Le sanctuaire ailé – Marie Brennan

Fracassante révélation ! (ou pas…)

sanctuaire_ailéLe sanctuaire ailé est le cinquième et dernier volume des Mémoires de Lady Trent. Toutefois, Marie Brennan a décidé de continuer à écrire dans cet univers, puisqu’un roman mettant en scène la petite-fille d’Isabelle, Audrey, est sorti en août 2019 sous le titre Turning darkness into light. Ce tome 5 reprend la présentation de grande qualité qui a fait la renommée de ce cycle, avec sa couverture et ses splendides illustrations intérieures signées Todd Lockwood (particulièrement celle représentant Isabelle à deux âges différents et qui clôture le livre).

Cet ultime opus, donc, nous explique comment Lady Trent est devenue aussi célèbre que la reine du Scirland, et, outre son histoire personnelle, il donne aussi une conclusion (provisoire, probablement, au vu du roman consacré à Audrey) à l’évolution du statut de la femme dans ce pays imaginaire d’inspiration Victorienne, ainsi qu’à la série de découvertes scientifiques liées aux dragons et à la mystérieuse civilisation Draconienne. Deux points sont à retenir : premièrement, il est légèrement plus fantastique que les autres, et deuxièmement, il est… impossible à chroniquer !

Avertissement : arrivé au tome 5 d’un cycle, il est fatal de divulgâcher certains éléments des livres précédents. Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de les lire, je vous conseille de passer directement à la conclusion de cette critique, faute de quoi ce qui suit est à vos risques et périls.

Situation, base de l’intrigue

L’action démarre cinq ans après le début du tome précédent. Lady Trent, devenue pairesse du royaume, approche de la quarantaine, et est certes reconnue dans son domaine d’expertise, mais pas encore au point d’avoir été invitée à faire partie de l’Académie des Philosophes (ce qui la rend amère). Suhail, en revanche, donne une conférence sur le langage de la civilisation Draconienne, qui est devenue autant à la mode dans cet univers que l’Égypte l’a été dans notre propre société victorienne. La technologie ayant évolué, et l’os de dragon synthétique étant désormais disponible partout, les différentes nations se sont lancées dans une course aux armements, sous forme de caeligers (dirigeables). Au Scirland, la situation a également évolué, puisque les femmes érudites peuvent plus facilement acquérir des connaissances, et que leur droit de vote progresse.

Alors que les tensions internationales augmentent, un certain Thu Phim-Lat, membre d’une faction Yélangoise dissidente, débarque à la conférence et raconte à Isabelle avoir découvert, alors qu’il travaillait comme Sherpa pour l’armée Yélangoise (l’équivalent des chinois dans cet univers) occupée à cartographier les cols permettant de franchir le Mrtyahaima (l’Himalaya local), le cadavre d’une espèce de dragon totalement inconnue jusque-là. Et plus encore, il dit qu’il y en avait un second, un peu plus haut dans la montagne. En échange de son aide et de la position des dépouilles, il demande à ce que le Scirland soutienne le Khiam Siu auquel il appartient, ce que les autorités sont ravies de faire puisque cela ne peut que gêner leurs ennemis Yélangois.

Isabelle va donc partir du Vidwatha (traduisez : l’Inde), où son pays possède des comptoirs coloniaux, montant en altitude à l’aide de dirigeables avant d’atteindre le lieu où se trouvent les cadavres (vous remarquerez au passage qu’il est loin le temps où elle était dépendante de la générosité des mécènes). A ce moment là, il va y avoir un problème, qui va la séparer des autres (et non, elle n’est pas ENCORE enlevée). Et c’est à partir de ce point (un peu moins de la moitié du bouquin) que je deviens très ennuyé ! En effet, il est impossible de vous dire quoi que ce soit ou quasiment sans vous gâcher horriblement la suite. Vous me pardonnerez donc si je reste très nébuleux et que je n’entre pas dans les détails.

Analyse et ressenti

Cependant, mon premier élément d’analyse sera le suivant : cette mystérieuse deuxième moitié vous fait une révélation qui se veut fracassante, et qui change complètement le paradigme de cet univers (j’en profite pour glisser qu’elle y ajoute un élément un poil plus fantastique, quelque part, mais qui peut aussi s’expliquer scientifiquement -avec pas mal de suspension d’incrédulité-), et conditionne la suite du roman. Le souci est que personnellement, j’avais deviné cette fameuse révélation… depuis le premier tome du cycle ! Et donc, si vous êtes dans le même cas, la grosse surprise pleine d’émerveillement va capoter lamentablement, et les presque 200 pages suivantes risquent de vous paraître un poil longues. Ajoutons à cela que la vallée secrète dans les montagnes de l’équivalent du Tibet est du vu et revu, franchement. Toutefois, je nuancerais en disant que la « Fantasy montagnarde » est finalement assez rare pour être appréciée à sa juste valeur (son meilleur représentant restant à mon avis la nouvelle L’embarcadère des étoiles de Fritz Leiber).

Mais bon, faisons comme si vous n’aviez rien deviné. Eh bien même comme ça, ça reste un peu long, la fin est relativement précipitée (mais avec Marie Brennan, vous avez l’habitude), mais par contre l’épilogue est plutôt satisfaisant. Pas la peine de vous attacher et de vous intéresser aux nouveaux personnages (Thu ou Chendley) introduits dans la première partie du roman, ils n’auront finalement qu’un rôle à la fois réduit et accessoire. Et comme je ne peux pas vous parler de ceux qui apparaissent dans la seconde partie…

Sinon, vous remarquerez que ce tome 5 présente le même début et la même fin que ses prédécesseurs (à la recherche d’une nouvelle espèce de dragons, Isabelle se rend dans un pays exotique, fait une découverte fondamentale sur les bestioles / la civilisation Draconienne les adorant, et infléchit ainsi la géopolitique et la politique intérieure de son pays, y gagnant en renommée et en aura scientifique). Sauf que pour parvenir à cette conclusion récurrente dans le cycle, le chemin est cette fois significativement différent (et encore une fois, je ne peux pas dire pourquoi, grrr…). Et que cette fois, ce n’est pas tant l’Histoire Naturelle qui est mise en avant, mais plutôt la linguistique, et ce à la fois au début et surtout dans le seconde moitié. Malgré tout, on ne peut que déplorer la réutilisation des mêmes schémas (très similaire à celle adoptée par Naomi Novik dans son cycle Téméraire, au passage) dans chaque tome du cycle ou quasiment (le tome 1 étant introductif, donc partiellement différent, et le 5, donc, présentant des différences au milieu mais pas au début ni à la fin).

Je vais par contre regretter que la progression des droits des femmes ne soit abordée qu’au tout début et à la fin, sacrifiée sur l’autel de l’évolution de la protagoniste, de sa renommée et des fondamentaux de son univers.

Ce tome 5 offre-t-il une conclusion satisfaisante au cycle ? Globalement, je dirais que oui, même s’il ne restera pas mon préféré (qui, avec le recul, serait probablement le trois). Ce mélange de Fantasy of manners (hop), de fantasy Historique avec un monde secondaire très inspiré par l’époque victorienne dans le nôtre, d’Histoire Naturelle et d’aventure scientifique restera probablement assez unique en Fantasy, et rien que pour ça, cette saga mérite d’être découverte d’une part, et appréciée pour son originalité dans un genre par ailleurs très rigidement codifié. Il restera aussi à part dans la littérature consacrée aux dragons, car loin d’en faire une créature fantastique, Marie Brennan en a fait un « simple » animal. Pourtant, loin d’être rébarbative, l’étude, au travers du cycle, de leur taxonomie, phylogénie, anatomie, biologie, etc, s’est au contraire révélée très intéressante.

Au final, si ces romans ne sont pas vraiment recommandables à l’amateur d’une Fantasy épique, guerrière ou fortement teintée de magie et de fantastique, ils raviront en revanche le lecteur souhaitant voir un monde victorien mais imaginaire un maximum réaliste, un peu dans la lignée de ce que fait Guy Gavriel Kay, mais en moins littéraire et en plus scientifique.

En conclusion

Ce tome 5, qui donne une conclusion aux Mémoires de Lady Trent, part sur une base similaire à celles de ses prédécesseurs (pour étudier une nouvelle espèce de dragons, Isabelle se rend dans un pays lointain et exotique) pour arriver à une conclusion semblable (ses découvertes changent les rapports géopolitiques et accroissent sa renommée en tant que scientifique). Toutefois, cette fois le cheminement pour y parvenir est très sensiblement différent, et ne peut être dévoilé sans spoiler horriblement. On notera toutefois que la grosse révélation de ce roman était, à mon sens, prévisible, ce qui gâche évidemment l’impact de la suite. Et que l’épilogue étant connu (Lady Trent devient hyper-célèbre et une pointure scientifique digne de Marie Curie, mais dans le domaine des dragons), forcément une certaine lassitude peut être ressentie dans le (lent) cheminement vers cette conclusion. Ce tome 5 ne restera pas mon préféré, mais il donne cependant une conclusion en grande partie satisfaisante à un cycle assez unique dans le paysage actuel de la Fantasy.

Pour aller plus loin

Ce roman est le dernier d’une pentalogie : retrouvez sur Le culte d’Apophis les critiques du tome 1, du tome 2, du tome 3 et du tome 4.

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca, de Célindanaé,

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13 réflexions sur “Le sanctuaire ailé – Marie Brennan

  1. J’aime beaucoup cette saga. J’ai lu les tomes 1 et 2 et j’ai adoré. Je conseille cette saga à toutes les personnes qui veulent une fantasy accessible et résolument féministe. Je suis contente d’apprendre que Marie Brennan continue d’écrire dans cet univers.
    J’adore le terme « divulgâcher », bien mieux que « spoiler ».

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    • Vu que j’ai un nombre non négligeable de lecteurs dans la belle province, je tente d’éviter le plus possible les anglicismes, d’où le « divulgâcher », qui est d’ailleurs originaire du Québec, il me semble.

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  2. Je vais attendre ton avis pour la suite et je te rejoins sur l’autre série de l’autrice que je trouve aussi plus intéressante (j’attends le tome 3 avec impatience d’ailleurs !). En tout cas je partage tes réserves sur ce tome 5 et ton enthousiasme pour la série dans sa globalité 🙂

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    • Oui, vivement le tome 3 de La cour d’Onyx, même si j’imagine qu’avec l’impact de la crise sanitaire, il ne va pas forcément constituer une priorité pour l’Atalante, qui préférera sans doute se concentrer dans un premier temps sur des titres plus porteurs. Parce que je n’ai pas le sentiment que nous soyons tant que ça dans la blogo à avoir dépassé le tome 1, voire même à avoir lu et chroniqué ce dernier. Il faut dire que sa couverture a agi comme un repoussoir redoutablement efficace, si ma mémoire est bonne.

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      • Ah oui ? Pour ma part j’avoue que je n’y ai pas vraiment fait attention : j’ai vu « Marie Brennan » sur la couverture alors j’ai pris le livre ^^ Mais c’est vrai que je m’attendais à ce qu’on en parle davantage…

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  3. Ping : Focus sur le cycle Mémoires, par lady Trent – Tomes 2 à 5 – Marie Brennan | Le culte d'Apophis

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