L’œil d’Apophis – Numéro 15

Eye_of_ApophisQuinzième numéro de la série d’articles L’œil d’Apophis (car rien n’échappe à…) ! Je vous en rappelle le principe : il s’agit d’une courte présentation (pas une critique complète) de romans qui, pour une raison ou une autre, sont passés « sous le radar » des amateurs de SFFF, qui sont sortis il y a longtemps et ont été oubliés, qui n’ont pas été régulièrement réédités, ont été sous-estimés, ont été noyés dans une grosse vague de nouveautés, font partie de sous-genres mal-aimés et pas du tout dans l’air du temps, sont connus des lecteurs éclairés mais pas du « grand public », pour lesquels on se dit « il faudra absolument que je le lise… un jour » alors qu’on ne le fait jamais, et j’en passe. Chaque numéro vous présente trois romans ou cycles : aujourd’hui, il s’agit de Coyote céleste de Kage Baker, d’Homme-Plus de Frederik Pohl et du Nez de Cléopâtre de Robert Silverberg.

Au passage, sachez que vous pouvez retrouver les anciens numéros de l’œil via ce tag ou bien cette page. Je vous rappelle aussi que les romans présentés ici ne sont pas automatiquement des chefs-d’oeuvre ou ceux recommandés par le site à n’importe quel amateur de SFFF (si c’est ce que vous cherchez, voyez plutôt les tags (Roman) Culte d’Apophis ou Guide de lecture SFFF).

Coyote céleste – Kage Baker

coyote_celesteKage Baker (1952-2010) était une autrice américaine de SF et de Fantasy. Coyote céleste est le second tome d’un vaste cycle appelé La Compagnie, qui compte onze romans, plus des nouvelles et novellas. Seuls deux de ces livres ont été traduits en français, le tome 1 appelé Dans le jardin d’Iden et le 2, donc, Coyote céleste. Vous devez probablement vous demander pourquoi je vous parle du second livre de la saga et pas du premier : il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, je ne me suis pas rendu compte, en l’achetant, qu’il s’agissait d’un tome 2 (alors que c’est marqué sur la quatrième de couverture…), et malgré cela, je n’ai eu absolument aucun problème à suivre l’intrigue ; ensuite, pour avoir lu Dans le jardin d’Iden plus tard, je peux dire que je suis très, mais alors très loin de l’avoir autant apprécié, n’y retrouvant ni l’humour, ni l’exotisme et surtout pas le rythme que j’avais apprécié dans son successeur. Si vous arrivez à mettre la main sur Coyote Céleste (il se trouve facilement d’occasion en français, et sous forme électronique en VO), je vous conseille donc de faire comme moi, de commencer par le meilleur des deux, avant, éventuellement, de lire le tome 1, voire les tomes 3+, qui n’ont jamais été traduits (et il faudrait que je m’y colle moi aussi, tiens…).

Ce cycle est une histoire de voyage dans le temps, mais assez particulière. Une société du XXIVe siècle, Docteur Zeus Inc., plus souvent appelée la Compagnie, maîtrise les technologies du déplacement temporel et de l’immortalité (via la transformation d’êtres humains -voire de Néandertaliens !- en cyborgs). Cependant, rien ne peut voyager dans le futur, seulement dans le passé (ou revenir à son époque d’origine). Impossible, donc, de ramener ainsi ce qui intéresse la société, à savoir des œuvres d’art détruites, des espèces animales ou végétales disparues, des objets typiques de cultures annihilées, etc. Par contre, rien ne vous empêche de recruter les gens dans une époque antérieure à la vôtre (jusqu’à la Préhistoire !), de les rendre immortels, de leur promettre le paradis une fois parvenus au XXIVe siècle, et de faire voyager tout ce qui vous intéresse dans le temps à la manière traditionnelle, c’est à dire en le laissant s’écouler normalement. Sachant que vos agents vont construire des bases secrètes et des caches, où comme par miracle, les artefacts / espèces / quoi que ce soit « perdus » vont être « miraculeusement » retrouvés au XXIVe siècle. Le personnel de la Compagnie proprement dit ne voyage pas dans le temps s’il peut l’éviter, car il est phobique de la saleté, des maladies, de la consommation de viande, et de tout un tas d’autres choses communes dans le passé. Ce qui n’est pas un gros problème, car une personne recrutée peut à son tour donner l’immortalité cybernétique à d’autres personnes, principalement des gens qui étaient supposés mourir (accident, maladie, etc). Dernière précision : vous ne pouvez pas changer les grands événements Historiques, donc les paradoxes temporels qui sont communs dans d’autres romans relevant du Time Opera sont ici évacués.

coyote_celeste_pocheDans Coyote Céleste, la mission des agents de Dr Zeus Inc. est de préserver une culture indigène de la Californie, menacée, en 1699, à la fois par l’arrivée imminente des Conquistadors et par le développement d’un nouveau fléau chez la tribu voisine : le monothéisme. L’un de ces agents, Joseph, va se faire passer pour Coyote, le dieu fripon des indiens Chumash, espérant ainsi les convaincre facilement de le suivre et d’obéir à ses directives. Mais ces derniers vont se montrer difficiles à manœuvrer, et faire preuve d’un sens de la répartie aussi jouissif pour le lecteur qu’iconoclaste dans le cadre d’une religion à laquelle ils ne croient pas vraiment. Parallèlement, Joseph va se poser des questions quand, pour une fois, des gens du XXIVe siècle vont débarquer, ainsi que sur les non-dits, voire les mensonges, entourant la Compagnie.

Ce qui fait le charme de ce bouquin sans prétention (et très injustement méconnu, à mon sens), c’est le mélange assez unique d’aventure, d’exactitude Historique, d’humour dans les dialogues, de satire sociale et d’un aspect SF mystérieux et passionnant. Il est vraiment dommage que la suite du cycle n’ait pas été traduite (un problème de ventes, sûrement), mais vous pouvez me croire, c’est vraiment un roman qu’on prend plaisir à lire, et que je vous conseille sans hésitation.

Homme-Plus – Frederik Pohl

man_plus_pohlOn ne présente plus sur ce blog Frederik Pohl (1919-2013), auteur (ou co-auteur) d’œuvres aussi marquantes que le cycle de La grande porte ou Planète à gogos, ainsi que du décevant Plus de vifs que de morts (qui présente toutefois une nette analogie avec une novella d’un autre auteur récemment sortie, et dont je tairai le titre pour ne pas spoiler). L’écrivain américain est aussi l’auteur d’Homme-Plus, roman bien moins connu mais qui m’a marqué, et que je me propose de vous faire découvrir (et qui présente lui aussi une nette ressemblance, sur un point crucial, avec un livre de SF d’un autre auteur, lui aussi récemment sorti, et dont je ne dirai rien de plus pour, là encore, ne pas divulgâcher). Dans une Amérique du futur proche où la Guerre Froide menace de se réchauffer (ce titre est sorti en 1976 -et a gagné le prix Nebula la même année-), il devient urgent d’assurer un avenir à l’Humanité. On décide donc d’accélérer le programme martien, en créant un cyborg (être mi-homme, mi-machine) capable de survivre sans assistance à la surface de la planète rouge. C’est le projet Homme-plus qui donne son nom au bouquin. Roger Torraway, qui n’est pourtant pas le premier candidat sur la liste, finit pourtant par être le cobaye des scientifiques après une série d’infortunes frappant les autres astronautes.

Le livre en devient dès lors très intéressant : on y suit la transformation progressive à la fois du corps et surtout de la psychologie de Roger, ainsi que les réactions de ses proches (de sa femme, particulièrement, évidemment) ou des gens qui travaillent avec lui. La partie sur Mars proprement dite n’arrive que vraiment tard dans le roman, mais elle ménage une double surprise de taille. Signalons qu’une suite, Mars Plus, a été co-écrite avec un autre auteur en 1994, mais n’a jamais été traduite. Du processus de transformation fascinant (mais finalement assez horrible) à la critique sociale ironique mais sans concessions, du twist final qui vous met sur votre séant à un protagoniste très attachant, voilà encore un livre qui, s’il n’est peut-être pas un chef-d’oeuvre, mériterait pourtant d’être réédité ou en tout cas d’être plus connu (on admirera aussi la splendide couverture signée Siudmak de l’édition poche).

Le nez de Cléopâtre – Robert Silverberg

nez_cleopatre_silverbergSilverberg est un géant de la SF (surtout), de la Fantasy, mais aussi de l’Uchronie. Sur le plan de ce dernier genre littéraire, son recueil Le nez de Cléopâtre, paru chez trois éditeurs français différents entre 1994 et 2001 le prouve d’une façon magistrale. Il se compose de six textes, nouvelles ou novellas, et vous pourrez trouver certains d’entre eux dans des ouvrages plus récents ou plus disponibles (je vous renvoie à cette page du site de Noosfere). On retiendra surtout que le formidable Tombouctou à l’heure du lion se retrouve dans L’intégrale de La porte des mondes chez Mnemos, et que Légendes de la forêt véniane est inclus dans le non moins excellent Roma Aeterna dont je vous parlais dans le huitième numéro de L’œil d’Apophis.

Ce recueil a été le catalyseur qui a éveillé mon considérable intérêt pour l’uchronie, via les deux textes que je viens de citer. Le premier montre (via un style extrêmement évocateur) un monde dominé par les Ottomans, les Africains et les peuples précolombiens après que la Peste Noire ait ravagé l’Europe à un degré bien plus radical que dans notre propre version de l’Histoire (Kim Stanley Robinson est parti d’un postulat similaire dans l’exigeant mais magistral chroniques des années noires). Le second montre, lui, un monde où l’Empire romain a survécu jusqu’à nos jours, et où les religions du Livre ne sont jamais apparues, ont été tuées dans l’œuf ou réduites à un contingent minuscule et sans influence.

Mais les quatre autres textes sont très loin d’être dépourvus d’intérêt, et mettent en scène des entités qu’on ne s’attend pas forcément à retrouver en uchronie ou dans une littérature de genre plus généralement centrée sur l’Histoire : IA, extraterrestre, etc. On retiendra particulièrement Le traité de Düsseldorf (où une race alien qui cherche à brider le développement technologique et l’expansion dans l’espace des humains obtient des résultats inattendus en manipulant leur Histoire), Entre un soldat puis un autre (qui montre d’improbables mais savoureux dialogues entre personnages issus de différentes périodes historiques, simulés par ordinateur -un procédé qui sera en partie repris dans un passage très marquant d’un non moins excellent épisode de Babylon 5-), et éventuellement les vicieux anges… digitaux de Basileus (à la chute frappante) ou le Temujin de Le sommeil et l’oubli (sans doute le moins marquant des textes du recueil).

Parfait pour s’initier à l’uchronie ou à la maîtrise stylistique de ce géant des littératures de l’imaginaire qu’est Silverberg, Le nez de Cléopâtre (ou les textes individuels qui le composent, peu importe) est une lecture que je vous recommande chaudement.

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21 réflexions sur “L’œil d’Apophis – Numéro 15

  1. Ah mais oui, je me souviens avoir lu Légendes de la forêt véniane dans mon exemplaire de Roma Aeterna.
    Et le court résumé du Traité de Düsseldorf m’évoque quelque chose… En tout cas je ne connaissais pas ces trois livres, donc merci pour la découverte – particulièrement en ce qui concerne Robert Silverberg qui est un auteur que j’aime beaucoup !

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  2. Merci pour ces articles! J’aime beaucoup tes critiques, mais j’avoue préférer les numéros « L’œil d’Apophis » par son coté découverte et ses mini critiques. De plus, on trouve ses livres en occasions à vraiment pas cher, donc pourquoi se priver!
    Merci encore, au plaisir de te lire

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  3. Coyote céleste cela fait un bail que je l’ai dans ma Wish, et je n’ai pas pu me le procurer jusqu’àaors. Pour Pohl, je suis plus mesurée, j’ai trouvé que ses récits avaient pris quelques rides.

    Le recueil, pas pour linstant. Mais tu retournes le couteau dans la plaie avec le coyote céleste!!

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    • Oui, c’est sûr que le Pohl, lu en 2019, a un parfum vieillot.

      J’en profite pour te dire que j’ai été scandalisé par le harcèlement, les insultes et la diffamation dont tu as été victime de la part de Cédric Jeanneret, qui tient le blog Reflets de mes lectures et le podcast Coliopod. Je suis de tout cœur avec toi !

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      • Merci Apophis, je suis très touchée de tes mots. J’avoue que j’ai été très blessée, alors que par ailleurs je suis connue pour boycotter Lovecraft en raison de ses écrits racistes. C’est pour cela que j’ai un grand mal à comprendre et pardonner une telle charge.
        Surtout qu’il n’aurait pas réitéré ses insultes en appuyant toujours plus, et en grossissant le poids de mes « tares », j’aurai pu envisager qu’il avait mal interprété mes propos. Surtout que plus loin je clarifie ma position….. Mais, là, je ne m’explique pas… ni pourquoi le Bélial n’a pas mis plus tôt un hola. Bref, j’ai quitté le forum.

        Tu ne peux pas savoir combien ton soutien me soulage. 🙂

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  4. Bonjour à tous,

    Pour info et pour ceux qui ne résisterait pas à l’attente d’une éventuelle réédition du titre « L’homme-plus » de F. Pohl, sachez qu’il est disponible « à la demande » auprès de l’éditeur Calmann-Lévy dans la collection dimension SF avec une traduction de Philippe Hupp. La couverture est vraiment loupée par contre…

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