A burden shared – Jo Walton

La quintessence de la Science-Fiction

burden_shared_waltonA burden shared (« Un fardeau partagé ») est une nouvelle de SF publiée par Jo Walton en 2017. Nous sommes un certain nombre à penser que la forme courte constitue le pinacle de ce que les littératures de l’imaginaire ont à offrir, et ce genre de texte en constitue une magistrale démonstration. En moins de vingt pages, l’auteure galloise bâtit un monde original et soulève tout un tas de questions intéressantes. Cette nouvelle est de celles qui, bien des heures, des jours, voire des années après l’avoir achevée, vous conduira à réfléchir sur ce qui y est traité. Bref, c’est la quintessence de ce que le genre a à offrir. Et outre le fond, tout dans la forme est réussi, de la couverture parfaitement en accord avec l’idée centrale du texte au style plein d’émotion et d’empathie de Jo Walton. Voilà, de plus, une nouvelle qui a tout pour plaire à celui ou celle qui a apprécié l’humanisme de Mes vrais enfants, et qui, via la combinaison de sa faible longueur, de son niveau d’anglais accessible et de sa qualité, constitue une porte d’entrée idéale pour qui voudrait s’essayer à la lecture en anglais

Contexte *

*Vicarious, Tool, 2006.

Futur très proche (en plus de la technologie au centre du texte, et que je vais bientôt vous décrire, il y a des voitures dotées d’auto-pilotes et apparemment -si j’en juge par une allusion- des imprimantes 3D évoluées, mais rien de plus avancé). Une méthode permettant le transfert de la sensation de douleur a été inventée : elle ne guérit pas la maladie ou la blessure qui est la cause de cette dernière, mais permet à la personne malade de ne plus du tout la ressentir, et ce sans les effets secondaires d’éventuels antalgiques (sans compter que même les morphiniques ne peuvent rien pour complètement effacer les plus intenses des douleurs, du moins plus de quelques heures). Un effet intéressant du processus est qu’il est plus facile de supporter la douleur des autres que la sienne. Un effet inattendu est que le procédé a été « perverti » par certains : les fans de stars malades se mettent en listes d’attente longues de mois, voire années, juste pour avoir le privilège de ressentir la douleur de leur idole ! Voilà de quoi soulever quelques questions éthiques ou sur le sens de la décence de certains…

Le transfert de douleur peut être déclenché (via son smartphone, apparemment) ou arrêté à volonté : lorsqu’il est stoppé, le « receveur » se sent à nouveau normal, et la personne malade ressent à nouveau sa propre douleur. Pendant que le transfert est actif, à l’inverse, la personne malade peut travailler ou vivre comme si elle était en parfaite santé.

Je précise que la base scientifique ou technique sous-tendant le processus de transfert n’est à aucun moment décrite : outre la brièveté du texte, on est également clairement plus sur de la Soft-SF qui se fiche des détails que sur de la Hard.

Intrigue *

* Prognosis, Enchant, 2002.

Nous suivons Penny, qui a une fille de trente ans, Ann, née avec une maladie incurable qui lui cause une douleur constante. Sa famille (Penny, son ex-mari, le compagnon de la jeune femme) se relaient pour enlever à cette dernière sa souffrance le plus possible, et lui permettre d’exercer son métier d’avocate en toute sérénité. Ce qui ne va d’ailleurs pas sans avoir un impact sur leur propre carrière (sans parler de leur confort de vie quotidien). Et ce jusqu’au jour où Penny ressent une importante augmentation de la douleur qu’elle « prend » à Ann…

Thématiques

A burden shared évoque, comme le faisait la fin de Mes vrais enfants, le fardeau que constitue une personne dépendante / malade sur une famille, aussi bien sur le plan matériel (financier dans le roman, sur le plan de l’organisation ici : quand l’ex-mari d’Ann veut lui faire « prendre son tour » parce qu’il a des obligations professionnelles urgentes, cela désorganise la propre activité d’enseignante de Penny, qui se retrouve clouée au lit) que psychologique. Car si Penny prend la douleur de sa fille sans hésitation, comme le ferait, si elle le pouvait, n’importe quelle mère de notre monde réel, un effet insidieux est qu’Ann ressent un sentiment de culpabilité pour l’inconfort, les contraintes, qu’elle impose à ses proches. Et sa mère doit vivre avec cette culpabilité, en plus de la douleur. Un autre effet est aussi la pensée toujours sous-jacente que même si Penny préfère endurer la souffrance de son enfant plutôt que de la voir diminuée, elle sait qu’hélas, cela ne la guérira pas : seul le symptôme est supprimé, pas la cause. En filigrane, c’est donc également la relation mère-fille qui est examinée dans le texte.

La fin, bien qu’elle soit très abrupte, est tout de même particulièrement réussie, dans le sens où elle montre qu’il est des douleurs dont nul parent et aucune technologie ne pourront jamais protéger un enfant, comme il en a, hélas, toujours été. Cruelle mais belle, en un sens, cette conclusion parachève un texte court éblouissant du fait de la profondeur des thématiques et réflexions soulevées, et montre ce que la science-fiction peut avoir de meilleur et de plus intelligent à offrir.

Niveau d’anglais : facile.

Probabilité de traduction : me paraît taillé pour Bifrost, tout ça.

***

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16 réflexions sur “A burden shared – Jo Walton

  1. « les fans de stars malades se mettent en listes d’attente longues de mois, voire années, juste pour avoir le privilège de ressentir la douleur de leur idole ! »

    ça me fait penser au film « Antiviral », réalisé par le fils de Cronenberg.
    Si jamais c’est un aspect que tu as beaucoup apprécié mais que tu ne connais pas cette référence 🙂

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  2. TU mets l’eau à la bouche avec cette nouvelle. Effectivement d’aprés ce que tu en dis, c’est parfaitement taillé pour Bifrost. J’espère la lire très bientôt dans cette revue. Je me la note au cas ou…

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