The Black Hawks – David Wragg

Surprenant

black_hawks_wraggAvant d’entamer une longue série de lectures SF (ou plus généralement non-Fantasy), je vais vous parler aujourd’hui de The Black Hawks, qui est à la fois le premier roman de l’auteur britannique David Wragg ainsi que le tome inaugural d’un cycle appelé Articles of faith. Mais pour vous parler de ce livre, il me faut vous expliquer de quelle manière je choisis mes futures lectures, ou plutôt la façon dont je fais le tri entre ce que je considère comme prioritaire et ce que je remets à plus tard (et ceux qui suivent le blog depuis longtemps savent que parfois, « plus tard » peut signifier plusieurs années). À la lecture du résumé (hop ; attention toutefois, je trouve qu’il en dévoile beaucoup), j’ai été interpellé par autant de points positifs que négatifs, les premiers venant surtout de la comparaison avec Abercrombie et Lynch, les seconds étant constitués par la mention d’un « morveux de prince » et d’un énième ersatz de La Compagnie Noire. J’étais donc prêt à repousser cette lecture aux calendes grecques quand j’ai vu qu’Ed « Blackwing » McDonald en avait écrit une critique franchement positive sur Goodreads. J’ai donc entamé cette lecture peu après la sortie du roman.

Au final, si je n’en ressors pas aussi convaincu que lui, et si cette lecture ne sera pas parmi mes plus marquantes en Fantasy cette année, elle ne s’est pour autant révélée ni désagréable, ni catastrophique, et en tout cas, elle a eu le mérite de s’avérer constamment surprenante. Il faut dire que la quatrième donne du bouquin une image relativement distordue, qui ne correspond pas vraiment à sa réalité. De plus, ça tient bien moins de la Compagnie Noire que d’une Fantasy politico-religieuse (certes Dark), et si les premières dizaines de pages m’ont presque conduit à abandonner l’ouvrage, la suite s’est avérée plus intéressante, et la fin assez étonnante m’a convaincu de lire la suite quand elle sortira. Et puis j’ai apprécié d’être constamment pris à contre-pied, chaque changement de cap du scénario s’avérant soit imprévisible, soit faussement prévisible, ce qui est presque plus intéressant. Bref, ce n’est pas un chef-d’oeuvre, c’est une (Low) Fantasy classique qui ne révolutionnera pas le genre, ni en terme taxonomique, ni via un worldbuilding qui se contente de faire le job et un magicbuilding totalement absent, mais si vous êtes à court de romans cultes en Fantasy, celui-ci n’est pas un mauvais candidat en tant que prochaine lecture potentielle.

Univers *

* Blue Blood, Foals, 2010.

Première remarque, à part un navire qui a une arme qui lance des « boules de feu » et un personnage qui utilise une sorte de « grenade » aveuglante, il n’y a aucune manifestation de magie (ou plutôt, en l’occurrence, d’alchimie) dans cet univers. Et encore, dans les deux cas, on pourrait parler de canons ou d’une quelconque composition chimique faisant donc appel à une science parfaitement rationnelle. Dans le même ordre d’idée, il n’y a aucune race non-humaine, ni aucun monstre fantastique.

Le propos est centré sur le Royaume de Vistirlar, héritier de l’ancien empire (déchu) des Taneru mais bien mal en point : malgré deux générations de guerres d’unification, les provinces rebelles et les auto-proclamées « villes libres » abondent, et le Rau Rel (la Résistance) est un adversaire à ne pas négliger. Sur le plan religieux, la situation n’est guère meilleure : après un schisme, la Nouvelle Église de la Bergère (Sheperd, mais dont on parle à plusieurs reprises en employant le pronom « her » ; rappelez-vous le psaume 23 de l’Ancien Testament : « le Seigneur est mon berger ») a non seulement acquis beaucoup de pouvoir, mais a radicalement changé d’attitude. De guide, elle est devenue juge, dans le genre Inquisition (les rôlistes remarqueront un détail amusant : interdiction est apparemment faite d’utiliser des armes tranchantes). Et pour couronner le tout, un des deux princes héritiers jumeaux, Corvel, est mort dans une attaque de brigands, et son père, le roi Lubel, en a développé un chagrin tel qu’il est alité en permanence depuis. Deux décennies quasiment ininterrompues de guerre et d’épidémies dans les provinces ont fait du Primarque Vassad, de l’Ordre de la Rose, une éminence grise puissante. Car tel est, au passage, le vrai but du livre : découvrir la nature du pouvoir derrière le trône, qui manipule les fils (^^ : vous comprendrez si vous lisez ce bouquin)) du shadow state

Base de l’intrigue *

* Good Thing, Fine Young Cannibals, 1989.

L’intrigue est très difficile à résumer sans spoiler des rebondissements qui font parfois tout son sel, mais il me faut au moins en dévoiler un pour vous parler un minimum correctement de ce roman. Tout commence dans le port de Denirnas, siège du palais d’hiver, où nous commençons par suivre Vedren Chel, 19 ans. La quatrième de couverture nous apprend qu’il est chevalier, mais le texte, lui, incite à penser qu’il est plus page ou écuyer (l’hypothèse la plus probable) qu’autre chose. Il est au service de son « oncle par alliance » (le frère de son beau-père), le seigneur Sokol. Alors qu’il poursuit un mendiant qui l’a violemment bousculé, il prend le parti d’hérétiques qui ont été arrêtés par l’Église contre les nervis de cette dernière (ce qui va lui valoir une haine persistante et féroce de leur part, qui aura des conséquences jusqu’à la fin de l’intrigue). Il est sauvé, si l’on peut dire, par l’arrivée d’un navire de guerre Nort, une peuplade nordique apparemment plus avancée sur les plans alchimiques / technologique (navire à coque de bois et cuirasse en fer, canon / lance-flammes). Après avoir collé une méchante dérouillée aux défenseurs, il établit un blocus du port. Pourquoi ? Euh… because reasons. Et puis c’est tout.

Chel va fuir la ville, et découvrir qu’il a un passager clandestin dans son chariot, qui s’avère être, excusez du peu, le frère cadet du prince Mendel (ce dernier étant le jumeau survivant ; vous suivez, oui ?), à savoir Tarfel. Vu que Chel n’est pas heureux au service de Sokol, il va négocier avec le moutard royal : s’il le conduit sain et sauf vers les autorités, il le libérera de son serment de féauté, et il rentrera chez lui. Et c’est là que je vais cesser de vous raconter la suite. Mais disons qu’elle va faire intervenir les fameux Black Hawks (Faucons noirs) qui donnent son titre au bouquin. Non, pas des hélicoptères de combat qui s’écrasent dans Mogadiscio (ça fait désordre, d’abord). Mais une bande de mercenaires manquant d’ambition, moralement plus qu’ambigus, dépourvus de loyauté ou de compassion, de vrais loosers et bras cassés semblant perpétuellement condamnés à foirer leurs rares missions.

Je dirais juste ceci : Ed McDonald a bien raison, dans sa critique, de souligner qu’il s’agit d’une Fantasy à l’ancienne, comme on les aime, basée sur l’aventure, où il s’agit de traverser un pays en guerre de part en part, avec aux trousses des assassins et autres peuplades féroces (et cannibales !). Mais ce n’est pas QUE ça. En fait, plus on avance, et plus cet aspect, sans s’effacer complètement, laisse sa place à une Fantasy politique, mélangeant intrigues de cour et rébellion, lutte du temporel contre le religieux, et j’en passe. Et c’est là que je trouve le résumé sur la quatrième de couverture mal rédigé, car non seulement il passe sous silence cet aspect, mais en plus il donne une image type Compagnie Noire (un groupe massif de mercenaires -c’est du moins ce qu’est l’unité créée par Glen Cook dans un premier, puis un second temps, alors qu’elle est réduite transitoirement à une poignée d’hommes-) alors que chez Wragg, les Black Hawks n’ont jamais atteint des effectifs dépassant la dizaine, apparemment. On a donc plus affaire à un groupe de chiens de guerre s’étant donné un nom ronflant (comme dans l’excellent Wyld : La mort ou la gloire) qu’à une « grande compagnie » comme on en connaissait dans notre très réel Moyen âge.

C’est aussi là qu’on s’aperçoit à quel point la quatrième est imprécise : le vrai héros, c’est Vedren Chel, pas les Black Hawks. Alors que le livre porte leur nom. Même si quelque part, Chel devient un Black Hawk, ceci pouvant expliquer cela.

Au final, l’intrigue est marquée par des changements de cap et autres retournements de situation qui font qu’on sait rarement sur quel pied danser (et je m’empresse de préciser que c’est un point fort, pas un défaut, à mon sens). L’auteur n’est pas prolixe sur certains ressorts, n’ouvrant largement les vannes du robinet à révélations que sur la fin (et partiellement vers les deux tiers). À ce stade, l’auteur m’a eu, car j’avais cru deviner un point, avant qu’il ne démente mon intuition, puis que… mais vous verrez ça si vous lisez ce roman. Une de ces révélations est d’ailleurs assez bluffante. Pas autant que dans Never Die, et sa fin ex-tra-or-di-nai-re (lisez-le !), mais disons que l’ampleur de ce qui est révélé vous fait tout de même lâcher un « ah le salopiaud ! » admiratif. Pour tout dire, je suis passé par plusieurs phases très différentes au cours de ma lecture : après quelques dizaines de pages, je trouvais le style peu attractif et l’histoire m’intéressait peu (le prince morveux et l’écuyer, bof bof). C’est vraiment la bonne appréciation de McDonald, et mon instinct, qui m’ont poussé à continuer. À partir du moment où les mercenaires apparaissent, c’est déjà plus intéressant, et sur la fin, ça le devient carrément. Mon conseil, si vous tentez ce livre, sera donc de ne pas vous décourager trop tôt si vous n’accrochez pas immédiatement, ça pourrait venir. Tout en sachant que ce livre n’est certainement pas un chef-d’oeuvre non plus, mais que pour une première publication, eh bien on sent du potentiel.

Bons points et mauvais points

Commençons par les points qui peuvent gêner certains lecteurs mais pas forcément les autres : avant tout, précisons qu’il s’agit d’une Fantasy assez classique (à part un très, très vague aspect postmédiéval), pas du tout de ces formes novatrices apparues ces dernières années comme celle à poudre ou l’Arcanepunk par exemple. Ensuite, il faut bien dire que le worldbuilding est léger, et le magicbuilding carrément inexistant. Là encore, si vous êtes en recherche d’un contexte et d’un système de magie très élaborés, ce livre ne sera pas pour vous.

Au chapitre des points plus clairement négatifs, je mentionnerais le style de l’auteur qui, s’il n’a rien de catastrophique, n’est en revanche pas très attractif, manquant de la maîtrise stylistique propre à l’école française ou du pouvoir évocateur combiné à la fluidité de lecture de l’école Gemellienne. On notera aussi sa tendance à utiliser un vocabulaire souvent plus soutenu que dans le livre de SFFF anglo-saxon moyen, sans pour autant atteindre le niveau global d’un Steven Erikson, par exemple. Citons aussi le côté très stéréotypé des personnages, surtout les mercenaires.

Là où ça devient étonnant, c’est que lesdits personnages, tout stéréotypés qu’ils sont, pour la plupart, sont, malgré tout, probablement le gros point fort du livre, avec les révélations finales, un rythme soutenu et des changements de cap dans l’intrigue qui maintiennent l’intérêt. Vedren Chel représente, dans un genre, la Fantasy, où le héros tout-puissant, le type doué d’instinct pour la castagne et / ou la magie et le sauveur du monde en puissance, dont on sent qu’il ne va pas rester longtemps chétif et maladroit (Falco Danté…), abondent, une respiration bienvenue : Chel est un jeune type ordinaire, qui essaye de faire ce qu’il peut avec ses faibles moyens (notamment en matière de distribution d’horions), qui est ballotté par les événements et les subit plus qu’il ne les contrôle, mais qui essaye de faire son devoir tout de même. Dans le même ordre d’idée, la compagnie mercenaire qui foire toutes ses missions est rafraîchissante, dans son genre.

Dans un tout autre registre, et bien qu’archétypaux, nos mercenaires des Black Hawks sont fort sympathiques, surtout Spider (un personnage que j’ai beaucoup aimé), mais aussi la mystérieuse Whisper, la très brut de décoffrage Lemon ou la belle Loveless. Seuls Foss et Rennic m’ont laissé un peu froid.

Gros point fort de l’écriture, par contre, une transmission d’informations que j’ai trouvée très habile. Les écrivains adeptes du déballage d’infos devraient jeter un coup d’œil à ce bouquin, c’est un un contre-exemple parfait dans ce domaine. On notera aussi que la fin est relativement inhabituelle en Fantasy, de ce fait intéressante, et présage un début de tome 2 assez tonitruant.

Bref, tout ça mis bout à bout, nous obtenons un bouquin qui n’est absolument pas mauvais mais qui n’est pas tout à fait au niveau de ce que je vous conseille vivement en Fantasy d’habitude, qui ne révolutionnera pas le genre mais qui est moins stéréotypé que l’image qu’en donne la quatrième, mais qui peut boucher un trou dans votre programme ou vos envies spontanées de lecture en sachant que vous ne perdrez tout de même pas votre temps. Il prouve assez clairement que l’auteur a un certain potentiel, qui pourrait bien rendre les tomes 2+ plus nettement intéressants.

Niveau d’anglais : moyen/ standard.

Probabilité de traduction : je n’y crois pas franchement. Je pense que nos éditeurs ont des romans de Fantasy avec bien plus de potentiel à traduire avant de s’attaquer à un bouquin de ce calibre, ceci dit sans vouloir aucunement faire injure à l’auteur, dont j’ai tout de même globalement apprécié l’oeuvre.

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8 réflexions sur “The Black Hawks – David Wragg

  1. Bon eh bien ça donne drôlement envie tout ça, et vu qu’il s’agit d’un premier tome y’a bien moyen que les côtés « négatifs » cités soient corrigés par la suite. D’autant plus si l’auteur est capable d’écrire des personnages visiblement attachants et de monter des retournements de situation sympas et inattendus ! Merci 🙂

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      • J’ai cédé à la tentation. Ma PàL te remercie : elle ne risque pas de désenfler de si tôt ! Là je suis déjà entrain de lire le second tome des Honor Harrington grâce à toi. J’y vois quelques défauts notamment sur le plan moral, « vive l’armée » tout ça avec la super force protectrice prête à protéger les intérêts des locaux moins avancés avec bienveillance parce que nous, on est super progressistes (merci les USA).
        Ou encore le mode « bon, on établi des enclaves sur votre planète toute moussue, vous êtes donc au courant que des êtres vivants venus d’ailleurs peuvent faire des trucs de fou technologiquement, mais vous n’aurez rien, z’avez qu’à vous développer vous-mêmes on ne veut pas faire d’ingérence » (qui me rappelle de loin les règles de la Fédération Pangalactique dans les Star Ocean). Heureusement que les ennemis en tant qu’individus sont un peu nuancés mais bon, en attendant j’ai quand même enchaîne avec le second tome sitôt le premier fermé et il ne me reste déjà plus qu’une centaine de pages à lire.

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  2. POur une fois je vais décliner.
    C’est sans doute un livre qui a de quoi me satisfaire, mais comme tu mentionnes qu’il y a sans aucun doute plus judicieux à traduire avant celui-ci, je vais le prendre comme un conseil personnel. J’ai encore beaucoup à lire (merci à toi) avant de m’attaquer à celui-ci!

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