Connexions – Michael F. Flynn

Guide des tropes et thématiques de la SF !

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier et Erwann !

Le 16 mars 2023, paraîtra dans la prestigieuse collection Une Heure-lumière du Bélial’ un court roman de Michael F. Flynn appelé Connexions. L’auteur n’avait été jusque là que très peu traduit en France (également par l’excellent Jean-Daniel Brèque, d’ailleurs), puisque à l’exception du prodigieux-mais-pas-destiné-à-tous-les-profils Eifelheim, tout le reste de son œuvre n’a jamais franchi la barrière de la langue. Vu que, pour ma part, les deux ont été, dans des styles ou pour des raisons différentes, deux lectures de très grande qualité, j’espère que la tendance va s’inverser et qu’il ne faudra pas attendre autant de temps pour relire l’auteur !

Vous le savez sans doute, je suis l’auteur du Guide des genres et des sous-genres de l’imaginaire paru chez AMI ; entre autres aspects ou intérêts, on pourrait très bien présenter Connexions, outre comme un hommage aux tropes principaux  / thématiques majeures de la SF, comme un formidable outil pour initier un novice, voire un récalcitrant, à ces derniers. La plate-forme est idéale pour cela : courte et fluide à lire, extrêmement bien construite, écrite et traduite, avec une histoire à la fois astucieuse et savoureuse. Je pense d’ailleurs moi-même recommander, désormais, l’ouvrage en tant que premier contact avec le genre.

Avant-propos

La novella s’ouvre et se ferme à la fois (outre une postface du traducteur) sur une réflexion de l’auteur sur le fait que certaines fois, l’univers semble conspirer pour que différents éléments non liés entre eux se produisent au même endroit, au même moment, alors que la chose est plus ou moins (voire : carrément) improbable. C’est le cœur de l’excellente intrigue et scène finale de Connexions : un enchainement de hasards ou de chaines causales en apparence déconnectées entre elles fait que les protagonistes et antagonistes se retrouvent au même lieu, au même instant, permettant la résolution de non pas une, mais deux menaces mortelles pesant sur la planète Terre !

Base de l’intrigue et personnages

Je vais essayer de ne pas en dire trop, même si cela ne va pas être facile à mesurer : tout commence avec un chinois qui est en fait un policier du temps venu du futur (hommage tout à fait évident au cycle de référence de ce trope, à savoir La Patrouille du Temps de Poul Anderson, saga et auteur également publiés par le Bélial’, ce qui explique sans doute, avec la, hum, connexion -ah, ah !- entre Flynn et Brèque, puisque ce dernier a déjà été le traducteur du premier, l’intérêt de l’éditeur pour ce texte), qui vient de vivre la pire expérience possible dans son métier : au retour d’une mission, il a constaté avec effroi que la ligne temporelle dont il venait n’existait plus puisque s’est écrite par-dessus, en un palimpseste (coucou Charles Stross…), une autre, où ce n’est pas l’Empire du Milieu mais un Occident jamais tombé sous les coups des invasions barbares et des conquérants musulmans qui domine le monde. Dans un premier temps effaré et désorienté (ce qui rappelle, dans un genre connexe -ah, ah !- mais légèrement différent la nouvelle Le Traité de Düsseldorf  de Robert Silverberg), il se reprend vite et fait preuve d’une détermination absolue à remettre les choses en ordre. Ce qui signifie qu’il ne considère les habitants de l’Amérique où il a émergé que comme des « fantômes », des gens qui n’auraient pas dû vivre et qui disparaîtront sans laisser de traces quand il aura effacé ce qui est pour lui une uchronie et remis le monde « réel » en place. Mais pour cela, encore faut-il comprendre quand, où et surtout pourquoi l’Histoire a déraillé.

Alors qu’il noie son mal-être dans un bar (comme le fait remarquer l’auteur à un autre point du livre, c’est le plus gros syndrome de culpabilité du survivant imaginable), un reportage apparemment anodin, sur une femme qui a sauvé un bébé des flammes, passe à la télévision : or, notre Timecop (hommage à JCVD ^^) a déjà vu cette femme, des siècles auparavant, à Byzance. Dans son esprit, il ne peut donc s’agir que d’un autre chrononaute, et donc, c’est forcément elle qui a fait dérailler la ligne temporelle. Il voyage donc quelques heures en arrière pour lui mettre la main dessus à la sortie de l’incendie, mais ce faisant, il déclenche l’apparition d’une créature indicible. La femme en question ne se révèlera pas du tout être ce qu’il croit, et relever, là aussi, d’un hommage à un autre trope de la SF (et, vu certains concepts assez ressemblants, probablement à un célèbre film américain mettant en vedette un, hum, « acteur » français).

Il se trouve que ladite bestiole est un éclaireur d’une race alien abominable qui a trouvé en notre planète un pays de cocagne, qui, moyennant quelques ajustements « mineurs » (comme par exemple augmenter la teneur en chlore de l’atmosphère, ce qui aura l’heureux effet connexe -ah !- de débarrasser ce monde des parasites appelés humains qui l’occupent), fera une parfaite colonie pour son peuple. Seul souci : sa navette est endommagée, et il ne peut aller prévenir les siens sans pièces de rechange. C’est alors qu’il détecte le champ temporel de notre ami chinois, et ce faisant, se dévoile, son image étant captée par diverses caméras de sécurité…

… Ce qui n’échappe pas à ce qui paraît être un club privé amérindien, mais est en fait tout autre chose. Qui va envoyer un de ses membres, qui, ça tombe bien, bosse pour l’armée américaine, enquêter, cachant l’indicible vérité (qu’il connaît) sous des couches de mensonges plus ou moins plausibles (les classiques « ballon-sonde », « drone expérimental », etc.). Ou une sorte de X-Files mâtiné de Disparition (le personnage d’Owen Crawford), mais avec un gros twist, avec Erich von Däniken et Giorgio Tsoukalos comme showrunners (si, si). Notre officier va demander l’aide d’une collègue, qui elle aussi, à un secret à cacher et guère d’empathie pour la race humaine (comme tous les autres personnages, d’ailleurs), et qui, à son tour, va repérer le chinois et la sauveteuse de bébé, et se demander si cette dernière n’est pas de la même nature qu’elle (elle aussi se trompe !).

Dernière actrice de ce « drame » (où, il faut le noter, l’humour est bien présent), une détective privée, amenée à s’intéresser d’abord à l’incendie, puis à tout ce petit monde, et qui en découvre très vite BEAUCOUP parce que bien qu’humaine, elle est dotée d’un don très singulier (un classique de la SF pré-années 80-90, dirons-nous, à la louche, désormais un peu tombé en désuétude, à part dans les comics).

Et, comme dans les exemples de coïncidences complètement improbables donnés par l’auteur, ces gens, qui cachent leur nature ou leur existence, qui n’auraient jamais dû se rencontrer, le font pourtant, mettant en place les pièces d’un génial puzzle narratif et cosmique qui laisse le lecteur pantois d’admiration devant tant d’intelligence dans la construction du récit et la mise au point de l’intrigue !

Analyse et ressenti

Premier point, j’ai lu cette novella à une vitesse démentielle, puisque reçue en milieu de matinée, je l’avais achevée avant le journal de 13 heures. C’est, chez moi, le signe indéniable de la qualité d’une lecture, de la fluidité du style de l’auteur et de celle de la traduction. J’en profite d’ailleurs pour dire que si la qualité globale du texte ou de la traduction sont les mêmes, ce court roman est profondément différent d’Eifelheim, même s’il y a quelques points communs (l’alien naufragé, par exemple). Ne pas avoir aimé ce dernier livre (je trouve personnellement qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, mais il est si particulier qu’il ne peut clairement pas plaire à tout le monde) n’est donc absolument pas l’assurance de ne pas apprécier Connexions (Alors que le roman était un édifice monumental, on a ici plus l’impression d’un texte écrit pour se faire plaisir, se détendre, ce qui n’enlève pourtant strictement rien à sa qualité ou à la méticulosité de sa construction narrative). Et d’ailleurs outre Flynn, de Brèque à Girard et Perchoc, on sent que tous les forgerons ayant façonné l’objet ont pris un énorme plaisir à le faire.

À qui s’adresse cet UHL ? Je dirais à toutes et à tous, mais plus particulièrement à deux catégories : les vieux de la vieille, qui prendront plaisir à voir ce vibrant hommage aux tropes de la SF « à l’ancienne », celle de Poul Anderson en premier lieu (surtout à une époque où certaines personnes vous expliquent que lire les « classiques » et ladite SF à l’ancienne en général ne « sert à rien » : quand on voit la « qualité » de leur propre production, on peut avoir des doutes ! Comme le disait Dan Simmons, pour écrire le meilleur roman possible dans un genre, il faut avoir lu précisément les titres de référence, soit pour tendre vers ce niveau d’excellence, soit pour éviter les redites), et bien entendu les débutants : j’y vois un excellent outil d’initiation en douceur pour un(e) néophyte ou mieux encore, pour quelqu’un se disant réfractaire au genre. De la fluidité du texte à sa brièveté, de l’astuce de sa facture au côté fluide et agréable de sa prose, en passant par des personnages tout à fait fascinants, autant que l’immersion offerte dans des psychologies pour le moins hors-normes, Connexions réunit absolument tout ce qui est nécessaire pour être une, voire même LA porte d’entrée idéale en SF, ou du moins dans un certain spectre de thématiques ou un type donné de SF (remarquons, au passage, qu’avoir réussi à caser autant de ces thématiques science-fictives dans un texte aussi court et sans donner une impression de saturation tient presque du tour de force). Car n’oublions pas non plus que contrairement à ce que prétendent à longueur de journée certains incul… certaines personnes, en général les mêmes qui tapent sur la SF classique, le genre ne se réduit pas à une déclinaison (en général BIEN politisée) mais a été traversé, au cours de sa longue histoire, par une multitude de courants et autres sous-genres.

Même à ceux qui ne sont intéressés ni par l’aspect « hommage » / « catalogue », ni par celui « initiation », je conseille fortement ce nouvel opus de la collection Une Heure-lumière, pour la qualité de son intrigue avant tout, tout à fait savoureuse. Histoire de donner un (relatif) point de comparaison, on le rapprochera UN PEU de Sur la route d’Aldébaran, sur l’aspect catalogue / hommage ainsi que sur celui de l’humour, même s’il est ici moins noir, plus sous-jacent et que l’aspect horrifique est bien plus réduit (mais pas totalement absent).

Excellent outil d’initiation (ainsi qu’hommage assumé) aux tropes et thématiques classiques de la SF, court roman de double invasion / apocalypse spatiale ET temporelle à l’intrigue passionnante et à l’emboitement final des pièces tout à fait extraordinaire, Connexions est une addition majeure à une collection Une Heure-lumière où, pourtant, les textes de tout premier plan ne manquent pas. Après un Eifelheim magistral mais pas forcément à même de séduire tous les publics, on tient là sans conteste une novella à même d’imposer en France, ENFIN, Michael Flynn comme un auteur reconnu comme majeur, comme cela aurait dû être le cas depuis toujours.

Pour aller plus loin

Si vous désirez avoir un deuxième avis sur ce court roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Feydrautha (encore synchrones, c’est dingue  😉 ), celle de Gromovar, de Yogo le Maki, de Célinedanaë, de Yuyine,

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21 réflexions sur “Connexions – Michael F. Flynn

  1. Ping : Connexions – Michael F. Flynn – L'épaule d'Orion

      • De toute façon par principe je lis tous les UHL, parfois j’ai de bonnes surprises, parfois non, donc j’allais le lire mais là je suis d’autant plus motivée grâce à ta chronique et celle d’Orion (qui se suivaient dans mon appli WP…)

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        • A une époque, nous avions une sorte de concours informel sur qui lirait et sortirait sa critique le premier sur les novella, parfois les romans pleine taille. C’est souvent Feyd qui gagnait, particulièrement sur la VO, puisque ayant vécu aux USA, il lit plus vite l’anglais que moi. Comme, pour des raisons diverses (dont financières), je ne lis plus de nouveautés (pour le blog, pour Bifrost c’est différent) que très occasionnellement, notre « concours » est un peu mort, mais parfois, il refait surface 😀

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  2. Eh bien quel accueil pour ce nouvel opus de la collection UHL que j’apprécie beaucoup (j’ai beaucoup de titres à découvrir encore). Je t’avoue j’ai pas lu la partie qui analyse le récit car je veux rien savoir du contenu. Rien qu’à voir ton engouement et celui lu il y a quelques minutes sur le blog l’Epaule d’Orion je suis certaine que ça va me plaire. Je reviendrai lire ton analyse détaillée après la lecture de Connexions (plus que trois jours à attendre). 😀

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    • Salut Pierre, si la question est « Je ne possède aucun UHL, et si je ne dois en acheter que deux, quels sont ceux à choisir en priorité ? », ma réponse serait « L’Homme qui mit fin à l’Histoire » de Ken Liu pour n’importe quel profil de lecteur, tandis que pour le second, tout dépendrait des affinités avec tel ou tel genre ou aspect de la SFFF : « La Millième Nuit » pour le sense of wonder, « Le Serpent » pour le style et le concept central fascinants, « A dos de crocodile » pour l’univers et le côté Hard SF, « Les Agents de Dreamland » pour une Lovecrafterie modernisée de tout premier plan, « Retour sur Titan » pour voyager le plus loin possible de notre banale Terre, « Connexions » ou « Sur la route d’Aldébaran » pour le mélange hommage à la SF classique / humour (noir pour le second, moins pour le premier). Et puis bien entendu Rossignol, parce que Audrey Pleynet est pour moi un des deux prodiges récents de la SF française (l’autre étant Romain Lucazeau).

      J’espère que cela répond à ta question. Si ce n’est pas le cas, n’hésite pas à me donner plus de précisions concernant ta demande.

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  3. Ping : Connexions – Michael Flynn – Au pays des cave trolls

  4. Ping : Apophis Box – Avril 2023 | Le culte d'Apophis

  5. J’ai aussi lu cette novella d’une traite, un vrai bonbon acidulé. J’ai eu le sourire aux lèvres tout au long de ses pages en voyant les pièces se mettre en place petit à petit, pour finir par hurler de rire lors du dénouement final. Quelle habileté dans la construction de l’intrigue et la présentation des personnages. Les principaux tropes de la SF sont évoqués sans jamais tomber dans la caricature, ni dans l’hommage obséquieux.
    Du grand art !

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