Jouissance chimique
A tall tail est une nouvelle signée Charles Stross, publiée en 2012 et lisible soit directement en ligne (gratuitement mais en anglais) sur cette page du site de Tor.com, soit, pour une modique somme, sous la forme plus traditionnelle d’un texte électronique Kindle (toujours en anglais uniquement) sur cette page du site d’Amazon (lien affilié). Toujours en recherche de nouvelles intéressantes pour alimenter mon anthologie Apophienne (ou pour donner des idées de lecture à ceux qui participent au Projet Maki, ce qui n’est pas mon cas vu que mon programme de lecture s’accommode mal des lectures imposées -en taille, en temps, en genre, etc- associées aux challenges de toutes sortes), je suis tombé par hasard sur celle-ci, et j’ai été franchement intrigué par les commentaires la concernant. Et autant le dire, j’ai passé un court mais excellent moment avec ce texte !
Intrigue
De nos jours, un écrivain de Hard SF (Stross lui-même ?) est invité par la DARPA à participer à une conférence-brainstorming sur ce que pourrait être un vaisseau spatial dans un siècle. En marge des discussions, il converse avec Jim Benford, le (tout à fait véridique, au passage) frère jumeau de l’écrivain Gregory Benford, un spécialiste des fusées qui, avec un autre scientifique, lui conte une étrange histoire, celle de l’opération NAIL SPIKE, montée par la CIA aux alentours du début de la guerre d’Afghanistan. Le but était d’affaiblir le bloc communiste en tuant ses meilleurs techniciens et scientifiques travaillant dans le domaine des moteurs-fusées. Et le moyen choisi étonnant : on a fait fuiter les plans d’un propulseur d’une efficacité prodigieuse… y compris et surtout pour tuer les êtres humains ! Le but étant donc d’inciter l’ennemi à s’affaiblir lui-même. Mais un élément destiné à crédibiliser ce canular va avoir des conséquences pour le moins inattendues !
Analyse et ressenti
Premier point, ce texte est certes de la Hard SF (en bonne partie, du moins, puisqu’il devient plus spéculatif sur la fin), mais ce n’est en rien celle, froide, d’autres spécialistes du genre. Après tout, c’est d’une nouvelle de Charles Stross dont il s’agit, et son humour et ses références de geek transparaissent tout au long de la vingtaine de pages de A tall tail (ce titre, déjà…). On signalera d’ailleurs que l’auteur fait référence à des tas d’éléments réels, de projets secrets, de théories du complot et autres légendes urbaines qui, comme certains commentateurs l’ont remarqué, peuvent vous faire passer un long moment sur wikipedia. On remarquera aussi qu’expliquer certains événements liés à la course aux armements lors de la Guerre Froide selon un prisme SFFF n’est pas une nouveauté chez Stross, puisqu’il a utilisé ce procédé (cette fois dans une perspective Lovecraftienne et pas Hard SF) dans l’également excellent A colder war (et l’atmosphère du texte, à commencer par les noms de code des projets, rappelle évidemment son fameux cycle de la Laverie). Sans compter qu’il fait un lien tout à fait bluffant entre événements passés et récents parfaitement réels, lien qui nous laisse pantois devant tant d’audace et d’habileté.
Attention toutefois, c’est vraiment un texte pour férus de Hard SF / de science et technologie, particulièrement la chimie, que ce soit celle des carburants / comburants et des hypergols ou celle des radionucléides. Rien n’est inaccessible au lecteur lambda, mais d’un autre côté, vous parler, même pendant seulement vingt pages, de domaines que vous ne connaissez pas et qui ne vous intéressent pas particulièrement peut ne pas forcément être attractif pour tout le monde. Donc je préfère prévenir. Même si, avec la version gratuite de la nouvelle présente sur le site de Tor, rien ne vous empêche de faire un essai 😉
Pour ma part, je me suis pas mal intéressé, à une époque, aux substances les plus dangereuses et exotiques, aux méthodes futuristes de propulsion spatiale, aux éléments métastables, et vu ma formation qui mettait lourdement en avant une bonne demi-douzaine de types de chimie différents, forcément, c’est un texte qui « me parle ». Mais vu à quel point ce qui est expliqué est jouissif, que ce soit sur le fond (la VRAIE explication de plusieurs événements connus) ou la forme (qui rappelle un peu le Réjouissez-vous de Steven Erikson dans sa façon de mettre des écrivains de SF -y compris réels- en vedette, et qui décrit les effets pourtant abominables de certaines substances chimiques tout à fait réelles d’une façon hilarante), si vous lisez l’anglais vous auriez tort de vous en priver même si vous n’êtes féru ni de chimie, ni de l’auteur, ni de théories du complot ou de magouilles de la CIA. Et puis comment ne pas aimer une nouvelle qui débute par une variante de « Si, si, je vous assure, tout est vrai ! » ?
Niveau d’anglais : facile.
Probabilité de traduction : faible (sorti depuis longtemps, Hard SF, simple nouvelle et pas novella ou roman pleine taille, etc).
***
Stross est l’un de mes auteurs favoris (en train de terminer « Le mémorendum Fuller » et en attente de sa suite). Merci de cette analyse.
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J’aime beaucoup cet auteur moi aussi 🙂
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Pour moi Stross est un des meilleurs auteurs de SF et un des très rares dont je relis les romans. Merci pour la critique, je vais chercher ce texte de ce pas.
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Tu vas être content, alors, le premier tome d’un nouveau cycle est annoncé (en VO) pour cette année (et sera critiqué ici, bien entendu).
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Très bonne nouvelle !
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