Barbares – Rich Larson

La Faune de l’espace

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par le Bélial’. Un grand merci à Olivier Girard, Erwann Perchoc, Laëtitia Rondeau et Pierre-Paul Durastanti !

Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises, sur ce blog, de Rich Larson, notamment de son magistral recueil La Fabrique des lendemains. Le Bélial’ a également publié ce jeune auteur dans les colonnes de son magazine Bifrost (même si les nouvelles en question m’ont, elles, fait moins bonne impression), mais il n’avait, jusqu’ici, pas fait son apparition dans la fameuse collection Une Heure-lumière (UHL) de l’éditeur. C’est désormais chose faite, puisqu’un de ses textes, Barbares (et non, cela n’a rien à voir avec les héros du plus grand film d’Heroic Fantasy de tous les temps), y paraîtra le 19 octobre 2023. Un UHL de fort bonne facture, très agréable à lire (j’y reviendrai), même si pas tout à fait au niveau (il est vrai stratosphérique) des dernières sorties du Bélial’, Le Dernier des aînés d’Adrian Tchaikovsky (que j’ai lu en VO il y a deux ans et beaucoup apprécié) et, évidemment, le fabuleux Rossignol d’Audrey Pleynet, tout simplement le meilleur titre de la collection (d’ailleurs couronné il y a quelques jours par le prix Utopiales 2023, excusez du peu !).

Signe de la relation étroite et de confiance liant l’auteur et son éditeur français, celui-ci est le premier à publier, en exclusivité mondiale, donc, ce texte. Bravo !

Univers / Base de l’intrigue *

* Novak, Porcupine Tree, 2000.

Yanna et Hilly sont deux contrebandiers de l’espace, plus Han Solo que sans foi ni loi, à la barre du vaisseau Bandit Chétif (un nom vaguement Iain Banks-ien). Leur excellente relation (platonique) a été un peu ternie quand suite à une erreur de la première, le second a été réduit à l’état de simple tête par le système judiciaire avide d’économies (une tête nécessite moins de place, d’air ou de nourriture qu’un corps entier, n’est-ce-pas), capable, néanmoins, de survivre, une fois interfacée à la technologie de l’astronef (quelque part entre Henry Wakeley, Simon Wright et Chéradénine Zakalwe, pour ceux qui ont les références  😉 ).

Le duo a été engagé par deux jumeaux anonymes, des types de la Haute, pour se rendre sur le cadavre en décomposition d’un Nagevide, bestiole colossale due à l’ingénierie génétique de pointe d’une ancienne race alien, véritable vaisseau vivant capable de naviguer dans l’espace. Pourquoi ? Mystère. Yanna ne le découvrira que sur place allant, d’ailleurs, de (mauvaise) surprise en (mauvaise) surprise, dans une chasse au trésor au rythme très nerveux. Elle a été spécifiquement engagée car elle a grandi sur un autre Nagevide (avant que la chose ne finisse par être interdite aux humains), ce qui fait qu’elle connaît la biosphère, parasite ou prédatrice, locale. Et quelle faune, mes aïeux, fruit de la copulation sauvage d’A.E. van Vogt, de Harry Harrison et de Laurent Genefort sur le carrelage de la cuisine, après qu’ils aient binge-watché (ça se dit, ça ?) toute la saga Alien. Mais croyez-le ou non, il ne s’agira pas, ici, de la principale menace à laquelle les deux associés et leurs encombrants commanditaires devront faire face !

Analyse et ressenti

Comme je sens que les moins expérimentés des lectrices et lecteurs vont encore crier au truc hyper-original, désamorçons tout de suite la chose : non, ni le cerveau-en-boite (comme nous venons de le voir), ni le cadre (le vaisseau vivant gigantesque abritant sa propre faune) ne sont particulièrement originaux (à part, à la rigueur, la combinaison des deux). Espèces issues de l’évolution naturelle ou de la technologie, les êtres similaires au Nagevide abondent dans la SF, des Acantis chez Marvel aux Béhémothaures Dirigeables (Le Sens du vent) ou aux Chuy-Hirtsi (Une Forme de guerre) de Iain M. Banks (dans son incontournable cycle de la Culture), en passant par les Snarks de La Loi du talion de Gérard Klein. Le cadre et les protagonistes ne sont donc pas particulièrement originaux, même si le premier est très bien décrit et imaginé, surtout dans un nombre de pages aussi réduit.

En revanche, l’intrigue (ou, plus précisément, la partie de l’intrigue dont je n’ai pas pu vous parler pour ne pas divulgâcher), elle, ainsi que le lieu où se trouve ce que cherchent pour de bon les jumeaux, sont nettement plus inédits, pour ne pas dire exotiques. Il existe sûrement des équivalents, mais là, tout de suite, je peine à en faire la liste. Et de toute façon, aussi friand d’originalité que je sois, je préfère une base classique mais bien exécutée à un auteur qui cherche à faire dans l’inédit à tout prix mais se plante, réinvente sans le savoir la roue, ou bien réussit à faire dans la singularité mais au détriment de tout le reste (personnages, rythme, style, etc.). Et sur ces derniers plans, nous sommes servis avec Barbares : les deux contrebandiers sont très attachants, les jumeaux révèlent, au fil de la lecture, des profondeurs insoupçonnées, et même l’antagoniste est plus nuancée qu’on ne pourrait le croire de prime abord. J’ajoute que le style est excellent, l’imagination de l’auteur débordante dans le cadre, par ailleurs classique, qu’il a choisi, que le rythme est impeccable, presque haletant, même, et qu’un sense of wonder assez colossal (surtout pour une lectrice ou un lecteur qui, justement, n’a rien lu dans la thématique du vaisseau vivant géant) cohabite aussi bien avec un peu plus qu’une touche d’horreur qu’avec un humour d’une efficacité parfois redoutable (notamment quand Hilly nous sort un « J’en mettrais ma tête à couper ! », ou le coup du Tchekhov  😀 ). Et mêler les trois, ce n’est clairement pas donné à tous les écrivains !

Non, si je devais trouver un défaut à Barbares, ce serait une fin assez peu satisfaisante qui, sans impacter non plus significativement l’intérêt qu’on peut trouver à ce nouvel UHL, le fait tout de même baisser d’un petit cran dans mon panthéon, manquant donc la distinction enviée de « (roman) Culte d’Apophis ».

En revanche, ce qui est Culte d’Apophis, c’est la traduction de Pierre-Paul Durastanti, tout copinage mis à part (de toute façon pas du tout le genre de la maison Apophis, n’est-ce pas) : certes, le talent du sangui… sympathique traducteur d’origine corse n’est plus à démontrer (surtout si vous voulez survivre à l’écriture de votre chronique), mais là, il faut avouer qu’il n’a pas eu la partie facile, notamment du fait de la prodigieuse quantité de néologismes qu’il a été obligé de rendre dans un français à la fois élégant et respectueux de l’intention de l’auteur. Votre serviteur ayant passé un GROS moment à réfléchir, de toute sa puissance cérébrale, à UN néologisme présent dans une traduction qu’il a eu l’honneur de réaliser, ne peut donc être qu’admiratif à la fois devant l’exigence de ce sur quoi le camarade Durastanti a dû plancher, et surtout devant la finesse et l’intelligence du résultat final : respect ! On ajoutera que, les néologismes mis à part, il a aussi su trouver le ton juste et le phrasé le plus fluide possible, rendant, comme toujours, sa traduction digne d’éloges et fort agréable à lire.

En fin de compte, si son cadre n’est pas à proprement parler original, sa conclusion un poil insatisfaisante et qu’on ne placera pas tout à fait ce texte au niveau (il est vrai stratosphérique) de certains autres UHL récents, Barbares possède bien d’autres qualités, dont une intrigue d’une efficacité redoutable, un style fluide et plaisant, un rythme presque haletant et une traduction digne d’éloges, pour séduire le lecteur potentiel.

PS : je continue mon lobbying, mais camarades Béliaux, dans le genre « vaisseau vivant », ce même Larson a aussi fait très fort avec The Ghost ship Anastasia, et ce texte mériterait également une traduction  😉

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette novella, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de L’épaule d’Orion, celle d’Anudar, de Gromovar, du Maki, de Célinedanaë,  de Tachan,

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11 réflexions sur “Barbares – Rich Larson

  1. Merci pour cette critique. J’avais découvert cet auteur grâce à tes critiques, en VO, puis avec le recueil du Belial, que j’ai absolument adoré. Je lirai donc ce titre sous peu. C’est un vrai bonheur de recevoir de nouvelles notifications du Culte. Ce site est une vraie mine d’or: même si le patron s’absente, on a de quoi lire et relire pour des années!

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    • Merci ! Oui, c’est l’avantage, avec plus de 800 articles / critiques / posts au compteur, quelqu’un qui a pris le train en marche a de quoi lire pendant un (gros) moment même si, pour une raison ou une autre, je ne poste rien pendant quelques semaines / mois.

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  2. Un plaisir de lire cette critique qui m’a permis de découvrir Rossignol dont j’étais passé à côté ! Toujours une excellente idée de citer d’autres ouvrages dans une critique de livre. Bonnes continuations à toi et au plaisir de lire les suivantes.

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  3. Ping : Barbares – Rich Larson – L'épaule d'Orion

    • Pour tout dire, je m’attendais à une fin plus humoristique, montrant par exemple une chambre déjà vidée par des pillards astucieux ou contenant un « trésor » de nature plus intellectuelle que pécuniaire, au grand effarement des protagonistes.

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  4. Cela aurait été en effet une solution intéressante – un joli pied de nez, quoi… L’équivalent spatial du testament ouvert par le notaire devant les héritiers, qui découvriraient alors le duo métaphorique de la ceinture et de la tablette de chocolat 😉

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    • Je n’interprète pas la fin comme vous deux, c’est-à-dire comme une fin ouverte ou manquant de réalisation. Il me semble que c’est un jeu avec les clichés scénaristiques. Ce trésor, c’est la définition même du McGuffin. Comme avec le fusil de Tchekhov, Larson s’amuse à pousser le concept jusqu’au bout. C’est assez caractéristique de son humour IRL qui est souvent basé sur l’incursion du premier degré littéral dans le monde réel et de l’effet de surprise qui en découle. Il y a un côté tarte à la crème métatextuelle qui m’a fait rire, après deux secondes de surprise et de doute.

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