Black ships seen south of Heaven – Caitlin R. Kiernan

Une nouvelle presque aussi intéressante que son prélude, mais dans un genre légèrement différent

mi_goBlack ships seen south of Heaven est une nouvelle néo-Lovecraftienne signée Caitlin R. Kiernan, que l’on peut trouver dans le volume 4 de l’anthologie Black wings (of Cthulhu), dirigée par le plus grand spécialiste de l’oeuvre du génie de Providence, S.T. Joshi. La nouvelle Agents of dreamland, dont je vous ai récemment parlé, en constitue un prélude (il est d’ailleurs amusant de constater que ce dernier est en fait plus long -et à mon avis plus intéressant- que le texte d’origine). Si celui-ci relevait plutôt du volet science-fictif de la bibliographie de Lovecraft, Black ships navigue, lui, dans des territoires plus complexes, certes toujours connotés SF (post-apo, horrifique), mais mélangeant aussi certains éléments plus mythologiques.

En tout cas, du fait de sa prodigalité en la matière ou de la haute qualité, en moyenne, des textes proposés, Kiernan s’inscrit sans conteste parmi les écrivains de premier plan des Lovecrafteries modernes, alors que son nom sera sûrement moins souvent cité que ceux d’Elizabeth Bear, Victor LaValle ou Kij Johnson. 

Univers et intrigue

Futur proche. Cinq ans auparavant, à la surprise générale, la sonde New Horizons est revenue s’écraser sur Terre, en provenance des confins du système solaire, alors qu’une telle manœuvre n’était évidemment pas prévue, ni présumée possible : elle aurait dû poursuivre sa route vers la Ceinture de Kuiper. Sa chute a, indirectement, entraîné celle de la civilisation, car elle a été concomitante de l’émergence d’une certaine île, R’lyeh, des eaux du Pacifique Sud. Une île où la géométrie de l’espace-temps est bizarre, où les lois de la physique ne semblent plus suivre le modèle standard. Une émergence qui provoque des tremblements de terre colossaux (9.9 et plus, dont un ou deux à… 12.0), des tsunamis dévastateurs, et qui s’accompagne de l’apparition de créatures titanesques et de l’épidémie qui est le sujet d’Agents of Dreamland.

L’homme essaye de lutter, mais lorsque même les bombes nucléaires se révèlent impuissantes, on comprend que le combat contre des dieux était aussi futile que perdu d’avance. Aujourd’hui, dans les ruines de l’ancien monde, les rares survivants, sous la protection de la Garde, une unité paramilitaire, tentent de résister comme ils le peuvent aux menaces les plus « bénignes », tout en chassant impitoyablement de leurs enclaves ceux qui montrent les premiers signes de contamination ainsi que ceux qui offrent des sacrifices aux divinités du Mythe. Sauf que certains de ces adeptes ou contaminés sont peut-être présents au sein même de la Garde, et que ce qu’on a pris pour la fin du monde ne l’était peut-être pas ! C’est ce que nous allons découvrir par les yeux de Susannah, dans ce qui subsiste de Chicago.

Intertextualité

Outre son prélude, Agents of Dreamland, évidemment, ce texte ramène à d’autres signés Lovecraft lui-même, et d’une grande variété (liste probablement non-exhaustive) : L’appel de Cthulhu, bien sûr, mais aussi Celui qui chuchotait dans les ténèbres, La maison de la sorcière (pour le lien entre mathématiques / géométrie / topologie / Relativité d’une part et occultisme / magie d’autre part), voire même Prisonnier des pharaons. La fin est, à mon avis, un clin d’œil à celle d’une des plus célèbres nouvelles de… Arthur C. Clarke, Les neuf milliards de noms de Dieu (vivement recommandée !).

Si le prélude était quasi-totalement influencé par un des textes précédemment cités (je ne vais pas préciser lequel pour ne pas trop spoiler), je dirais qu’ici, on a plus affaire à une version (légèrement) futuriste et post-apocalyptique de La maison de la sorcière. Quoi qu’il en soit, ce qui est certain est que Black ships s’inscrit totalement dans le registre de l’Horreur cosmique popularisée par le natif de Providence. D’ailleurs, la « prière du survivant », telle que rapportée par Susannah, est à cet égard très révélatrice : « Seigneur, laisse-moi dans l’ignorance ». Cette nouvelle relève d’une thématique récurrente chez Lovecraft : le fait que l’homme soit puni pour avoir cherché à acquérir des connaissances (via sa sonde spatiale, ici) auxquelles il n’était pas supposé avoir accès : cf, par exemple, le sort de Barzai le Sage dans le cycle onirique.

Remarquons, pour terminer, une certaine convergence avec le contexte du jeu de rôle Cthulhutech, notamment dans la nature d’une des races d’antagonistes.

Mon avis

Si ce texte est intéressant et vertigineux, il est, à mon avis, un petit cran en-dessous de son remarquable prélude, plus développé et inscrit dans une horreur plus « intime » ou terrestre (à dimension humaine) que cosmique, mais qui n’en demeure pas moins plus marquante, pour une bonne et simple raison : l’espoir d’une victoire possible. Quoi qu’il en soit, nous sommes ici en face d’une splendide Lovecrafterie moderne, servie par une écriture haut de gamme et un sense of… j’allais dire wonder, mais dread ou doom seraient sans doute plus appropriés, tout à fait admirable.

Niveau d’anglais : moyen.

Probabilité de traduction : traduit par le Belial’ dans Bifrost 99.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette nouvelle, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de FeydRautha, celle de Gromovar, de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls,

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9 réflexions sur “Black ships seen south of Heaven – Caitlin R. Kiernan

  1. Je crois que je vais passer sur celui-là. Les ambiances post-apocalyptiques ne sont pas ma tasse de thé.
    Un point de détail : j’ai les neurones de hard-SFurfeur qui ont tilté. Un séisme de magnitude 12.0 n’est pas possible sur Terre. La taille des plaques tectoniques les limite à 10. A 12.0 on aurait une faille qui ferait le tour de la planète avec une énergie libérée de près d’un milliard de fois Hiroshima. L’apparition de créatures titanesques après cela serait un détail sans importance. Elle a vu un peu grand notre amie Caitlin.

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  2. Je vais passer aussi sur celui-ci. Je ne suis pas une grande amatrice de lovecrafteries. En revanche, je vois que tu lis Guns of the Dawn que javais repéré et qui me fait sacrément de l’oeil. Tu en penses quoi pour l’instant ?

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    • J’en suis à un peu plus de la moitié. C’est très difficile de te répondre simplement « c’est un bon livre » ou « un mauvais livre » à ce stade. C’est bien sur certains plans, pas vraiment sur d’autres. En tout cas, si on aborde ça sur le pur plan Flintlock, c’est vraiment très particulier. Mais bon, j’ai l’impression que je me dirige vers un point où c’est le premier Tchaikovsky qui ne m’aura pas totalement convaincu, même si ça peut changer en près de 300 pages restantes.

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