Tell me who’s that writin’ ? Alastair the revelator !
Boum badaboum, en cette fin d’été et ce début d’automne 2021, les auteurs de la vieille garde font un retour tonitruant sur le devant de la scène, un come-back qui claque autant qu’une mandale assénée par Belmondo : alors qu’on attend très prochainement (en VO) de nouveaux Benford et Baxter, c’est Alastair Reynolds qui sort, sous vos yeux ébahis, un roman inédit de son fameux cycle des Inhibiteurs. Si, si. Fini le Solarpunk de la trilogie Les enfants de Poséidon, fini le quasi-Young Adult de Vengeresse, le gallois en revient (enfin !) à son univers le plus connu, celui qui a fait sa gloire et lui a permis de signer son fabuleux contrat « 10 ans, 10 romans, 1 million de livres sterling » avec Gollancz. Pour autant, il n’en oublie pas celles et ceux d’entre vous qui débutent en SF et ne connaissent ni L’espace de la révélation, La cité du gouffre, L’arche de la rédemption ou Le gouffre de l’absolution : ce nouveau roman, Inhibitor Phase, a été spécifiquement conçu pour être aussi lisible de façon isolée par quelqu’un qui n’aurait aucune connaissance de cette saga et de cet univers. Bien sûr, les vieux de la vieille décoderont les allusions et comprendront quel est le vrai nom du Gobe-Lumen John the revelator ou du Porcko Pinky, saisiront l’importance de la référence à telle planète, faction, événement ou personnage. Mais, pour n’avoir rien lu dans le cycle depuis… longtemps, je peux attester qu’on peut aborder ce nouveau tome sans aucun problème même en ne connaissant pas cet univers ou en ayant des souvenirs flous et lointains des tomes précédents. D’ailleurs, l’auteur en personne fournit, à l’usage des néophytes, un résumé des fondamentaux de ce contexte et surtout de sa chronologie (quasiment au bout de laquelle se place ce nouveau roman, à l’exception de quelques aperçus d’un futur encore un peu plus lointain donnés dans Le gouffre de l’absolution). Signalons qu’il explique également que les événements de ce tome peuvent sembler contredire, justement, la chronologie de ce dernier roman ainsi que celle de Galactic North, mais que ce n’est pas grave, parce qu’on peut expliquer la chose de telle ou telle façon (très… non-euclidienne), donc ça va. Mouais… Précisons, enfin, que Reynolds explique que si ce tome partage certains éléments avec les autres, il ne les divulgâche pas (donc : vous pouvez lire celui-là d’abord, et les autres ensuite sans problème, même si personnellement, je ne crois pas que ce soit très pertinent).
Les fans du cycle des Inhibiteurs tout comme les néophytes ne le connaissant pas mais appréciant d’autres pans de l’œuvre de Reynolds, ou bien les lectrices et lecteurs toujours à la recherche d’un bon roman de SF, doivent se demander ce que vaut Inhibitor Phase. La réponse est complexe : c’est un bon livre de science-fiction, un Alastair Reynolds bien plus enthousiasmant que nombre des bouquins sortis dans le cadre de son contrat « 10 ans, 10 romans, 1 million de livres sterling » avec Gollancz, mais de mon point de vue, on reste relativement loin des meilleurs moments du cycle. Sans compter que le livre est très inégal, le début et la fin étant très bons, tandis que les parties sur Yellowstone et pire encore, Ararat, présentent (de mon point de vue) longueurs et / ou faiblesses. Bref, un bilan, pour ma part, en demi-teinte. On est loin des claques qu’ont été L’arche de la rédemption ou, dans d’autres pans de la bibliographie du gallois, House of suns, mais on est aussi au moins un bon cran au-dessus de la plupart de sa production récente.
Boom fire fire, everybody dance dies
C’est donc l’auteur lui-même qui résume les fondamentaux de son univers et des événements les plus critiques des autres tomes, afin que le néophyte puisse aborder sans problème ce nouveau roman comme un standalone : 500 ans dans le futur, les humains ont colonisé plusieurs systèmes stellaires proches à l’aide de vaisseaux infraluminiques (bien que notre espèce ait été capable de développer des technologies avancées, comme la nanotech, par exemple, la vitesse de la lumière reste indépassable ; bien qu’Alastair Reynolds confesse avoir du mal avec ce qui se fait par ailleurs en Hard SF, il est pourtant un des puristes du genre par son refus de céder à cette facilité dans le worldbuilding que constituent l’hyperpropulsion ou les trous de ver permettant de franchir des siècles-lumière en un instant). En explorant des ruines extraterrestres, ils réactivent ce que l’on appelle les Inhibiteurs (ou Loups), de très, très anciennes machines vouées à la destruction de toute vie intelligente maîtrisant la technologie. Lors des deux siècles suivants, ils se répandent dans l’espace contrôlé par les humains et leurs alliés, exterminant la très vaste majorité de notre espèce et faisant s’effondrer ses infrastructures. L’Humanité cherche désespérément une arme capable de stopper ces très Saberhageniennes (si on me permet ce néologisme barbare) machines de mort, sans succès. À la fin du XXVIIIe siècle, notre civilisation est réduite à quelques poches de survivants aux ressources limitées et sans solution face aux Inhibiteurs. Jusqu’à ce que…
You know God walked down in the cool of the day, called Adam by his name *
* John the revelator, vieux standard de gospel / blues, ici interprété par Curtis Stigers & The forest rangers (2008).
L’une de ces poches de survivants est Sun Hollow, une base cachée dans le sous-sol d’un monde isolé et mort, Michaelmas, orbitant autour d’une étoile turbulente dont les éruptions servent à cacher les transmissions ou sorties occasionnelles de navettes. La vie y est spartiate, la discipline draconienne (nul ne peut quitter le système), les mesures pouvant être prises sans pitié (un politicien ayant déclenché une rébellion a été exécuté) car vu l’effondrement des communications et des voyages interstellaires, l’omniprésence et surtout la toute-puissance des Inhibiteurs, pour autant que Sun Hollow le sache, elle est peut-être tout ce qui subsiste de la race humaine. Aussi, quand un énorme vaisseau pénètre dans le système, menaçant d’attirer l’attention des Loups (les Inhibiteurs) après trente ans de répit, la décision est prise de le détruire (en simulant un accident), malgré la présence de milliers de colons en sommeil cryogénique à bord (j’ai d’ailleurs trouvé bizarre que pour sauver 5000 humains, on en zigouille 50 000, mais passons…).
Trainant une culpabilité qu’il est, pourtant, le seul ou presque à s’infliger, un des dirigeants de Sun Hollow, Miguel de Ruyter, se porte volontaire pour piloter, seul, la navette qui va tirer le missile à antimatière devant faire exploser l’arche cryogénique. Quand la procédure échoue, il décide de se sacrifier en menant une opération kamikaze, mais l’astronef explose de façon mystérieuse avant l’impact de la navette de Miguel. Il découvre que la capsule cryogénique d’une femme, Glass, a été éjectée avant la destruction, la récupère, la ramène à Sun Hollow et la réveille de son sommeil. Sauf que tout n’est pas ce qu’il semble être de prime abord. L’accident n’en est pas un, Glass n’est pas une banale passagère, et elle n’est certainement pas là par hasard. Elle dit à Miguel qu’elle le cherchait, lui, spécifiquement, car selon elle, il détiendrait la clé d’une arme capable de contrer, enfin, les Loups. Lui ne comprend pas comment c’est possible, et ne veut pas quitter sa femme et sa fille. Elle va l’en, hum, « persuader », mais les deux nouveaux compagnons de voyage vont avoir une relation quelque peu… tumultueuse. Et le lecteur va découvrir que Miguel n’est pas Miguel. Non pas qu’il cache sa réelle identité : il ne la connaît pas lui-même !
Le premier quart du roman se déroule donc aux alentours de Sun Hollow, puis dans l’espace interstellaire lorsque le vaisseau de Glass fait une halte sur un Gobe-Lumen (un vaisseau interstellaire gigantesque capable de frôler la vitesse de la lumière) dont l’étrange capitaine, John B… euh John the revelator (comme dans la chanson) semble avoir fusionné avec son vaisseau, qui du coup s’appelle comme lui (les vétérans du cycle savent bien sûr que sa désignation réelle est tout autre !). Dans le même temps, Glass tente, par nanotechnologie, de modifier le corps et l’esprit de Miguel, qui commence à avoir des flashbacks d’une guerre sur Mars entre différentes factions humaines et transhumaines, un conflit qui s’est déroulé des siècles auparavant, quand Miguel portait un autre nom (et non, ce n’est pas tout à fait celui auquel vous pensez).
Cette phase de l’intrigue, narrée, comme les autres, à la première personne du singulier, s’étend sur le premier quart du roman et les deux premières des différentes parties qui le subdivisent. Les 3 suivantes et les 40% ultérieurs se passent dans un autre système stellaire, celui, bien connu des fans de Reynolds, de Yellowstone, où le duo va récupérer quelques nouveaux alliés, comme Lady Arek ou Pinky (que, là encore, les amateurs du cycle ont appris à connaître sous un patronyme différent), l’hyperporc / Porcko (chimère génétique porc / humain). La sixième partie s’étend sur quasiment un quart supplémentaire et se déroule dans le système d’Ararat, bien connu là aussi des amateurs des Inhibiteurs. Enfin, la septième et dernière partie (de 87% à la fin) a lieu dans le mystérieux système de Charybdis, dont la localisation était un des objets essentiels de la quête des protagonistes dans le reste du bouquin.
Analyse, avis et ressenti
Première constatation, très importante : le contrat me paraît rempli, et à mon sens, Inhibitor Phase peut effectivement se lire sans rien connaître, par ailleurs, du cycle dans lequel il s’inscrit. En espérant qu’il donne envie à ce profil de lecteur de lire les autres tomes, qui, de mon point de vue, sont dans le haut du panier du New Space Opera à tendance Hard SF du dernier quart de siècle (avec une préférence personnelle pour L’espace de la révélation et surtout pour L’arche de la rédemption, que je n’ai littéralement pas pu lâcher).
Deuxième constat, si le début (Michaelmas) et la fin (Charybdis) sont très bons (particulièrement l’ultime partie), je serais plus réservé sur la partie se déroulant sur Yellowstone (qui combine une ambiance assez baroque liée aux Porckos et à la foldingue qui veut les manger ainsi que des longueurs en ce qui concerne la fuite du système, qui s’étend à n’en plus finir sur près de 16% du livre ; on notera malgré tout les passages totalement captivants consacrés à l’Haemoclast) et sur celle se passant sur Ararat, elle aussi bien longue et parfois assez étrange (même si l’espèce extraterrestre appelée Pattern Jugglers est fascinante, surtout pour celui qui n’a rien lu de Reynolds). On signalera en outre que les flashbacks sur Mars sont eux aussi bien trop développés pour le minuscule twist qu’ils apportent à l’intrigue. Pas totalement inutiles, plutôt intéressants et agréables à lire, mais tirant cependant incontestablement à la ligne. Et puis surtout, si vous connaissez le cycle, les pseudonymes sous lesquels Reynolds cache certains personnages connus sont transparents, même s’il nous joue aussi un tour en nous incitant à penser que, peut-être, Miguel pourrait être… mais non, ce n’est pas possible… alors qu’en fait, c’est son… ah, mais j’allais trop en dire !
J’en profite d’ailleurs pour dire que tout le chemin accompli par Miguel pour retrouver son ancienne identité, son histoire, est vraiment intéressant, que sa relation très évolutive avec Glass (et plus encore, celle avec Pinky -dont l’humour est une respiration bienvenue dans un contexte post-apocalyptique parfois très noir) propose des dynamiques elles aussi assez fascinantes, tout comme le fait qu’à deux reprises, Reynolds va opérer un changement à propos du narrateur, qui reste le même tout en changeant de façon radicale. Je ne peux en dire plus, mais cela n’est pas tout à fait sans rapport, dans l’idée plus que dans le processus, avec ce qu’avait fait Egan dans Isolation : comme le disait jadis une de mes philosophes préférées, Carla, « ça fait bim bam boum, dans ma tête y’a tout qui tourne ».
Si, globalement, sans être mauvais, Inhibitor Phase n’est pas, pour moi, tout à fait à la hauteur des meilleurs moments du cycle, il n’en reste pas moins que Reynolds est encore capable (malgré ses errances Solarpunk et surtout YA récentes) de délivrer une quantité énorme de sense of wonder quand il le veut : entre les espèces post-sentientes, les Nestbuilders, la décélération dans la photosphère d’une étoile et le vaisseau extraterrestre caché à des profondeurs (et donc des pressions, des températures) colossales sous la surface d’une Géante de glace, il est capable de nous impressionner, de nous terrifier et nous émerveiller d’une splendide façon quand l’envie lui en prend (même si la langue de serpent que je suis trouve que, quand-même, certaines fois, ça sent un peu le réchauffé, notamment des Chroniques de Méduse). C’est simple, moi quand on me dit qu’un engin est weakly acausal, je suis conquis !
En guise de conclusion lapidaire, je dirais qu’en tant que standalone destiné à un néophyte, Inhibitor Phase est un New Space Opera largement au-dessus de la moyenne, et que c’est un honnête tome du cycle des Inhibiteurs (qu’on est content de voir avancer, en plus), sans pour autant être parfait ou se placer sur le podium de la saga.
Niveau d’anglais : aucune difficulté.
Probabilité de traduction : très importante (pour ne pas dire certaine), Bragelonne, voire Bélial’, à mon avis. Et ce d’autant plus volontiers que c’est lisible de façon isolée sans rien connaître au reste du cycle. Je signale, au passage, que dans un livre de Hard SF écrit par un astrophysicien, une erreur comme 20 UA = 400 minutes-lumière (au lieu de 166…) fait vraiment désordre. Si traduction il doit y avoir, on ose espérer qu’elle sera corrigée !
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Hello
merci pour cette info 🙂
hâte de le lire !
par contre, ca fait très longtemps que j’ai lu ce cycle, du coup, les références ne me parlent pas : tu connais un blog ou un wiki qui ferait un résumé assez détaillé du cycle des Inhibiteurs ?
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Il y a celui-là :
https://revelationspace.fandom.com/wiki/Revelation_Space_Wiki
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Merci !! 🙂
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Merci pour l’information. Je place très haut ce cycle, mais j’ai été hélas déçu par toutes ses autres productions traduites en Français. hélas, ne lisant pas l’anglais, je m’interroge : que valent The Prefect et Elysium Fire, et donc la série House of suns ?
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The prefect et Elysium fire forment un cycle indépendant des Inhibiteurs mais se déroulant dans le même univers et bien avant dans sa chronologie interne. De plus, Elysium fire peut se lire soit comme une suite de The prefect, soit de façon isolée. Ce sont de bons romans.
Le roman House of suns est ce que j’ai lu de meilleur chez Alastair Reynolds, tout simplement. Le Bélial’ va sortir, dans la collection Une heure-lumière, la traduction d’une novella, Thousandth night, qui s’inscrit dans cet univers. Vous allez donc pouvoir vous faire votre propre idée. J’ai aussi rédigé une (longue) critique de House of suns :
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Merci ! Je vais regarder cela.
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1 UA ~ 150 million de km soit 1 AL (vitesse_lumière*365jours*24h*3600s) = 63 241 UA.
Donc 20 UA ~ 3.10^-4 AL (=20/63241) et comme il y a 60*24*365 min dans une année, 20 UA ~ 166 AL ! … mais je peux me tromper.
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… donc bien évidemment je suis d’accord avec Maître Apophis 🙂
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Il faut juste remplacer A.L par minutes dans ton calcul final mais sinon oui, nous sommes d’accord 😉
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Salut Apo, petite question un peu HS : je viens de voir que Mémoire de métal est sorti hier chez Bragelonne. Est-ce que tu conseillerais cette novella ?
Merci encore pour tes derniers articles, excellents comme toujours !
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Salut Philippe et merci ! Je ne l’ai pas lue, mais Feyd l’a fait et il la conseille (il dit qu’il en garde un meilleur souvenir que ce que la critique sur son blog indique). Et vu que lui et moi sommes souvent sur la même longueur d’onde, je pense que tu peux y aller sans crainte.
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Enfin ! je suis ce blog depuis pas mal de temps et je suis ravi de voir qu’ enfin (!) un livre de ce grand cycle des inhibiteurs a de fortes chances d’être édité en Français (je croise vraiment les doigts à m’en faire péter les phalanges). Tellement frustré de passer depuis des années à côté des livres de cet auteur sur « Son Grand Oeuvre ». Quel gâchis …
La seule chronique de toi que je ne lirais donc pas avant d’avoir lu le livre .
Merci beaucoup à toi pour toutes tes chroniques !
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Avec plaisir !
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J’ai trouvé pas mal de longueurs dans le bouquin qui est finalement pas si bien ficelé, surtout avec l’ajout à la fin de ce que Glass cachait depuis le début et qui n’apporte pas grand-chose au récit si ce n’est une facilité de comment elle a fait pour tout savoir (j’essaie de ne pas spoiler…). Je vais peut-être me refaire le reste du cycle, que je n’ai pas ouvert depuis une dizaine d’années et qui dans mon souvenir était de meilleure qualité.
Le lecteur de ce commentaire modèrera ma déception : j’ai lu trois récits de Greg Egan juste avant, ce n’est donc pas le même ordre de grandeur du point de vue du sense of wonder et des ressources cognitives exigées !
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Nous sommes d’accord, il y a des longueurs et ce n’est pas le meilleur roman du cycle (qui est, pour moi, L’arche de la rédemption).
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