Anthologie Apophienne – épisode 10

Eye_of_ApophisL’anthologie Apophienne est une série d’articles sur le même format que L’œil d’Apophis (présentation de trois textes dans chaque numéro), mais ayant pour but de parler de tout ce qui relève de la forme courte et que je vous conseille de lire / qui m’a marqué / qui a une importance dans l’Histoire de la SFFF, plutôt que de vous faire découvrir des romans (forme longue) injustement oubliés. Si l’on suit la nomenclature anglo-saxonne, je traiterai aussi bien de nouvelles que de novellas (romans courts) ou de novelettes (nouvelles longues), qui sont entre les deux en terme de nombre de signes. Histoire de ne pas pénaliser ceux d’entre vous qui ne lisent pas en anglais, il n’y aura pas plus d’un texte en VO (non traduit) par numéro, sauf épisode thématique spécial. Et comme vous ne suivez pas tous le blog depuis la même durée, je ne m’interdis absolument pas de remettre d’anciennes critiques en avant, comme je le fais déjà dans L’œil d’Apophis.

Dans ce dixième épisode, nous allons parler, comme souvent dans l’Anthologie Apophienne, d’un texte de Lovecraft (même si celui-ci est assez particulier), mais aussi de Hard SF et de la nouvelle qui, excusez du peu, a lancé la carrière de Dan Simmons ! Sachez que vous pouvez, par ailleurs, retrouver les anciens épisodes de cette série d’articles sur cette page ou via ce tag.

L’étrange maison haute dans la brume – H.P. Lovecraft *

* Rime of the ancient mariner, Iron Maiden, 1984.

kingsport_VFL’étrange maison haute dans la brume (que vous pouvez retrouver dans les ouvrages suivants) est une nouvelle relevant du Weird, vaguement connectée au cycle onirique de Lovecraft mais à l’ambiance assez unique et se déroulant dans le monde réel, pas dans les Contrées du rêve. C’est un de mes textes préférés de l’écrivain, pour son ambiance poétique, son décor unique, son écriture ciselée (même pour du Lovecraft) et sa fin inhabituellement positive (si, si).

La ville de Kingsport, Massachusetts, est surplombée par une étrange falaise, dont le côté terre monte en pente relativement douce, mais dont le côté mer est un vertigineux à-pic (elle est représentée sur la couverture de supplément de Jeu de rôle ci-contre). Une maison a été bâtie, dans un passé immémorial, à son sommet. On sait que quelqu’un y vit (on voit clairement qu’elle est éclairée, de nuit, malgré le fait qu’elle soit presque noyée dans les brumes qui montent de l’océan), mais nul ne sait par qui ou quoi. Car outre son emplacement, le bâtiment a une curieuse particularité : sa seule porte se trouve… côté mer, et donne donc dans le vide. Thomas Olney, de passage à Kingsport, va pourtant décider de percer ce mystère, et réussir à pénétrer dans la bâtisse. Mais il ne sera pas le seul visiteur du maître des lieux cette nuit là !

Cette nouvelle a une ambiance unique, Dunsanno-Coleridgienne, je dirais, pour un texte du gentleman de Providence, ainsi qu’une fin inhabituellement… positive (en un sens, du moins). L’horreur n’en est certes pas totalement absente, mais c’est peut-être, paradoxalement, le contrepoint le plus saisissant à son Horreur Cosmique créé par le Maître en personne, puisqu’il nous montre que, quelque part, il existe aussi un Merveilleux cosmique (ou théologique). C’est donc d’un récit lovecraftien assez atypique mais à l’écriture absolument admirable dont il s’agit, peut-être le plus beau rédigé par un auteur à la puissance évocatrice pourtant inimitable. Très vivement recommandé, même à ceux qui n’aiment pas Lovecraft d’habitude.

Artefacts – Stephen Baxter

obelisk_baxterArtefacts est une nouvelle (en anglais) signée Stephen Baxter, que vous pouvez retrouver dans les recueils Obelisk et The Solaris Book of New Science Fiction: Volume Three. C’est un des textes de Hard SF et d’Universe Opera les plus vertigineux que je connaisse. Il s’ouvre sur un très mystérieux « nageur », qui se demande qui il est, pourquoi il existe, pourquoi il nage, où il se trouve, et qui, par dessus-tout, a peur de ce qui se passera si la nage prend fin. Après cette étrange ouverture, nous suivons, en 2026, Morag, une adolescente qui vient de perdre sa mère, victime d’un cancer. Ce décès va inciter son père, Joe, a reprendre ses travaux en matière de cosmologie interrompus un temps, histoire de comprendre ce qu’est l’univers, et pourquoi, humains ou cosmos dans son ensemble, nous ne sommes pas immortels. Dans le même temps, l’auteur va nous montrer deux… créatures vivant dans des univers parallèles extrêmement différents du notre, mais qui sont elles-mêmes en quête de la réponse aux mêmes questions que se pose Joe. À la fin du texte, deux révélations vertigineuses ont lieu : la première quand Joe, sur son propre lit de mort, donne l’effroyable clef du sens de l’existence et de la nature du multivers à Morag, et la seconde lorsqu’on retrouve le nageur du prologue et qu’on comprend enfin sa nature.

Dans la combinaison de sa relative concision, de la profondeur des thématiques métaphysiques abordées, des théories physiques convoquées et de l’ambition démesurée, l’ampleur fabuleuse de l’intrigue, cette nouvelle est très clairement un chef-d’œuvre. Si vous souhaitez en savoir plus à son sujet, je vous invite à lire ma critique complète.

Le Styx coule à l’envers – Dan Simmons

styx_simmonsÉté 1981. Dan Simmons, professeur rédigeant des nouvelles sur son temps libre, participe à un atelier d’écriture dans lequel interviendra le légendaire Harlan Ellison. C’est la dernière chance de percer que Simmons s’accorde avant de mettre un terme à ses tentatives de voir son (éventuel) talent reconnu, car son épouse est sur le point de donner naissance à leur (unique) enfant. Il n’en mène pas large, car Ellison est connu pour son peu de complaisance envers les apprentis-auteurs sans envergure. Et pourtant, ce dernier sera ému aux larmes par la nouvelle de Simmons, Le Styx coule à l’envers, et le poussera à persévérer. On connaît la suite : premier roman (Le chant de Kali) couronné par un World Fantasy award, second (L’échiquier du mal) qui est un énorme succès, et troisième (Hypérion) qui est un triomphe critique. Et le reste, évidemment. Vous pouvez trouver ce texte dans les recueils suivants, au fait.

L’incipit, magistral, dit tout ce que l’on a à savoir de cette nouvelle :

J’aimais beaucoup ma mère. Après son enterrement, après que l’on eut descendu le cercueil, la famille rentra à la maison pour attendre son retour.

Vous l’aurez compris, ce texte (qui s’inscrit dans la Science-Fiction, une curiosité dans le sens où à cette époque, Simmons est avant tout un auteur d’Horreur, de Fantastique et de Weird) décrit un monde où les chers disparus peuvent être ramenés à la vie. Génial, me direz-vous. Eh bien non, pas du tout. Car ce retour impacte finalement bien plus sûrement leurs proches qu’un deuil suivi d’une catharsis, qui leur aurait permis d’aller de l’avant, ne l’aurait fait. C’est magistralement démontré via l’histoire des fils de la défunte, via une atmosphère d’une infinie tristesse et nostalgie (sans compter une fin assez vertigineuse), via un style qui prouve déjà, même à ses débuts, que Simmons est sans doute le plus grand écrivain (vivant) exerçant dans le registre des littératures de l’imaginaire. Le Styx coule à l’envers est une très grande nouvelle, pleine d’émotion, que je vous conseille vivement de lire, et peut-être surtout de faire lire à un inculte qui vous soutiendrait que la SFFF est une « sous-littérature ».

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5 réflexions sur “Anthologie Apophienne – épisode 10

  1. J’avais déjà entendu du bien de la nouvelle de Baxter. Un espoir qu’elle voit le jour en France ?

    De Dan Simmons je n’ai lu qu’Hyperion (2 fois) et je me suis ennuyé à chaque fois… lol

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