The rush’s edge – Ginger Smith

The Expanse 2063 : Dark Angel the Blade Runner, par Becky Chambers

rush_s_edgeGinger Smith est une autrice américaine, dont The rush’s edge est le premier roman (et bien que cela ne soit pas explicitement signalé, le tome inaugural d’un cycle). Comme je le disais récemment, une tendance naturelle chez les nouveaux écrivains est de rendre hommage aux univers de SFFF qui les ont influencés, ce qui fait que très souvent, leur œuvre inaugurale peut être décrite comme un mélange plus ou moins réussi du bouquin X, de la série Y ou du film Z. Eh bien ici, on est en plein dedans : nous suivons l’équipage d’un vaisseau récupérateur (un motif particulièrement récurrent dans le New Space Opera -NSO- récent, avec celui du casse à la Ocean’s Eleven) qui ressemble de façon suspecte à celui du Rossinante dans The Expanse, équipage qui comprend notamment un ex-soldat génétiquement modifié (comme dans Dark Angel), incubé in vitro (comme dans Space 2063) dont la durée de vie est sévèrement limitée (comme dans Blade Runner). Il y a d’autres éléments, bien sûr, mais absolument rien n’est original, même si cela ne signifie pas que c’est mal fait, juste extrêmement classique. Si on ajoute à cela un ton un poil trop mièvre (il y a un puissant arrière-goût de Becky Chambers) et des personnages très sympathiques mais sans être non plus très mémorables, on obtient un roman qui ne restera probablement pas dans les annales des experts en NSO, mais (et c’est là que ça devient intéressant) qui, dans la combinaison de son accessibilité, de son humanité et du nombre non négligeable de tropes qu’il brasse, peut constituer une très bonne lecture pour un débutant, voire même une manière de s’initier à la SF.

Bref, c’est un roman parfaitement recommandable, mais probablement pas à tous les profils de lectrices et de lecteurs de SF. Je dois avouer avoir lu la fin un peu en diagonale, je ne suis pas certain de lire la suite, mais cela n’a en rien été un calvaire non plus, et je suis persuadé que cela peut être une lecture fort agréable pour certains d’entre vous. Sans compter que quel que soit le profil de lectrice ou de lecteur, sur le plan des thématiques, c’est en revanche souvent très pertinent, même si un certain côté florianesque dessert un peu la chose.

Univers

La Coalition des systèmes alliés est la principale nation (humaine) du secteur de l’espace où se déroule l’action (dans un futur indéterminé -plusieurs siècles, au moins, à priori- et dans un coin de la galaxie -mais laquelle ?- tout aussi flou), même si sur la Frontière (The Edge -non, pas le « guitariste » miteux de U2), il y a encore des systèmes indépendants, dont un qui est réputé être un repaire de rebelles et de terroristes, Al-Kimia. Cette zone a été, un siècle auparavant, le théâtre d’une guerre avec une race d’intelligences artificielles, les Mudars, qu’on a fini par repousser en créant les VAT (Vanguard Assault Troops), des soldats génétiquement modifiés incubés dans des utérus artificiels, dont on s’assure de la loyauté en leur greffant un implant endoctrineur dans le cerveau dès l’âge de un an (coucou Matrix ?). Les plus astucieux d’entre vous auront bien sûr fait le lien entre l’acronyme VAT et le fait qu’en anglais, le terme signifie « cuve », donc quelqu’un qui s’est développé In Vitro. Le système nerveux et endocrinien des Vats est réglé pour les maintenir en permanence sur le qui-vive, sur le fil du rasoir (vous commencez donc à voir à quel point le titre du roman est bien choisi), ce qui fait d’eux d’excellents combattants mais a deux effets pervers : premièrement, leur service militaire est limité à sept ans, après quoi ils peuvent devenir instables et tuer leurs propres camarades vats (ou, hum, pire, leurs officiers qui sont des humains normaux) ; ensuite, rendus à une vie civile à laquelle ils n’ont jamais été préparés, ils doivent faire face à une espérance de vie limitée à environ 35 ans (plus une chandelle brûle intensément, plus elle se consume vite : l’excès d’adrénaline et le stress permanent détruit leurs organes). Autre souci : ils ont tendance à s’attirer des problèmes dans le civil, soit parce qu’ils cherchent le « rush » d’adrénaline auquel ils étaient habitués au combat (dans une perspective relativement semblable à celle du récent Stormblood, mais en moins bien fait), par exemple en déclenchant des bagarres, soit parce que, au contraire, ils tombent dans la drogue pour apaiser leur esprit qui va toujours à cent à l’heure ou leur stress post-traumatique (le PTSD est un thème récurrent dans ce livre, vu qu’un des protagonistes va jusqu’à faire des rêves lucides où il devient très dangereux).

Au combat, les Vats étaient menés par des officiers Nats (Humains naturels, non-génétiquement modifiés, s’étant développé dans un utérus maternel et non pas artificiel), à qui on apprenait qu’il fallait avoir peur de leurs soldats, capables de péter un câble et de faire un massacre, et de toute façon guère plus que des armes vivantes, donc sacrifiables, un simple équipement plus qu’une personne. Par le biais de Max, un chercheur travaillant dans un des principaux centres de production de Vats, on découvre peu à peu la façon inhumaine dont ils sont traités, conçus, dont ils grandissent, dont on leur vole à la fois leur naissance et leur mort (vous comprendrez si vous lisez ce roman). Et évidemment, même rendus à la vie civile, les Vats sont des citoyens de deuxième zone, qui ne peuvent envisager de relation, qu’elle soit amicale ou pire, amoureuse, avec des Nats, et qui ont donc tendance soit à vivre en solitaire, soit exclusivement entre eux. Sauf dans certains endroits plus ouverts, progressistes, bien entendu. Ailleurs, ils sont l’objet de discriminations, d’insultes racistes.

Certaines équipes de récupération indépendantes sont mandatées par le gouvernement pour se rendre de l’autre côté de la frontière de l’espace connu / civilisé, afin de récupérer de la tech Mudar ou le matériau ultra-résistant de la coque de leurs vaisseaux. C’est une de ces équipes, celle de l’astronef Loshad, que nous allons suivre.

Amorce de l’intrigue, personnages principaux *

* Dissolved girl, Massive Attack, 1998 (Debout Neo !).

Hal est un vat rendu à la vie civile qui a noué une relation unique avec son ancien officier Nat, Ty(ce), lorsqu’ils servaient tous les deux dans les ACAS, les forces armées de la Coalition. Contrairement à ses collègues gradés, Ty a en effet toujours traité ses soldats Vats comme des hommes et pas comme des choses ou des munitions, et est devenu une sorte de père de substitution pour Hal. Il l’a engagé dans l’équipage du Loshad avec une autre ex-militaire, une auxiliaire paramédicale appelée Beryl, qui avec sa cinquantaine bien tassée, tient un peu lieu de figure maternelle pour toute l’équipe.

Les deux hommes se détendent au bar d’une des stations spatiales principales de la Frontière quand ils sont témoins d’une étrange scène : une jolie jeune femme blonde est sur le point de se faire traîner dans un coin, hum, « tranquille », contre son gré, visiblement ivre ou droguée, par des individus aussi louches que patibulaires. Hal étant un Vat, il ne crache jamais sur une bonne bagarre, sans compter l’instinct du protecteur ancré par ingénierie génétique dans son ADN et dans ses neurones via la cybernétique. Après une bonne raclée aux affreux, la fille est conduite en sécurité à bord du Loshad. Elle s’appelle Vivi (Vivian), est technicienne, et fuit un petit ami violent (et hackeur). Je vous passe les détails, mais elle est engagée dans l’équipage (après un entretien d’embauche de trois phrases, c’est rigolo), alors que celui-ci est sur le point de se rendre sur K245j (un nom d’une puissance évocatrice colossale, convenons-en…), afin d’y récupérer de la tech Mudar.

Sur place, l’équipe trouve, tenez-vous bien, un vaisseau Mudar tout entier, alors que d’habitude, on ne trouve que des fragments de la technologie de cette race supérieure. Comme vous vous en doutez probablement, ça part vite en coui… euh, en vrille, sans compter que des troupes et des vaisseaux des ACAS tendent une embuscade (sans qu’on comprenne trop pourquoi, d’ailleurs, vu que le Loshad a un permis délivré par les autorités). Notre sympathique équipage va être sauvé par deux renforts inattendus, dont celui d’un, hum, passager clandestin. Je ne dirai rien du reste de l’intrigue, sinon qu’il introduit de nouveaux personnages et qu’il est très classique. J’ai vu sur Goodreads que certains reprochaient un manque de fil rouge (ce avec quoi je ne suis pas d’accord) ou d’enjeu cristallisant l’intrigue, ou à celle-ci d’être constituée d’assez courts épisodes très (trop ?) vite réglés. Alors chacun son avis et son analyse, mais si on est proche de Becky Chambers sur certains plans, il ne faut tout de même pas exagérer, l’intrigue de The rush’s edge est bien moins floue que celle de L’espace d’un an. Et de toute façon, c’est rater l’élément principal, qui est que le but du livre est de montrer la construction des relations (y compris amoureuses…) entre un groupe de personnages, ainsi que leur évolution (considérable pour trois d’entre eux), pas tellement de proposer un scénario de foufou.

Influences, relations entre personnages et évolution

Bon, décortiquons tout ça (c’est une des marques de fabrique du Culte, après tout). Tout ce qui tourne autour des Vats ressemble de façon assez flagrante à la méconnue série Space 2063 (en VO : Space : Above and beyond) du milieu des années 90, malheureusement arrêtée au bout d’une saison (alors que quand on voit le nombre de bouses qui durent sept, voire dix saisons de nos jours…), où leur équivalent s’appelait les In Vitro. Là aussi, ils étaient l’objet de racisme et de mépris. Le personnage de Hal ressemble un peu à l’In Vitro de l’unité militaire au centre de la série, Cooper Hawkes, mais surtout à Amos dans The Expanse (la série ou les livres), que ce soit dans sa façon d’alterner les phases gros barbare avec celles où il fait preuve d’une étonnante douceur, dans sa manière d’appeler Vivi « Veevs » comme Amos appelle Clarissa « Peaches », ou dans son étroite relation avec ladite Vivi, la technicienne du bord, tout comme Amos voue à Naomi une confiance et une affection absolues. Une Vivi qui est l’élément le plus humaniste de l’équipage, d’ailleurs, tout comme Naomi est celui du Rossinante.

L’influence de l’équipage du Rossi se conjugue à une autre (ou à une ressemblance fortuite, difficile à dire), celle de l’équipage du Voyageur de Becky Chambers, dans la dimension « ce ne sont pas juste un groupe de personnes qui travaillent ensemble, mais une famille qui se construit ». Et c’est un angle d’analyse d’autant plus pertinent que, de toute évidence, Ty est une figure paternelle et tutélaire pour Hal, et que la dimension matriarcale du médecin de bord, Beryl, que ce soit envers Hal ou, surtout, Vivi, est indéniable. Dimension paternelle ou fraternelle de substitution qui s’applique aussi au fait de recueillir Vivi, dont on ne sait rien, à la base, et de lui donner un travail, ainsi qu’à un autre personnage qui apparaît en cours de route (à 51%, pour être précis) et sur lequel je ne peux rien dire sans divulgâcher. Ces relations sont puissantes et empreintes d’humanité, assez typiques du Hopepunk, même s’il y a des points sinistres (tournant autour des Vats) dans cet univers également.

Je termine sur le chapitre des influences en parlant de celle de Blade Runner : là aussi, des humains améliorés / modifiés ont une durée de vie limitée, même si elle l’est ici moins que dans le long-métrage de Ridley Scott. Et la question de l’espérance de vie va être centrale concernant le sort d’un personnage secondaire ou celui de Hal, notamment quand une relation amoureuse va commencer à se nouer entre lui et Vivi. Cette relation, si elle est une pertinente et évidente allégorie des relations inter-ethniques et des problèmes qu’elle peuvent soulever dans certaines sociétés (bien que cet aspect soit sous-exploité par l’autrice, à mon sens), m’a toutefois posé un problème, dans le sens où elle est un peu fleur bleue. Ce n’est pas catastrophique non plus, hein, ce n’est pas du YA, mais des fois c’est un peu limite. Enfin, le peu de ce qui est décrit de l’adolescence des Vats rappelle la série Dark Angel (nom d’une Original Cindy !).

Un point assez remarquable à propos des personnages (y compris celui dont je ne peux parler) est leur évolution dans un roman de taille aussi relativement modeste. Il faut en effet savoir que trois d’entre eux subissent des changements considérables vers la fin du livre, dont au moins deux (voire les trois, en un sens) qu’on peut considérer comme un handicap. Inutile de dire qu’on ne croise pas forcément ça tous les jours en SFFF, surtout à l’échelle de plusieurs protagonistes, et que c’est loin d’être dépourvu d’intérêt.

Thématiques et intérêt pour les lecteurs débutants en SF

Ginger Smith brasse certes de nombreux tropes et influences, mais les thématiques examinées, si elles sont classiques, ont été traitées depuis longtemps et en mieux (sans faire injure à l’autrice), le sont tout de même de façon assez remarquable pour un roman qui ne fait pas 600 pages et qui est, ne le perdons pas de vue, le tout premier de son autrice. En effet, elles sont nombreuses : coexistence (et amitié / amour entre) vats / nats, racisme, esclavage, discriminations (les vats ne sont les bienvenus que sur la frontière, pas dans les systèmes intérieurs où ils sont considérés comme des citoyens de seconde classe, voire des sous-hommes), relations inter-espèces, premier contact, responsabilité éthique et morale des scientifiques, syndrome de stress post-traumatique (auquel l’autrice accorde une très large place via Hal, qui en devient alors un personnage ambivalent assez fascinant, presque un Docteur Jekyll et Mr Hyde), convalescence / rééducation / reconstruction des mutilés de guerre (l’autrice dit s’être inspirée de la Guerre du Viêt Nam, à laquelle son père a participé), (ré)adaptation de militaires à la vie civile après leur service en zone de combat, etc. Empiler tout ça aurait pu donner un résultat indigeste ou tenant plus du pamphlet militant que du roman. Pourtant, l’autrice n’oublie pas de créer des personnages fort attachants (à défaut d’être inoubliables), reste accessible à la lectrice ou au lecteur de SF débutant (que ce soit dans le vocabulaire science-fictif limité et intuitif ou dans une exploration des thématiques sociétales qui, si elle n’a pas le niveau d’un Kim Stanley Robinson, n’en a pas non plus ni l’exigence, ni l’aridité), et, si le style de son bouquin est « simple », il reste agréable et surtout très fluide (ça se lit très facilement).

Alors certes, entre ce qui est du cent fois vu, ce qui est trop visiblement inspiré par ceci ou cela, ce qui est un peu gentillet, un style sans éclat particulier, un univers qui manque un poil de tranchant, des personnages très sympathiques mais sans aura mythique, cela risque de faire très léger pour un élitiste de la SF. Néanmoins, si vous êtes un débutant / un occasionnel de la SF ou que vous cherchez un NSO sans prise de tête et sympathique, voilà une lecture pas dégueulasse du tout. Les Space Op’ sont très nombreux ces derniers temps, mais tous ne sont pas aussi à la fois accessibles et agréables, loin de là. Au passage, la présence (premier point) d’un glossaire, ni trop gros, ni trop imposant (deuxième point), aide à arrondir les angles pour ceux qui sont réfractaires au vocabulaire SF très marqué de certains livres.

Niveau d’anglais : vraiment aucune difficulté.

Probabilité de traduction : très improbable chez un éditeur de SF d’élite, pas impossible du tout chez une maison plus orientée vers des publics variés, y compris les débutants ou ceux qui cherchent une SF sans prise de tête.

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2 réflexions sur “The rush’s edge – Ginger Smith

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