Classique mais efficace
Lorsque je lis un texte qui ne me convainc pas émanant d’un auteur que, pourtant, je connais déjà et apprécie, je n’aime pas rester sur une mauvaise impression. Ayant très récemment lu Light Chaser, novella co-écrite par Peter Hamilton et Gareth L. Powell qui ne m’a guère séduit, j’ai voulu explorer un peu plus la bibliographie du plus jeune des deux auteurs, et ai décidé de le lire dans la forme courte, ce que je n’avais pas fait jusqu’ici. Ce qui m’a permis, au passage, de faire un peu plus le tri dans ce qui clochait et « à cause » de qui dans Light Chaser. J’ai donc lu Silversands, le premier (court) roman de Powell, sorti en 2010 et réédité plusieurs fois (parfois avec une nouvelle en bonus) depuis (d’où les deux couvertures différentes servant à illustrer le présent article, au passage ; j’aurais, par ailleurs, pu en reproduire encore deux autres, puisqu’il y en a quatre différentes en tout, mais elles sont bien moins esthétiques que les deux choisies).
Je pourrais faire de cette novella la même critique (dans tous les sens du terme) que celle des deux autres romans de l’auteur que j’ai lus : c’est une bonne SF, très classique, fort agréable à lire, qui ne révolutionnera pas le genre mais se révèle bien plus valable et plaisante à lire que l’écrasante majorité de ce qui sort aujourd’hui en Science-Fiction anglo-saxonne, mais qui a le défaut de s’inspirer un peu trop visiblement d’auteurs plus anciens ; alors que Braises de guerre avait un très puissant parfum de Iain M. Banks, on sent ici plutôt l’influence de Peter Hamilton (tiens, tiens…), de Frederik Pohl, voire de Stargate SG-1 (je vais en reparler, parce qu’il y a des choses intéressantes à dire sur le sujet des ressemblances et inspirations). Ce que vous devez retenir, c’est que si vous cherchez une novella de SF sympathique et qui tient la route, vous ne perdrez pas votre temps avec Silversands, même si ça ne mérite pas forcément un prix et que ça ne révolutionnera certainement pas le genre. Sans compter que sur certains points (mais pas tous), c’est fort prévisible.
Univers *
* Freewheel Burning, Judas Priest, 1984.
Début du XXIIIe siècle (d’après quelques indices donnés dans le roman ; il faut voir les calculs de l’espace que je suis obligé de me taper pour vous fournir de l’Apophisme digne de ce nom ; vous pourriez être reconnaissants, tout de même…). L’auteur reste assez flou sur le sujet, mais un peu plus d’une centaine d’années auparavant, l’Humanité a découvert (Où, comment ? Mystère !) un réseau de Portes (avec un grand « P ») d’origine extraterrestre capables de générer un trou de ver (un passage dans l’espace-temps) et de permettre de se déplacer d’un système stellaire à l’autre. Powell explique au début du livre qu’un des protagonistes est resté dans un trou de ver cinq ans et demi, parcourant autant d’années-lumière. Au début, je me suis dit qu’il n’était pas très logique d’avoir des trous de ver qui ne permettaient pas de se déplacer sur une distance supérieure à celle parcourue par la lumière dans le même temps, surtout compte tenu de ce que je vais vous expliquer dans le paragraphe suivant. Mais à bien y réfléchir, il y a tout de même un intérêt : en effet, encore faut-il pouvoir accélérer un vaisseau à la vitesse de la lumière, puis le décélérer une fois en vue du système cible, ce qui, dans les deux cas, comme vous le prouvera la lecture de l’excellentissime Aurora de Kim Stanley Robinson, est très loin d’être aisé. Dès lors, malgré leurs autres défauts, ces trous de ver artificiels permettent à des vaisseaux « simples » de tout de même se déplacer d’étoile en étoile. Un bon point, donc, pour l’auteur, qui propose ce qui est, à ma connaissance, un emploi assez inédit (même si scientifiquement assez curieux) de ce concept SF.
Activer une de ces Portes extraterrestres s’est révélé simple : il a suffi de s’approcher à quelques kilomètres, d’envoyer un ping (comme dirait Tom Clancy : si vous ne l’avez jamais lu, vous avez raté votre vie) radar, et le Trou de ver s’est ouvert. « Petit » problème, par contre : malgré tous leurs efforts, les humains ne sont jamais parvenus à sélectionner une destination, alors que d’évidence, cela doit être possible. Donc en gros, quand vous franchissez une des Portes, vous ne savez pas vers quelle autre Porte vous allez être envoyé. Pire encore, si, à l’arrivée, vous ne trouvez qu’un système stellaire stérile, impropre à la colonisation, hors de question de franchir la Porte dans l’autre sens en espérant tout simplement retourner vers celle dont vous êtes parti, puisque votre nouveau point d’arrivée est tout aussi aléatoire que le premier. L’Humanité a tout essayé : moduler un signal radar ou radio de façon différente, aborder les Portes sous différents vecteurs d’approche (à la Robert J. Sawyer ou David Weber), rien n’y a fait, la destination reste aléatoire, impossible à connaître d’avance. Au passage, les bâtisseurs de Portes sont introuvables, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus.
Cela n’a pourtant pas empêché diverses nations de lancer des expéditions de colonisation, parfois avec des résultats désastreux (l’auteur décrit par exemple une mission russe qui a très mal tourné, quand une demi-douzaine de systèmes visités à la suite n’ont rien donné). La tentative la plus impressionnante ayant été lancée soixante ans plus tôt, quand un multimilliardaire a carrément fait bâtir un énorme vaisseau-astéroïde doté de sa propre biosphère artificielle et capable de transporter un demi-million de personnes, l’Anastasia (c’est d’ailleurs marrant de voir que Rich Larson a lui aussi nommé un astronef de la même façon : de la pléthore de prénoms qui existent dans le monde, il est étonnant que le même revienne en une petite décennie deux fois, et pour le même genre d’objet science-fictif). Ce dernier a eu de la chance, puisqu’il a débarqué dans le système de Tau Ceti, qui s’est avéré colonisable. Une partie de l’équipage vit toujours dans le vaisseau (qui sert pour la production agricole), une autre a bâti des stations spatiales annulaires, les Freewheels, des « Communes (avec un grand « C ») anarcho-syndicalistes », et le gros du contingent s’est établi sur Silversands, une quasi-planète-océan, qui sort à peine d’un âge glaciaire et ne possède que quelques vagues archipels habitables. Et encore, la plupart du temps, ce sont des montagnes glacées qui plongent à pic dans la mer (Vous connaissez les Lofoten ? C’est très beau, les Lofoten. J’aimerais bien aller voir là-bas si j’y suis, tiens). Du coup, le gros des installations est sous-marin.
Intermède : de la nécessité de se méfier des évidences à propos des inspirations
Nous avons tous croisé, un jour ou l’autre, une personne qui, sur un site quelconque, se fendait d’une critique du roman A, sorti l’année X, qui, selon elle, n’était qu’un ersatz du roman B, sorti, disons, en X-20. Sauf que le « critique » en question n’a pas prêté attention au fait que A est en réalité une réédition du roman C, sorti, lui, en X-60, disons, et que c’est donc B qui n’est qu’une déclinaison, en moins original / bien, de C, que notre apprenti critique, débutant, pour ne pas dire inculte, en SFFF, ne connaît pas, alors que c’est pourtant un archi-classique. Voyez certaines chroniques sur les rééditions du Sorcier de Terremer, par exemple, qualifié de vulgaire copie de… Harry Potter 😀
Pourquoi vous parler de ça ? Si on regarde isfdb, Silversands a connu quatre éditions, en 2010, 2012, 2016 et 2020. Selon celle que vous lisez, si vous ne savez pas que ce roman a éventuellement été écrit avant l’année où votre édition est parue, il serait donc tentant de comparer toute cette histoire de Portes à celles de The Expanse, par exemple. Après tout, Abaddon’s gate a été publié en 2013, donc avant les éditions de 2016 et 2020 mais après celles de 2010 et 2012. Moralité : quelqu’un qui ne se renseigne pas un minimum sur le bouquin qu’il critique (ce qui me paraît être le minimum syndical pour un blogueur, mais passons…) peut, en toute bonne foi, expliquer que selon lui, Powell s’est inspiré de James S.A. Corey, alors que ce n’est pas le cas. Quoi que le texte ait été en partie modifié lors de certaines rééditions et que des éléments mineurs puissent éventuellement avoir été ajoutés en ce sens. Mais quoi qu’il en soit, ils n’étaient pas présents dans le texte initial publié en 2010, hein ?
Sauf que… le texte publié en 2010 ne date pas lui non plus de 2010 ! En effet, on aurait pu se dire que ces Portes géantes ressemblaient furieusement à celles des deux dernières saisons de Stargate SG-1 (loués soient les Or… Apophis !), ce qui n’est pas faux. Sauf que la postface nous apprend que Powell a rédigé le premier jet au tournant du millénaire, donc bien avant les Oris. Moralité : se méfier des évidences, creuser un peu, vérifier les dates de publication, lire les postfaces et remerciements, qui sont des mines d’information décodant de façon très efficace un roman.
Non, s’il fallait trouver inspirations et ressemblances, il faudrait, à mon sens, plutôt parler de La Grande Porte de Frederik Pohl, où les humains trouvent des vaisseaux extraterrestres préprogrammés qui peuvent les conduire soit vers la mort, soit vers la fortune, un aspect aléatoire qu’on retrouve très bien ici, et très probablement de Peter Hamilton, puisque l’ambiance globale de Silversands et au moins un des personnages évoquent fortement l’œuvre de ce dernier. Signalons qu’un point précis de la fin évoque lui aussi très fortement un autre roman de Pohl, que je vais éviter de citer pour ne pas donner un GROS indice à ceux qui l’ont lu.
Base de l’intrigue et personnages *
* APB, Grant Lee Buffalo, 1998.
Le roman s’ouvre sur l’arrivée d’un vaisseau, le Pathfinder, dans le système de Tau Ceti. Cet astronef a été affrété par une sorte d’ONG de l’espace qui s’est donnée pour mission de porter assistance, si besoin, aux colonies qui ne survivent que difficilement ou aux nefs colonisatrices en perdition (un sacerdoce d’autant plus admirable qu’étant donné les particularités du réseau de Portes, l’équipage ne sait pas quand ni même si il pourra rentrer sur Terre). À son bord, l’officier de communication, Avril Bradley, jubile quand elle constate la présence de l’Anastasia en orbite autour de la seule planète habitable du système : partie il y a soixante ans de la Terre (je précise qu’entre la cryogénie et l’ingénierie génétique, on vit très longtemps dans cet univers : un des protagonistes a d’ailleurs… 238 ans !), elle cherche un de ses passagers, Cale Christie, qui serait peut-être son père (qu’elle n’a pas connu).
Problème : sitôt connecté au réseau de communication local, le Pathfinder subit une explosion qui endommage sa propulsion principale et met en danger ses passagers, des réfugiés venus de la colonie russe défaillante dont je parlais plus haut, maintenus en cryostase. Le capitaine du vaisseau (un français très nerveux) est persuadé qu’il s’agit d’une attaque informatique, et ne se dirige vers l’orbite de la planète Silversands qu’avec méfiance. Et c’est avec autant de soupçon qu’il accueille le second protagoniste, Joshua Calvert… pardon, Jason Wiltshire (c’est mon Hamiltonite chronique qui me reprend, ne faites pas attention…), capitaine criblé de dettes d’un cargo spatial, le Dragonfly, chargé par les autorités locales de porter assistance au vaisseau interstellaire arrivant (de telles arrivées étant rares et célébrées : c’est la promesse d’avoir de nouvelles informations sur le réseau de Trous de ver, de nouvelles technologies -essentiellement de nouveaux schémas de synthèse par nanotechnologie-, de nouvelles têtes à qui parler, etc). Un contrat qui tombe à pic, puisque les débuts des travaux sur le futur ascenseur spatial de la colonie vont bientôt mettre au chômage ou quasiment les transporteurs de fret et de passagers comme Jason.
Cale, lui, rentre à Providence, la capitale planétaire, après un long voyage en bateau. Alors que le Pathfinder franchit la Porte de Tau Ceti, il reçoit un message lui demandant « d’apporter la clé » (la clé de quoi ?), signé par une certaine Madelyn. Problème : Madelyn était son ancienne maîtresse, morte depuis des décennies ! Plus troublant encore, lorsque Avril débarque sur Silversands en tant qu’une des représentantes du Pathfinder, les images de la télévision locale perturbent Cale, un ancien policier (les Guardians -Gardiens-) : c’est en effet le portrait craché, en plus jeune, de… Madelyn ! Lorsqu’il s’arrange pour la rencontrer dans un coin discret (ce qui la ravit puisqu’elle le recherchait, justement), ils sont attaqués sans sommations par… deux Gardiens et une femme. Ils s’en sortent, mais d’une part, Cale est empoisonné et n’a plus que quelques jours à vivre, et d’autre part, ils sont obligés de se planquer (ils ont tué ou blessé deux représentants des forces de l’ordre, après tout), et la disparition mystérieuse d’Avril rend son capitaine (le français très tendu du string -mais vous suivez ou quoi ?) très nerveux. Du genre nerveux ET avec des armes nucléaires ! En tentant de démêler tout ça, Cale et Avril vont mettre à jour d’énormes secrets, aussi bien à l’échelle de cet univers que de leur histoire personnelle (et comme nous allons le voir, l’entrelacement des deux est très intéressant !).
Avis et ressenti
Premier point, et à mon sens le plus remarquable : les éléments concernant l’intrigue, le character-building, l’histoire personnelle ou familiale des protagonistes et le worldbuilding sont entrelacés d’une façon assez remarquable, surtout pour un premier roman. Chacun de ces aspects se nourrit des autres (et inversement), ce qui a aussi le gros avantage de permettre un développement des protagonistes et de certains personnages secondaires assez inhabituel dans une (certes plutôt conséquente -150 pages) novella. D’accord, certaines révélations sont téléphonées (dont le « grand secret »), mais d’autres absolument pas. J’ai lu que l’auteur Eric Brown avait trouvé le texte bon mais la fin précipitée et mélodramatique, deux points avec lesquels je suis en désaccord. La fin ne m’a pas parue abrupte et si, oui, elle a un impact dramatique incontestable, elle n’en est pas emphatique dans l’expression desdits sentiments. Sans compter que nom de moi-même, il y en a (pas forcément Brown) que la guimauve Hopepunk ne gène pas, donc merci de nous laisser, à l’inverse, une fin où les protagonistes ne s’en sortent pas forcément sans casse, ça fait du « bien » de temps en temps, hein. D’ailleurs, les relations des personnages entre eux, leur dynamique, construction et destruction, sont un des gros points forts de Silversands, peut-être même plus que le monde, l’intrigue, l’aspect Hamiltonien ou la qualité globale.
L’atmosphère et le worldbuilding sont très agréables, on sent une influence ou au minimum une convergence avec Peter Hamilton, ce qui serait d’autant moins étonnant que ces deux-là viennent tout juste de publier un livre ensemble. La façon dont le système est colonisé, dont la technologie est abordée (avec une certaine emphase sur la nanotech), certains personnages (Jason, surtout) sonnent très « Hamiltoniens », ce qui ne sera pas pour déplaire aux nombreux fans (dont votre serviteur) de l’auteur.
Comme je le disais, rien, ni dans le worldbuilding (à part cette subtilité pour les Trous de ver dont je parlais en début de critique, à la rigueur), ni dans l’intrigue, n’est révolutionnaire, et tout sonne plus comme un ouvrage qui se place dans la continuité tranquille, sinon dans l’hommage discret, au NSO classique que dans une œuvre qui a l’intention de se démarquer des codes, voire de les casser ou de les réécrire. Une approche qui pourra parfaitement convenir à certains mais pas forcément à d’autres, bien que même moi, qui suis lassé, d’habitude, par les Space Opera ne se démarquant pas assez de 1179 autres, ait vraiment été charmé par celui-ci. Qui me conforte dans l’idée que si Powell s’inspire souvent de ses aînés, Banks ou Hamilton, il n’en propose pas pour autant des romans sans intérêt. Surtout que pour une première œuvre, il s’agit d’un roman où l’auteur fait déjà preuve d’une maturité assez admirable dans l’exercice de son art ! Signalons, d’ailleurs, pour conclure, que les thèmes abordés sont typiques du reste de sa bibliographie, comme il l’indique lui-même dans la postface : amour, perte, identité, famille, mémoire, et un autre que je vais taire pour ne pas donner d’indice sur un des cœurs de l’intrigue.
Niveau d’anglais : aucune difficulté.
Probabilité de traduction : je ne pense pas ; c’est un bon texte, mais il ne se démarque probablement pas assez de la moyenne en terme de qualité pour qu’un éditeur prenne, à mon avis, le risque de le traduire. Bien qu’un éditeur en recherche d’une SF Hamiltonienne-mais-qui-ne-soit-pas-signée-Hamilton ne perde pas son temps en le lisant…
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Probabilité de traduction…
Qui sait, Bragelonne, L’atalante, AMI se sont mis a publier des novellas, peut être suite au succès d’UHL…alors pourquoi pas Denoël, qui nous a fait découvrir en france cet auteur …
En tout cas je garde espoir, ce que j’ai lu de lui ne m’a pas déplu, loin de la…
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Oui, c’est possible. Je trouve ça très positif, pour ma part, que nombre de maisons d’édition aient emboité le pas du Bélial’, en tout cas.
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