La guerre contre le Rull – A.E. van Vogt

Combattre le feu par le feu, c’est prendre le risque de s’y brûler

Une version modifiée de cette critique est parue dans le numéro 98 de Bifrost (si vous ne connaissez pas ce périodique : clic). Vous pouvez retrouver toutes mes recensions publiées dans le magazine sous ce tag

la_guerre_contre_le_rull_van_VogtS’il n’a pas l’aura des plus grands livres ou cycles de van Vogt, La guerre contre le Rull est tout de même considéré comme une de ses œuvres importantes. Comme l’écrasante majorité des publications de l’auteur dans les années cinquante, ce n’est pas un roman à proprement parler mais un fix-up (terme et concept inventés par l’auteur), l’assemblage de six nouvelles initialement indépendantes publiées entre 1940 et 1950, avec l’ajout de matériel pour faire le lien entre elles (les chapitres 5 et 20) et donner à l’ensemble un minimum de cohérence. Même si les coutures se voient parfois franchement, le résultat est cependant bien plus honorable que dans d’autres ouvrages de l’auteur, comme Quête sans fin, par exemple. Le principal défaut de cet assemblage est ici sa répétitivité : plusieurs des nouvelles mettent en scène soit le héros, soit un de ses antagonistes, soit le héros et l’un d’eux, qui se retrouvent échoués sur une planète hostile et n’ont souvent pas d’autre choix, pour survivre, que de coopérer avec leur pire ennemi.

Dans un lointain futur, l’Homme est à la tête d’une Fédération composée de 5000 planètes, comprenant de nombreuses races extraterrestres. Lorsqu’il en rencontre une nouvelle qui est réticente à se joindre à cette alliance, il ne la conquiert pas, mais établit un blocus et entame un dialogue jusqu’à convaincre la race concernée de s’associer à lui. Ce n’est qu’en dernier recours qu’il détruit la poignée d’éléments extrémistes responsables d’une situation sans issue. Maître de la Voie Lactée, l’Humain est toutefois confronté à un double péril : d’abord, un envahisseur vermiforme venu d’une autre galaxie, le Rull, à la technologie égale à la sienne et aux capacités naturelles extraordinaires (possibilité de prendre n’importe quelle apparence et de générer des rayons d’énergie grâce à la manipulation au niveau cellulaire de l’électromagnétisme), et qui surtout, ne tolère aucune forme de vie non-Rull (car nul ne saurait être plus parfaits qu’eux), menace sa suprématie depuis un siècle ; ensuite, Trevor Jamieson, scientifique et explorateur, chef de la commission militaire interstellaire, vient de découvrir que les Ezwals, monstres bleus à six bras de la planète de Carson, ne sont pas seulement les bêtes sauvages tueuses que l’on pensait jusque là, mais surtout des êtres intelligents… et télépathes, les seuls de l’espace exploré. Et très mal disposés envers l’Homme, voire à deux doigts de s’allier avec le Rull pour le chasser de leur monde, pourtant un des trois indispensables à la défense de la Fédération. Mais ce qui paraît être un péril pourrait se transformer en opportunité décisive de gagner la guerre !

La grande qualité de ce fix-up est de montrer une galerie d’extraterrestres et de planètes / monstres exotiques très intéressants, notamment sur le plan de leur physiologie et surtout de leur psychologie (dont le rejet de la civilisation et de la technologie par les Ezwals, qui sont pour eux des facteurs aliénants). On remarquera aussi l’importance de l’utilisation, par les deux camps, de l’Hypnose, un sujet auquel l’auteur a d’ailleurs consacré un essai entier. Il tient cependant pour acquis que l’Homme ne peut vaincre le Rull qu’en réorientant toute sa société pour faire la guerre et en usant des mêmes méthodes impitoyables que lui, à commencer par l’emploi des armes bactériologiques, l’enrôlement forcé de certains membres des familles proches des chantiers spatiaux dans le vaisseau géant invincible en cours de construction ou, pire, l’endoctrinement, l’initiation au maniement des armes et au contre-espionnage (on remarquera d’ailleurs l’ambiance très Maccarthyste de chasse paranoïaque aux Rulls infiltrés, probablement une allégorie de l’espionnage et de l’impérialisme soviétiques) des enfants dès… cinq ans (on a là une sorte de Stratégie Ender en germe). De plus, une espèce n’est considérée « civilisée » que si elle peut apporter son aide dans la guerre contre le Rull (mais une fois l’intelligence de l’Ezwal découverte, la tentation de l’exterminer est grande), si le Ploian (un fascinant alien magnétique) veut revoir sa planète natale, il doit être « docile », et, on l’a vu, si la diplomatie (de l’hypocrisie !) ne donne rien, le massacre des radicaux est à l’ordre du jour (même si une espèce récalcitrante est aussi protégée par les Humains contre les Rulls). Ajoutons à cela le transport de « spécimens » Ezwals en cage vers la Terre comme des indigènes conduits vers l’Exposition Universelle. Enfin, quand ces êtres refusent d’adopter des noms pour la convenance des humains, ceux-ci les marquent comme du bétail à l’aide de leur technologie. Et que dire de Jamieson qui, pour calmer les angoisses de sa femme à propos de leur fils en péril, lui conseille… d’aller faire les boutiques !

Bref, même s’il en est partiellement conscient, puisqu’il le dit lui-même, dans leur comportement, Rulls et humains sont parfois difficiles à différencier, van Vogt justifie, même inconsciemment, certaines méthodes ou attitudes peu ragoutantes avec un naturel sidérant, ce qui fait que ce fix-up, certes fort réussi sur certains plans, notamment sa peinture de fascinants aliens comme dans La faune de l’espace, ne sera sans doute pas, aujourd’hui, à même de séduire tous les publics.

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4 réflexions sur “La guerre contre le Rull – A.E. van Vogt

  1. J’avais bien aimé ce roman à l’ambiance old school, par contre j’avais grincé des dents quant à la place des femmes (qui, si elles ne restent pas à la maison, sont alors des méchantes – je caricature mais c’était vraiment le propos !). Vu la date du roman, ceci explique cela. Hormis ce point, c’était sympa !

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  2. Ping : Quête sans fin – A.E. van Vogt | Le culte d'Apophis

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