Sidewise in time – Murray Leinster

L’oeuvre pionnière d’un génie méconnu de la SF

sidewise_in_timeMurray Leinster était le pseudonyme de William Fitzgerald Jenkins (1896-1975), écrivain américain de SF aujourd’hui quasiment inconnu du grand public (rien à voir avec Asimov, par exemple) mais pourtant très important dans l’histoire de la SF. En effet, outre son extraordinaire productivité (plus de 1500 nouvelles et articles, entre autres écrits), c’était aussi un incroyable visionnaire, crédité de l’invention, en science-fiction, des mondes parallèles (dans Sidewise in time, en… 1934 !), du traducteur universel (en 1945) et même d’un équivalent de l’internet, imaginé en… 1946 ! Leinster était donc extraordinairement en avance sur son temps, et d’autres écrivains, des séries télévisées et ainsi de suite lui doivent beaucoup.

En ce début septembre 2020, Orion publie, dans sa collection patrimoniale, sous le label Gateway (qui a, en SF, une démarche similaire à celle de Mnémos chez nous), un recueil des nouvelles les plus essentielles de Leinster. Je ne vais pas vous le présenter en totalité aujourd’hui (ça viendra sans doute plus tard, ou les textes les plus importants un par un, on verra), mais plutôt vous parler du texte éponyme, Sidewise in time, qui, au passage, a donné son nom au prix Sidewise qui, depuis 1995, récompense les meilleures uchronies (un prix forme courte, un forme longue) de l’année précédente. En effet, je suis en train de lire The doors of Eden d’Adrian Tchaikovsky (qui, par sa productivité, est -toutes proportions gardées- le Leinster de notre époque), qui parle également d’univers parallèles uchroniques, et j’ai voulu revenir aux origines de cette thématique. Et ce d’autant plus qu’aussi sidérant que cela puisse paraître, Sidewise in time, le texte fondateur du genre, n’a jamais été traduit ! (d’autres écrits de Leinster l’ont été, toutefois).

Jigsaw falling into place *

* Radiohead, 2008.

Le texte date de 1934 (j’y reviendrai). Il décrit l’apparition, de janvier à fin mai 1935, de très étranges phénomènes un peu partout sur Terre : soleil qui devient bleu, avec une température qui monte de 22 degrés Fahrenheit en cinq minutes avant que tout rentre dans l’ordre, rivière qui inverse transitoirement son cours, girafe qui régresse à l’état embryonnaire avant de se diviser en deux animaux identiques, et ainsi de suite. Personne ne saisit ce qui se passe. Personne ? Pas tout à fait. Le professeur Minott, obscur enseignant de mathématiques d’une fac de troisième ordre de Virginie, a tout compris, lui, mais il se tait. Et se prépare.

Il se prépare, mais à quoi, me direz-vous ? Eh bien au vrai phénomène, dont les incidents précédents n’étaient que des signes avant-coureurs. Le 5 juin, en partant au travail ou en allant boire un café sous leur porche, les américains de certaines régions (et on apprendra plus tard dans le texte que c’est aussi le cas dans d’autres parties du monde) voient qu’aux limites de leur champ, de leur quartier ou de leur ville, les choses ont… changé. Le climat, la végétation, les animaux, les humains, même, ne sont plus identiques à ce qu’ils étaient la veille.

L’incompréhension et la peur dominent, sauf du côté de la fac où enseigne Minott, où celui-ci recrute, sous la menace de pistolets, huit de ses étudiantes et étudiants, leur fournissant des chevaux aux fontes remplies de livres, de cartouches et de revolvers, avant de s’enfoncer dans l’étrange forêt récemment apparue. Et ces élèves n’ont pas été choisis au hasard : à eux tous, ils représentent un vaste éventail de connaissances utiles.

Analyse et ressenti

Je le disais, Sidewise in time a été rédigé en 1934, mais à part le traitement des personnages féminins (qui ne sont que des damoiselles en détresse bonnes à être secourues par de vaillants étudiants masculins), ça ne se voit pas (le reste relève de certaines maladresses propres à l’auteur -comme un méchant un peu caricatural et des dialogues qui ne sonnent pas très naturels-, bien que le reste de son écriture -notamment la tension dramatique, la description ou l’explication des événements- soit souvent de haut vol). Ou plutôt si, mais sur un plan très précis : il est très rare que le traitement des univers parallèles uchroniques fasse l’impasse sur les nazis, mais ici, ils n’avaient pas encore commis le gros de leurs méfaits en 1934, aussi sont-ils logiquement absents.

Mais à part ça, cette nouvelle, qui défriche carrément un nouveau champ de la SF, est très convaincante, notamment au niveau des explications du phénomène qui sont données, et qui sont à la fois simples (compréhensibles par n’importe quelle lectrice ou n’importe quel lecteur : ce n’est pas de la Hard SF -et pourtant, Leinster imagine une collision de branes bien avant que le concept n’existe !-), complètes et élégantes. Je le disais, je lis en parallèle The doors of Eden d’Adrian Tchaikovsky en ce moment, et le moins qu’on puisse dire est que lui n’est pas aussi à l’aise dans l’exercice ! Alors bien sûr, ce qui est décrit est, vu depuis 2020, du cent fois lu  : on peut d’ailleurs remarquer que le meilleur auteur de SF de ce côté-ci de l’horizon des événements d’un trou noir (selon le Chien Critique, du moins), Robert Charles Wilson, a dû « un peu » (euphémisme !) s’inspirer de ce texte fondateur quand il a écrit Mysterium ou Darwinia, et on pourrait faire la même remarque (à un gros détail près) pour le cycle L’odyssée du temps de Baxter / Clarke. Mais encore une fois, il faut se rappeler que Sidewise in time date de 1934 et admirer la puissance de l’imagination de Leinster.

Tout compte fait, je ne regrette absolument pas ni ma lecture, ni mon achat du recueil, car si le reste est du même tonneau, cela promet quelques beaux moments de SF. Même après 85 ans de textes traitant d’univers parallèles, cette nouvelle pionnière reste prenante et convaincante, parfois plus que certains textes récents, qui lui doivent d’ailleurs souvent beaucoup ! Dommage que Leinster soit aussi méconnu en France, car sur la base de cet extrait de son oeuvre et sur celle de son imagination sans bornes, il ne le mérite à mon sens pas.

Niveau d’anglais : aucune difficulté.

Probabilité de traduction : si au bout d’autant de temps, ce texte n’a pas été traduit, il est peu probable qu’il le soit en 2020…

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14 réflexions sur “Sidewise in time – Murray Leinster

  1. Très intéressant. Ce qui m’amène à poser une question : le sidewise award n’a pas été attribué en 2019 ; le site officiel semble ne pas bouger et la page anglaise de wikipedia du prix n’a pas bougé non plus. Savez-vous ce qu’il se passe ?

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  2. Je ne connais pas ce texte jamais traduit mais par contre Murray Leinster est connu des vieux crouton comme moi car il a été édité dans des collections bon marché pour les romans (FN anticipation, Rayon fantastique, ja lu…) et des nouvelles dans divers recueils ou revues (Marginale, …) . Pour ceux que cela intéresse, on trouve facilement d’occasion à bas prix sur Amazon ou sur Rakuten.fr.

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