Plus profond, mais pas vraiment passionnant !
Teckla est le troisième des quinze romans du cycle Vlad Taltos parus à ce jour, après Jhereg et Yendi. Si j’ai adoré ces deux derniers, j’ai en revanche eu beaucoup plus de mal avec ce tome 3. J’y ai trouvé du positif (un approfondissement -spectaculaire- de la psychologie du protagoniste) mais aussi, hélas, beaucoup de négatif, comme je vais vous l’expliquer. Pas de quoi m’empêcher de lire la suite (qui, d’après son résumé, a l’air de repartir sur des bases plus saines), mais certainement de quoi me décevoir, parce que les romans de cette saga constituent pour moi, du fait de leur brièveté, de la fluidité de l’écriture et de l’humour omniprésent (alors que nous sommes dans un contexte de Fantasy très sombre), une respiration bienvenue entre deux livres exigeants, longs ou les deux à la fois. Donc autant dire que je n’avais pas vraiment envie de me prendre la tête avec des questionnements conjugaux et politico-sociétaux. Après, bien sûr, tout dépendra de vos attentes, certains ont autant aimé ce troisième tome que ses deux prédécesseurs.
D’ailleurs, je pense que c’est la première fois que je traîne autant des pieds pour rédiger une critique, on doit être sur un record, là : d’habitude, c’est plié dans les 24-48 h après avoir fini le bouquin, mais là, ça doit faire 5 jours, facile. Autant de retard qu’une femme enceinte, qu’on vous dit.
Base de l’intrigue : on en a gros
Après le flashback du tome précédent, on se reconnecte avec le présent. À Adrilankha, les Orientaux (les humains, par opposition aux Dragaerans -« elfes », même si c’est plus compliqué que ça-) sont concentrés dans un quartier précis. L’un d’eux est assassiné, et Vlad s’aperçoit que sa femme le connaissait, tout comme le groupe révolutionnaire auquel il appartenait, qui veut changer la société pour donner une vraie place aux opprimés, Orientaux et Dragaerans de basse classe, les Teckla. Sauf que leurs activités dérangent, à la fois le boss de l’Organisation local, et potentiellement l’Empire. Vlad va alors se retrouver dans une situation impossible, en tentant de protéger son épouse, qui ne veut rien entendre et lui en veut de se mêler de son combat social, alors que ses camarades de la révolution prolétaire sont sur le point d’être broyés entre la mafia et le gouvernement et ses Gardes Phénix, qui n’attendent qu’un prétexte pour casser ceux qui en ont gros.
Analyse et ressenti : on en a gros (bis)
Je vais commencer par les points positifs : d’abord, Steven Brust garde certains des points forts des deux livres précédents, à savoir la fluidité de l’écriture (on notera que l’adresse au lecteur monte en puissance, ce qui m’a d’ailleurs séduit), un humour très présent (et franchement ravageur) et ce mélange assez unique (Abercrombien avant l’heure) entre justement ce côté humoristique et une Fantasy souvent très, très dark. Ensuite, et c’est sans doute, pour moi, le seul vrai intérêt de Teckla, la psychologie des personnages, Vlad en tête, subit un approfondissement absolument spectaculaire. Il y a beaucoup d’introspection, le protagoniste, ou d’autres personnages de son entourage, se demandant pourquoi il est assassin, quelle est sa motivation profonde pour accomplir une activité aussi abominable. Vlad, qui était jusqu’ici présenté comme très solide, a un comportement impulsif qui le met en danger, il doute et craque, à un point tel qu’il pense au suicide et est presque brisé. Ce renforcement de la psychologie vient ajouter une qualité de plus à un cycle qui en possédait déjà de nombreuses (outre celles déjà évoquées, mentionnons le worldbuilding ou l’aspect quasiment documentaire du fonctionnement d’un tueur ou d’une guerre des gangs dans un contexte de Fantasy), et renforce encore son intérêt.
Mais… ce livre est à la fois lourd et (souvent, mais pas toujours) ennuyeux. Pas lourd à cause du style, mais parce que fondamentalement, il passe 340 pages à faire des circonvolutions autour d’une série d’événements qui aurait pu être réglée en 2 à 4 fois moins de pages. On a l’impression que Brust avait une taille précise du livre à respecter par contrat et qu’il a horriblement tourné autour du pot, racontant quatre fois la même chose, avant, enfin, de donner une conclusion à son intrigue. Il est aussi lourd parce que l’auteur nous balance son mépris pour le militantisme, les révolutionnaires, les activistes, le progressisme, etc (en gros, le militant est incapable de penser par lui-même et se contente de répéter mécaniquement les théories de l’idéologue, le militant se fiche des conséquences sur les gens, dans le présent, de la poursuite -présentée comme chimérique- de son avenir utopique radieux, et ainsi de suite), ne nuançant vaguement qu’à la toute fin. Il est, enfin, pesant parce que l’aspect conjugal est, de mon point de vue, mal traité : le comportement de l’épouse de Vlad (je vais taire son nom pour ne pas spoiler ceux qui n’ont pas lu le tome 2) est assez abracadabrant pour quelqu’un qui exerçait la profession qui fut jadis la sienne, et ses réactions tiennent souvent plus de la gamine exaltée (ou de la personne psychologiquement fragile -ce qu’elle n’est d’ailleurs pas- embrigadée par un gourou ou un idéologue) que de l’adulte rationnel. Mais bon, de toute façon, même si c’était fait de façon subtile, quand je viens lire du Vlad Taltos, ce n’est pas pour me voir proposer un pamphlet politique militant pour ceci ou contre cela ou 340 p autour de « être contraint de devoir choisir entre ses convictions et son amour pour l’autre peut fragiliser un couple » (par contre, les problèmes de couple de Loiosh sont intéressants et amusants, eux). Il y a donc eu une énorme discordance entre mes attentes (basées sur les tomes 1-2) et le contenu du roman. Est-ce que ça le rend mauvais ? Pas vraiment. Pour un lecteur au profil / attentes similaires aux miens, sans doute. Pour d’autres profils, non.
J’ajouterai que sur le pur plan de la Fantasy criminelle, c’est la grosse déception : Brust nous refait le coup de la guerre des gangs et des tentatives d’assassinat contre Vlad, et on a vraiment l’impression que là aussi, il tourne en rond. C’est d’autant plus bizarre qu’apparemment, il n’a pas manqué d’imagination pour les tomes 4+. On regrettera aussi l’absence de Morrolan et compagnie (mais par contre on recroise le Démon -tome 1- et Bâtons -tome 2-), qui ne sont que très vaguement évoqués, ainsi qu’un worldbuilding qui ne progresse que très peu par rapport aux deux bouquins précédents (on en apprend juste plus sur les Teckla, ce qui paraît être le minimum syndical pour un roman qui porte le nom de cette Maison impériale). Par contre, on en découvre aussi plus sur le passé du père et du grand-père de Vlad, et ça, c’est positif.
Bref, en un mot comme en cent, je me suis ennuyé comme pas permis, étant bien loin de l’impression très positive laissé par Jhereg et Yendi. Un tome à oublier, donc, pour ma part, en espérant très fort que les suivants vont garder l’approfondissement de la psychologie du personnage tout en revenant à ce qui faisait le charme des débuts de la saga.
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Je comprend parfaitement ce que tu dis quand tu parles de respiration entre deux livres plus exigeants, en fait j’utilise l’urban fantasy exactement pour la même raison.
Cette série est toujours dans mes « à lire », et chaque fois que je lis tes avis ça la fait monter dans ma liste (oui oui, même celle ci lol)
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Même dans celui-ci, il y a de très bons points. L’humour, par exemple, qui est vraiment ravageur 😀
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Ta critique est tout à fait logique et ce tome est le moins bon des 5 que j’ai lu pour l’instant. Après, tu verras certaines des réactions des personnages d’un autre point de vue, en lisant le tome 5… 😉
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Je suis vraiment motivé pour lire le 4, du coup. D’autant plus que le résumé sur la quatrième est vraiment très alléchant.
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La rumeur dit qu’il a été écrit pendant le divorce de l’auteur. Clairement, c’est un volume que j’ai relu par obligation…
Pour moi, Jhereg est le meilleur de la série. J’aime beaucoup l’univers, les personnages, mais au fil des volumes je trouve que l’auteur fait trop « d’expériences » (retour dans le passé, narration par un personnage témoin, ec..) auxquels j’accroche peu. (et ne parlons pas de ses réécritures de Dumas, plutôt réussies pour la reprise du style, mais du coup avec une lisibilité.. compliquée)
Je trouve Daniel Polansky plus consistant thématiquement, bien que peut etre un poil trop sombre. (et au final, je mets Scott Lynch au dessus)
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Je trouve l’utilisation de différentes techniques narratives intéressante, pour ma part (au stade du cycle où j’en suis, du moins. Rien ne garantit que je ne vais pas changer d’avis ultérieurement). Je préfère ça à un auteur qui aurait écrit quinze tomes exactement de la même façon.
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En gros, un arc hors série 😀
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Apparemment pas tant que ça, d’après un autre commentateur. On verra en lisant le tome 5.
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Intéressant que lui reproches » Il est aussi lourd parce que l’auteur nous balance son mépris pour le militantisme, les révolutionnaires, les activistes, le progressisme, etc »
C’est peut-être le fait qu’il soit américain qui t’a fait partir tout de suite sur cette hypothèse mais pour le coup c’est complémtement faux : Brust est connu pour être un trotskyste revendiqué, partisant du Socialist Equality Party (éditeurs du site World Socialist Web Site, souvent accusé d’être sectaires par les autres tendances « de gauche »)… il publie souvent sur ces sujets sur son blog (The Dream Café).
Du coup, s’il a réussi à te faire croire ça, c’est un bel exemple de capacité à « penser contre soi-même » pour employer une expression en vogue. Et ça me donne encore plus envie de le lire alors que j’aurais effectivement eu tendance à ne pas m’y intéresser d’emblée.
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Non, rien à voir avec le fait qu’il soit américain, je n’ai pas ce genre de préjugé envers eux. Sur la foi du seul bouquin (et le lecteur lambda n’est pas supposé connaître la bio d’un auteur sur le bout des doigts, après tout), il était difficile de faire une autre hypothèse. Mais vu les éléments que tu fournis, c’est un beau tour de force, en effet.
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