Ta gueule, c’est botanique !
Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un service de presse fourni par AMI. Un grand merci à l’éditeur et en particulier à Gilles Dumay !
Moins de deux ans après La marche du Levant, Leafar Izen revient, le 20 avril 2022, avec un deuxième roman publié chez Albin Michel Imaginaire, cette fois intitulé Le courage de l’arbre (titre assez incompréhensible, même une fois le livre achevé, et pour tout dire vaguement ridicule). Je pourrais faire de ce nouveau livre quasiment la même critique que pour son prédécesseur, à savoir qu’il est absolument plein à ras bord d’emprunts, hommages ou, pourquoi pas, de convergences fortuites avec des œuvres plus anciennes et surtout bien plus prestigieuses, que taxonomiquement, il est flou (il est au mieux Soft SF, et à mon avis relève plus de la Science Fantasy, en raison d’un point à la fois inexpliqué et quasiment « magique » du worldbuilding -et le problème est qu’il s’agit du point central de ce dernier- sous des oripeaux vaguement Hard SF qui ne résisteront pas une minute face à quelqu’un qui maitrise ce sous-genre / la vraie science -je vais en reparler-), que la fin se veut un twist énorme (un peu comme dans La marche du Levant) alors que personnellement, j’avais vu venir certaines choses dès la deuxième page, et qu’en fin de compte, c’est nettement plus taillé pour séduire les débutants et / ou ceux qui n’ont pas lu leurs classiques (et ce n’est pas tout à fait la même chose : on peut avoir énormément lu de SF mais pas forcément les classiques concernés) que pour des gens comme votre serviteur.
Toutefois, il y a plusieurs nuances à apporter à cette comparaison entre les deux romans SF de l’auteur : tout d’abord, la première moitié du Courage de l’arbre est bien plus enthousiasmante que pratiquement toute La marche du Levant, la fin exceptée (malheureusement, la suite est bien plus bancale…) ; ensuite, les personnages sont encore moins bons (si, si !) que ceux de La marche du Levant ; néanmoins, le style d’Izen s’est amélioré, ou disons plutôt qu’il s’est « allégé », et il donne moins dans l’emphatique. On peut cependant conclure que globalement, Le courage de l’arbre séduira probablement le même type de public (celui qui ne décodera pas les influences et donc ne devinera pas l’histoire 400 pages à l’avance, littéralement) et fera lever les yeux au ciel des vieux briscards dans le genre de votre serviteur. À ceci près que l’effet de surprise, de découverte d’un nouvel auteur dans le champ des littératures de l’imaginaire, n’est plus là : je ne suis pas certain que les gens ayant eu un avis mitigé sur La marche du Levant vont être aussi enclins à dépenser une vingtaine d’euros pour un livre qui, à quelques détails près, n’a pas vraiment tiré de leçons de la réception de son prédécesseur. Au bout d’un moment, il va falloir, notamment, qu’Izen développe SON univers plutôt qu’aller faire son marché chez les autres. Surtout que, hein, comme je le disais, les clichés / emprunts commencent dès la deuxième page !
Univers *
* The French Open, Foals, 2008.
Un peu plus de 160 000 ans avant le début de l’intrigue, l’Humanité, qui s’était déjà répandue dans les étoiles (à l’aide de vaisseaux infraluminiques, et même 1600 siècles plus tard, la vitesse de la lumière reste indépassable, sauf, comme nous le verrons, pour les communications), découvre le Phytoïde de Katz, un machin-qui-ressemble-à-un-arbre-mais-aussi-à-des-tas-d’autres-trucs, mais pour faire simple, on va appeler ça un arbre de l’espace, hein. La particularité de cet être est qu’il semble tout faire pour favoriser les formes de vie habitant sous ses frondaisons : plantez-le sur une planète ou une lune complètement stérile, sans la moindre atmosphère ou hydrosphère, et il va créer les deux à partir de… eh bien à partir de rien, justement. Même en l’absence d’hydrogène, d’azote ou d’oxygène libre, le Phytoïde va générer ce dont il a besoin selon un processus qui ne sera jamais expliqué par l’auteur. Après le fameux « Ta gueule, c’est magique ! » et sa variante SF, « Ta gueule, c’est quantique ! », Izen invente un « Ta gueule, c’est botanique ! ». Non, tout roman de Science-Fiction ne doit pas relever de la Hard SF, mais quand on se sert, comme point central de son worldbuilding, d’un élément inexplicable par les lois de la Physique et pour lequel on ne propose aucune forme d’hypothèse, même pas une amorce pouvant permettre au lecteur d’élaborer les siennes (ex : il puise ce dont il a besoin dans des univers parallèles, ce n’est pas un simple « végétal » mais une forme de vie utilisant une forme si avancée de femto-technologie organique que pour paraphraser Clarke, ses processus métaboliques paraissent impossibles / magiques alors qu’ils ne le sont pas, etc.), on écrit AU MIEUX de (l’ultra-) Soft SF, et plus probablement une des nombreuses déclinaisons de la Science-Fantasy. Alors on va me répondre que la Taxonomie, on s’en fout et / ou que l’auteur « joue habilement avec les codes des genres », mais moi, quand je lis de la SF, même non-Hard, je m’attends à un minimum de vraisemblance, pas à un arbre qui tire des éléments chimiques absents de son environnement de son c.., pardon, je voulais bien entendu dire de ses racines.
Mais revenons à nos moutons : le Phytoïde, du fait de la terraformation facile et gratuite qu’il catalyse, accélère de façon vertigineuse l’expansion de l’Humanité, qui, en « à peine » 160 000 ans et sans propulseurs supraluminiques conquiert un tiers de la Voie Lactée (je ne sais pas si vous voyez le volume colossal d’années-lumière-cube que cela représente, mais croyez-moi, dans ces conditions, c’est faramineux). Les différentes « provinces », appelées Voxels, chacun représentant une sphère d’un diamètre défini autour d’une étoile centrale, sont réunis en Voxels Unifiés (ça alors !) grâce à l’Égrégore, qui est le nom donné à la fois à un réseau de communication instantané (par intrication quantique) et à l’espace compris dans icelui. Oui, voilà, comme le Retz chez Dan Simmons. Le résultat est que chaque monde des Voxels Unifiés partage la même culture et le même temps « universel », peut communiquer instantanément avec tous les autres, ce qui évite la balkanisation politique et l’apparition d’une myriade de sous-cultures. Vu qu’on n’a jamais découvert d’extraterrestres intelligents, les seuls « indigènes » présents dans la galaxie, et qui ont donc développé des mœurs autres, sont les « néo-endémiques », les habitants des colonies perdues ou retombées dans la « barbarie ». Notez que contrairement à la majorité des livres impliquant une colonisation interstellaire un minimum étendue mais réalisée à l’aide de vaisseaux infraluminiques (par exemple chez Alastair Reynolds, que ce soit dans le cycle des Inhibiteurs ou, de façon encore plus prononcée, dans le fabuleux House of suns -dont vous allez pouvoir découvrir l’univers en août via la novella La millième nuit à paraître au Bélial’), ici l’information n’est pas la denrée la plus précieuse dans les échanges entre deux systèmes éloignés, puisqu’elle circule bien plus vite que les vaisseaux et qu’elle est disponible à volonté partout et instantanément.
L’Homo Egregorus peut, grâce à ce Réseau, accomplir des tas de miracles : il est immortel (il peut stocker des sauvegardes de son état mental dans l’Égrégore, et en cas de mort violente ou accidentelle, revenir à la vie dans un autre corps -identique au précédent ou différent-, ayant juste perdu le souvenir de ce qui s’est déroulé depuis la dernière mise à jour de sa sauvegarde. Et encore, des témoins de la scène ou des jours écoulés peuvent lui raconter), il peut franchir les siècles-lumière d’un coup, d’une certaine façon, en clonant ledit état mental dans un jumeau artificiel (là aussi, c’est assez singulier : dans beaucoup d’autres univers de SF, le fait d’avoir plusieurs copies de soi en circulation est tabou, puni par la loi, etc. Dans d’autres contextes, en revanche, différentes versions de l’état mental d’un être trans-/post-humain ou d’une IA peuvent se balader dans la galaxie puis fusionner leurs souvenirs / expériences), communiquer avec un correspondant se trouvant à l’autre bout des Voxels Unifiés, enfin vous voyez le genre. Ou plutôt, les lectrices et lecteurs ayant un minimum de lectures SF derrières elles / eux auront vu ça plusieurs fois, mais les débutants vont en prendre plein les yeux.
Il y a des tas de choses fascinantes (et, Leafar Izen étant Leafar Izen, elles sont incroyablement sous-développées alors que par contre, certaines parties anecdotiques du livre s’étendent à n’en plus finir) liées à l’Égrégore, comme les Aiguilleurs ou l’origine des IA (à mi-chemin entre un pseudo-Alastair Reynolds période Les enfants de Poséidon et un sous-sous-sous Scott Westerfeld), et on aurait vraiment aimé en apprendre bien plus à leur sujet. En fait, ce roman en rappelle un autre récemment sorti chez AMI, à savoir Les temps ultramodernes, dans le fait qu’il est bien trop court pour ce qu’il aurait pu, voire dû, raconter, et qu’on voit littéralement au travers de ses personnages.
Base de l’intrigue, personnages
Thyra est une ethnologue débutante étudiant une culture « néo-endémique » (retournée à une civilisation technologiquement primitive et ayant oublié qu’elle a débarqué sur sa planète dans un vaisseau colonisateur) dans le système Cygnus-367. Pour réussir la mission qui lui a été confiée par ses professeurs et supérieurs, elle a enfreint l’éthique de sa profession en plaçant, grâce à l’aide d’un petit trafiquant de technologie interdite ou piratée (et geek passant son temps dans un MMORPG du futur, Univers Prime), Roonis, un implant dans la tête d’un de ces aborigènes, alors qu’on ne peut normalement le faire, pour des raisons morales évidentes, qu’avec des animaux. Elle a édité les enregistrements pour que cela ne se remarque pas, et a validé son examen grâce à une découverte majeure sur le mode d’expression de cette culture permise par ce procédé.
Elle reçoit l’ordre, de la part des Aiguilleurs de l’Égrégore en personne (qui, au passage, ont un petit quelque chose des Navigateurs de la Guilde chez Herbert) de tuer un indigène en particulier, parce que figurez-vous qu’eux aussi ont enfreint leurs propres lois en plaçant dans la tête de cet homme âgé un implant très avancé. On explique à Thyra qu’elle doit le supprimer le plus vite possible, puis enterrer son cadavre à un endroit précis, où les Aiguilleurs, en route à vitesse maximale, le récupèreront (ainsi que leur implant avancé) dès que possible. Mais on insiste sur l’urgence de la chose.
« Évidemment », la jeune femme va désobéir, et quand le réseau va émettre un avis de recherche prioritaire contre elle avant d’être coupé sur toute la planète (occasionnant une énorme catastrophe), elle va fuir avec Roonis, le vieil indigène (pardon, « néo-endémique ») et un pilote intrépide qui a accepté de les aider. Ils vont alors devoir composer avec des « alliés » très intrusifs se trouvant dans un champ d’astéroïdes terraformé, l’Archipel, le mystère de la nature de l’implant porté par le vieillard (surnommé Thanatos), recourir à un procédé qui ne les enchante guère, découvrant ainsi des vérités inattendues sur les différentes factions qui se disputent le destin de Thanatos.
Emprunts / ressemblances
Si vous avez lu certains auteurs / cycles / romans, il est impossible non seulement de ne pas tirer certains parallèles, mais, bien pire que ça, de ne pas se douter de la fin de l’intrigue et des twists littéralement des centaines de pages à l’avance. Commençons par le plus évident, à savoir celui avec la tétralogie des Cantos de Dan Simmons : chez cet auteur, un réseau de communication (déplacement instantané) appelé le Retz donne son nom à l’espace (politique) qu’il couvre ; c’est la même chose avec l’Égrégore, réseau de communication (transmission instantanée d’informations) dont l’auteur dit, dès la deuxième page, que son nom désigne aussi parfois la région de la galaxie où il est opérationnel. Le problème étant que si vous avez lu vos classiques (et connaissez la prédilection de Gilles Dumay pour un certain sous-genre de la SF), vous avez déjà compris ce qui va se dérouler dans la deuxième moitié du Courage de l’arbre. Ce qui est tout de même UN GROS souci de prévisibilité, non ? Bien entendu, les parallèles sont très loin de s’arrêter là : certaines entités se servent d’un élément de cet univers pour obtenir quelque chose des humains à leur insu (comme dans… voilà, vous y êtes), Thyra bafoue l’éthique des ethnologues tout comme un certain Paul Duré bafoue celle des archéologues en falsifiant ses recherches, et Roonis et elle constituent une sorte de Raul Endymion à deux têtes pour un Thanatos qui est une sorte d’Énée (dans le sens : ce qu’il renferme en lui libèrera l’Humanité d’un carcan dans lequel elle est enfermée depuis trop longtemps). Même si on pourrait aussi dire que Thyra est, au moins transitoirement, une Énée inversée, qui condamne l’Humanité sans le savoir (tout comme quelque part, Thanatos est un Gritche inversé, rapport à l’Empathie, tout ça). Sans compter l’Archipel qui évoque vaguement l’Arbre-étoile. Et j’en passe, y compris pour ne pas divulgâcher.
Un autre élément clé fait nettement penser au Vernor Vinge d’Un feu sur l’abîme (autre énorme classique), et là aussi, impossible de ne pas faire le parallèle quand il se dévoile (dès la première apparition d’un certain personnage, je me suis dit « Non, pas possible ce serait un b****-**** » ?, même si en fait, il y a de ça, mais de façon différente : il faudrait plus parler de p****-****). Mais on peut aussi penser à Scott Westerfeld et Alastair Reynolds (que j’évoquais plus haut), plus à Peter Hamilton, les imago des Homo Egregorus évoquant les Ombres Virtuelles (ou équivalents) de ses univers, et le Phytoïde pouvant faire penser au mystérieux Zanth (y compris dans le flou dans lequel nous laisse l’auteur à la fin). On peut aussi citer les unités de mesure qui évoquent le trop méconnu Suprématie, ou l’emploi du terme « neuromancien » qui est un hommage évident à William Gibson. Enfin, cela m’est sans doute très personnel, mais le long passage dans les Aiguilles du monde d’Alpha-Lahsa m’a rappelé le style de certains livres de SF-mais-non-Culture de Iain M. Banks. Gilles Dumay, lui, évoque Greg Egan (mouais : les échelles spatiales / temporelles, le transfert d’esprit d’un système stellaire à l’autre, la colonisation infraluminique, à la À dos de crocodile) et Jack Vance (non, ou alors sur l’univers brossé à très grands traits et dont on ne fait pas grand-chose ensuite).
Quand on mentionne ce qu’on croit être des hommages / emprunts / ressemblances fortuites, il est toujours possible que le lecteur / critique projette dans le livre des choses qui n’y sont pas forcément, et prête à l’auteur une connaissance de la SFFF qu’il n’a parfois pas. Pourtant, au moins pour le cas des Cantos, il me paraît très difficile d’imaginer que la convergence soit accidentelle, notamment dans l’emploi, parfois, de termes / formules très précis (« la mousse-substrat de cette IA »), que cela concerne l’Égrégore, les IA ou les autres intelligences évoquées par le prophète aveugle dans les Aiguilles du monde : je veux dire, on sourit en pensant très fort « ESPACE QUI LIE » et « LIONS ET TIGRES ET OURS », hein 😀
Dans le même ordre d’idée, il est possible que certains clins d’œil soient des fausses pistes intentionnellement semées par l’auteur (ce qui serait franchement habile, du coup) ou que je me fasse des films. Par exemple, quand certains individus sont ramenés à la vie par l’Égrégore, à partir d’un certain point de l’intrigue, ils ne retrouvent pas le monde qu’ils ont laissé, en quelque sorte. On se dit que c’est bizarre, qu’on aurait juré voir ce chat noir passer au même endroit il y a à peine un instant (si vous voyez ce que je veux dire), ou que tout cela ressemble furieusement à un monde parallèle uchronique (en terme d’uchronie personnelle) et que, peut-être, le réseau s’étend bien plus loin dans l’Espace (qui Lie, mouahaha !) qu’on ne l’imagine, et que peut-être, ça peut aussi expliquer comment le Phytoïde sort des éléments vitaux de son c.. enfin je veux bien entendu dire de son système racinaire, hein. De même, il y a des choses sous-entendues à propos des imago qui nous font nous dire que, peut-être, Izen aurait combiné les Ombres Virtuelles d’Hamilton avec les filtres de Réalité de Suprématie. Alors je ne vais pas vous dire si / lesquelles de ces hypothèses sont vraies ou fausses, mais ce qui est intéressant, pour la lectrice ou le lecteur expérimenté(e), c’est que ça peut donner envie d’avancer dans le livre alors que fondamentalement, tout ça est du dix fois vu, depuis longtemps et (est-ce que j’ai vraiment besoin de le préciser ?) en beaucoup mieux.
Car le principal problème de ce roman, bien pire encore que La marche du Levant, est qu’il est très (et là, on peut carrément même dire beaucoup trop) référencé. Cela passera chez les néophytes, beaucoup moins dans la partie hardcore du fandom. Rendre hommage à / s’inspirer de ses écrivains favoris est un processus naturel chez un romancier s’essayant pour la première fois à un genre littéraire donné, mais ce que l’on pouvait éventuellement pardonner à La marche du Levant passe déjà beaucoup moins dans Le courage de l’arbre, vu qu’il s’agit tout de même du deuxième livre de SF d’Izen publié sous le haut patronage de ce mentor d’exception qu’est Gilles Dumay. On peut se demander quand, exactement, Izen va se mettre à développer son propre univers plutôt que s’inspirer autant de celui des autres. Surtout que d’autres y arrivent mieux, y compris dans la même collection ; regardez, par exemple, la différence entre Latium et La nuit du faune : le premier est clairement trop référencé, tandis que le second transcende ses influences pour donner quelque chose de supérieur à la simple somme de ses « géniteurs » !
Au passage, vu tous les hommages / emprunts / ressemblances que j’ai pointés, la quatrième de couverture est tout de même sacrément gonflée de parler d’un « Space Opera d’une puissante originalité » 😀 Dans le même ordre d’idée, l’auteur aurait franchement pu rendre hommage clairement à ses inspirateurs dans les remerciements…
Problèmes de solidité scientifique
Si l’unique souci du Courage de l’arbre était qu’il est trop référencé, je ne m’inquièterais pas pour sa réception critique et commerciale globale : après tout, la grande majorité du lectorat d’AMI est constituée de gens qui ne savent tout simplement pas qui sont Simmons et Vinge, et qui, donc, seront bien incapables de voir ce qu’Izen leur a emprunté ou qui ressemble d’une énorme façon à leurs univers / intrigues / personnages. Non, le vrai problème est que fondamentalement, cet univers ne tient pas la route, et c’est loin de s’arrêter au « Ta gueule, c’est botanique ! » que j’évoquais plus haut. Si vous avez la moindre connaissance scientifique, certaines choses vont vous paraître pour le moins étonnantes. Je vais vous donner deux exemples, un que beaucoup pourront repérer, un autre plus pointu. Premièrement, page 396, on vous explique qu’un vaisseau « avale des parsecs »… en 17 heures, ce qui est très étonnant vu que la propulsion supraluminique n’existe pas dans cet univers et qu’un seul parsec équivaut à 3.26 années-lumière ! Il fallait probablement comprendre les UA (Unités astronomiques, l’équivalent de la distance Terre-Soleil, soit 150 millions de kilomètres), mais disons que ça fait désordre, et pas qu’au niveau de l’auteur : il est étonnant que personne chez AMI, des correcteurs aux Lecteurs, n’ait repéré une bourde aussi énorme. On accordera une Indulgence (au sens religieux du terme) à Gilles Dumay, parce que le pauvre en a bavé ces derniers temps.
Deuxième exemple : on nous dit que les micro-trous-noirs des vaisseaux sont alimentés par de la muonite, sans jamais nous expliquer ce que c’est. Techniquement, je pense que l’auteur évoque ainsi de l’hydrogène où un électron est remplacé par un muon, ce qui facilite théoriquement grandement les réactions de Fusion nucléaire. Sauf que cette substance n’a aucune raison scientifique d’être utilisée pour alimenter un Trou noir en carburant : vous pouvez lui balancer littéralement n’importe quoi, que ce soit a/ en tentant d’en tirer de l’énergie par le Processus de Penrose / en exploitant son disque d’accrétion ou b/ pour le faire grossir / compenser sa perte de masse par rayonnement Hawking pour exploiter ses propriétés gravitationnelles (ce qui est visiblement le mode de propulsion des Infléchisseurs), vous n’avez en aucun cas besoin de « muonite », n’importe quelle forme de matière fait l’affaire. La seule raison de recourir à cet artifice est 1/ que les vaisseaux aient besoin de se ravitailler en carburant qu’ils ne peuvent pas trouver n’importe où -ce qui contraint donc les personnages- et 2/ de donner à son univers un pseudo-vernis de « crédibilité » qui ne tient hélas pas bien longtemps face à quelqu’un qui se pose des questions sur la cohérence de ce qu’il lit.
Ce qui est ahurissant, c’est que la quatrième de couverture se plait à souligner que l’auteur a « évolué quinze ans dans le milieu des sciences et de l’ingénierie ». Ce qui m’a rappelé le fait qu’un autre éditeur / le site de l’autrice concernée se plaise lui aussi à souligner le fait que Becky Chambers soit issue d’une famille très « impliquée dans les sciences spatiales », et « dont l’espace est un des sujets de prédilection » : eh ben, le moins qu’on puisse dire est que pour Izen comme Chambers, on ne peut pas franchement constater que ça se reflète dans leurs livres ! 😀
Et encore, si les soucis du roman s’arrêtaient là, une fois encore, ce ne serait pas trop grave : quel pourcentage du lectorat va se poser des questions sur la Muonite, franchement ? Voire sur le côté « magique » du Phytoïde ? Sauf que…
Seconde moitié bancale, personnages creux ou agaçants, problèmes de rythme, fin assez abrupte
Sauf que les problèmes du Courage de l’arbre ne s’arrêtent certainement pas là. La seconde moitié, en gros, le dernier tiers, au minimum (en étant conciliant), marquent une nette baisse de rythme et d’intérêt. Les personnages sont creux, immatures (par contre, il est gentil, Izen, mais moi j’ai 47 ans et je joue toujours aux jeux vidéo -chose qu’il a l’air de mépriser ou de prendre de façon goguenarde-, et je ne lui demande pas son avis, hein), pour certains assez désagréables (Thyra est une jeune femme hautaine et froide qui souffle le chaud et le froid avec Roonis selon ses intérêts, et ce dernier, avec son air d’amoureux transi perpétuellement -ou presque- éconduit finit par agacer), voire, pour l’un (le « Kid » qui veut « fumer » tout le monde ; on signalera, au passage, que le « commando » de la fin du roman relève au mieux de l’humour qui tombe complètement à plat, au pire de la grosse maladresse / rupture de ton), rejoignent mon trio de tête des persos les plus insupportables de l’histoire de la SF (avec l’indétrônable Hugo Fist -émanant d’un roman, Station – La chute, édité par… Gilles Dumay- et la Maya du pathétique The all-consuming world de Cassandra Khaw -que vous aurez le douteux honneur de pouvoir lire prochainement en français). Le pire étant que passé un certain stade de l’intrigue, de… hum, « nouveaux » personnages vont apparaître, et qu’ils sont paradoxalement plus intéressants (mais pas de beaucoup, finalement) que les anciens. Je veux dire, quand on se fout de savoir ce qui va arriver aux protagonistes d’un livre, il y a un souci, non ? Mentionnons aussi une fin qui sans être outrageusement abrupte, aurait tout de même mérité un peu plus de développement. On a le sentiment que 1/ il est dommage d’avoir fait autant traîner les choses sur Alpha Lhassa et / ou dans certaines phases d’introspection des personnages, et que 2/ il fallait que ça rentre dans 400 pages et puis c’est tout. Et évoquons peut-être surtout le fait qu’il reste bien des mystères inexpliqués à la fin du livre, même si les arcs principaux sont bouclés de façon satisfaisante.
Mais malgré tout ce que je viens de vous expliquer, même pour un vieux de la vieille comme moi, la première moitié, minimum (voire les deux premiers tiers), n’est pas désagréable du tout, et l’univers (même s’il n’est pas du tout original) a du cachet, on va dire. Et puis il y a l’aspect « ludique » que j’évoquais à propos des hypothétiques fausses pistes semées par l’auteur. Sans compter un style plaisant. Et des thématiques très intéressantes et souvent traitées avec justesse (écologie, dépendance aux réseaux, identité, fragmentation de la Réalité -avec un grand « R »- objective / consensuelle en une myriade de petites réalités -avec un petit « r »- locales / claniques / subjectives, etc.). Et puis bon, même un sous-Simmons, pour quelqu’un comme moi qui place Hypérion au pinacle de la SF, ça ne se refuse pas. Et je le martèle, mais si vous n’avez pas (encore ?) lu les auteurs dont Izen s’inspire, vous devriez passer un agréable moment de lecture (aux défauts autres que ceux liés aux inspirateurs que j’ai détaillés plus haut).
Ma critique n’est pas ce que l’on pourrait appeler dithyrambique (euphémisme !), pourtant Le courage de l’arbre n’est pas, pour moi, un mauvais roman, juste l’œuvre très perfectible d’un auteur qui, de mon point de vue (qu’on n’est pas forcé de partager), a encore beaucoup à apprendre.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de FeydRautha, celle de Sometimes a book, du Nocher des livres, de Célinedanaë, de Tachan, de L’aventurier des rêves,
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« Ta gueule, c’est botanique »… Bravo ! Je suis jaloux de ne pas l’avoir trouvé avant pour parler de ce qui m’agaçait dans « Le Monde vert » 😛
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Merci !
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Je n’étais pas attirée par ce livre donc tu ne fais que confirmer que je ne vais pas m’y pencher. Le ta gueule c’est botanique restera dans les mémoires 👌
Par contre j’apprécie toujours autant la solidité de ton argumentation et les nuances que tu y mets. Ce n’est pas tout blanc ou tout noir et tu ne condamnes pas uniquement sur ton propre avis. Décidément, te lire est toujours très plaisant 😊
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Merci infiniment ! Comme tu le sais, j’apprécie aussi la nuance et la qualité de l’argumentation de tes propres critiques 🙂
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J’essaie en tout cas, ça me touche beaucoup venant d’un chroniqueur d’une telle rigueur 😊
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J’ai bien fait de passer mon chemin, comme tu dis
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Excellente critique. De toute façon je n’avais pas prévu de le lire. Je ne suis pas un lecteur de SF ou Fantasy Française à l’exception d’un ou deux auteurs. Mais alors le « Ta gueule c’est botanique » vas rester dans les annales.
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Merci ! Il m’arrive d’avoir des éclairs de génie, de temps en temps 😀
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Le culte d’apophis : « Le roman décrypté, la vérité révélée, la fessée assurée. »
Excellente critique !
J’imagine que l’éditeur est assez confiant dans les chances de ce roman, car clairement tu ne représentes pas le lecteur lambda en sf mais bien son extrême opposé.
Suite à ta critique, je vais plutôt me tourner vers certaines œuvres fondatrices mentionnées que je n’ai pas eu le temps de lire jusqu’à présent. Mais bon, tu n’es pas là pour assurer la vente du livre… et heureusement !
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Merci ! Eh bien il se trouve que certains prétendent que je ne suis qu’une vitrine publicitaire, pour ne pas dire un vendu, à des maisons comme AMI ou le Bélial’. Ce qui est risible quand on voit les critiques que j’ai pu formuler envers certains des livres de ces maisons.
Sinon oui, il faut lire Hypérion et Un feu sur l’abîme ! Mais si j’étais toi, je, hum, patienterais un peu 😉
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Le premier c’est fait, le deuxième non. J’attends donc 🙂
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Même si je connais au moins une partie des références dont tu parles, il me reste pas mal de bouquins à rattraper dans ce domaine. Donc je pourrais presque me « faire avoir ».
Par contre, le coup de la muonite, c’est le genre de truc qui me frustrerait trop.
Le côté « ta gueule, c’est magique » fait partie des trucs qui me frustre incroyablement. Même si la race ou les personnages font face à un truc qui dépasse de loin toutes leurs connaissances scientifiques, je veux à minimum les voir faire des hypothèses qui semble logique ou plausible. Quitte à ce qu’ils rencontrent plus tard une race bien plus avancée que la leur et qui leur explique quelle est cette diablerie. Là, en plus ce n’est même pas une technologie, mais un « arbre », donc je pense que ça me demanderait trop de suspension, d’incrédulité.
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C’est clair qu’il faudrait faire lire Simmons / Banks / Vinge à BEAUCOUP plus de gens, non seulement pour la qualité propre de leurs œuvres, bien sûr, mais aussi pour donner à ces lectrices et lecteurs les clés de décodage de tout un tas de romans récents. Et relativiser les déclarations du genre « un roman puissamment original » ou les critiques encensant ce qui n’est qu’un sous-Simmons / Banks, le plus souvent. L’exemple récent le plus emblématique restant, à mon avis, Cantique pour les étoiles de Simon Jimenez, qui n’est qu’une pâle réécriture des histoires de Siri / Merin et d’Énée dans les Cantos d’Hypérion.
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J’avais été déçu de la Marche du Levant, et devant un tel argumentaire sur ce nouveau livre, je pense faire l’impasse.
Si j’aime me faire mon opinion par moi-même, dans ce cas précis, ton article devrait m’éviter une dépense qui pourrait être mieux exploitée.
Beau travail d’analyse et merci.
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Merci, content d’avoir pu t’être utile !
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