcale, et surtout à être sous le règne de la Loi et pas du Parti. Elle est concomitante à une crise financière aux États-Unis impulsant un de ces nouveaux modes de gouvernement dont KSR est friand (il joue avec la notion de gouvernance par Blockchain, sorte de démocratie hyper-directe où toute action officielle est contrôlable en permanence par le peuple). Il montre d’ailleurs toute l’interdépendance économique entre les deux pays.
Il en profite pour décrire une Chine avec une citoyenneté à points, 500 millions de « migrants internes » illégaux horriblement exploités (vous êtes supposé travailler là où vous êtes né), une société de l’hyper-surveillance et de la dénonciation omniprésente, mais où le grand œil est à facettes, chacune étant contrôlée par un groupe militaro-sécuritaire différent, dans une balkanisation obscène de la « sécurité ». D’ailleurs, même au sein du Politburo, et alors que la succession du Président actuel est devenue inévitable, les factions sont innombrables, et en lutte d’influence féroce entre elles. Le conflit s’exportant sur la Lune, où, malgré le traité en vigueur, les militaires ont de plus en plus d’influence, et où les revendications territoriales, elles aussi interdites, ne sont pas loin quand un vaisseau américain installe une base provisoire au pôle sud.
Sur le papier, tout cela est alléchant, surtout connaissant l’intelligence et l’érudition de KSR. Hélas, on ne peut qu’être déçu, et ce sur deux plans : d’abord, ce qui est décrit de la colonisation est relativement maigre, peu crédible en terme de calendrier, même sachant la puissance de travail chinoise, capable de faire sortir de terre d’énormes infrastructures en un temps ridiculement court, et même avec des robots et des imprimantes 3D. De plus, certaines solutions techniques posent question. Enfin, on a le net sentiment que le propos n’est pas centré sur les Chinois sur la Lune en 2047 mais sur les Chinois en 2047 tout court.
Ensuite, sur le plan littéraire, Red Moon est à l’image de la production récente de KSR (sans atteindre le niveau catastrophique de 2312), Aurora excepté, c’est à dire affligé de multiples problèmes : lourd déballage d’infos, longueurs excessives (il décrit en détail des semaines de planque de deux des personnages, alors que fondamentalement, il ne se passe rien), rythme mal maîtrisé, fin abrupte, soucis de crédibilité (la fille d’un ministre qui est l’âme de la révolution, les allers-retours Terre-Lune incessants), deux des trois protagonistes qui sont soit falot, soit mono-dimensionnel, multiplicité de thématiques pas toujours assez développées (Intelligence Artificielle générale), etc.
Les deux aspects cumulés font que Red Moon n’est pas à la hauteur de ce que l’auteur de Red Mars a jadis proposé, et peut-être surtout, sur un aspect strictement lunaire, n’est pas non plus au niveau de ce que d’autres écrivains ont récemment publié, à commencer par Ian McDonald et son cycle Luna, qui, que ce soit sur le plan SF ou littéraire, bat Robinson à plate couture.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle du Maki,
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Ping : Aurora – Kim Stanley Robinson | Le culte d'Apophis
Mon premier Kim Stanley Robinson a été Aurora. Meme si la 2e partie (le retour) était un peu lourdingue avec les réflexions de l’IA et les 10 dernières pages …passons, j’ai bien aimer. Malgré votre avis mitigé, je vais me laisser tenter par Red Moon, je viens de voir qu’il sort en Avril chez Bragelonne. Par contre il vas bien falloir que je me décide à m’attaquer au cycle de Mars…
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Attention, Red Moon est BEAUCOUP plus aride qu’Aurora (et beaucoup moins réussi). On est là sur du pur KSR, c’est-à-dire une réflexion extrêmement poussée sur les systèmes sociaux, politiques, économiques, etc. Pas encore au niveau hallucinant de The ministry for the future, mais c’est bien moins semblable à un roman « classique » qu’Aurora.
Par contre oui, il faut lire la Trilogie martienne, c’est un (et sans doute même LE) monument du Planet Opera.
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J’ai les 3 tomes dans ma bibliothèque depuis leurs parutions en GF mais je ne sais pourquoi, je ne suis jamais revenu dessus. Je viens de lire le 2e Mars de Ben Bova (15 ans entre les 2 tomes..), il vas bien falloir que je m’attaque à celui de KSR.
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